Dans l’Évangile, il est fait mention du « Prince de ce monde » qui n’a aucune emprise sur le Christ, mais dont il faut se méfier.
Question posée :
Bonjour mon Père,
Dans l’Évangile de Jean, chapitre 14, verset 30, il est fait mention du « Prince de ce monde », « ὁ τοῦ κόσμου ἄρχων », qui n’a aucune emprise sur le Christ, mais dont il faut se méfier. Vous avez déjà expliqué ce verset sur votre site, en décembre 2021 (https://jecherchedieu.ch/question/prince-de-ce-monde-diable-demon-chaos/), mais quelque chose me dérange. Vous affirmez que le monde est une notion positive, ce avec quoi je suis d’accord ; néanmoins, vous ne parlez que peu du Prince, traduit avec une majuscule. De plus, il s’agit bien d’un singulier, qui dans ce contexte a une valeur clairement symbolique ; je ne pense ainsi pas qu’il faille y voir un simple substantif des divers rois purement politiques, car il en est dit qu’il vient, alors que les rois étaient déjà là et sont encore bien présent.
J’ajoute que le mot « ἄρχων » (archon) peut avoir une connotation négative, contrairement à, par exemple, « βασιλεύς » (basileus), qui renvoie à un pouvoir légitime (le monde orthodoxe l’employait d’ailleurs pour les titres officiels). Le mot « κόσμου (kosmou) renvoie non au simple monde humain, mais à l’univers, le monde en tant qu’ensemble, notion comme vous l’avez dit positive. Il faut donc comprendre qu’il y a quelque chose, certainement immatériel et invisible, qui « gouverne », règne sur le monde de manière peut-être plus insidieuse, qui n’a, comme dit le Christ, pas d’emprise sur lui, mais qui a une emprise « illégitime » sur le monde.
Ce verset m’a beaucoup fait m’interroger, et j’en suis arrivé à une conclusion que je n’ai lu nulle part : et si ce prince était ce qu’on appelle, dans un vocabulaire certes très marxiste mais néanmoins clair, « l’idéologie dominante » ? Le Christ y est clairement immunisé, loin des conventions morales de son temps qui écrasaient les faibles. Le Christ aurait-il compris et annoncé que son message ne serait pas pleinement entendu, trop révolutionnaire pour son époque ? Après tout, il a bien annoncé que « cette génération ne passera pas ». Ce qu’on nomme l’idéologie dominante, c’est une sorte de mensonge insidieux, auquel tout le monde croit et qui règne sur nos sociétés pour la faire fonctionner, aux dépens de certain et aux profits d’autres.
Que pensez-vous de cette interprétation ? Peut-être est-elle trop matérialiste (et j’assume de l’être), trop « politique » (et je le reconnais de même), ou simplement erronée car quelque chose me manquerait.
Bien à vous.
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Dans l’Evangile « le monde » est une bénédiction de Dieu
Merci pour cette question essentielle, d’autant plus que, parfois, »le monde » a été dévalorisé dans des milieux chrétiens, faisant la promotion de la pauvreté, du renoncement, du mépris de la chair, du refus des joies de vivre en ce monde et des plaisirs, élevant le célibat au dessus de l’état matrimonial… ce qui ne me semble pas fidèle à bien des textes bibliques et en particulier à l’Evangile du Christ.
Notre corps, notre intelligence, notre vie en ce monde sous toutes ses dimensions sont des bénédictions de Dieu. Dieu qui, comme le dit Jésus, a tellllllement aimé ce monde qu’il est allé jusqu’à nous donner son Fils pour nous sauver, nous, dans notre vie en ce monde (Jean 3:16), et que nous ayons la vie en abondance, une vie débordant de vie dans ses multiples dimensions (Jean 10:10), la vie en ce monde et la vie venant d’en haut, spirituelle. De sorte que nous sommes à la fois, comme Jésus, à la fois fils ou fille d’adam (enfant de cette terre, humain enfant de l’humus de ce monde), et aussi fils ou fille de Dieu (par sa « parole » vive).
Cela fait que nous avons cette double dimension, du monde et du ciel, de la terre et de Dieu.
Certes.
Seulement, nous ne sommes pas « du monde », ce n’est pas notre dieu
La question est ensuite de savoir qu’est-ce qui nous inspire, quelle est notre adoration, quelle est notre priorité ultime.
Comme le dit Jésus, nous vivons en ce monde mais nous ne sommes pas DE ce monde. Nuance fine, apparemment, mais essentielle :
Jésus : » Je leur ai donné ta parole; et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver du Mal. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. » (Jean 17:14-16).
