deux philosophes discutant, bas relief de Lucca della Robbia - Plato and Aristotle dialectics by Luca della Robbia-Museo dell
Prédication

Chercher Dieu, même à tâtons, car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. (Actes 17:16-28)

Vidéo :

Podcast audio de la prédication / Podcast audio du culte entier

(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 28 août 2022,
par : pasteur Marc Pernot

deux philosophes discutant, bas relief de Lucca della Robbia - Plato and Aristotle dialectics by Luca della Robbia-Museo dell'Opera del Duomo-Florence (wikicommons)

La philosophie, Luca della Robbia, (1437-1439)

Paul est choqué par les Athéniens. Profondément choqué. Quelle va être sa réaction ? Est-ce qu’il va se mettre à injurier tout le monde ? Non, au contraire, il va discuter avec les gens de toute sortes : avec les juifs religieux, avec les croyants non pratiquants (les « craignant Dieu »), et il discute avec les philosophes grecs. Au lieu des les critiquer, il met en valeur ce qu’il trouve d’intéressant dans leur recherche, et leur propose d’avancer encore avec le Christ.

Il faut dire que Paul avait des facilités pour parler avec tout le monde car il a eu une double formation. Il a fait un parcours de philosophe grec au collège, puis il a étudié la Bible et la théologie juive à Jérusalem. Cette double culture est aussi un peu la nôtre puisque notre civilisation est basée sur 2’500 ans de débats passionnants entre la Bible et la pensée grecque.

Alors qu’est-ce qui a choqué Paul à Athènes ? Que ce soit une ville pleine d’idoles, dit-il. Chacun a ses dieux ou sa philosophie : ce n’est pas cela qui choque Paul, mais c’est d’avoir une idée figée de son dieu ou de sa philosophie, comme on se forge une amulette.

Le problème c’est que Dieu n’est pas comme ça, Dieu dépasse infiniment les idées qu’on peut se faire de lui, et en plus il n’est pas immobile, il est vivant et source de vie. Oui, mais nous, les idées simples nous rassurent et nous aimons que nos idées soient bien en place dans leurs petites cases, comme une statue d’un dieu que l’on met dans un coin de notre esprit. C’est rassurant, mais aucune vie ne peut sortir de là. C’est mort.

Pourtant, quand même, dans ce fatras d’idoles, Paul repère dans Athènes un petit temple qui est dédié « au dieu inconnu », littéralement « Théos agnostos » : dieu pour les agnostiques ! C’est infiniment mieux que d’enfermer Dieu dans une chose ou une doctrine. C’est s’intéresser à Dieu et se poser des questions, c’est chercher à le connaître au-delà de ce que l’on croit savoir. C’est ce que nous faisons au culte et dans les groupes de catéchisme. C’est une recherche, un mouvement, une façon d’être.

Oui, mais comment chercher Dieu alors qu’on ne le voit même pas ? Je relève trois pistes dans ce que Paul va vivre ici avec les Athéniens.

 

La première piste de recherche est la science

En effet, Paul donne comme première définition de Dieu qu’il est créateur de ce monde. Paul nous invite ainsi à étudier l’univers et son évolution, sa genèse. C’est ce que nous appelons aujourd’hui la science.

Il y a là une première recherche essentielle : qu’est-ce qui fait avancer la vie, qu’est-ce qui est source d’évolution, qu’est-ce qui donne du souffle et de la valeur à la vie plutôt qu’au chaos ? L’athée comme le croyant peut mener cette recherche.

Elle est comme une clef essentielle pour notre vie quotidienne et pour l’avenir du monde.

Paul remarque que cette recherche unit les humains puisque nous sommes tous issus de cette même évolution. C’est là un avantage, immense, de rechercher avec les autres ce Dieu inconnu, ce Dieu encore à découvrir (même si les athées ne l’appelleront pas « Dieu », il n’en demeure pas moins que le fait chercher ensemble la source de la vie nous unit).

La foi n’a rien à craindre de la science, bien sûr. Au contraire, elle a amené bien des personnes à Dieu (dont moi-même). Il y a deux jours encore, les scientifiques nous donnaient à entendre pour la première fois le chant d’un trou noir au centre de l’amas de galaxies de Persée, ça éveille notre envie de chercher l’inimaginable source derrière tout cela, de la pressentir et de commencer à l’aimer. (Cf. Romains 1:19-21).

La science a aussi une autre chose à nous apprendre pour la recherche de Dieu. Les scientifiques avancent en débattant entre eux de leurs différentes théories, et ils sont prêt à les réviser dès qu’une théorie cadre mieux avec les observations. En théologie, cette façon de chercher permet d’avancer sans s’enfermer dans un dogme ou une morale.

 

Dieu est tout proche de chacun de nous

Paul nous propose une deuxième piste pour chercher Dieu : c’est de le chercher par notre propre expérience directe. Mais comment serait-il possible de découvrir Dieu directement puisqu’il est au-delà des trous noirs et même hors de l’univers ? « Comme à tâtons » nous dit Paul, comme si nous ne pouvions le voir mais pouvions le toucher. Car si Dieu est tout autre, il est néanmoins proche de nous, de chacun de nous.

Comment le chercher « à tâtons » ? C’est si concret que toute personne, athée comme croyante peut le faire : C’est chercher en nous. Se demander : qu’est-ce qui, en vérité, donne un élan à ma vie ? Qu’est-ce qui nous rend meilleur, plus aimant, plus libre ? Qu’est-ce qui nous donne de l’espérance et nous donne envie de nous engager pour faire vivre autour de nous ? Qu’est-ce que est source d’être, c’est-à-dire : qu’est ce qui fait que toute personne est précieuse et digne d’être épanouie?

Chercher la source de cela, chercher au fond de soi avec sincérité, cela : c’est chercher Dieu.

C’est une recherche de Dieu dans notre expérience de la vie courante. Au raz des petites choses de la vie, de nos rencontres, de nos difficultés, de nos joies, de nos forces. Cette recherche c’est celle de Paul dans son cheminement quand il cesse de persécuter les autres pour devenir apôtre. Ce mouvement c’est celui de Moïse qui se pose des questions à propos d’un buisson. C’est ce que Jésus tente de nous faire chercher quand il raconte ses petites histoires mettant en scène un berger, un vigneron, un semeur, une femme préparant du pain, un enfant qui part de la maison, un pêcheur qui répare son filet… Toute la Bible, chacune de ses pages, parle de cette expérience de Dieu au fond de nous, de cette source mystérieuse, inconnue, qui nous donne la vie, le mouvement et l’être.

Voilà déjà deux pistes que nous donne Paul : l’étude de l’évolution du cosmos par la science, premièrement, et deuxièmement la recherche au fond de nous-même.

 

Et la philosophie, alors ?

Paul discute ici avec des philosophes païens dans leur langue. Ce simple fait nous apporte une belle piste pour avancer dans notre recherche et ne pas laisser notre foi s’endormir, s’enfermer dans une pensée figée. À la suite de Paul nous pouvons aller discuter avec des gens qui ne pensent pas comme nous et qui pourtant cherchent la source de la vie, du mouvement et de l’être. Saint-Augustin relève cela et nous encourage à faire de même (Réponse à Cresconius I:11-14) puis il ajoute que cet épisode nous apporte un encouragement à penser notre foi en argumentant et en refusant ce qui ne tient pas debout. C’est vrai que Dieu dépasse ce que nous pouvons en dire mais ce n’est pas une excuse pour dire de lui n’importe quoi non plus.

Paul philosophe donc joyeusement avec ces Athéniens et il découvre qu’ils ne sont pas si mauvais qu’il le pensait en premier lieu. C’est l’avantage de parler avec les gens. Parmi eux, des philosophes s’intéressent à ce qu’il propose de neuf. Certains ont plus de mal à saisir quand Paul parle de résurrection en Christ. Qu’est-ce qui les bloque ? Ils avaient pourtant dans leur littérature l’histoire d’Orphée qui revient du séjour des morts et ils savaient entendre cette histoire au sens figuré. Mais ce n’est pas quelque chose comme cela dont parlait Paul. D’ailleurs ce n’est pas tant la vie de Jésus qui intéresse Paul, ce qui l’intéresse et qui a changé sa vie c’est que, en Christ, Dieu se révèle comme source de nouveauté de vie plus forte que tout. Et que, en Christ, Dieu nous fait à l’image de Dieu (ce qui est infiniment mieux que de nous faire des images de Dieu, des idoles).

Ce n’est pas de la philosophie abstraite. Les philosophies des stoïciens et des épicuriens étaient des philosophies à vivre, et l’Évangile du Christ aussi. À vivre concrètement pour trouver ce que c’est que vivre bien.

Certaines écoles de philosophie avaient une vision des dieux et de l’idéal de la vie humaine comme le fait d’être en paix, d’être « zen », immobile, de n’avoir plus de désirs insatisfaits, plus de changement à vivre, que notre âme soit comme l’eau d’un étang un jour où il n’y a pas un souffle de vent.

Le problème c’est qu’une eau stagnante pourrit très vite. Chercher l’immobilité c’est se tourner vers le néant.

À la suite du Christ, Paul nous dit que la vie est mouvement, elle est un jaillissement de vie nouvelle, à l’image de Dieu. Jésus lui-même étant cheminement, fidélité et vie (nous dit Jean 14:6). Vie plus forte même que la mort. Voilà ce qu’annonce Paul en tant que chrétien vivant sa foi ardemment. Et il le dit aussi en philosophe, car il savait certainement que Platon aussi en était arrivé à penser que Dieu n’est pas comme une bûche plantée là, immobile, mais qu’en lui il y a du mouvement, de la vie, de la pensée (voir les derniers mots de Paul Ricœur dans Histoire et vérité, citant Le Sophiste 248-e).

En Dieu nous recevons la vie, le mouvement et l’être. Dieu est comme enceinte de nous, nous sommes en lui, déjà nous avons la vie, déjà nous sommes en mouvement comme l’embryon dans le ventre, déjà Dieu nous libère de lui pour être : être de sa race, son enfant. Comme lui, être une source (à notre mesure, à notre façon). C’est une vie, une joie et une paix que le monde ne peut donner.

Amen.

pasteur Marc Pernot

PS. Pour ce qui est du son du trou noir, voir cette vidéo.

Texte de la Bible

Actes des apôtres 17:16-28

Paul à Athènes avait l’âme bouleversée de voir cette ville pleine d’idoles. 17Il adressait donc la parole, dans la synagogue, aux Juifs et aux craignants Dieu, et, chaque jour, sur la place publique, à tout venant.

18Il y avait des philosophes épicuriens et stoïciens qui s’entretenaient avec lui.

Certains disaient : « Que veut donc dire ce glaneur ? » Et d’autres : « Ce doit être un prédicateur de divinités étrangères. » – Paul annonçait en effet la bonne nouvelle de Jésus et de la Résurrection.

19Ils mirent donc la main sur lui pour le conduire devant l’Aréopage : « Pourrions-nous savoir, disaient-ils, quelle est cette nouvelle doctrine que tu exposes ? 20En effet, tu nous remplis les oreilles de propos étranges, et nous voudrions bien savoir ce qu’ils veulent dire. » 21Il faut dire que tous les habitants d’Athènes et tous les étrangers en résidence passaient leur temps libre à dire ou à écouter les dernières nouveautés.

22Debout au milieu de l’Aréopage, Paul prit la parole : « Athéniens, je vous considère à tous égards comme des hommes extrêmement religieux. 23Quand je parcours vos rues, mon regard se porte en effet souvent sur vos monuments sacrés et j’ai découvert entre autres un autel qui portait cette inscription : “Au dieu inconnu”. Ce que vous vénérez ainsi sans le connaître, c’est ce que je viens, moi, vous annoncer.

24Le Dieu qui a créé l’univers et tout ce qui s’y trouve, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas des temples construits par la main des hommes 25et son service non plus ne demande pas de mains humaines, comme s’il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie et le souffle, et tout le reste.

26À partir d’un seul il a créé tous les peuples pour habiter toute la surface de la terre, il a défini des temps fixes et tracé les limites à l’habitat des humains : 27c’était pour qu’ils cherchent Dieu, comme à tâtons et puissent le découvrir lui qui, en réalité, n’est pas loin de chacun de nous. 28Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être, comme l’ont dit certains de vos poètes : “Car nous sommes de sa race.” »

(Cf. Traduction Œcuménique de la Bible)

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2 Commentaires

  1. Lili dit :

    Quelle belle prédication portant sur un extrait si incroyable : la rencontre de Paul et des philosophes grecs. Le passage est génial. On aurait voulu être petite souris pour assister à ces dialogues. Du coup, le récit est frustrant. Difficile de recomposer ce qui s’est dit avec si peu de matière. C’est un peu étrange que Paul n’ait pu s’entendre à ce point avec les Grecs d’Athènes car bien des aspects des philosophies épicurienne et surtout stoïcienne étaient tout à fait en adéquation avec les idées mises en avant par ce christianisme naissant. L’idée stoïcienne d’un logos dirigeant le monde, le monde provenant lui-même d’un Grand tout ordonné par ce logos, grâce à un souffle divin n’est pas si éloignée de l’idée d’un dieu créateur séparant les ténèbres de la lumière, créant et ordonnant le monde par sa parole, insufflant la vie tel qu’on le lit dans la Genèse. Et les toute premières lignes de l’Evangile de Jean n’auraient sans doute pas été reniées par un stoïcien.
    Mais on voit bien que ça coince sur l’idée de résurrection. Cette idée est tellement étrangère (mais Paul a dû en distinguer d’autres que Luc ne mentionne pas) que Paul doit passer par l’aréopage. Ce tribunal avait déjà condamné Socrate et était chargé de délivrer des autorisations à ceux qui voulaient enseigner publiquement, notamment à la jeunesse, ce que voulait faire Paul, je suppose. On voit quelques versets plus loin qu’il n’a pas dû obtenir gain de cause et quitte Athènes rapidement. Je me demande pourquoi Paul veut-il autant mettre l’accent sur ce point de la doctrine chrétienne, il a bien dû sentir que ça n’allait pas passer. Pourtant, il lui fallait obtenir cette autorisation s’il voulait développer son ministère à Athènes. Il aurait pu mettre de l’eau dans son vin, si je puis dire. Pourquoi tant insister sur des points de désaccord alors qu’il y avait sûrement moyen de s’entendre plus largement sur d’autres ?
    Parce que les conceptions que les épicuriens et les stoïciens avaient de la mort ont à voir avec l’ossature de leur propre système. Ils n’allaient pas renier leurs points fondamentaux pour une idée aussi étrangère qui, en plus, s’ils l’avaient admise, aurait demandé de reconstruire toute leur philosophie ou de l’abandonner.
    Pour les épicuriens, la mort est un retour à l’état primitif des atomes qui tombent dans le vide et dont l’assemblage du vivant s’est finalement décomposé. Leur philosophie matérialiste, inspirée de Démocrite, a pour fondement l’idée que tout ce qui existe est constituée d’atomes. Et en effet, ils considéraient que le corps était fait d’atomes mais que l’âme l’était aussi, même si les atomes n’avaient pas tout à fait la même forme pour constituer les corps ou les âmes. Ni le corps ni l’âme ne pouvaient survivre à cette décomposition. Ils ne pouvaient donc pas croire en une quelconque résurrection, un retour à la vie ou à un quoi que ce soit qui serait conservé.
    Quand aux stoïciens, ils estiment que la mort nous ramène dans le Grand Tout primitif d’où nous provenons. Cela peut ressembler au chaos de la Genèse. Ils y voyaient dans la mort une harmonie, un cycle, et par ailleurs un recommencement éternel puisque de ce Grand Tout vers lequel la mort nous conduit, de nouveau, rejaillissait la vie exactement dans les mêmes conditions. Alors ils n’étaient pas très loin de l’idée de résurrection en un sens mais c’était peut-être trop minimaliste pour eux la résurrection selon Paul. Apparemment, il fallait que “tout ressuscite” en quelque sorte, puisque l’âme humaine n’est qu’une partie du logos universel qui dirige le monde, elle n’aurait pas pu se désolidariser de l’ensemble. Donc là non plus, la résurrection ça ne pouvait pas marcher.
    Par ailleurs, il n’est pas du tout dit comment Paul présente cette résurrection, est-ce qu’il reste à un “niveau basique” ou est-ce qu’il fait œuvre de théologien en détaillant ce que recouvre ce concept ? Je pencherais pour la seconde solution car l’Aréopage n’était pas composé de simples gens, mais de personnes cultivées ayant toutes exercé des magistratures importantes et dont la valeur morale était attestée, elles ont sûrement écouté Paul attentivement. Alors je doute que cette idée de résurrection ait été vraiment le problème. L’idée d’un dieu personnel, cela surtout devait les choquer. C’était très éloigné de leurs conceptions. Ensuite que son prophète/messager ressuscite ou non, je ne pense pas que cela ait changé grand chose à leur opposition. Peut-être est-ce surtout Luc qui veut insister sur ce point pour se distinguer nettement de la pensée païenne?
