Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (Le Caravage, 1610)
Prédication

Où est l’Evangile dans nos échecs et nos impasses ?

(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le Dimanche 14 juin 2020,
Par : pasteure Sandrine Landeau

Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste (Le Caravage, 1610)

Où est l’Evangile dans nos échecs ? Que fait Dieu dans nos impasses ?

 

C’était la Saint Jean-Baptiste hier, et notre lecture continue de l’Evangile nous propose aujourd’hui ce récit qui tombe assez bien de ce point de vue. Mais très franchement, j’aurais quand même préféré un autre texte pour notre dernière rencontre avant l’été, un texte plus heureux comme envoi pour les mois qui viennent. Mais voilà… c’est ce récit sordide qui nous échoit aujourd’hui. Qu’en faire ?

D’abord, j’aimerai prendre le temps d’observer cette réaction que j’ai eue, que peut-être vous partagez en partie. J’aurais voulu un texte plus lumineux, plus porteur, avec de préférence un happy end. Pourquoi ça ? Pas uniquement parce qu’il aurait été plus facile de construire une prédication. C’est aussi que, pour une part, j’aurais voulu m’évader un peu d’une réalité qui est parfois bien trop proche des ces petits arrangements iniques, des violences de tous ordres et des instrumentalisations qui nous sont racontées là. Mais voilà, l’Evangile n’est pas un feel-good-movie, ni une comédie dramatique. Rien de ce qui fait notre pâte humaine ne lui est étranger, et pas non plus le pire. La domination, les jeux de pouvoir, la violence, la rivalité, la jalousie, tout cela est bel et bien présent dans la Bible. Non pas pour en faire l’apologie bien sûr, mais pour voir les choses telles qu’elles sont, nourrir ce qui est vivant, soigner ce qui est malade, couper ce qui est mort.

Voir les choses telles qu’elles sont, Jean le Baptiste a tenté de le proposer à Hérode. Il a eu ce courage de parler contre l’injustice et la déshumanisation. « Il ne t’est pas permis d’avoir Hérodiade ! » dit-il. Quel est donc le problème ? Il y a certes des irrégularités dans l’union entre Hérode et Hérodiade. L’arbre généalogique des hérodiens est assez complexe et consanguin, mais pour dire les choses simplement, Hérodiade est à la fois la nièce d’Hérode et la femme de son demi-frère, qui est toujours vivant : elle est donc inaccessible pour lui à double-titre (et aurait dû l’être aussi pour Philippe). De plus, pour s’unir à elle, Hérode a répudié sa première femme, fille d’un roi voisin, alors que son union avec elle était la garantie de la paix. Il met donc en danger la sûreté de son peuple. Hérodiade elle a abandonné son mari, ce qui n’était pas possible selon la loi juive.

Il est donc assez clair que le mariage entre Hérode et Hérodiade est pour le moins sujet à caution. Mais la dénonciation de Jean vise à mon avis plus loin encore. « Il ne t’est pas permis de l’avoir ! » dit-il. Le passif est dans la Bible le plus souvent l’indication que le vrai sujet de l’action est Dieu. Qu’est-ce donc que Dieu ne permet pas, au-delà de la consanguinité ? Ce qui n’est pas permis au fond, c’est d’avoir Hérodiade, comme on a un objet. Ce qui n’est pas permis, c’est d’avoir un autre être humain, d’en disposer comme d’une chose au service de ses propres intérêts. Hérode dispose de ses femmes selon ses intérêts du moment : la première lui assurait la paix avec un royaume voisin, il espère maintenant d’Hérodiade un royaume plus grand. Hérodiade dispose de ses époux de la même façon : elle cherche le plus ambitieux, celui qui régnera sur le plus grand royaume. Tous deux chosifient les autres et sont chosifiés par les autres. La logique est complètement mortifère. Jean regarde cela, et dit ce qu’il voit. Mais il n’est pas entendu.

Ou plutôt il est entendu mais sa parole ne suffit pas. Elle ébranle, mais elle n’est pas reçue comme une parole qui puisse ouvrir sur un surplus de vie. Au contraire, elle est reçue comme une menace, un outrage. Hérodiade et Hérode profitent de bénéfices secondaires certains (confort, richesse, protection, pouvoir) et ne sont pas prêts à regarder en face ce que ça leur coûte ni ce que cela coûte à leur entourage. Tous deux sont pourtant bien plus faibles qu’ils ne veulent bien le reconnaître : Hérode tremble devant Jean le Baptiste, il tremble devant la foule, il tremble devant ses invités, il tremble devant Hérodiade et sa fille. Hérodiade tremble elle aussi devant Jean, comme devant Hérode. Tous deux semblent inexorablement enfermés dans toujours plus de violence et de douleur. La parole de Jean provoque une réaction défensive : alors qu’il pointe la racine du problème, il devient lui-même le problème aux yeux d’Hérode et d’Hérodiade. Il est jeté en prison, et seule la peur d’un soulèvement populaire retient Hérode de l’exécuter tout de suite.

Les mécanismes à l’oeuvre dans ce drame nous sont malheureusement familiers. A nous aussi il arrive de chosifier ou d’être chosifiés, d’entrer dans des logiques mortifères, d’être pris dans des cercles vicieux, de faire taire toute voix qui tente de nous ouvrir les yeux. Quand nous sombrons dans nos travers les moins reluisants, nous avons tous tendance à minimiser, à dissimuler, à refuser de voir réellement ce qui est en train de se passer, à nous fermer à tout regard extérieur qui viendrait mettre en lumière les choses, et à agresser celui ou celle qui aurait une parole de vérité.

Quand j’étais au collège, une de mes amies était boulimique. Elle se cachait pour manger et pour se faire vomir. Une part d’elle savait bien sûr que c’était un problème, que c’était une pulsion mortifère. Une autre part le niait, minimisait, justifiait pour elle-même. Encore une autre part accusait et insultait celles et ceux qui avaient découvert sa maladie de lui vouloir du mal. Il a fallu du temps simplement pour qu’elle accepte de regarder la réalité telle qu’elle était, qu’elle admette qu’elle avait besoin d’aide. C’était la première étape pour retourner vers la vie, celle qu’ont refusée Hérode et Hérodiade.

S’ils avaient accepté la remarque de Jean, dit « oui, c’est vrai, ce n’est pas permis, et cela crée du mal et du malheur. Pourtant nous en sommes là, comment sortir de là sans faire encore plus de mal ? Comment remettre de la vie dans cette situation ? », plusieurs voies auraient pu être explorées.

Hérode et Hérodiade ont fait d’autres choix, et la tentative de Jean se solde non seulement par un échec mais par plus de malheur encore. Jean est mort, dans des conditions atroces. Il y a dans nos vies de telles impasses, de tels échecs, de tels moments où nous nous détournons de ce qui nous appelle à la vie, des moments où nous voyons nos proches se détourner ainsi.
Où est l’Evangile dans ces impasses et ces échecs, dans ces logiques mortifères et ces souffrances ? Peut-être dans ce qui est représenté ici par les disciples de Jean : ils étaient jusque là absents du récit, n’y jouaient pas vraiment de rôle, témoins muets et sans doute peureux du drame en train de se jouer. Mais tout à coup, ils trouvent le courage d’aller demander le corps de leur maître, au risque de leur vie, de prendre le temps de l’enterrer, et le courage de se rendre auprès de Jésus. C’est peut-être dans cette minuscule graine de courage, en nous ou chez nos proches, que réside l’élan de vie et de lumière : le courage de regarder l’échec et la violence en face, pour ce qu’ils sont, le courage de prendre le temps du deuil sans occulter le mal que cela nous fait, la tristesse qui nous habite, le courage ensuite de se mettre à nouveau en route vers celui qui apporte la vie et la lumière au lieu de rester là, au bord de la tombe.
Jésus entend la nouvelle et il se retire. En se montrant affecté par la mort de celui qui fut son cousin, son mentor, son ami, Jésus manifeste un Dieu qui souffre aux côtés de ceux qui souffrent, qui pleure avec ceux qui pleurent, un Dieu qui ne balaie pas d’un revers de manche notre souffrance à coup de « ce n’est rien, souris, ça ira mieux demain ». Non, le Dieu que Jésus nous manifeste prend la mesure de notre souffrance et il en souffre aussi.

