13 septembre 2023

Pieter Brueghel l'ancien, 1543 - La tour de Babel Kunsthistorisches Museum
Texte Biblique

Une traversée de la Bible 1/9 : Grands mythes (la ville et la tour de Babel, Genèse 11)

Une traversée de la Bible : Les livres de la Bible : genres littéraires et textes célèbres
un mardi par mois de 18h30 à 19h30, au Chalet paroissial de Vandoeuvres, avec le pasteur Marc Pernot
Voir une introduction, le programme de ce cycle ici, ainsi que les épisodes déjà disponibles.

Séance du mardi 12 septembre 2023 – 1er genre littéraire : Les grands mythes (la ville et la tour de Babel, Genèse 11)

Vidéo :

 

Podcast audio de la séance

feuille distribuée aux participants

Introduction : les mythes

De quoi parle ce type de récit ?

D’histoire ? Ce serait une anecdote vieille de quelques millénaires, n’ayant que peu d’influence, depuis, avec notre monde présent. À l’inverse, ce ne sont pas non plus des croyances primitives pré-rationnelles. C’est plus important que cela, les mythes d’une civilisation marquent profondément les consciences des personnes et forment un peuple. C’est parce que son inspiration est souvent puissante, parfois souterraine. Mieux vaut les connaître et les travailler. Pour nous, ce sont aussi bien les mythes bibliques et les mythes homériques.

Le monde grec distinguait : le récit (μῦθος) cherche à inspirer, et l’enseignement (λόγος) cherchant à instruire, convaincre. Les philosophes se méfiaient plus ou moins des mythes, mais reconnaissaient souvent leur intérêt, et parfois proposaient d’en relever l’enseignement sous-jacent.

Partant éventuellement d’un événement historique (ou non, cela nous importe peu), le mythe présente une expérience millénaire mise en récit pour les générations suivantes, un récit avec des personnages, des lieux, des événements… C’est donc une histoire pour le présent, non une histoire parlant du passé (seulement). Le mythe présente en général un processus de commencement : mythe de création, de passage, de création d’un peuple (mythe de fondation). L’auditeur ou le lecteur a ensuite à l’adapter à sa situation particulière.

Claude Levi-Strauss (1908-2009), anthropologue et ethnologue, s’appuie sur les travaux de Ferdinand de Saussure et montre l’importance du mythe dans la genèse inconsciente de la culture.
Que faire d’un mythe ?

Le traduire en enseignement ? C’est utile pour l’analyser, mais c’est comme de démonter un violon, on apprend comment il est construit, mais c’est seulement il joue que l’on saisit sa puissance. Il en est de même pour les mythes, il est intéressant de les décortiquer, de voir ce qui se dit dans ces textes, il est bon ensuite de se laisser inspirer soi-même par sa puissance d’évocation, d’entrer dans le texte comme nous parlant de nous.

Genèse 1 et 2 : Mythes de création : L’humain est créé, béni, Dieu se repose, content de voir que c’est « très bon ».
Genèse 3 à 11 : Difficultés, peaufinage, éducation. Dieu : fait ce qu’il peut !

  • Genèse 3 : chargé de poursuivre l’évolution du monde, l’humain se prend pour un dieu,
  • Genèse 4 : Caïn et Abel, la double nature de l’humain en tension. Se sentir gardien de son âme, gardien de son frère + non jalousie.
    Dieu pardonne et poursuit
  • Genèse 6-9 : le Déluge, comment faire face à notre imperfection : l’élitisme ? Faire alliance avec l’humain tel qu’il est, perfectible.
  • Genèse 11 : quel nouveau problème ? fusion.

Babel

Ce récit est enchâssé dans l’histoire des descendants de Noé, débouchant sur une nouvelle saga, celle d’Abraham, ancêtre tutélaire du peuple, et d’une humanité bénie.
En contradiction avec ce qui précède, l’humanité est rassemblée en un seul lieu, une seule langue, un seul peuple, un seul projet.

Une humanité parfaite, enfin ? Humanité réconciliée, unie, + Beau projet de communauté + Et au cœur de ce projet : une recherche d’élévation.

Une seule langue, entente et projet :

  • ville : mise en commun de services, de projets ce qui rend plus fort ≠ violence antédiluvienne / rébellion contre Dieu, collectivement, cette fois.
  • tour : élévation > matériel, recherche œcuménique. Se faire un nom : très bien donner du sens à ce que l’on est, à sa vie.

Deux lectures possibles de ce texte de Babel

Contrairement à ce que l’on pense souvent :

  • pas un mot pour dire que le projet serait mauvais ! Et que Dieu punirait (menace)
  • ≠ moralisme brutal qui évite de réfléchir, qui n’aime pas la pluralité de sens, qui appelle l’humain à être rien.

Clairement, Dieu voit et réagit : apporte un plus ou apporte une correction.

Les détails du textes peuvent être lus soient comme relevant la mauvaise conduite humaine, ou au contraire une bonne conduite :

  • quitter l’est (la lumière) pour une vallée / quitter le passé violent & rompre avec ?
  • habiter, demeurer dans le bien / immobilisme ?
  • construction : inventif, avec les pauvres moyens du bord / imitation de piètre qualité ?

⇒ s’examiner : si notre Babel est excellent ou nocif ?

1) Ce projet des humains est un mauvais projet. Dieu est encore une fois surpris en mal par les humains, (Cela montre que Dieu n’est pas tout puissant, il essaye et il est surpris, il réagit pour corriger)

  • le problème n’est pas la tour qui serait démolie par Dieu (c’est dans les LXX que l’on a cela) // 1er péché, déjà mentionné.
  • le problème est l’inverse 2e péché : ce qui est arrêté : la ville. Violence contre l’individu par l’uniformité, le poids du groupe.
    • pensée unique : pas de place pour la personnalité, la créativité, la liberté de chaque individu. ⇒ multiplie les langues : les points de vue, le dissensus enrichit et évite de voir le sien = le tout
    • Un seul endroit : recroquevillé sur soi ⇒ Dispersés sur toute la terre

2) Bon projet + enrichit encore : Dieu descend ≠ pas besoin de monter à lui

« L’Eternel dit : maintenant rien ne les empêchera de faire tout ce qu’ils auront projeté. » (11:6) C’est un beau compliment % créativité, élévation, union.

  • + poursuivre l’évolution de l’humain par deux choses : valeur de l’individu + aller vers l’autre. Le collectif sert de tremplin au développement, à la liberté, à la vocation de l’individu // Pentecôte Cf Sophonie 3:9 une seule langue.
    • ⇒ Dieu passe à l’étape suivante. • vocation à aller vers le monde ≠ club de purs + mêle (comme levain ou huile à la farine //les habitants de Babel à toute la terre : comme on mêle le levain à la pâte : délicieux (Ex. 29:2). Modèle de Cité ⇒ bonne entente et élévation + ⚠ : vocation vers l’extérieur 1) Babel = peuple par union (horiz et vertic) + vocation
    • Individus uniques envoyés aux 4 coins du monde = fin de l’union ? Pas du tout : unis par la démarche dynamique, créative, l’attention à l’autre // 1 Corinthiens 12 ≠ uniformité de la pensée, regroupé comme un troupeau au même endroit. Suite : excellente en Ab.

Textes de la Bible

Dans le livre de la Genèse, fin du chapitre 10, et début du chapitre 11 (Traduction Œcuménique de la Bible)

.. 10:31 Tels furent les fils de Sem selon leurs clans et leurs langues, groupés en pays selon leurs nations. 32Tels furent les clans des fils de Noé selon leurs familles groupées en nations. C’est à partir d’eux que se fit la répartition des nations sur la terre après le Déluge.

11:1 La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots.

2 Or en se déplaçant vers l’orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent.

3 Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Moulons des briques et cuisons-les au four. » Les briques leur servirent de pierre et le bitume leur servit de mortier. 4 « Allons ! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre. »

5 Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d’Adam. 6 « Eh, dit le SEIGNEUR, ils ne sont tous qu’un peuple et qu’une langue et c’est là leur première œuvre ! Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ! 7 Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ! » 8 De là, le SEIGNEUR les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. 9 Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute la terre, et c’est de là que le SEIGNEUR dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.

