Bonjour Pasteur,
Peut-on souhaiter et trouver chrétien de se débarrasser d’un tyran ? Une personne qui menace le monde et dans sa folie tue des millions de gens. Par un complot ou autre… C’est légitime je pense ? Je crois avoir entendu dire que le meurtre est justifié dans ce cas. Merci pour votre retour.
Bonne journée Marc.
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Dietrich Bonhoeffer et l’attentat contre Hitler
C’est une question douloureuse, en effet, et très débattue. Par exemple avec le théologien Dietrich Bonhoeffer qui a cherché à faire un attentat contre Adolf Hitler. Pour un croyant et qui plus est un théologien, c’est un véritable cas de conscience. Son complot a raté, et Bonhoeffer a été fusillé. Tout cela, finalement, a été un énorme gâchis. Mais s’il avait réussi ? La mort d’un seul homme aurait épargné des millions de vies… Pourtant, tuer une personne, quelle qu’elle soit, est un des actes les plus irrémédiables.
Un cas de conscience tragique
Cette histoire est le paroxysme du cas de conscience tragique : quand nous devons choisir entre deux solutions, les deux étant toutes les deux mauvaises d’une certaine façon. Dans les deux cas on commet délibérément un mal. C’est dû à la complexité de la vie humaine. Ce genre de dilemme met en échec bien des moralismes qui entendent sacraliser des règles absolues qui comportent des exceptions (il existe effectivement des actes qui sont toujours mauvais sans exception, par exemple le viol, je n’imagine pas une seule exception où ce serait le moins du monde acceptable).
L’importance de discerner les dilemmes
C’est déjà une excellente chose de repérer quand il y a un dilemme. Cela élève notre conscience morale, l’affine. Cela nous évite de juger trop rapidement et catégoriquement des personnes prises, malheureusement pour elles, dans une situation difficile.
Tuer, un mal toujours injustifiable
En même temps, c’est bien de ne pas non plus utiliser ces cas tragiques pour disqualifier toute règle : oui, tuer est toujours une mauvaise chose. Point. Même s’il existe des cas où cela pourrait éviter pire encore.
Donc, oui, il peut arriver qu’un chrétien, en conscience, puisse se résoudre à choisir de commettre un crime en ce cas.
Tuer, un mal toujours injustifiable
Mais je ne dirais pas que cela « justifie » le meurtre. Un meurtre n’est jamais une chose juste. Cela peut justifier le choix tragique dans certaines circonstances extrêmes, d’accord, mais ne peut pas justifier le meurtre. C’est une distinction importante, à mon avis. Il faut continuer à garder le sens des choses, nommer ce qui est mal « mal » et ce qui est bien « bien ». Il est particulièrement important de le faire quand on se trouve dans une situation tragique. C’est important au sens de la réflexion sur notre idéal.
La foi chrétienne face au mal et au pardon
C’est important aussi pour les temps qui suivent le choix tragique : la personne doit pouvoir qualifier les choses avec lucidité et justesse afin de pouvoir travailler dessus. C’est important car il n’est pas facile d’assumer avoir choisi délibérément le mal, le reconnaître est la première étape pour cheminer vers un début de pardon de soi-même. La foi au Dieu d’amour et de pardon qu’incarne Jésus-Christ aide, je pense, graduellement pour cette démarche. Spécialement en cas de dommage contre une personne qui n’est plus là pour que nous venions lui dire combien nous sommes désolés d’avoir commis l’irréparable contre elle (c’est le cas quand la personne est morte).
Dieu ouvre des voies nouvelles
Mais parfois, il est possible d’échapper à un dilemme brutal grâce à une voie tierce que nous n’avions pas d’abord entrevue. Dieu est le spécialiste des voies nouvelles inattendues, inouïes car c’est le métier du créateur d’ouvrir de nouveaux possibles. C’est le fait même de la transcendance de sortir par un autre niveau de la réalité. C’est le rôle du prophète ou de la prophétesse de discerner ces voies tierces, grâce à l’aide de Dieu. Or, en Christ, nous sommes tous appelés à devenir un prophète ou une prophétesse.
Exemples historiques et contemporains
Le cas de Dietrich Bonhoeffer est certes un cas extrême, mais le dilemme s’est posé dans l’histoire aussi aux protestants de France sous Louis XIV : certains sont devenus des camisards, engagés dans la lutte armée contre la tyrannie, la majorité a eu une résistance non violente en lisant la Bible dans l’intimité de leur famille, d’autres ont choisi de s’expatrier.
Avoir réfléchi à la question nous permet d’être mieux préparés au cas où nous serions nous-mêmes exposés à un cruel dilemme : avorter ou non, divorcer ou non, couper les ponts avec tel proche posant des problèmes ou faire avec, vivre de mauvaises conditions de vie dans son pays avec les siens ou partir à l’aventure en espérant un meilleur avenir pour les siens, loin des siens ? Garder un bon poste ou démissionner pour devenir artiste à plein temps ?
Apprendre à discerner nos choix difficiles
Donc merci pour votre réflexion ouverte, c’est très précieux. Cela nous aide à nous forger une meilleure capacité à discerner.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot