Jésus et Pierre marchant sur l'eau - François Boucher (1766) - Cathédrale Saint-Louis de Versailles
Prédication

Jésus et Pierre marchent sur l’eau : une mission divine au parfum de paradis (Matthieu 14:22-34)

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 9 août 2020,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Jésus et Pierre marchant sur l'eau - François Boucher (1766) - Cathédrale Saint-Louis de Versailles

Jésus et Pierre marchant sur l’eau – François Boucher (1766)

En ce qui concerne les miracles, il est possible que Jésus ait eu des talents de guérisseur et de rebouteux, seulement nous avons ici un miracle d’un autre type. Cela n’a pas de sens, à mon avis, de penser que Jésus aurait marché matériellement sur de l’eau profonde. Il y a bien des textes bibliques qui sont manifestement à lire au sens spirituel et non au sens matériel, par exemple quand l’Évangile dit que Jésus est la lumière du monde ce n’est pas pour nous faire penser que Jésus serait un champ électromagnétique, mais pour nous dire que la foi en Christ nous aide à voir plus clair par nous-même. C’est triste de traiter les évangiles en histoires à dormir debout ou à marcher sur l’eau. Ce n’est pas le cas : l’Évangile nous parle de ce salut que Dieu nous apporte à nous, aujourd’hui, réellement. Alors quelle bonne nouvelle nous apporte ce texte où Jésus et Pierre marchent sur l’eau ?

Nous sommes sauvés du chaos par Dieu

La 1ère lecture possible, la plus courante, est de reconnaître dans cette mer déchaînée tout ce qui malmène notre existence et nous menace d’être engloutis par le chaos. En effet, dans la Bible, si l’eau douce comme la rosée du matin et le ruisseau d’eau paisible sont une image de la bénédiction de Dieu, l’eau sauvage de la mer en tempête est une figure du chaos.

Chacun de nous est évidemment plus ou moins frappés par des tempêtes, des ténèbres et des abîmes :

  • Il y a certes la mort qui finit toujours par l’emporter sur les corps, et la peur de cette mort, voire l’angoisse qu’elle peut susciter, donnant le sentiment d’être dans les ténèbres, suspendu au dessus d’un abîme sans fond.
  • Il y a les vagues du chaos qui nous frappent souvent injustement (c’est le propre du chaos que de n’avoir pas de sens).
  • Il y a la méchanceté et la bêtise humaines qui sont de tristes sources de chaos.
  • Il y a aussi nos ténèbres et nos abîmes intérieurs que sont la colère, la haine, et plus largement ce nous-même qui ne nous plait pas toujours et que nous ne savons comment domestiquer.

Face à ces abîmes, le récit de l’Évangile nous propose des pistes intéressantes pour ne pas être submergé, pour reprendre courage et arriver à bon port.

Il y a d’abord la barque des disciples, cette frêle construction humaine faite d’intelligence, de travail et de solidarités. C’est la première piste, éprouvée depuis l’aube de l’humanité et même avant puisque c’est ce qui permet également la survie d’une colonie de fourmis, d’abeilles ou de marmottes. Seulement, nous voyons des disciples ramer et ramer encore, et ça n’avance pas trop : ils ne voient pas le bout de cette traversée dans la tempête. L’industrie et la solidarité ne suffisent pas.

C’est alors que le récit met en scène le Christ, il se présente en disant « Je suis » (ἐγώ εἰμι). Cette expression a dans la Bible un parfum de divinité même si ἐγώ εἰμι n’est pas exactement le nom de Dieu dans la Torah, car ce nom de Dieu y est traduit de l’hébreu YHWH au participe en grec (ὁ ὢν Exode 3:14) et non à l’indicatif comme ici. Pourtant, avec ce « Je suis », le lecteur de la Bible ne peut manquer de faire le lien, pour reconnaître l’Emmanuel en celui qui s’approche, Dieu avec nous. C’est pourquoi les disciples le reconnaissent comme Seigneur et l’appellent « Fils de Dieu » (et non pas « Dieu » quand même).

Dieu se rend présent à nous précisément quand nous ramons dans les ténèbres et dans les chaos. Cela dépasse la réalité matérielle de ce monde, cela dépasse la solidarité humaine, le réconfort de la compassion, la force de la sagesse et de l’intelligence, tout cela étant si précieux par ailleurs. Ce qui vient est au delà : comme une présence qui change tout alors même que nous avons encore d’excellentes raisons d’avoir peur. Quelque chose qui nous fait sentir qu’un peu plus et nous serions capable de faire notre chemin par dessus les tempêtes et le chaos, bravant notre angoisse des abîmes, que tout cela n’aura pas le dernier mot dans notre vie. La figure de Pierre le montre. Malgré sa petite foi et son côté bravache, un mot du Christ « Viens ! » et il peut marcher sur l’eau. Nos propres forces sont infiniment plus grandes que ce que nous imaginons être possible. Et quand elles ne suffisent pas l’Emmanuel, Dieu avec nous, viendra au secours de notre manque de foi, et nous arriverons à bon port.

Cette figure que nous apercevons en disant « c’est moi (je suis) » est aussi une figure de notre moi idéal, de ce moi que nous sommes déjà en partie et que nous serons un peu plus demain, grâce à Dieu. C’est pourquoi Pierre prend courage et qu’en même temps il a peur : il s’effraye devant de ce moi idéal que nous sommes si peu. Là encore, Dieu avec nous, Dieu venant à notre secours, nous encourage et nous interpelle, nous stimule et nous rassure. Ce moi idéal du Christ il n’est alors plus culpabilisant, demain est déjà là, et il nous prend par la main. Il nous tire vers le haut, il nous aide à monter dans la barque de la communauté humaine, où il est avec nous et en nous.

C’est la première interprétation, classique, que je vous propose, et il y a là une réelle expérience spirituelle et existentielle. Je croise souvent de ces personnes qui témoignent que la foi a été un secours décisif dans leur vie, un secours très concret et en même temps dépassant l’imaginable. La vie touche alors au miracle. Il y a là bien plus que de la théologie abstraite, bien plus que des idées rassurantes face à la fragilité de notre nature. C’est pourquoi la forme du miracle est tout à fait appropriée pour dire cette réalité de l’Emmanuel.

Cela dit, en ce qui concerne ce texte précis de l’Évangile qui nous est proposé pour ce matin, il y a quand même une difficulté dans cette interprétation : c’est qu’au début de ce texte, nous voyons que Jésus envoie ses disciples dans cette galère, si je puis dire. Le texte dit même qu’il les y oblige avec force. Si cette mer tempétueuse et enténébrée est une figure de notre détresse, comment imaginer que Jésus y pousse ses disciples, pour ensuite les en délivrer ? Cela n’a pas de sens. Christ, jamais au grand jamais n’est source de souffrance ni d’épreuve pour quiconque. Au contraire.

Alors ? cette première interprétation que je vous ai proposée ci-dessus convient parfaitement à la version de l’Évangile selon Jean(6:14-21) où les disciples de Jésus se séparent de lui, et, littéralement « descendent à la mer », ils tombent, et « les ténèbres s’emparent d’eux ». Nous avons là une figure de notre faiblesse, quand nous lâchons individuellement ou collectivement, et qu’un chaos absurde menace de nous submerger. C’est une question que travaillent bien des textes de la Bible, par exemple l’histoire de Jonas dans son rejet de Dieu, dans son manque de compassion pour les Ninivites, et dans la méchanceté des marins qui le jettent par dessus bord dans les vagues. Selon cette histoire de Jonas aussi, Dieu vient au secours de notre manque de foi pour sauver tout le monde du chaos : les marins, Jonas et les Ninivites.

Nous sommes, avec Dieu, maître du chaos

La première interprétation proposée a donc un sens, seulement elle ne cadre pas avec la version de la marche de Jésus sur la mer que nous avons dans les évangiles de Matthieu et de Marc. Après avoir pris courage avec la première interprétation, fort de l’assurance du secours de Dieu, nous pouvons passer à une seconde lecture.

Jésus nous envoie avec autorité au beau milieu du chaos, de la tempête déchaînée, des ténèbres et du grand vent. S’il nous envoie ainsi, c’est nécessairement pour le bien, pour les envoyer à la vie, pour les envoyer être source de vie. Il n’est pas besoin d’être grand connaisseur de la Bible pour repérer que tout dans ce récit de l’Évangile fait référence à une des phrases les plus connues de la Bible, dont ce sont les premiers mots, d’une force poétique extraordinaire :

Dans un commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
La terre était chaos et vide ;
et des ténèbres à la surface de l’abîme,
et le souffle de Dieu se mouvant à la surface des eaux.
… puis Dieu se mit à parler, créant le monde : de la lumière jusqu’aux humains, créés à son image.

Nous avons les mêmes éléments dans cette première phrase et dans notre texte de l’Évangile : le chaos des flots, le grand vent, les ténèbres, et Dieu qui vient.

Dans la Genèse, Dieu se rend présent à la surface de ce chaos pas son souffle, par sa parole pour créer de la lumière, de la vie, de la bonté, de l’harmonie.

Dans l’Évangile, Jésus envoie ses disciples à la surface de ce chaos, de cet abîme de tempête et de ténèbres. Ce parallèle avec la Genèse nous fait voir en ces hommes et de ces femmes une présence de Dieu dans le monde pour faire émerger la vie. Il s’agit d’un envoi en mission. Tels qu’ils sont, avec leur foi si petite, Jésus reconnaît en eux des êtres divins, porteurs du souffle de Dieu, l’Esprit Saint, et le vent (c’est le même mot en hébreu). Ils et elles sont, nous sommes déjà une image de Dieu, à la fois créature et créateurs. Jésus a raison, bien sûr, quand il les oblige à se bouger. C’est leur vocation, salutaire pour eux et salutaire pour le monde.

L’amour en nous est ainsi, il est au-delà de la sagesse, il défie même souvent la sagesse, il nous fait nous lever pour tenter de transformer le monde, pour mettre de la lumière dans les ténèbres, faire émerger de l’espace vital entre les rives du chaos, et former des projets de paix, et tendre une main à celui qui coule.

L’ordre du Christ était un stimulant pour y aller. Pierre en redemande (nous pouvons le faire dans la prière), quand il dit à l’Emmanuel « Si c’est toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Il est comme le prophète Ésaïe qui s’était saisi de sa mission d’un « Me voici, envoie-moi ! » (Esaïe 6:8)

Oser se sentir personnellement humain et divin. C’est à cela que sert aussi cet ordre que Jésus donne à ses disciples et quand il renvoie la foule. Christ n’est pas le gourou d’une secte, plaçant l’individu sous sa coupe, soumettant sa pensée à une doctrine. Au contraire son enseignement libère, il envoie pour être soi-même. Et pour ceux qui sont déjà plus avancés comme ces hommes et femmes disciples, il est temps d’agir. C’est à la fois collectif, dans la même barque, et c’est individuel. Quand Pierre sort de la barque, il agit en humain à l’image de Dieu. Libre, autonome et créateur, maître du chaos. À sa mesure mais réellement. C’est un miracle vertigineux. Littéralement. Ce texte nous dit de prendre courage et d’y aller, que notre toute petite foi nous rend capable de ce premier pas et même quelques pas de danse, quelques pas de Dieu à la surface du chaos. Ce texte nous dit que dans cette vocation nous ne sommes jamais seul. Le grand vent évoque le souffle du Dieu créateur que nous pouvons sentir sur nous, en nous et dans le monde. Quand il le faut, Dieu s’approche encore au point de nous prendre par la main. Et il y a la barque de l’humanité, Dieu nous aide à y trouver notre place.

Un pied dans le paradis

Avec Christ, embarqué avec ceux qui se trouvent là, nous pouvons sentir que le grand vent n’est pas une menace, il est un souffle joyeux qui nous anime et qui est source de paix dans le fracas du monde. C’est ainsi que les disciples arrivent ensemble, en Christ, à bon port. Et ce port s’appelle Génésareth, précise le texte. Ce nom est-il là simplement pour donner un peu de couleur à ce récit ? J’en doute car il est manifestement composé comme étant riche de sens théologique et spirituel plus que de faits matériels. Les maîtres du Talmud juif (Bereshit rabba 98) comme le grand érudit chrétien Jérôme (Liber de Nominibus Hebraicis) lisent Génésareth comme signifiant « le jardin des princes » (שָׂרִ֗ים גַּן ־ Gan-Sarim). Jardin comme le jardin d’Éden, et prince comme ce « Prince de Paix » annoncé par Ésaïe(9:2-6) dans ce texte que nous lisons à Noël : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres voit une grande lumière… Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre de la mort Une lumière resplendit… grande joie, cris d’allégresse… Car un enfant nous est né, un fils nous est donné… On l’appelle du nom de Conseiller étonnant, Dieu-Héros, Père éternel, Prince de paix. »

C’est ce qui nous est promis dans cette traversée : arriver maintenant dans le temps où nous bâtissons ensemble le Royaume de Dieu, temps où nous sommes prince ou princesse de Paix en Christ. Nous y sommes une source de joie pour le monde et pour notre prochain quand il est en train de s’enfoncer dans le chaos, dans les ténèbres et dans l’angoisse.

