« Et Dieu vit que cela était beau. » : éloge de la beauté (Genèse 1:1 à 2:4)
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Podcast audio de la prédication
(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 16 septembre 2022,
par : pasteur Marc Pernot
Il est bon, juste et utile de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire dans la vie. C’est ce qui conduit le protestantisme à un certain dépouillement. Cette recherche de retour à l’essentiel est plus ancienne que la réformation, elle se trouve par exemple aussi dans l’architecture cistercienne qui est d’un grand dépouillement tout en recherchant la beauté. Considérant que la beauté n’est pas à mépriser comme une chose futile, au contraire, elle est une réalité spirituelle particulièrement importante.
C’est ce que nous voyons en particulier dans l’extraordinaire première page de la Bible que je voudrais vous lire. Déjà parce que la beauté et la profondeur de cette page en font une œuvre d’art. Ce poème est rythmé par le regard de Dieu sur son œuvre « Dieu vit que cela était bon », selon nos traductions en français. Selon la traduction des Septantes, datant de -300 avant Jésus-Christ, il serait plus exact de traduire « Dieu vit que cela était beau » (καλός « beau » et non ἀγαθός « bon »). « Beau » au lieu de « bon » est une traduction possible car le mot hébreu original טוֹב peut signifier : bon, beau, agréable, joyeux, heureux… Seulement « Dieu vit que cela était bon » n’est pas très logique, on ne peut pas voir qu’une chose est bonne, pour cela il faudrait la goûter, alors que « Dieu vit que… » prépare à apprécier la beauté de la chose regardée.
Quand ce poème a été choisi comme première page de la Bible, c’est donc la beauté qui est mise à l’honneur avec ce leitmotiv « Et Dieu vit que cela était BEAU », voire « très beau ».
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Tout au long de ce poème sur Dieu en train de créer, ce refrain revient à chaque étape « Dieu vit que cela était beau ». La beauté est donc la caractéristique fondamentale de l’action de Dieu.
- S’il y avait marqué : Dieu goûta et sentit que cela était bon, cela inviterait à dévorer la création, comme Adam et Ève le font de l’arbre qui est au centre du jardin. Ce n’est pas cela, heureusement.
- S’il y avait marqué : Dieu jugea que c’était bien, cela aurait une connotation morale et nous inviterait à la soumission. Ce n’est pas cela, heureusement.
- Il y a marqué : « Dieu vit que cela était beau » et cela nous invite à ouvrir nous même les yeux sur le monde, cela nous invite à la contemplation, à l’émerveillement, et à exprimer notre louange. C’est un geste essentiel.
C’est ainsi que la beauté est la principale caractéristique de ce que Dieu crée.
Pourtant, Dieu ne dit pas, avant de créer : Tiens, faisons quelque chose de beau. Dans ce poème, Dieu sait exprimer son objectif par exemple quand il dit « faisons l’humain ». Mais ici, non : il crée un élément parce qu’il a le désir de le créer, et ensuite seulement il voit que c’est beau. Comme une surprise. Par conséquent, la beauté n’est pas le but du projet de Dieu. La beauté est seulement la qualité, la caractéristique fondamentale de l’action créatrice de Dieu.
La création est belle, Dieu ne crée pas POUR cela, mais il crée COMME cela : le résultat est beau. Cette distinction est importante, car si la création de Dieu était faite pour la beauté, ce qui est créé ne serait qu’un moyen au service d’un plus noble but qui serait la beauté. Ce n’est pas le cas. Chaque élément de la création a ici sa propre valeur en lui-même, chaque élément a sa propre finalité et est aimé par Dieu pour ce qu’il est, pas seulement comme pouvant être utile ou beau.
Nous-même, en tant qu’individu, nous n’avons pas été créé pour faire nombre, ni pour décorer la planète. Nous sommes aimés par Dieu pour ce que nous sommes, notre existence répond en elle-même au désir de Dieu. Mais en plus, nous dit ce poème, Dieu nous regarde et il nous trouve beau, et même très beau.
Comment est-ce possible ? En quoi la création de Dieu, dont nous-même, sommes-nous tellement beau ?
Cette beauté c’est d’unir de la matière et une belle organisation. Au début de ce poème nous avons de la matière en chaos, en désordre, n’ayant pas de sens. Ce n’est pas encore beau. Puis nous avons ce projet de Dieu qui se manifeste en s’approchant (1:1), qui se manifeste comme une parole nous dit ce poème, c’est à dire comme une proposition, comme un appel. C’est ainsi que la création de Dieu est fondamentalement belle, car elle tisse de la matière et un projet, une relation. Ce n’est pas la matière seule qui est belle, c’est de la matière ayant reçu une parole. De même pour la beauté d’un tableau, d’une musique, d’un visage, d’un geste. C’est de la matière transfigurée par du spirituel.
Ce récit nous invite à la contemplation : à lever le regard de notre propre nombril, à regarder ce qui est autour de nous. Tout n’est pas beau, il reste du chaos. Pourtant il y a de la bouleversante beauté : de la matière transfigurée par de parole. C’est pourquoi il est essentiel de savoir contempler la beauté.
L’expérience de la beauté est une expérience particulière à vivre : elle éveille notre attention, elle nous concentre et nous met dans un état agréable de jubilation, d’extase, nous sortant de nous-même. Ce n’est pas comme quand nous mangeons et sommes rassasiés. La beauté, elle, nous donne faim, en quelque sorte. Elle nous donne faim et soif de spirituel pour transcender notre monde, elle nous élève déjà.
Comment est-ce possible ? Par l’expérience de la beauté nous faisons l’expérience qu’il y a quelque chose d’essentiel qui complète la matière, quelque chose qui vient du créateur de cette beauté (cf. Romains 1:20). Cette expérience de la beauté est comme un « sacrement » : elle donne à expérimenter quelque chose de la transcendance dans une expérience sensible, par notre chair.
Notre expérience de la beauté est donc loin d’être futile, ce n’est pas une réalité matérialiste, ce n’est pas seulement une expérience superficielle, mondaine. Au contraire, cette expérience se situe précisément là où se noue le ciel et la terre, quand la Parole de Dieu transfigure le chaos du monde en une belle chose créée.
D’étape en étape, Dieu crée, il constate que c’est beau, puis il passe à l’étape suivante. Il en arrive au « très beau » quand l’humain est créé. Nous sommes pourtant de la matière, des atomes tout bêtes mais qui ont été transfigurés au point de devenir co-créateurs avec Dieu. Capables de tisser eux-mêmes de la matière avec de la parole, dans un projet et de la relation.
L’humain n’est pas seulement créé par Dieu seul, il serait seulement « beau ». L’humain est en réalité une œuvre de co-création où Dieu et la personne elle-même collaborent. Dieu nous dit : si tu le veux, toi et moi, nous créerons ensemble un humain, qui sera à la fois à mon image et à ton image. Cette œuvre de co-création est alors « très belle ». Cela aussi nous sommes appelés à le contempler dans nos frères et sœurs et en nous, même s’il reste en chacun une part de chaos sur lequel Dieu et nous-même continuons à travailler.
La contemplation de l’univers en création prend fin sur ce « très beau », au 6e jour de la création. Contrairement à ce que l’on entend parfois, Dieu ne fait pas rien le 7e jour : le texte insiste pour dire que Dieu achève sa création le 7e jour et non le 6e. Ce que Dieu fait alors c’est de bénir ce 7e jour, jour consacré à ne pas créer. Le chiffre 7 est en lui-même l’addition du chiffre 4 évoquant ce monde matériel, et du chiffre 3 qui évoque ce qui est divin, spirituel, éternel.
C’est ainsi que ce poème ne nous invite pas au spirituel pur, la création aurait été décrite comme aboutissant dans un 3e jour.
Ce poème nous invite plutôt à nous voir comme très beaux car nous sommes tissés de matière de ce monde et de souffle créateur. Et à agir en ce monde, comme Dieu en pétrissant la matière de parole et de relations, selon notre génie propre.
Pour faire cela, pour arriver à cela, ce poème nous propose d’avoir un temps pour agir et un temps pour cesser d’agir. Avec comme six jours consacrés à agir dans ce monde, faisant avec de la matière quelque chose de bien, de bon et d’utile. Six jours pour contempler aussi ce monde et nous-même, pour s’émerveiller de sa beauté, pour reconnaître qu’il n’y a là pas seulement de la matière mais qu’elle a été transfigurée par une intention. Six jours donc, pour créer et pour contempler. Et ensuite que notre 7e jour soit comme un espace pour nous ouvrir au souffle, à l’Esprit, à la Parole de Dieu, un temps pour recevoir la bénédiction de Dieu et pour nous-même bénir Dieu. Faire ainsi équipe. Reprendre souffle au lieu de s’user au seul contact de ce monde.
Nous voyons que la contemplation de la beauté dans ce monde est du côté des 6 premiers jours, du côté de l’action utile et créatrice. À chaque étape de la création, le « Dieu vit que cela était beau » est suivi d’un « Dieu dit… » qui indique que Dieu passe à une nouvelle étape de création. L’expérience de la beauté nous met ainsi en mouvement. Ouvrir les yeux sur le monde : c’est déjà sortir de soi et aimer ce monde. Ne pas voir seulement le chaos et le non sens, discerner ce qui existe de beau dans ce monde : c’est déjà faire preuve de bienveillance. Goûter, jubiler de cette beauté, la proclamer, rendre grâce : c’est honorer le créateur et sa création. C’est désirer le créateur et désirer créer. Cela nous donne une impulsion, pour aller dans le monde et y ajouter du sens, de l’intention. Dans ce domaine : rien n’est petit, tout fruit a sa vraie beauté, étant tissé de matière et de souffle.
L’expérience de la beauté est ainsi loin d’être futile, elle est une composante essentielle de notre existence en ce monde. Le 7e jour, c’est pour découvrir à nouveau que nous-même sommes très très beau, un temps pour nous tisser avec Dieu de ce que nous sommes aujourd’hui et de son souffle. Jour béni entre tous. Jour ne naissance.
C’est évidemment chaque jour que nous pouvons vivre ce dont il est question ici, que ce soit la contemplation de la beauté, notre élan de création, ou notre reprise de souffle. Accueillir seulement ces moments, nous y préparer, les goûter passionnément. Une œuvre d’art, une note de musique, l’éclat du Mont-Blanc, le visage d’une personne âgée, les doigts d’un nourrisson… : accueillir cette beauté, se laisser toucher par cette transfiguration de la matière, sentir le frémissement de cette soif en nous : soif de bénir Dieu et de faire quelque chose avec lui.
Amen.
Texte de la Bible
Genèse 1:1 à 2:4
1Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. 2La terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux, 3et Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut.
4Dieu vit que la lumière était belle.
Dieu sépara la lumière de la ténèbre. 5Dieu appela la lumière « jour » et la ténèbre il l’appela « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : jour unique.
6Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux ! » 7Dieu fit le firmament et il sépara les eaux inférieures au firmament d’avec les eaux supérieures. Il en fut ainsi. 8Dieu appela le firmament « ciel » et Dieu vit que cela était beau. Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.
9Dieu dit : « Que les eaux inférieures au ciel s’amassent en un seul lieu et que le continent paraisse ! » Il en fut ainsi. 10Dieu appela « terre » le continent ; il appela « mer » l’amas des eaux. Et Dieu vit que cela était beau. 11Dieu dit : « Que la terre se couvre de verdure, d’herbe qui rend féconde sa semence, d’arbres fruitiers qui, selon leur espèce, portent sur terre des fruits ayant en eux-mêmes leur semence ! » Il en fut ainsi. 12La terre produisit de la verdure, de l’herbe qui rend féconde sa semence selon son espèce, des arbres qui portent des fruits ayant en eux-mêmes leur semence selon leur espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
13Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour.
14Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit, qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années, 15et qu’ils servent de luminaires au firmament du ciel pour illuminer la terre. » Il en fut ainsi. 16Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit pour présider à la nuit, et les étoiles. 17Dieu les établit dans le firmament du ciel pour illuminer la terre, 18pour présider au jour et à la nuit et séparer la lumière de la ténèbre.
Et Dieu vit que cela était beau.
19Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.
20Dieu dit : « Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l’oiseau vole au-dessus de la terre face au firmament du ciel. » 21Dieu créa les grands monstres marins, tous les êtres vivants et remuants selon leur espèce, dont grouillèrent les eaux, et tout oiseau ailé selon son espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
22Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez les eaux dans les mers, et que l’oiseau prolifère sur la terre ! »
23Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour.
24Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, petites bêtes, et bêtes sauvages selon leur espèce ! » Il en fut ainsi. 25Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et toutes les petites bêtes du sol selon leur espèce.
Et Dieu vit que cela était beau.
26Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il gouverne les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » 27Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.
28Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre ! »
29Dieu dit : « Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. 30A toute bête de la terre, à tout oiseau du ciel, à tout ce qui remue sur la terre et qui a souffle de vie, je donne pour nourriture toute herbe mûrissante. » Il en fut ainsi.
31Dieu vit tout ce qu’il avait fait.
Voilà, c’était très beau.
Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.
1Le ciel, la terre et tous leurs éléments furent achevés. 2Dieu acheva au septième jour l’œuvre qu’il avait faite, il arrêta au septième jour toute l’œuvre qu’il faisait.
3Dieu bénit le septième jour et le consacra car il avait alors arrêté toute l’œuvre que lui-même avait créée par son action.
4Telle est la naissance du ciel et de la terre lors de leur création.
(Cf. Traduction Œcuménique de la Bible)
Texte_Bible
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Bonjour,
merci et bravo pour cette prédication et toutes les autres et les articles excellents et très riches sur autant de sujets si divers et si souvent passionants !
Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui va vers la contemplation.
Peut-être avez-vous lu le livre « Cinq méditations sur la beauté » de François Cheng (membre de l’Académie française) ? Il me semble de mémoire aller un peu dans la même direction, sans référence biblique.
La contemplation peut même être combinée à la recherche d’une compréhension, débouchant sur une science contemplative, sur un logos contemplatif (logos au double sens de faculté de penser et de faculté de parole). Au commencement était le logos-parole-science, et le logos-parole-science était tourné vers Dieu (en contemplation)… Et comme vous le citiez, Romains 1:20 propose « En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient depuis la création du monde, elles se comprennent par ce qu’il a fait. »
Cependant des questionnements et interrogations remontent en même à la surface.
En effet, je trouve plutôt dans la nature à la fois beaucoup du beau, du laid, et du « neutre ». Pourquoi et comment alors imputer ce qui serait beau à une propriété de l’oeuvre de Dieu obtenue par surcroît ? Et la laideur à un caractère inachevé de la création ou au chaos résiduel qui serait là parce que Dieu ne peut pas tout ordonner parfaitement ?
Car en effet, la beauté me paraît avoir des intersections à la fois avec l’universel en nous, avec le naturel, avec le culturel, et avec le personnel.
Pour ce qui est de l’universel, si une beauté ou une laideur est universelle, il serait alors possible de faire cette imputation.
Mais même là, cela pourrait résulter d’une sorte d’adaptation de l’humanité à certaines propriétés de la nature : trouver beau ce qui est récurrent et utile à la vie (le retour cyclique du soleil, des saisons, les variations de lumière…) pourrait tout simplement avoir aidé l’humanité à survivre lors de son évolution passée, et encore aujourd’hui. La part « objective » de la beauté pourrait donc relever au moins en partie d’une adaptation biologique en nous. Le comprendre en revanche pourrait ensuite permettre de contempler la réalité à partir de ce panorama de compréhension.
Ensuite, dans beaucoup de cas, il me paraît exister une grande part de subjectivité dans l’appréciation de la beauté, qu’il s’agisse de la beauté dans la nature, ou de la beauté d’autrui… Une part de cette subjectivité serait culturelle, une part très personnelle : j’aime beaucoup ou au contraire je n’aime pas trop telle ou telle couleur, teinte, sonorité, oiseaux et leurs gazouillis, jacassements et croassements, vision et bruit de cascade…
Et par exemple dans telle culture, tel oiseau est communément considéré comme très beau et associé à un symbole très positif, comme la pie dans certains pays d’Asie, alors qu’en Occident il est moins populaire, les pies étant même qualifiées de voleuses… Inversement, la où la pie est appréciée, les corbeaux sont au contraire perçus comme très laids et de mauvais augure (charognards en périodes de guerres…), alors qu’en Occident, les corneilles, les choucas tirent peut-être leur épingle du jeu, et les corbeaux laissent la plupart des personnes un peu indifférentes il me semble, même si ce ne sont sans doute pas leurs oiseaux préférés (ils sont cependant souvent associés à une intelligence élevée, tout comme les pies).
Même si de nos jours, avec les technologies de communication, les critères de beauté peuvent traverser plus facilement les frontières culturelles et surtout linguistiques (encore plus hermétiques), il me semble que l’on pourrait facilement multiplier les exemples, d’hier ou d’aujourd’hui.
Donc, un chemin vers une appréciation renouvelée de la beauté du monde pourrait passer par une initiation à l’appréciation de la beauté dans d’autres cultures, et donc à l’interculturel, et donc à l’univers d’autres langues et civilisations, au moins peut-être par le voyage, livresque, médiatique ou réel.
Et également bien sûr, en s’interrogeant sur la perception artistique de la réalité, par différents artistes que l’on apprécierait, peut-être y compris dans différentes cultures et civilisations.
Enfin, pourquoi imputer à la création de Dieu des éléments de beauté de la nature, et ne pas lui imputer la responsabilité des éléments de laideur de cette même nature ? Doit-on soutenir la beauté des puces, poux, tiques, blattes, et moustiques ? Celle des mouches (filles de Belzébuth le Seigneur des mouches dans la Bible ?) au corps sombre et velu, aux yeux rouges et globuleux, au bourdonnement désagréable quand on lit tranquillement dans une pièce ?
Les mésanges seraient de livrée divine, et les grosses mouches sombres et monochromes, les moustiques, les puces, poux et tiques, ténias, et autres blattes… si on ne croît pas à un mauvais démiurge (Bélial dans la Bible, ou Satan…) agissant en parallèle de Dieu bon démiurge, seraient des résidus de chaos ? Mais au contraire, ces insectes communément voire presque universellement considérés comme très laids et désagréables, sont très bien adaptés à leur environnement. La science les considère comme un produit de l’évolution, leur forme relève donc de l’adaptation d’ancêtres à des conditions environnementales, d’accouplement et de prédation, et de symbiose avec encore d’autres espèces (bactéries dans le ventre…). La perception de la beauté serait alors peut-être dans la compréhension d’un point de vue biologique de leur utilité par rapport à leur écosystème (efficacité des yeux multifacettes des mouches, qui peuvent inspirer des modèles de miroir en astronomie par biomimétisme), et d’un point de vue psychologique, il s’agirait de minimiser les désagréments qu’ils peuvent causer, et rendre grâce à Dieu qu’il n’y en a pas trop, et faire des recherches en biologie (à l’échelle de l’humanité) pour les remplacer par des modèles d’insectes plus plaisants ? Et idem pour les plantes déplaisantes…
Et d’autre part une part de chaos lui-même n’est-il pas nécessaire, comme générateur de hasard et de nécessité d’adaptation, d’adversité qui stimule une réaction nécessaire ? En effet, par exemple les plantes poussent vers le haut, en opposition à la gravité (nécessité d’une adversité). Sans gravité, leur développement est en tout cas différent, mais ne serait plus structuré dans l’espace comme il l’est sur Terre par rapport à la verticale. Idem pour nous bipèdes verticaux… De même l’évolution biologique est passée par 5 ou 6 catastrophes qui ont fait disparaître 50 à 95 % des espèces à chaque fois, avant que l’évolution ne reparte de plus belle dans de nouvelles directions adaptées au nouvel environnement. Et la catastrophe crétacé-tertiaire a vu la disparition des dinosaures massifs au profit des oiseaux (leurs descendants qui ont pu s’adapter) et des mammifères dont nous sommes nous-mêmes issus. Et l’humanité elle-même semble avoir été forcée à évoluer du fait du chaos environnemental.
Donc le chaos serait-il à éliminer complètement pour vivre dans un monde qui serait impassible comme un sage stoïque ? Même les amis ne se chamaillent-ils pas pour plaisanter, comme les chatons ou des lionceux sans sortir leurs griffes ? Comment éviter à l’amour de Dieu (modèle de l’amour humain) perçu dans la création le risque d’une sorte de mièvrerie ?
Beaucoup de questions donc, difficiles à synthétiser … Mais en gros, je voulais dire qu’il y a vraiment beaucoup de laid naturel, et qu’il ne me semble pas relever d’un résidu de chaos, mais bien de l’évolution, en partie au hasard ou selon un plan préconçu à l’origine. Et aussi que la perception de la beauté me semble relever en partie de la sphère très personnelle, même si le baroque et le rococo par exemple, en tant que styles architecturaux et de décoration de la contre-réforme, sont universellement appréciés, surtout par les protestants, comme compensation de l’austérité souvent un peu froide ou néocistercienne de leurs Eglises, c’est bien connu (c’est vrai en plus je pense aujourd’hui). Invitation donc à l’interculturel, à l’intersubjectivité de la beauté, à l’interreligieux dans l’appréciation et la valorisation de la beauté, y compris sur le plan du sacré (je ne pense pas que tous les fidèles protestants ne trouveraient pas belles les architectures baroques et rococos classées au patrimoine de l’Unesco, y compris en tant qu’Eglise pour eux-mêmes, formes de beauté invitation à l’émerveillement religieux) ?
Désolé pour cette réflexion compliquée dont j’ai moi-même un peu perdu le fil.
Grand merci pour vos encouragements.
Bravo pour cette profonde réflexion.
Le fait qu’une prédication donne à penser, donne à réagir est un plus grand encouragement encore.
Vous demandez :
1) « Pourquoi imputer à la création de Dieu des éléments de beauté de la nature, et ne pas lui imputer la responsabilité des éléments de laideur de cette même nature ?
2) Une part de chaos lui-même n’est-il pas nécessaire, comme générateur de hasard
Dieu vous bénit et vous accompagne
Merci pour votre réponse. Oui, même si on ne réagit pas explicitement à un article ou une prédication, cela signifier aussi la joie silencieuse de découvrir encore quelques beaux éléments 😉 !
Je suis d’accord avec votre point 2). [« Une part de chaos lui-même n’est-il pas nécessaire, comme générateur de hasard »]
J’ai relu l’article sur le dysthéisme comme vous le suggériez.
Nous ne savons pas.
Mais Dieu pourrait être amour et lumière sans ténèbres, « de bonne volonté » à son échelle divine en quelque sorte, mais dans la pratique, être confronté à la complexité de la réalité, et peut-être à une certaine nécessité des contrastes (beau, versus moins beau, bon versus mauvais ou moins, coopération versus adversité, le tout avec plus ou moins d’amour ou de simple malice espiègle joyeuse…).
La citation d’Esaïe 45 que vous avez mentionné m’a également questionné, notamment parce qu’effectivement Jean 1 semble en prendre un peu le contrepied : « Je forme la lumière et je crée les ténèbres » en Esaïe 45:7 versus « Dieu est lumière, et qu’il n’y a point en lui de ténèbres » en Jean 1:5.
Mais on peut concilier les deux en disant :
« Dieu est lumière, et il n’y a en lui aucune ténèbres » [Jean 1:5]
Dieu […] « forme la lumière et » […] « crée les ténèbres » [Esaïe 45:7]
Recherche d’interprétations :
1. Soit il s’agit en Jean 1 des ténèbres au sens figuré, et dans Esaïe 45 des ténèbres au sens propre
2. Soit Dieu créerait les ténèbres (en tant que possible, la possibilité de ténèbres, au sens propre comme au figuré) à partir de sa lumière (au sens figuré)
3. Soit les ténèbres seraient ténèbres (au sens propre comme au figuré) seulement en tant que manque, qu’absence de lumière (au sens propre comme au figuré)
Dans tous les cas, en créant le possible, en rendant possible le réel, ou en le faisant apparaître, en le révélant, Dieu fait apparaître en même temps, par contraste, des ténèbres.
Est-ce que la beauté n’existerait que par contraste avec ce qui serait moins beau ? Dieu révelerait la beauté en certains éléments du monde (certains paysages…), mais aussi la laideur de certains autres éléments (paysage lunaire après la fonte d’un glacier sur un pierrier, en Islande par exemple sur des kilomètres…, d’ailleurs la lune elle-même n’est pas si belle que ça avec ses cratères d’astéroïdes, son manque de couleurs, et sa poussière de surface monotone et collante…)
Extraits d’Esaïe 45 :
2. [l’Eternel :] Je marcherai moi-même devant toi. J’aplanirai les pentes, je mettrai en pièces les portes en bronze et je briserai les verrous en fer.
3. Je te donnerai des trésors dissimulés par les ténèbres, des richesses cachées, afin que tu reconnaisses que je suis l’Eternel, celui qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël.
[…]
6. […] C’est moi qui suis l’Eternel et il n’y en a pas d’autre.
7. Je forme la lumière et je crée les ténèbres, je donne la paix et je crée l’adversité. C’est moi, l’Eternel, qui suis l’auteur de tout cela.
8. Que le ciel déverse et que les nuages fassent couler la justice ! Que la terre s’ouvre afin que le salut y porte du fruit et qu’avec lui la justice y fleurisse ! C’est moi, l’Eternel, qui ai créé cela.
9. Malheur à l’homme qui intente un procès à celui qui l’a façonné, lui qui n’est qu’un vase parmi d’autres vases de terre ! L’argile dit-elle au potier: «Que fais-tu?» ou: «Ton travail est mal fait»?
[…]
12. C’est moi qui ai fait la terre et créé l’homme qui la peuple. C’est moi, ce sont mes mains qui ont déployé le ciel, et c’est moi qui donne des ordres à tous les corps célestes.
Voici qui se rapproche peut-être de votre point 1) 1. :
[1) « Pourquoi imputer à la création de Dieu des éléments de beauté de la nature, et ne pas lui imputer la responsabilité des éléments de laideur de cette même nature ?
1. Parce que dans ce texte de la Genèse nous voyons que ce que Dieu crée est « beau », voire « très beau ». Par définition, dirais-je. C’est la nature de Dieu.]
Je me demande si une part de la beauté ne viendrait pas de l' »ordre », de l’organisation, du « regroupement » et de l’agencement « continu » de ce qui se ressemble, de la disposition des « symétries » et « dissymétries », des « proportions », finalement des « équations » de l’architecture du réel. Au final d’une certaine « mathématique » du réel (mots entre guillemets dans la phrase précédente), que les sciences mettent en évidence : la physique et la chimie physique par l’analyse de la concordance entre expérience empirique et théorie mathématisante, avec des approximations pour faire ressortir la quintessence, l’huile essentielle des modèles et des équations ; la biologie par ses liens avec la physique… ; l’architecture…
Or d’où viennent les mathématiques ? Qui a créé les mathématiques ?
1. Les humains (à travers l’histoire des mathématiques) ?
2. Dieu pour sa création, passée, présente, future ?
3. Les mathématiques sont-ils un incréé, auto-suffisant par sa logique propre ? (mon option)
Existent-ils tout en étant inconnus jusqu’à ce quelqu’un en révèle un élément de théorie, ou que les structures du réel en incarnent quelques éléments (euclidiens ou non par référence aux Eléments d’Euclide) en se mettant en forme automatiquement via des créations-désintégrations-chocs de milliards de milliards de particules quantiques et autres sous-particules, occasionnant l’émergence d’effets statistiques, dits effets de grands nombres, comme le modélise la physique statistique (théorie qui retrouve la thermodynamique classique comme un cas particulier). D’où une part du chaos du réel d’ailleurs, et une part de son ordre, les effets statistiques des grands nombres engendrant une émergence de propriété à plus grande échelle spatiale et temporelle.
Ainsi donc oui, si beauté et mathématiques ont un rapport direct ou indirect, si Dieu créé en révélant des possibles dans la réalité au sein du chaos, alors l’action de Dieu a en effet par essence un rapport avec la beauté.
Néanmoins, la beauté a aussi une part de subjectivité, de proposition, d’être au monde. Beau est une appréciation, un jugement. Or cette appréciation devrait rester libre pour chaque cas concret. Cela ne devrait pas être imposé (ce qui est créé est beau, comme un commandement implicite à s’émerveiller, je pense que cela n’est pas le projet de Dieu, plus libéral, à mon avis, ou selon mes options théologiques. A moins que ce ne soit une incitation à la conversion : apprendre à discerner les éléments de beau, même infimes, subtils …
Par ailleurs, les parcs des humains sont parfois plus beaux que les bois et forêts : arbres qui ont toute la place pour s’épanouir magnifiquement dans les parcs, versus arbres trop serrés, trop près les uns des autres, et luttant pour la lumière dans les sous-bois, donnant une atmosphère globale plus oppressante, sombre, moins belle il me semble…
Invitation à ce que l’humanité (idéalisée) transforme la nature en parc, en jardin, avec des espaces sauvages, mais adoucis, apaisés, rendus agréables, plus ou moins visitables ?
Est-il donc bon de traduire tov en hébreu (ou kalos en grec) plutôt par beau ou par bon en Genèse 1, ou par les deux ?
Illustration de ces idées en poésie
Papillons et potager, ambivalence de la nature
Pour le jardinier, quel plus bel insecte que le papillon :
N’est-il pas si gracieux,
Virevoltant de fleurs en fleurs ?
N’est-il pas silencieux,
Emerveillant les cœurs ?
N’est-il pas sympathique,
N’embellit-il pas ma plante aromatique ?
Comme une feuille d’automne animée,
Qui semblerait remonter le temps vers sa cime d’été,
Disparaissant dans les vastes feuillages
En ravivant le souvenir de lointains rivages.
Pour le jardinier, quel plus cruel insecte que le papillon :
Ma plante n’est plus que l’ombre d’elle-même,
Je ne sais plus pourquoi je sème.
Pourquoi mes feuilles sont-elles percées de part en part ?
N’allons pas chercher autre part :
Le papillon tant admiré,
A pondu sur ma plante préférée.
Las, sa chenille vorace se camoufle,
Sous ses feuilles elle retient son souffle.
Car la nature est régie par une loi dramatique :
La vie se nourrit de matière organique.
Et s’étirant en un long sommeil,
La chrysalide se métamormophosait au soleil.
***
Autres traductions possibles à la source de cette interprétation sur la beauté :
Kalos kagathos : autre nom de bonbon. [dixit le Chat Geluck]
kalos : mon outil de mot à mot en ligne indique le sens suivant en anglais : properly beautiful, but chiefly (figuratively) good (literally or morally)
Donc : beau au sens premier, mais souvent utilisé figurativement au sens de bon (au sens propre, ou moralement).
D’après cet outil, il ne semble donc pas erroné de traduire par kalos ou kalon par bon.
Tov en hébreu peut aussi se traduire par bon il me semble…
Kalos : “idéal, ou qui tient de l’idéal, qui réalise dans la pratique un projet au départ idéal, qui est fidèle à un idéal, ou qui est fidèle à son idéal” (République de Platon) ;
Kalos : bon
Agathos : “excellent” (en vertu) ?
Voir : voir par la raison, concevoir
Ainsi toutes les traductions auraient-elles un peu raison à leur façon ?