10 Voici la famille de Sem …

Ancien Testament Interlinéaire hébreu-français, alliance Biblique Universelle

(Le texte se lit de droite à gauche)

Interlinéaire hébreu français du texte de Genèse 11:1-9

Partagez cet article sur :
  • Icone de facebook
  • Icone de twitter
  • Icone d'email

Articles récents de la même catégorie

Articles récents avec des étiquettes similaires

2 Commentaires

  1. Lili dit :

    Cela commence fort. 10 petits versets et déjà, on peine à s’en sortir…

    Vous avez bien raison de signaler qu’ « on ne peut créer un mythe » car les mythes font directement référence à une expérience humaine primordiale, qu’ils retranscrivent sous la forme de récits, répondant soit à des interrogations humaines universelles comme celle de l’apparition de l’humanité dans les mythes de Deucalion et Pyrrha ou de la Genèse, soit à des expériences mémorables parce qu’ayant entraîné de grandes évolutions humaines comme le mythe de Prométhée ou de la Chute et du Déluge. Ces expériences ont été recouvertes par le temps du récit et comme vous dites, il faut les décortiquer pour retrouver ce qui été vécu, en dehors de tout historicisme, et qui nous parle encore parce que nous continuons à vivre ces expériences. Ce serait s’abandonner soi-même qu’abandonner les mythes. Je vous rejoins entièrement.

    Bien que Platon use justement des mythes, il en déprécie la portée, en estimant qu’ils ne parlent qu’à la partie sauvage de l’âme, celle qui n’est pas éduquée par le logos. La ruse de l’histoire, et c’est quand même drôle, c’est que ce sont là ses plus belles pages, devenues des classiques. Mais du coup, Platon finit par reléguer Homère à un rang subalterne dans sa République parce qu’il serait l’imitateur de l’imitation, l »artiste imitant la nature qui imite le monde des Idées. C’est contestable. Parce qu’on peut pleurer et même rire en lisant Homère, en lisant la Bible aussi peut-être, mais en lisant Platon, je ne crois pas que cela soit jamais arrivé. Et lorsque cela arrive, il ne me semble pas que l’on imite les pleurs ou le rire. C’est qu’il y a une expérience vitale qui palpite sous les mythes avec laquelle notre propre expérience résonne. Combien de fois d’ailleurs, des internautes n’interviennent-ils pas sur votre site pour vous dire : tel verset, telle prédication m’a parlé, a fait écho ou vous demandent de mettre au jour un passage qui fasse écho à leur propre expérience. C’est le même phénomène.

    Vivre dans la tranquillité, la répétition du même, certes c’est sécurisant mais pas très créatif, c’est le moins qu’on puisse dire : une brique + une brique + une brique +… et on mange quoi à midi ? des briques. Super.
    Or, comme vous le rappelez souvent, si l’homme est à l’image du créateur, en tant que créateur lui-même, il ne peut demeurer dans cette ville sans qu’elle se transforme en tour d’ivoire. Ce serait la fin de l’histoire humaine. D’ailleurs, lorsque Ulysse retourne à Ithaque, et après sa terrible vengeance, l’épopée prend fin car le héros s’évanouit dans la répétition du même, le quotidien familier. Et c’est une mort, pour un héros épique, qui n’a rien de métaphorique.

    Alors, Babel ce n’est peut-être pas tant l’idée de l’uniformité des individualités mais de leur adhésion inquiétante à un projet qui n’a pour objectif que de se perpétuer lui-même, de se clore en dedans. Certes la tour sert de lieu fixe, reconnaissable de loin comme les tours génoises, rassurant dans le chaos comme le phare dans la tempête. Il est bien naturel pour une société de se barricader devant ce qui la menace et d’ériger villes et tours pour se protéger, y compris des malédictions divines. Mais du coup, cette société est menacée d’immobilisme, elle manque de vitalité dynamique. Ce n’est pas que le projet ne présente pas de multiples éléments très positifs comme vous dites : technicité, entente, entraide, communication dirigée vers cette technicité… mais il en présente aussi de redoutables : aucune place pour le doute, assujettissement à un objectif unique purement matériel « briquetons des briques », aucune comparaison possible avec une autre société, pas d’évaluation sur cette organisation. Comme vous dites : est-ce bien, est-ce mal Babel ? Personne ne se pose la question. Cela ressemble quasiment à une société close comme la définit K. Popper, pas très loin d’une société totalitaire. Là, les individualités prennent place dans un projet collectif qui n’a d’autre but que de maintenir cette collectivité dans le même état qualitatif, d’éviter de réagir aux modifications extérieures – ce qui est pourtant le principe du vivant – en se fermant entièrement, ce qui revient à être sinon morts, au moins anesthésiés.

