
Je voudrais arriver un peu à « secouer » cette paroisse, leur instiller une autre façon de penser. Suis-je présomptueuse?
Question d’un visiteur :
Bonjour cher Pasteur,
Me voici pour vous poser une question très pratique, enfin….ecclésiale aussi. Mais c’est l’aspect concret qui me taraude.
Je fais « des remplacements » de pasteurs, soit en cas de vacance pastorale, soit en cas d’absence ponctuelle d’un pasteur. Je fais ce travail de tout mon coeur, j’en retire beaucoup de joie, y compris intellectuelle. Voici pour le cadre.
Il se fait que je suis régulièrement sollicitée par une paroisse, je devrais dire, qui devient micro-paroisse. Ils sont en vacance pastorale depuis deux ans. Une amie pasteure, homosexuelle, s’est montrée très étonnée que cette communauté m’invite. Ma camarade pasteure connaît mes idées ….pour résumer, « pro-LGBT » et mes prédications un peu décalées aussi. Que cette communauté me sollicite l’interrogeait en effet. J’ai su, par petits bouts, que cette communauté se montre très agressive et intolérante, refusant toute collaboration avec la communauté voisine…pour cette raison. Perturbée par cette « dérive » (je la conçois ainsi), j’avais contacté un pasteur : je suis restée un peu sur ma faim, il était surtout question, selon lui, de « c’est la diversité de l’Eglise….. » Non, il y a des diversités qui sont interdites par la loi, comme l’homophobie; il y a des diversités à jeter au feu quand elles promeuvent les thérapies de conversion.
Par petites touches (je pense…..trop petites, au final), j’essaie de faire passer un message d’ouverture: le prochain, le lointain, le lointain qu’on assassine en le jetant du haut d’un immeuble en Irak…pour ce qu’il est. Pas de réactions, ni positives ni de rejet: Comme si je passais à côté d’un truc. Quand j »étais CPE avant, dans une autre vie, je sais bien que ma façon d’être en tant que CPE, n’avait pas le même impact sur mes élèves Pierre, Paul ou Jacques: il fallait quand même que Pierre, Paul ou Jacques aient la conviction qu’il y avait quelque chose à changer, à modifier pour se sentir mieux au collège et en sortir grandi et autonome. Ça marchait, ça marchait pas, moi j’étais toujours la même. Comme une alchimie heureuse et ..hasardeuse.
Cette communauté, j’aimerais la bousculer un peu, la faire évoluer. Je pense devoir y aller avec moult précautions….. et même….. je pense que je n’y arriverai pas. Ou alors je leur « rentre » dedans….. en étant plus explicite. J’y ai pensé en écoutant la prédication de Pâques passée sur France2: ah oui…..on veut bien aimer les homosexuels….s’ils restent discrets! J’aimerais réussir à dire cela à cette communauté : ça passe ou ça casse?
Voilà où j’en suis de ma réflexion.
Quand vous aurez du temps, et je sais que vous êtes très occupé, si vous avez quelques éléments de réflexion à partager avec moi? Vous êtes toujours inspirant. Comme je dis souvent « Marc Pernot? c’est la base! »
Bien à vous,
Réponse d’un pasteur :
Chère Madame
Grand merci pour votre confiance et pour vos encouragements ! Bravo pour ce ministère que vous avez et l’attention que vous portez à ces personnes qui ont soif de Dieu.
Ma réponse est assez simple. Et effectivement, « c’est la base » pour moi : il n’est pas question de faire du moralisme dans l’église, et encore moins pendant la prédication.
Aujourd’hui, on voit revenir à la surface une sorte de néo-moralisme. Cela fait, je le pense sincèrement, un mal immense à l’image de l’Évangile, de Dieu et de la foi. Ce n’était absolument pas l’attitude de Jésus. Les seules fois où il parle de façon très sévère, c’est pour critiquer le moralisme des religieux intégristes qui lient des fardeaux sur le dos des gens. C’est bien entendu délibéré de la part de Jésus, le genre moraliste existe dans « la loi et les prophètes » de son temps. Et je suppose qu’il avait ses petites idées sur le joyeux métier d’un centurion (l’invasion et l’occupation romaine étaient féroces), d’un péager, ou des prostituées qu’il dit nous devancer dans le royaume de Dieu. Jésus ne critique pas la xénophobie de ceux qui pensent qu’il n’y a rien de bon qui peut venir de Nazareth, ni le fait de posséder des esclaves.
C’est une question de stratégie : imposer telle telle ou « vérité » (a priori juste et bonne puisque c’est nous-mêmes qui l’avons pensée et que nous sommes supérieurs aux autres, hihi). De toute façon : espérer imposer une « vérité » aux autres est contre-productif :
- Aux personnes qui ne sont pas du tout de notre avis, on dit alors qu’elles n’ont pas leur place dans l’église avec ces idées-là : c’est fâcheux pour leur avenir, et c’est fondamentalement contraire à l’idée même de la grâce.
- Un message moraliste dit haut et fort que les gens n’ont pas à penser par eux-mêmes puisque nous allons leur dire la vérité vraie. Même si nous avons raison sur ce point particulier, c’est contraire à la démarche même du salut qui travaille en faveur de la genèse de chaque personne par Dieu.
- C’est plutôt Dieu le vigneron qui taille la vigne (Jean 15), c’est l’Esprit qui grandit la personne. Notre boulot à nous n’est pas d’enlever la paille dans l’œil du voisin (Matthieu 7:5), mais si nous voulons enlever quelque chose, mieux vaut commencer à enlever la poutre dans notre propre œil, nous dit finement Jésus. Vouloir imposer notre ablation de paille est de l’hubris de la part du prédicateur moraliste.
La « vérité » est une personne : le Christ, c’est Dieu qui est « bon », lui seul, nous dit Jésus. C’est cela que nous apportons, pas nos « vérités » au sens de morale. Et effectivement, mieux vaut avoir pour visée de réconcilier les personnes avec Dieu, de leur donner la confiance, avec le Christ, dans la grâce de Dieu, de transmettre les encouragements de Jésus à penser par eux-mêmes, en se posant toutes les questions, en étant prêts à remettre en cause des choses qu’on leur avait présentées auparavant comme certaines et vraies, de leur montrer que Christ est un appel à cheminer (Abraham aussi)… Alors, nous aurons fait notre boulot et on laissera à Dieu le soin de faire le reste, sans prendre sa place.
J’ai résolument accompagné les couples de personnes de même sexe depuis des dizaines d’années, avant même que l’église le permette ; je le faisais à cette période dans un cadre privé. Mais il m’est pas venu une seconde à l’idée qu’il serait pertinent de faire un culte contre l’homophobie, ni même pour l’inclusivité. J’ai épousé une femme d’une autre ethnie que moi, mais il ne me vient pas une seconde à l’idée de faire un culte contre la xénophobie ou le racisme, même si ma femme a subi du racisme frontal à Paris, y compris dans l’église (heureusement pas du tout à Genève).
Le seul moralisme qu’il nous faut bien avoir, quand même, c’est de refuser qu’une personne en injurie une autre au sein de la paroisse, ou veuille exclure certaines personnes. Cela, nous ne pouvons pas l’accepter. Et quand cela arrive, nous devons agir. À contrecœur pour les raisons ci-dessus, mais le faire quand même, le plus respectueusement possible. Une paroisse doit être un lieu sûr où l’on ne sera pas agressé comme on peut l’être sur les réseaux sociaux.
Je n’ai pas écouté la prédication du collègue sur France 2, mais je crains le pire à ce que vous m’en dites : une parole qui donne l’image d’une église qui fait la leçon aux gens en levant sa règle comme un instituteur du temps de Marcel Pagnol (peut-être, et encore). Or, la crise de l’Église n’est tant une crise de la réflexion ou de la spiritualité qu’une crise de la « vérité » affirmée, de l’Église surplombante, en majesté et en gloire… Je ne suis donc absolument pas de l’avis de ceux qui encensent la femme évêque qui a fait la leçon à Donald Trump du haut de la chaire. C’est facile, sans risque, et contreproductif. Elle s’est fait plaisir à elle-même, mais pensez-vous qu’un seul électeur républicain (sans parler des grands-Maga en chefs) a changé d’opinion après ses paroles ? Prendre à partie une personne, ou certaines personnes du haut de la chaire est une violence, or la violence engendre de la violence, rarement des sentiments de miséricorde. Pourtant nous sommes d’accord, il y a des attitudes qui sont du venin dans notre société. Mais, comme le dit Jésus, ce genre de démons de sort que par la prière (Marc 9:29) : mieux vaut compter sur Dieu et aider ces personnes à penser par elles-mêmes et à prier. Or, la leçon de morale enjambe tout cela, tend à rendre inutile tout cela. Quand le pasteur se place au dessus des gens, il fait obstacle entre les personnes et Dieu.
Pour ce qui est de la loi civile, c’est effectivement son rôle de bannir l’homophobie, le racisme, les « thérapies » de conversion, les paroles qui traitent l’homosexualité de maladie mentale… Laissons la loi faire son job. Et occupons nous du nôtre, d’accueillir chacun sans lui cracher dans l’œil (parce que nous y avons cru y discerner une paille, souvent à raison, mais là n’est donc pas la question).
Bien fraternellement,
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc
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Ah oui, des leçons de morale certains savent en faire, en fait, ils ne font plus que ça. Merci à vous Marc Pernot d’être différent