    Et par rapport à vos trois points évoqués dans votre prédication, eh bien les stoïciens cocheraient certainement vos trois cases sans hésiter car l’étude des sciences et notamment de la physique est un des points essentiels de leur doctrine. Puisque le logos créateur est rationnel, il y a moyen de le découvrir et de trouver sa place dans ce cosmos en étudiant son fonctionnement. La physique dispose d’une forte portée morale dans les philosophies antiques, idée qui a disparu de nos représentations modernes de la physique. L’engagement dans la vie politique était aussi important, c’était une façon de mettre en place à hauteur d’homme l’ordre divin qui régnait dans le cosmos. Par ailleurs, ce logos est aussi en nous : c’est notre raison qui nous permet d’appréhender le monde et nous-mêmes et de découvrir des vérités, donc là aussi il est tout près de nous. Et la philosophie est conçue comme un moyen d’accès à sa compréhension, à ses représentations, entre autre à travers l’usage de la logique et de la dialectique. Elle permet un agir éthique en nous libérant des passions, après un entraînement.
    Les épicuriens n’auraient sans doute pas coché le deuxième point par contre. Pour eux “les dieux sont bienheureux et ne s’occupent pas de nous” (Epicure, Lettre à Ménécée). Ils voulaient tellement débarrasser les hommes de la crainte des dieux qu’ils les ont isolés loin des hommes, sans aucun contact avec eux. C’est une sagesse qui n’est pas inintéressante à regarder. Pour eux, une conception peureuse de la divinité était une entrave grave à la liberté humaine et à la félicité, cette ataraxie, cette impassibilité qu’il fallait atteindre pour vivre pleinement. C’est paradoxal sans doute pour nous. Quand on voit que l’idée de punition divine est d’actualité dans de nombreuses représentations religieuses encore aujourd’hui, on se dit que l’épicurisme a été trop en avance ou pas assez convaincant.
    Vous soulignez d’ailleurs ce point délicat. L’ataraxie n’est pas très satisfaisante et je ne crois pas que personne trouve cela réellement emballant. L’ataraxie ressemble prodigieusement à une petite mort, un truc moisi, comme vous dites, et il vaut mieux privilégier l’être en mouvement, caractéristique de la vie. Là-dessus, je suis bien d’accord avec vous.
    Alors, pour ceux qui s’angoisseraient de ce qui est advenu du christianisme après ce passage de Paul à Athènes, ne vous inquiétez pas trop. Cette religion va s’implanter durablement à partir de l’empire romain grâce à l’empereur Constantin et va atomiser le stoïcisme dans les deux siècles qui vont suivre. L’épicurisme, en tant qu’école, avait, lui, déjà disparu. C’est Marc Aurèle qui va clôturer cette période stoïcienne de presque six siècles, ce n’est donc pas une pensée mineure. Si on veut et si on a le temps, on peut regarder ses “ Pensées à moi-même” (on n’est pas très très sûr que ce soit lui qui les ait écrites, mais cela reste une merveille du genre, une œuvre très sensible, facile à lire). Une œuvre très très courte : le “Manuel” d’Epictète, très accessible (avant d’attaquer les “Entretiens”, un peu plus longs mais facile aussi) ou “De la vie heureuse” de Sénèque donnent déjà de bonnes idées sur la pensée du stoïcisme tardif. On peut ajouter un ou deux Cicéron : “Des devoirs” ou “Des dieux” pour le stoïcisme moyen. Mais on aura toujours un peu de mal à comprendre exactement pourquoi ces stoïciens ont pris Paul en grippe à ce point là. Ou alors c’est le problème de tâtonner qui les a titillés parce que la structure de leur pensée forme nettement un système dans lequel tout est imbriqué sans possibilité de tâtonner..
    Pour finir, je vous remercie pour la référence à la réponse de Saint Augustin que je ne connaissais pas (on trouve facilement le texte en ligne) : Cresconius en prend pour son grade, le pauvre… Je n’ai pas tout saisi du contexte, cela demanderait une étude plus approfondie mais j’ai trouvé le texte formidable, moi qui me suis endormie à plusieurs reprises sur les Confessions, j’ai rencontré là un Saint Augustin très vivace. Même drôle. Un texte intéressant à découvrir et qui a sûrement dû beaucoup vous parler. La figure du “vrai” dialecticien/prédicateur envoyée à la tête de Cresconius m’a fait penser nettement à quelqu’un.

    1. Marc Pernot dit :

      Grand merci. C’est passionnant.

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