Peinture de Masaccio XVe siècle : Jésus entouré de disciples
Prédication

Christ : Comment être son disciple dans ces conditions ?!? (haïr ? Luc 14:25-35)

Peinture de Masaccio XVe siècle : Jésus entouré de disciplesprédication (message biblique donné au cours du culte)
à Saint-Pierre de Genève le Dimanche 8 septembre 2019,
Par : pasteure Sandrine Landeau

(Voir le texte biblique ci-dessous)

Le lectionnaire nous propose ce matin un de ces textes difficiles, dérangeants, voire choquants. Un de ces textes qu’on ne choisirait surtout pas pour mettre au fronton de nos temples pour donner envie d’y entrer. Un des ces textes qui pourrait même donner envie d’en sortir si comme vous on est entré ! Un texte qui nous paraît vraiment difficile oui, et même en contradiction avec le commandement d’amour que nous avons réentendu tout à l’heure, mais un enseignement quand même qui porte du fruit : juste après, Luc nous signale que les collecteurs d’impôts et les pécheurs, les plus exclus donc, s’approchent pour écouter Jésus. Il y a donc, au-delà de notre première impression, un message d’Evangile, une bonne nouvelle dans ces lignes dures ? C’est ce que je vous propose d’explorer ce matin.

Une première piste nous est donnée par la distinction entre suivre le Christ et devenir son disciple. Jésus s’adresse en effet ici à une foule de gens qui le suivent : ils sont venus chacun chacune tels qu’ils étaient, comme vous êtes venus ce matin, avec forces et faiblesses, attachements et blessures, avec leurs bonnes ou moins bonnes raisons d’être là. Ils sont là et ils sont accueillis ainsi.

Mais Jésus leur parle d’autre chose : de ce qu’il faut pour devenir disciple. Vu ce qu’il en dit, cela paraît non seulement difficile, mais même en fait non désirable… Et pourtant ! Regardons-y de plus près.

Pour devenir disciple, il faut haïr sa famille. Il faut d’abord se rappeler que, dans la Palestine du premier siècle, la famille ne fonctionne pas de la même façon qu’aujourd’hui : elle est un clan qui détermine l’individu, qui passe avant lui. Dans notre société où la famille se définit de façon nucléaire, où les membres d’une famille sont souvent éparpillés géographiquement, les choses se présentent un peu différemment. Mais il n’en reste pas moins vrai que la famille proche reste le lieu de relations qui peuvent être à la fois extrêmement précieuses, riches, et douloureuses, mortifères. Ce que Jésus recommande ici avec son commandement de haine, c’est de remettre les relations problématiques à leur juste place, de couper les liens qui doivent l’être, pour mieux en reconstruire d’autres plus vibrants, plus vivants. La haine est un moyen, pas le but final, qui lui est toujours l’amour.

De la même façon, quand Jésus recommande de haïr sa propre vie, et plus précisément de haïr sa propre vie spirituelle, on peut être surpris. Lui qui est venu nous apporter la grâce, le salut, nous les rendre palpables, sensibles, il nous recommande la haine ? Il faut se souvenir qu’il s’adresse à une foule qui vit sous l’emprise d’une religion qui presse de faire son salut en respectant une foule de règles parfois absconses. Ce dont il s’agit en haïssant sa propre vie, c’est de cesser de se préoccuper de faire son propre salut : il est déjà là, en Christ.

Jésus affirme ensuite qu’il faut porter sa croix. Cela a parfois été lu comme un appel au martyr, au dolorisme, mais c’est une déviation : la croix dont parle ici Jésus est déjà là, il n’y a pas besoin de la chercher ou de la fabriquer soi-même ! La croix est un instrument de mort, de torture et d’humiliation. Elle représente à la fois nos blessures, nos souffrances, nos humiliations, et notre rejet de Dieu – car la croix c’est aussi le lieu où l’humanité rejette Dieu et son amour pour elle. Tout cela ou bien ça nous écrase, on ne peut plus vivre avec, ou bien on tente de l’oublier, de faire semblant que cela n’existe pas. Mais ce que Jésus propose ici, c’est de porter sa croix, de la soulever, de l’emporter, d’avancer avec elle, sans se laisser écraser par elle.

La porter pour marcher à sa suite. Voilà quelque chose qui aujourd’hui est peut-être plus choquant que ça ne l’était à l’époque de Jésus. A l’heure où l’on nous parle de suivre notre propre chemin, de suivre sa route, de se réaliser soi-même, nous sommes appelés par l’Evangile à nous mettre dans les pas d’un autre, non pas pour nous aliéner, mais parce que Jésus, si radicalement libre, nous apprend à être libre par la vérité.

Tous ces renoncements sont regroupés sous l’injonction finale à renoncer à tous ses biens, ou plus littéralement, à tout ce qu’on place au fondement de nos existence (on pourrait dire à toutes les idoles). Jésus explique donc ce que c’est que la condition de disciple, qui si on voit au-delà de la première impression, est belle et désirable, et annonce en même temps que personne n’est capable de l’atteindre. C’est bien ici de capacité, de puissance, pas de permission qu’il est question.

C’est ce que nous disent de manière imagée les trois petites paraboles qui constituent la deuxième partie de notre texte : l’homme qui voulait construire une tour, le roi qui avait à affronter un adversaire plus puissant et le sel qui doit donner du goût. Dans ces trois paraboles, il y a un objectif qui nous parle un peu autrement de l’être disciple, des moyens, et un résultat.

Du côté des objectifs, construire une tour nous renvoie à une prise de recul, de hauteur, à un temps de réflexion, d’intériorité, à un lieu de sécurité et de réflexion. Combattre un ennemi plus puissant nous rappelle qu’être disciple ce n’est pas signer une assurance tout-risque contre les épreuves de la vie : être disciple ne protège pas des accidents, des pertes, des morts. Être roi, c’est assumer une vocation, un rôle dans lequel on est attendu. Être sel, c’est participer par sa simple présence à la beauté de la vie, c’est prendre sa place unique et irremplaçable.

Pour atteindre ces objectifs, l’homme et le roi s’assoient et réfléchissent : être disciple ce n’est pas sombrer dans l’irrationnel, dans la folie, dans l’irresponsabilité, ce n’est pas non plus rester dans l’émotion. Il s’agit de prendre le temps, le temps d’observer, d’évaluer, de décider. Le sel lui au contraire, perd son goût, ou – littéralement – devient insensé. Les deux hommes commencent avec les forces qu’ils ont : les matériaux de construction, les hommes. Nous avons des ressources, nous avons de quoi avancer, faire quelques pas.

Mais dans tous ces cas, le résultat est un échec massif : la tour reste inachevée, le roi doit demander une paix en sa défaveur et le sel ne sale plus. Le sel insensé, qui renonce à la réflexion, ne réussit pas mieux que les hommes qui ont réfléchi. Ce n’est donc pas là que se joue le résultat. Ce qui a manqué dans les trois paraboles, c’est le recours à Dieu, l’erreur, c’est de vouloir faire seul. La réflexion et l’usage de nos forces sont nécessaires – le sel qui refuse d’y recourir perd sa substance même et n’est plus bon à rien – mais il y faut le souffle, il y faut l’Esprit qui seul peut multiplier les pains pour nourrir une foule, l’Esprit qui plane au-dessus des eaux informes et vides et qui les ordonnent en un espace où la vie est possible.

On vient à la suite qui Christ tel qu’on est, mais devenir son disciple est un travail. Le travail de toute une vie, mais pas notre travail, c’est Dieu qui travaille en nous et qui nous promet : oui tu vivras des relations véritablement vivantes ! Oui tu pourras soulever cette croix qui peut-être aujourd’hui t’écrase ! Oui, tu seras libre de tout ce qui aujourd’hui t’aliène en faisant route avec moi !

Amen.

pasteure Sandrine Landeau

Textes de la Bible

Évangile selon Luc 14:25-35

De grandes foules faisaient route avec Jésus. Il se retourna et leur dit :
26Si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 27Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple.

28En effet, lequel d’entre vous, s’il veut construire une tour, ne s’assied pas d’abord pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi la terminer, 29de peur qu’après avoir posé les fondations, il ne soit pas capable d’achever, et que tous ceux qui le verront ne se moquent et ne disent : 30« Cet homme a commencé à construire, et il n’a pas été capable d’achever. » 31Ou bien quel roi, s’il part en guerre contre un autre roi, ne s’assied pas d’abord pour se demander s’il peut, avec dix mille hommes, affronter celui qui vient au-devant de lui avec vingt mille ? 32Sinon, tandis que l’autre est encore loin, il lui envoie une ambassade pour demander les conditions de paix. 33Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.
34Le sel est une bonne chose ; mais si le sel devient fade, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? 35Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier ; on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !

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