Par contre, il n’est pas mis à terre par cette souffrance. Il continue à œuvrer pour la vie, ailleurs et autrement si nécessaire. Hérode et son entourage semblent pour l’instant complètement fermés à une parole de vie ? Qu’à cela ne tienne ! D’autres sont là, qui souffrent, qui ont faim et soif de cette parole et dont il y a à s’occuper. Jésus se soucie de cette foule qui est là, qui l’a suivi et qui se trouve affamée. Il soigne, et dans les versets suivants il va multiplier pour elle la vie présente mais qui semble si minuscule, si fragile, si insuffisante : de quelques pains, il va nourrir toute une foule.

A côté des impasses, des échecs, des violences de nos vies, de cette part de nous qui le rejette, Jésus vient nourrir ce qui a faim et soif de vie, de justice, de lumière, pour que cette part se fortifie, grandisse, porte du fruit.

Et le reste ? Je crois que quand il s’est retiré, Jésus n’a pas seulement pleuré Jean. Il a aussi prié pour ses bourreaux. Pour que plus tard, peut-être autrement, une parole de lumière et de vie parvienne à pénétrer leur cœur pour qu’ils vivent. La promesse que nous avons reçue, c’est que la mort n’a pas le dernier mot, c’est que Dieu essaiera toujours à nouveau, autant de fois que nécessaire, multipliera les pains autant qu’il le faudra, pour que la vie de Pâques abonde dans nos vies et dans celle de tous les humains.

Amen.

pasteure Sandrine Landeau

Textes de la Bible

Matthieu 14,1-14

En ce temps-là, Hérode, qui régnait sur la Galilée, entendit parler de Jésus. Il dit à ses serviteurs : « C’est Jean le Baptiste : Il est revenu d’entre les morts ! Voilà pourquoi il a le pouvoir d’accomplir des miracles ! ».
En effet, Hérode avait ordonné d’arrêter Jean, de l’enchaîner, et de le jeter en prison. C’était à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, car Jean disait à Hérode : « Il ne t’est pas permis de l’avoir ! » Hérode voulait faire mourir Jean, mais il craignait le peuple juif, car tous considéraient Jean comme un prophète.
Cependant, le jour de l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa devant les invités. Elle plut tellement à Hérode qu’il jura de lui donner tout ce qu’elle demanderait. Sur le conseil de sa mère, elle lui dit : « Donne-moi ici la tête de Jean le Baptiste sur un plat ! »
Le roi en fut attristé, mais à cause des serments qu’il avait faits devant ses invités il donna l’ordre de la lui accorder. Il envoya donc quelqu’un couper la tête de Jean le Baptiste dans la prison. La tête fut apportée sur un plat et donné à la jeune fille, qui la remit à sa mère. Les disciples de Jean vinrent prendre son corps et l’enterrèrent, puis ils allèrent annoncer à Jésus ce qui s’était passé.
Quand Jésus entendit cette nouvelle, il partit de là en barque pour se rendre seul dans un endroit isolé. Mais les foules l’apprirent ; elles sortirent des localités voisines et suivirent Jésus en marchant au bord de l’eau. Lorsque Jésus sortit de la barque, il vit une grande foule. Il eut le cœur rempli de pitié pour ces gens, et il se mit à guérir leurs malades.

Partagez cet article sur :
  • Icone de facebook
  • Icone de twitter
  • Icone d'email

Articles récents de la même catégorie

Articles récents avec des étiquettes similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *