
En quoi et comment un peu d’église nous aide ? (Luc 24:13-35, sur le chemin d’Emmaüs)
L’essentiel pour trouver ou entretenir sa foi est un travail intime de réflexion et de prière, la dimension en groupe, en église, nourrit et stimule cela.
Texte, vidéo et poscasts de la prédication. Ceci est un témoignage personnel. N’hésitez pas à donnez votre propre avis ci-dessous.
Podcast audio de la prédication / Podcast audio du culte
(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 22 juin 2025,
par : pasteur Marc Pernot
Prédication
Deux personnes qui vivent une résurrection.
Ces deux disciples sont désespérés, à cette occasion, nous avons une pensée pour toute personne dont la foi et le moral connaissent un passage à vide, ce sont des choses qui arrivent, hélas. Cela fait que ce récit est une bonne nouvelle pour nous. Il dit que, quelle que soit notre foi ou notre absence de foi, quelle que soit notre façon d’être, quel que soit notre moral : notre histoire peut déboucher bientôt sur une joie profonde, une vie pleine d’allant et une foi vivante.
Ce récit est écrit pour nous.
C’est d’autant plus vrai que Luc, l’auteur de ce texte, nous a préparé une place dans ce récit. Il parle de deux personnes. L’une a un nom : Cléopas, c’est sans doute un homme et un Grec, mais l’autre ? Nous ne savons pas si c’est un homme ou une femme, ni son âge, ni son origine. Son nom n’est pas indiqué, mais vous, vous le connaissez : son nom est le vôtre, il a votre âge, c’est vous. Même si vous n’êtes pas désespérés comme ces deux personnes, ce récit parle d’un chemin de croissance pour vous aujourd’hui qui entendez ce récit, et vous n’êtes pas seuls sur ce chemin, nous dit Luc.
Chercher Dieu en partie seul et en partie en groupe.
Nous voilà membres de cette petite équipe qui chemine. J’y lis une figure de nos assemblées lors de nos cultes, de nos réunions bibliques ou théologiques, de nos catéchismes. Ce récit met au cœur de notre progression le fait d’être en équipe, rappelant la promesse du Christ disant : « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux (ou : je suis en eux) » (Matthieu 18:20).
Vous allez me dire que l’on peut aussi chercher Dieu quand on est tout seul, c’est d’ailleurs ce que Jésus nous invite à faire prioritairement en nous retirant dans la solitude pour prier Dieu (Matthieu 6:6), ou en entrant en nous-même comme dans cette parabole où le « fils prodigue » choisit d’aller vers le Père (Luc 15:17). Jésus nous promet, en conclusion de l’Évangile, qu’il est « avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28:20) sans condition de nous rassembler pour bénéficier de ce service prémium personnalisé (comme on dit aujourd’hui). Les deux démarches se complètent donc : notre démarche intime est fondamentale. Et il y a la démarche en groupe d’au moins deux personnes qui est complémentaire à la première démarche, qui la nourrit et la stimule.
La partie solitaire de notre démarche favorise l’authenticité de notre foi et pour mûrir notre personnalité. Car quand nous sommes seuls, nous n’avons pas à composer une figure puisque nous n’avons pas d’autre témoin que ce Dieu qui nous connaît déjà intimement et qui nous aime en l’état.
La partie collective de notre démarche permet de nous soutenir quand nous avons le moral ou la foi dans les chaussettes, mais pas seulement : nous voyons ici que l’assemblée de deux personnes est le lieu de découvertes extraordinaires. C’est pour cela que j’ai choisi ce passage afin d’honorer et de remercier Dieu pour nos assemblées dans cette église, dans cette paroisse. J’en ai personnellement bénéficié et j’espère, je pense, que vous aussi, votre fidélité en est le signe.
C’est le bénéfice de s’assembler, ne serait-ce qu’à deux. Car choisir le multiple c’est accepter de ne pas être détenteur de la vérité ultime, c’est essentiel humainement et spirituellement. C’est choisir d’être surpris. C’est ce qui explique que l’on ne peut pas se chatouiller tout seul car nous savons par avance où se poseront nos doigts avec quelle pression. L’église est là pour chatouiller notre foi, notre regard, notre vie.
Être en relation avec un autre, chercher ensemble
Deux verbes soulignent ce que font ces deux personnes. Le premier est le verbe grec ὁμιλέω qui est souvent traduit par « se parler » mais ce verbe a un sens plus général que cela, disant le simple fait d’avoir une interaction. C’est le point essentiel, cité ici pas moins de trois fois. Qu’apporte le fait d’être ensemble ? C’est assez mystérieux, mais bien réel : écouter de la musique dans son salon ou dans une salle de concert sont deux expériences très différentes, même si l’on ne parle pas aux autres spectateurs. Choisir d’être avec d’autres est une expérience puissante, viscérale, existentielle.
Le second verbe est συζητέω : « chercher ensemble ». Chercher quelque chose est évidemment essentiel à toute progression possible. Ici, il y a un plus : c’est chercher ensemble. La question n’est pas d’être du même avis, mais chercher à plusieurs nous permet d’avoir une vision, comme qui dirait, en relief du monde et de Dieu, ce que ne permet pas un point de vue unique. Choisir d’être avec d’autres et choisir de chercher est un double désir qui nous ouvre à plus que ce que nous sommes. C’est là que le Christ leur apparait et les accompagne.
La recherche de la personne qui va à l’église
Une des grandes chances de notre époque un petit peu barbare est que personne n’est obligé d’aller à l’église par convenance : tous ceux qui vont à un culte ou à une étude biblique sont animés par une vraie recherche et par le désir de ne pas la mener entièrement seul dans son coin.
Que cherchons-nous ? Comme ces deux personnes sur le chemin d’Emmaüs : nous cherchons quelque chose qui ouvre et embellisse notre existence. Un je-ne-sais-quoi, précisément, que nous ne voyons pas encore, qui nous échappe mais que nous pressentons comme présent d’une certaine façon.
Le premier bénéfice : un questionnement
La première chose que leur apporte le Christ c’est de nous aider à nourrir et à creuser notre questionnement sur ce qui nous arrive et ce que nous espérons. Le rôle de l’Église est bien moins de nous donner des réponses que d’enrichir notre questionnement. Ce n’est pas de nous asséner ce qu’un chrétien devrait penser sur telle situation géopolitique, mais de stimuler notre propre lecture de notre existence et du monde, y chercher notre vocation. C’est en particulier le rôle du culte : grâce à ce lieu connoté qu’est une église ou un temple, grâce aux personnes diverses qui sont assemblées, grâce à des textes et des chants particuliers : cela nous permet de prendre du recul sur notre course quotidienne et mieux voir où nous en sommes.
Le deuxième bénéfice : nous ouvrir à la Bible
Le deuxième service que leur apporte le Christ, c’est d’« ouvrir pour eux toutes les Écritures ». Ce n’est bien sûr pas possible de creuser l’interprétation des 23’145 versets de la Bible hébraïque le temps de faire quelques kilomètres à pied. C’est donc plutôt une formation qui les rend capables d’interpréter par eux-mêmes n’importe quel passage de la Bible : avec le Christ, ses paroles et ses gestes, comme clef d’interprétation de la Bible. Le rôle de l’Église est ainsi bien moins de nous donner LE sens de tel ou tel passage, mais plutôt de faire en sorte que chaque fidèle, du plus petit au plus grand, puisse par lui-même bénéficier de ce puissant outil qu’est la Bible pour se questionner sur soi-même, sur la vie et Dieu.
Le troisième bénéfice : le choix de la foi
Ils forcent alors le Christ à demeurer avec eux. C’est une profession de foi. Le rôle de nos rencontres est essentiellement de nous réconcilier avec Dieu et de nous aider à désirer faire une place au Christ dans notre vie. C’est un choix, sans attendre d’avoir épuisé toutes nos recherches, au contraire, c’est en y ayant pris goût et mesuré les bénéfices. Cela ressemble à un objectif atteint de choisir d’inviter le Christ dans notre vie, pourtant, le récit continue.
La communion avec le Christ
Le Christ prend le pain, il rend grâce à Dieu, il rompt le pain et le leur donne. C’est une référence au rite de la communion que nous faisons en église, déjà à l’époque de Luc.
Jusqu’à présent, leur démarche avec le Christ était plutôt intellectuelle ; maintenant, ils font faire une expérience vive de communion avec le Christ. Cela change complètement leur trajectoire de vie.
Remarquons qu’ils n’ont même pas besoin de manger le pain ni de boire dans la coupe. Ce n’est pas magique, c’est la simple puissance du rite : il prend en compte l’humain dans son être au monde plus largement que dans sa pensée. Le rite est une force puissante pour l’humain, il est ainsi potentiellement une aide et un danger. C’est pour cela que nous avons la joie de célébrer ici régulièrement la Communion, mais pas non plus chaque dimanche, évitant aussi de ne pas multiplier les rites, les symboles et les sacrements. En même temps, on a bien sûr aussi le droit de découvrir le Christ dans sa vie sans l’aide des rites, chacun sa sensibilité.
Si l’on regarde de près le texte, les disciples disent que, quand le Christ leur expliquait les écritures, leur cœur n’était pas brulant. Ils font la différence : c’est maintenant que leur cœur est brûlant, que leur vie, leur cheminement, leur amour des autres sont portés à incandescence. C’est maintenant qu’ils n’ont plus besoin de la présence visible du Christ, car il vit en eux, pour toujours.
Textes de la Bible
Luc 24:13-33
Et voici que deux parmi les disciples se rendaient à un village distant de soixante stades de Jérusalem, du nom d’Emmaüs, 14et ils s’entretenaient ensemble de tout ce qui s’était passé. 15Pendant qu’ils s’entretenaient et cherchaient ensemble, Jésus lui-même s’approcha et fit route avec eux. 16Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. 17Il leur dit : Quelles sont ces paroles que vous échangez en marchant ? Ils s’arrêtèrent, l’air sombre. 18L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : Es-tu le seul qui, habitant à Jérusalem, ne sache pas ce qui s’y est produit ces jours-ci ? 19— Quoi ? leur dit-il. Ils lui répondirent : Ce qui concerne Jésus le Nazaréen, qui était un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et devant tout le peuple, 20comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour qu’il soit condamné à mort et l’ont crucifié. 21Nous espérions que ce serait lui qui apporterait la rédemption à Israël, mais avec tout cela, c’est aujourd’hui le troisième jour depuis que ces événements se sont produits. 22Il est vrai que quelques femmes d’entre nous nous ont stupéfiés ; elles se sont rendues de bon matin au tombeau et, 23n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles avaient eu une vision d’anges qui le disaient vivant. 24Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses tout comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu.
25Alors il leur dit : Que vous manquez d’intelligence, et êtes lents à faire confiance à tout ce qu’ont dit les prophètes ! 26Le Christ ne devait-il pas souffrir de la sorte pour entrer dans sa gloire ? 27Et, commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur fit l’interprétation de ce qui, dans toutes les Écritures, le concernait.
28Lorsqu’ils approchèrent du village où ils allaient, il voulait aller plus loin. 29Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est déjà sur son déclin. Il entra, pour demeurer avec eux.
30Une fois installé à table avec eux, il prit le pain et après avoir rendu grâces il le rompit et le leur donna. 31Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent ; mais il devint invisible pour eux. 32Et ils se dirent l’un à l’autre : Notre cœur ne brûlait pas en nous lorsqu’il nous parlait en chemin, lorsqu’il nous ouvrait les Écritures. 33Ils se levèrent à ce moment même, retournèrent à Jérusalem et trouvèrent assemblés les Onze et ceux qui étaient avec eux.
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Cher Marc,
Bien que ne fréquentant actuellement aucune assemblée, votre prédication m’a beaucoup intéressée et questionnée. J’aimerais partager ma propre sensibilité concernant la perception du collectif. Pour reprendre votre exemple du concert, l’intérêt pour moi d’y assister ne réside pas dans le caractère collectif de l’expérience, mais il est, soit dans la performance d’artistes peut-être transcendés par la présence du public (comme pourrait l’être un pasteur pendant sa prédication), soit tout simplement parce qu’aucun enregistrement ne peut reproduire une telle expérience sonore. Pour la musique, le seul intérêt du collectif que je vois, serait de faire partie des musiciens. Ça, c’est une expérience fantastique. Pour le religieux, c’est un peu la même chose. La dimension du collectif, je la vois uniquement dans le cadre d’échanges, de discussions en petit groupe ou en tête à tête, ce qui n’est somme toute pas si fréquent. Mais pour ce qui concerne le culte, je n’y ai curieusement jamais vu une vraie dimension collective. Soit j’y cherchais un moment spécial dans ma relation à Dieu pendant lequel j’essayais plutôt de me créer une bulle et d’oublier les autres, avec parfois je pense, comme dans la musique, un besoin émotionnel (mais surtout pas collectif !) ; soit je cherchais un enseignement (et le pasteur il faut bien le partager 😀), soit je le vivais comme une réponse à une sorte d’obligation morale (hélas !). Ma foi a un caractère beaucoup trop intime pour que je me sente à l’aise avec des rites collectifs, y compris des chants. Pour ce qui est de faire corps, notion qui vous est chère, je ne la conçois que dans une préoccupation pour l’autre, et non pas dans le partage d’une même foi, ou d’une même recherche. Pourtant c’est important pour moi de m’inscrire dans une tradition, de savoir que mes points de vue sont dans les grandes lignes partagés par d’autres. C’est peut-être un peu paradoxal, mais difficile de vivre sans aucune contradiction.
Chère Pascale
Merci beaucoup. C’est très important comme complément.
C’est un texte magnifique pour dire au revoir. Mais rassurez-nous, vous n’arrêtez pas tout, n’est-ce pas ??
Ce serait très compliqué pour moi de dire ce que je vais chercher dans un culte. C’est pourquoi l’exactitude de votre réponse me convient : « Un je-ne-sais-quoi » ! Quant aux bénéfices, oui je vous rejoindrais sur certains points qui sont assez bien mis en avant par le texte de Luc :
– pas d’obligation, on se sent vraiment léger ! eh oui, cela est tellement important pour apprécier.
Et justement, dans ce passage, le Christ chemine incognito avec ses disciples. On pourrait dire que le Christ ne s’impose pas et c’est aussi la conception que je m’en fais car je ne pourrais vraiment pas dire qu’il m’ait frappée. Je dirais davantage qu’il se découvre, et pas uniquement dans de la théologie abstraite mais aussi dans des expériences du quotidien. C’est un peu normal dès que vous fréquentez un livre pas trop creux, il provoquera des échos vivants étant lui-même tissé dans l’expérience humaine.
– le dialogue qui va permettre une imprégnation, l’émergence d’une sensibilité jusque là inconnue et qui va amener cette reconnaissance. Je trouve que c’est vraiment l’effet des prédications et des études bibliques et des discussions ensuite avec les paroissiens ou avec un pasteur qu’on peut aborder facilement. Le dialogue est essentiel à la moindre reconnaissance, que ce soit de l’autre ou de soi-même. Tout le monde fait cette expérience d’une discussion qui tout à coup nous éclaire, et souvent au moment où on ne s’y attend pas.
– le rite ? là, je vous avoue que je n’ai toujours pas vu le rapport par contre. Je n’y suis pas du tout sensible. La Cène, ce n’est pas facile de s’immerger dans ce mouvement même si l’invitation y est très large. Mais les chants s’apprécient même s’il y en a qui ne parlent pas, voire dérangent dans leurs formulations lapidaires. Je ne pense pas qu’on puisse adhérer cent pour cent à tout non plus, donc « on a bien sûr aussi le droit de découvrir le Christ dans sa vie sans l’aide des rites », merci pour ce propos qui n’est pas si courant.
Et pour finir, j’ai trouvé tout à fait intéressante votre observation finale, paradoxale car on s’attendrait à ce que leur cœur soit brûlant lorsque le Christ est près d’eux. Eh non, c’est quand il n’est plus là. Cela évite aussi probablement l’idolâtrie, les démonstrations exubérantes de la piété singulière dont on n’est pas forcément fan. Mais bon certains s’y montrent ultra-sensibles. Une paroissienne m’a déjà raconté des rencontres qu’elle a faites réellement avec le Christ. Cette expérience la fait adhérer, moi, elle me ferait fuir mais comme vous dites, cela dépend des sensibilités. C’est ce qu’on voit aussi dans le génial récit de Cléopas : « elles sont venues dire qu’elles avaient eu une vision d’anges qui le disaient vivant » qui montre que le visuel n’est qu’une étape relayée par la parole, visuel qui n’existe même pas sans elle. Ces femmes, en effet, ne racontent pas ces messagers mais ce qu’ils ont dit. C’est donc une façon pour elle, comme pour cette paroissienne, de dire ce qu’elles pensent : le Christ est vivant, surtout lorsqu’il est invisible.
Mil mercis, Lili, pour les encouragements. Je devrais continuer jecherchedieu.ch et donner des prédications, des études bibliques régulièrement.
Concernant l’importance du rite, il me semble que c’est relativement anthropologique. Je le ressens moi-même pour le rituel sacré (pour moi) du petit-déjeuner aux aurores. Je le vois aussi en ce qui concerne les cérémonies religieuses pour la naissance, l’entrée dans l’âge adulte, le mariage et la mort. Il y a quelque chose de cela dans le rituel du culte, particulièrement flagrant dans ce geste qu’est la Communion. Mais effectivement, tout le monde n’est pas sensible aux rites, ni à tel ou tel rite en particulier. Heureusement, ce n’est pas automatique.
Avec une mention spéciale pour Marie-Madeleine, qui a eu cette perception géniale du Christ qui dépasse la mort.