Cette traversée des eaux et une naissance à nous-même, déjà nous touchons terre, et cette terre a un parfum de paradis.

Dieu nous bénit et nous accompagne dans cette traversée.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Matthieu 14:22-34

Jésus obligea les disciples à embarquer dans le bateau et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. 23Après avoir renvoyé les foules, il monta sur la montagne pour prier à l’écart. Le soir venu, il était là, seul.

24Le bateau était déjà à bien des stades de la terre, malmené par les vagues ; car le vent était contraire. 25A la quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer. 26Quand les disciples le virent marcher sur la mer, ils furent troublés et dirent : C’est un fantôme ! Et, dans leur peur, ils poussèrent des cris. 27Jésus leur dit aussitôt : Courage ! Moi, je suis, n’ayez pas peur !

28Pierre lui répondit : Si c’est toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux.

29— Viens ! dit-il.

Pierre descendit du bateau, marcha sur les eaux et vint vers Jésus. 30Mais en voyant que le vent était fort, il eut peur, et, comme il commençait à couler, il s’écria : Seigneur, sauve-moi !

31Aussitôt Jésus tendit la main, le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? 32Ils montèrent dans le bateau, et le vent tomba.

33Ceux qui étaient dans le bateau se prosternèrent devant lui et dirent : Tu es vraiment Fils de Dieu !

34Ayant traversé, ils arrivèrent à terre à Gennésareth.

 

Genèse 1:1-3

Dans un commencement, Dieu créa le ciel et la terre. 2La terre était chaos et vide ; et des ténèbres à la surface de l’abîme, et le souffle de Dieu se mouvant à la surface des eaux. Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut.

 

Ésaïe 9:1-5

Le peuple qui marche dans les ténèbres a vu une grande lumière ;
sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de mort une lumière a brillé.

2Tu as rendu la nation nombreuse, tu l’as comblée de joie.
Ils se réjouissent devant toi de la joie des moissons, de l’allégresse qui règne au partage des richesses.

3Car le joug qui pesait sur elle, la trique qui frappait son dos, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân.

4Toutes les bottes qui piétinaient dans la bataille et tous les manteaux roulés dans le sang seront livrés aux flammes, pour être dévorés par le feu.

5Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. Il a la souveraineté sur son épaule ;
on l’appelle du nom de Conseiller étonnant, Dieu-Héros, Père éternel, Prince de paix.

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Un commentaire

  1. Lindsey Stirling marche sur les eaux dit :

    Bonjour,

    Grand merci pour cette magnifique prédication !

    Voici quelqu’un qui a marché sur l’eau dans un lac un peu comme Jésus au moins au sens figuré selon les 4 évangiles, et Pierre selon Matthieu :

    Lindsey Stirling – Angels We Have Heard On High (Official Video)
    https://www.youtube.com/watch?v=IFsDAoCHYiQ

    Un petit instant féérique… un pied dans le paradis pour reprendre un titre de partie de votre prédication ?
    Comme une fée qui joue du violon sur l’eau dans un décor magnifique…

    C’est une interprétation possible de ce texte : il ne s’agit pas d’un miracle ni d’un récit à lire au second degré !!! Mais d’un fait possible, d’une srote d’illusion de prestidigitateur : Jésus, puis Pierre, auraient marché en eau peu profonde, puis Pierre aurait mis le pied dans un endroit avec plus de fond…

    Je préfère cette version car je suis contre l’utilisation de récits de miracles s’il n’ont pas eu lieu. Pour éviter les risques de confusion, mieux vaut s’en tenir à des paraboles présentées comme telles. Quant aux miracles de Dieu, seraient-ils essentiellement « intérieurs » ? Et indiscernables en extérieur car respectant les lois physiques ?

    L’interprétation serait alors que ce que nous tenons pour impossible est parfois physiquement possible malgré tout : et si un fond solide était juste sous la surface de l’eau que nous voyons…

    Dieu nous bénit et nous accompagne,

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