La famine de 1573 (bibliothèque centrale de Zurich - Wickiana)
Prédication

Aider et lever les dettes avec Néhémie (Jean-Daniel Macchi sur Néhémie 5:1-13)

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 16 octobre 2022,
par : pasteur Marc Pernot

La famine de 1573 (bibliothèque centrale de Zurich - Wickiana)

La famine de 1573 (bibliothèque de Zurich)

Ici depuis l’après-guerre, nous vivons dans une société qui est parvenue à améliorer les conditions d’existence d’une grande partie de la population. La majorité des gens à de quoi manger, elle peut se loger, se chauffer, se vêtir, s’éclairer. Nous profitons d’un système de santé performant. La plupart des gens bénéficient de loisirs, de vacances, peuvent s’offrir des biens de consommation, voyagent, bénéficient d’un bon réseau de communication. Si on compare notre situation avec celle qui prévalait partout dans le monde il y a quelques centaines d’années et qui est celle de nombreuses régions du monde aujourd’hui encore, il est clair qu’en Suisse on ne peut pas se plaindre.

Pourtant, même dans cette société si bien organisée, nous côtoyons des personnes en grande précarité. Certains n’ont jamais vraiment pu s’intégrer dans le système et, pour toute sorte de raisons, sont toujours restés en marge de la société. Cela dit, il n’est pas rare que la précarité frappe des personnes bien intégrées dans le monde du travail, mais qui ne parviennent pas à sortir de la pauvreté et d’autres qui, durant certaines périodes de leur vie, ont eu suffisamment de moyens, mais qui les ont perdus. Des jeunes formés peinent à entrer sur le marché de l’emploi. Des plus âgés, après une belle carrière, se retrouvent au chômage à un âge où il est quasiment impossible de trouver du travail. D’autres travaillent durs pour des salaires modestes et finissent par emprunter pour nourrir leurs enfants et payer leurs factures. D’autres encore sont frappés par les aléas de la vie, tombent dans la précarité à l’occasion d’un drame personnel, d’une maladie ou d’un burn out.

Comme chrétiennes et comme chrétiens, disciples d’un Christ proche des pauvres et des marginaux, nous ne pouvons qu’être touchés par la souffrance et la misère. Nous voulons aider et nous le faisons souvent. Pourtant, au moment de donner, au moment d’aider, on peut avoir l’impression de se trouver devant des situations insolubles, comme devant des puits sans fond. Certains lorsqu’ils apportent de l’aide se demandent même si cette aide contribue vraiment à changer quelque chose à long terme ou si elle n’est qu’un soulagement futile et dérisoire, une goutte d’eau dans l’océan de la misère humaine. Au fond, la question est de savoir si l’action bienveillante fait sens alors qu’elle ne contribue pas à changer fondamentalement la situation de ceux et de celles qui sont en difficulté ?

Lever les dettes avec Néhémie

Le récit de la levée des dettes par Néhémie et par les riches de Judée peut nous aider à réfléchir à ses questions. Voyons comment les événements sont rapportés.

Les chapitres 4 et 6 racontent que les Judéens rebâtissent la cité de Jérusalem avec courage, volonté et énergie. Construire une cité c’est construire le cadre dans lequel une société va fonctionner. Or, au chapitre 5 un problème survient. Une famine frappe le pays et met en évidence des problèmes liés à la cohabitation entre les Judéens disposant de ressources et ceux qui s’appauvrissent et finissent dans la misère.

Les mécanismes de l’appauvrissement.

Le début du passage, aux versets 2 à 5, met en évidence des mécanismes qui conduisent des personnes qui à l’origine disposaient de ressources, vers la misère. Les trois plaintes sont en quelque sorte les trois paliers d’une même descente aux enfers.

La première plainte est liée à la nécessité. Nous sommes des familles nombreuses, « nous, nos fils et nos filles, nous sommes nombreux », nous avons donc besoin de recevoir du blé pour pouvoir nous nourrir (v. 2). Rien de plus normal et légitime, pour des familles, que de disposer de nourriture.

La deuxième plainte émane de petits propriétaires terriens. Il s’agit peut-être des mêmes, à un stade un peu plus tardif de la paupérisation. Ils mettent en gage leurs propriétés afin d’emprunter du blé « Nous engageons nos champs, nos vignes et nos maisons, pour recevoir du blé pendant la famine » (v. 3).

La troisième plainte émanent toujours de petits propriétaires obligés cette fois d’emprunter pour payer leurs impôts « Nous avons emprunté de l’argent sur nos champs et nos vignes pour le tribut du roi» (v. 4).

Le résultat pour tous ces pauvres gens est terrifiant. Ils n’ont plus rien. Comme le mentionne le verset 5 « nos champs et nos vignes appartiennent à d’autres ». Ces gens ont été expropriés. Il faut savoir que les mécanismes du surendettement à l’époque de Néhémie, cinq siècles avant J.-C., étaient encore plus redoutables qu’aujourd’hui. Les taux d’intérêt étaient très élevés et la saisie des biens des débiteurs très rapides et sans recours possible en cas de défaut de payement.

Une fois que les familles ont perdu leurs terres et leurs biens, elles n’ont plus de ressources. La situation devient alors terrifiante. Comme le rappelle le verset 5, les familles sont contraintes à vendre leurs enfants comme esclave. On a vraiment touché le fond, l’esclavage et la servitude se développent à nouveau.

De tels mécanismes conduisant à l’appauvrissement et à la précarisation ont cela de sournois que d’une certaine manière personne n’en est vraiment responsable. Les victimes ne peuvent pas grand-chose à leur situation, il faut bien manger, nourrir sa famille et payer ses taxes. La mise en gage de ses biens et l’endettement n’est finalement pas vraiment un choix. Quant à ceux qui prêtent, ils ne commettent rien d’illégal ni rien d’immoral. Au contraire, à court terme du moins, ils permettent à leurs débiteurs de survivre et n’en peuvent rien si la famine perdure et que les personnes plus modestes ne parviennent pas à rembourser ce qu’elles doivent.

Les mesures prises par Néhémie

Face à cette situation, le texte rapporte que le gouverneur Néhémie prend des mesures qu’on qualifierait aujourd’hui d’assez radicales d’un point de vue économique. Il ne fait rien moins que mettre en accusation les créanciers. « Je résolus de faire un procès aux notables et aux magistrats » mentionne le verset 7.

Leur réaction est à la fois magnifique et incroyable, puisqu’ils acceptent la requête de Néhémie du verset 11 : « rendez-leur aujourd’hui même leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leurs maisons, ainsi que la part d’argent, de blé, de vin et d’huile que vous avez exigée d’eux comme intérêt ». Il ne s’agit rien de moins que de restituer les biens saisis et même de rendre les intérêts perçus.

À n’en pas douter, en cas de crise, chacun d’entre nous aimerait beaucoup avoir contracté ses prêts auprès de tels créanciers. Mais évidemment ceux-ci sont rares et c’est bien compréhensible. Si un créancier agissait de la sorte il risquerait lui-même de se retrouver rapidement en faillite. Plus globalement, si une société instaurait un système où en cas de défaut de payement les biens mis en gage étaient restitués avec les intérêts perçus, rares seraient ceux qui même en cas d’urgence accepteraient de prêter quoi que ce soit.

L’argument de Néhémie

Cela dit, l’argumentation développée aux versets 8 à 9 par Néhémie pour convaincre les prêteurs n’est pas dépourvue de sens. La communauté judéenne en train de s’installer à Jérusalem se relève d’une situation d’oppression. Elle est constituée d’anciens exilés et d’anciens esclaves libérés par la grâce divine. La liberté fait donc partie de l’ADN de cette petite communauté. Que des membres de cette communauté transforment les enfants d’autres membres de cette communauté en esclave est donc, aux yeux de Néhémie en tout cas, complètement inacceptable.

Une telle argumentation trouve écho au cœur du message de l’Évangile, qui proclame que Dieu libère. Fondamentalement, la foi chrétienne met l’humain au centre, pour elle la relation avec le Dieu de Jésus-Christ fait marcher sur un chemin de liberté et de solidarité au sein d’une communauté de frères et de sœurs.

On le voit, la levée des dettes à l’époque de Néhémie, s’inscrit dans le cadre des valeurs qui sont au cœur du projet de société que Néhémie cherche à mettre en place dans l’Israël ancien. Valeurs qui se retrouveront quelques centaines d’années plus tard si fortement réaffirmées par le christianisme.

Une utopie qui fait sens

Reste que les problèmes pratiques que j’évoquais tout à l’heure demeurent. Une société où les prêteurs remettraient les dettes est-elle possible ? Si l’invitation de Néhémie n’aboutit qu’à convaincre les créanciers d’éviter à l’avenir de prêter du blé aux personnes dans le besoin à quoi bon ? Aujourd’hui, lorsque certains se demandent si aider fait sens sachant que l’aide ne permet pas vraiment de changer la situation de ceux qui sont aidés, ils posent une question assez similaire. À quoi bon agir en accord avec des valeurs aussi élevées que celles de la foi chrétienne si cela ne change pas vraiment le monde dans lequel nous vivons ?

Cette question à quelque chose de vertigineux.

Je pense qu’au moins deux voies peuvent nous conduire, avec Néhémie, à développer nos actions bienveillantes même si à vues humaines leurs portées semblent très limitées.

D’une part, nos actions sont les témoignages de nos valeurs. En effet, au travers d’actions qui ne semblent peut-être que des gouttes d’eau dans la mer des malheurs du monde, nous rendons visible aux yeux des autres, et aussi à nos propres yeux, quelles sont nos valeurs et quel poids nous leur accordons.

D’autre part, développer une action apparemment un peu folle – comme celle de Néhémie et de ses riches concitoyens lorsqu’ils remettent des dettes sans aucune compensation – élargit notre regard. Ce qui paraissait impossible devient soudain une réalité, ici et maintenant. Cette folie n’est peut-être présente qu’un bref instant, une seule fois, mais elle a ouvert le champ des possibles. Tout d’un coup se déploie devant l’autre, devant soi, un nouvel imaginaire. Le monde n’est pas forcément hostile, le destin funeste n’est pas une nécessité, les hommes et les femmes ne placent pas toujours leur propres intérêts avant ceux des autres. Un autre monde est possible, un bref instant, par les actions de Néhémie, par les miennes, l’utopie n’en est plus une, elle est devenue la réalité.

C’est cela la foi : croire en dépit de la logique et ainsi contribuer à faire advenir un autre monde.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Néhémie 5,1-13

(1) Il s’éleva de la part des gens du peuple et de leurs femmes une grande plainte contre leurs frères judéens. (2) Les uns disaient : nous, nos fils et nos filles, nous sommes nombreux ; nous voulons recevoir du blé, afin de pouvoir manger et vivre. (3) D’autres disaient : nous engageons nos champs, nos vignes et nos maisons, pour recevoir du blé pendant la famine. (4) D’autres disaient : nous avons emprunté de l’argent sur nos champs et nos vignes pour le tribut du roi. (5) Pourtant notre chair est comme la chair de nos frères, nos fils sont comme leurs fils ; nous réduisons à l’esclavage nos fils et nos filles ; plusieurs de nos filles y sont déjà réduites, nous sommes sans res-sources, nos champs et nos vignes appartiennent à d’autres.

(6) Je fus très fâché lorsque j’entendis leurs cris. (7) Je résolus de faire un procès aux notables et aux magistrats, et je leur dis : Quoi ! vous prêtez à intérêt à vos frères ! Et je convoquai, à leur sujet, une grande assemblée.

(8) Je leur dis : Nous, nous avons racheté selon nos moyens nos frères judéens vendus aux nations ; vous, vous vendriez vos frères, et c’est à nous qu’ils seraient vendus ! Ne trouvant rien à répondre, ils se turent. (9) Puis je dis : vous n’agissez pas bien. Ne devriez-vous pas vivre dans la crainte de notre Dieu, pour ne pas être outragés par les nations, par nos ennemis ? (10) Moi aussi, mes frères et mes serviteurs, nous leur avons prêté de l’argent et du blé. Remettons-leur cette dette, je vous prie !

(11) Je vous en prie, rendez-leur aujourd’hui même leurs champs, leurs vignes, leurs oliviers et leurs maisons, ainsi que la part d’argent, de blé, de vin et d’huile que vous avez exigé d’eux comme intérêt.

(12) Ils répondirent : nous les rendrons, nous ne leur demanderons rien ; nous ferons ce que tu dis.

Alors j’appelai les prêtres, devant lesquels je les fis jurer de tenir parole. (13) Et je secouai la poche de mon manteau en disant : que Dieu secoue de la même manière hors de sa maison et du produit de son travail tout homme qui n’aura pas tenu parole, et qu’ainsi cet homme soit secoué et laissé à vide ! Toute l’assemblée dit : qu’il en soit ainsi ! et loua le SEIGNEUR. Et le peuple tint parole.

(Traduction : Nouvelle Bible Segond légèrement corrigée aux v. 7 et 11)

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