C’est très concret. J’aime beaucoup manger de bonnes choses, c’est pour moi une occasion de joie, de louange, de partage. Mais nous savons bien que manger ne fait pas un but ultime à la vie. C’est bon d’accueillir cela comme une bénédiction de Dieu mais pas comme notre dieu, bien sûr. Cela parait évident, mais si l’on n’y pense pas, si on ne le prie pas, il est si facile, si rapide de se laisser aller à ce penchant dénoncé comme LA tentation fondamentale, la mère de toutes les tentations de prendre notre désir de l’instant comme étant notre critère de discernement du bien et du mal, nous devenons des adorateurs de notre désir de l’instant, et cela nous abuse, car même si c’est une belle part de notre vie, ce n’est pas la source de la vie. De même pour l’argent, en avoir suffisamment est un moyen de vivre et d’agir, c’est donc une bonne chose, une bénédiction, seulement, pour en faire quelque chose qui aille dans le sens de la vie il vaut mieux que notre inspiration soit en Dieu, en l’amour, en une recherche de faire du bien.
Ne pas marcher sur la tête, ne pas se tromper de « prince », de source
C’est ce qui est à mon avis en cause dans cette expression « le prince de ce monde », c’est se tromper de Dieu, prenant cette bonne part de nous-même, le monde, comme « prince ». Nous sommes du monde, entre terre et ciel, se tromper de Dieu c’est comme de décider de vivre en marchant sur les mains, c’est comme chercher à s’enfoncer dans la terre alors alors que la beauté de notre nature est de marcher sur terre en ayant la tête et le regard élevé. le « prince », effectivement, c’est l' »ἄρχων » (l’archon), c’est un problème si l’on reconnaît ce monde comme source de notre inspiration, comme nous commandant quitte à sacrifier le spirituel, l’amour, le respect, l’élévation. C’est un problème de voir dans le monde notre source (ἀρχή), alors que la source, c’est Dieu, c’est lui qui crée le monde et non le monde qui crée Dieu (Jean 1:1).
Effectivement, ce n’est pas faux, de voir dans ce « prince de ce monde » l’idéologie dominante, comme une pâte qui n’est pas mauvaise en elle-même, comme ce monde n’est pas mauvais en lui-même. Mais tout cela devient mauvais quand on en fait notre dieu. Dans ce même passage essentiel de Jean 3, Jésus nous dit la liberté de la personne qui est inspirée par Dieu (par son Esprit), comme nous sommes en ce monde, de corps, de langue et de culture, il existe une source qui nous transcende, et cette source est l’Esprit, ou c’ets la Parole de Dieu (cela recouvre à mon avis à peu près la même réalité, la même expérience). C’est ainsi que nous aimons ce monde et la vien en ce monde, mais que c’est en Dieu que nous recevons la vie, le mouvement et l’être. Il nous bénit et nous accompagne.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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Concernant l’évangile de Jean, ecrit pour des Grecs, bien postérieurement à tous les autres évangiles, je demeure un peu méfiant : Jean était Docteur de la Loi, et il connaissait vraiment beaucoup de choses, mais ce savoir nous est maintenant un peu étranger. Jean a rédigé son Evangile ave beaucoup de sous-entendus, compréhensibles pour son public, mais hermétiques ailleurs. Il importe alors de surtout ne jamais prendre un terme une expression au pied de la lettre, sous peine d’aboutir à un contresens manifeste.
Ici, par exemple, une expression (Prince du Monde) détachée de son contexte litteraire et du contexte social (époque où l’évangile a été diffusé, et vers quel public), peut très facilement attirer vers un contresens manifeste.
Concernant l’évangile de Jean, écrit pour des Grecs, bien postérieurement à tous les autres évangiles, je demeure un peu méfiant : Jean était Docteur de la Loi, et il connaissait vraiment beaucoup de choses, mais ce savoir nous est maintenant un peu étranger. Jean a rédigé son Evangile avec beaucoup de sous-entendus, compréhensibles pour son public, mais hermétiques ailleurs. Il importe alors de surtout ne jamais prendre un terme une expression au pied de la lettre, sous peine d’aboutir à un contresens manifeste.
Ici, par exemple, une expression (Prince du Monde) détachée de son contexte litteraire et du contexte social (époque où l’évangile a été diffusé, et vers quel public), peut très facilement attirer vers un contresens manifeste.