    C’est d’ailleurs assez bien dénoté dans le récit, je trouve, avec l’idée que les hommes veuillent ici se faire un nom, cela semble leur première préoccupation de vivre sous un mode endogamique. Et c’est aussi marquer un arrêt, dire « nous ne voulons plus avancer ». Nous sommes ceci et point final. Du coup, c’est refuser une création continuée, c’est préférer une création bien carrée, créée une bonne fois pour toute. Impossible alors pour les hommes de répondre à la dimension créatrice de leur être. C’est peut-être à cela que Dieu réagit. Leur attitude dévoie la création, comme leur méchanceté avant le Déluge, et Dieu remet les hommes sur de multiples chemins pour qu’ils puissent réellement répondre à leur nature (et même peut-être dans l’optique qu’ils se tournent vers lui sans crainte par la suite). Cela dévoie aussi la notion de fraternité universelle, conséquence de l’Alliance que Dieu contracte avec Noé et ses fils, en les appelant à se multiplier sur la terre. Cette fraternité universelle a-t-elle même un sens à Babel ? La confusion des langues c’est la piqûre du rappel que la vie n’est jamais si vivante que lorsqu’elle est mouvement et relations plurielles.
    Ce qui n’est pas sans risques non plus. C’est si facile de se construire une tour de Babel, de se replier sur soi, qu’on ne peut quasiment pas l’éviter devant nos angoisses ou nos déceptions. Cela peut être nécessaire aussi, lorsque nous sommes trop attaqués par l’extériorité, de prendre un temps de repli sur soi mais ce que semble nous dire le mythe, c’est qu’à la longue, c’est une impasse et qu’une intervention extérieure est nécessaire.

    Ce qui fait que je n’analyserai pas Babel comme une démonstration de l’orgueil humain comme on le voit souvent, ni comme un échec mais vraiment comme une réussite. Cela montre :
    1) qu’il est possible – ici avec l’aide de Dieu, certes – de s’arracher à notre propre nature qui nous rive à certains égards à la matière, qui nous commande de nous méfier et de nous protéger de ce qui est autre et, à bon droit parfois, car l’angélisme aussi est dangereux.
    2) Qu’il est aussi possible de constituer un peu partout des sociétés plus ouvertes, plus rationnelles, dans lesquelles la pluralités des voix puissent se faire entendre, prenant soin de la variété des vivants. N’est-ce pas ce qu’aujourd’hui nous allons sans doute être contraints de réaliser au vu des enjeux climatiques et sociétaux qui apparaissent ?

    C’est une bonne chose que cette tour soit abandonnée, cela permet de penser plus loin sans nous entêter sur nous-mêmes, de hisser l’existence vers le meilleur si ça se trouve, au moins d’en avoir le projet. Comme l’écrit Whitehead 😉 : « L’humanité ne sait jamais entièrement ce qu’elle cherche […], ce qui importe n’est pas de terminer mais d’aller de l’avant » (cité par Merleau-Ponty dans un de ses cours sur La Nature donné au Collège de France dans les années 50). Moi qui ai toujours du mal à mettre un point final (la preuve), me voilà rassurée…

    Et bravo pour tout le travail sur la langue hébraïque. Ils ont de la chance vos paroissiens de participer à tout ce cycle et c’est vraiment sympa de le mettre en ligne. Ce n’est pas toujours évident mais très stimulant notamment l’analyse sémantique sur le « prochain » : celui qui a le même berger. Cela ouvre des perspectives passionnantes.

    1. Marc Pernot dit :

      Merci, grand merci pour cette passionnante contribution.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *