Le "Christ rédempteur" en arrière plan, devant une gymnaste souriante, parabole de la foi qui nous aide à nous développer - Image par Buono Del Tesoro de https://pixabay.com/fr/photos/gym-rythmique-rio-de-janeiro-1605101/
Développement

La lecture du « Souci de soi » de Michel Foucault m’interroge. N’est-ce pas en s’accordant à soi que s’ouvre l’espace inouï de l’autre ?

Question posée :

Bonsoir Marc,

C’est un bonheur de pouvoir écouter et ré-écouter les prédications dominicales.
De même, de lire les nombreux témoignages et les développements apportés.

Grand merci pour cette générosité dans la transmission des savoirs aussi bien que des non-savoirs. Ça laisse de l’espace.

Ce soir, j’ose suggérer un motif qui depuis la lecture ancienne du « Souci de soi » de Michel Foucault m’interroge.
Comment s’accorder à son soi?
N’est-ce pas en s’y accordant que s’ouvre l’espace inouï de l’autre, d’autrui, l’alter-souci, l’autre soin?

Merci pour la lecture.
Le simple fait d’avoir posé cette question m’apporte déjà beaucoup.
Je dis par là que je ne voudrais pas prendre de votre précieux temps pour me répondre. Cela peut attendre et autre chose surgira en son temps!

Que l’Éternel vous bénisse!

En amitiés fraternelles,

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Grand merci pour cette suggestion. Michel Foucault est passionnant, je n’en ai lu que des extraits, il faut que je le remette au sommet de ma pile. Le dialogue avec le stoïcisme est présent dans l’Évangile et est à poursuivre.

Le « souci de soi » était cher à Calvin dans sa jeunesse, quand il était sensible au stoïcisme ; du coup, après sa conversion et l’évolution de sa pensée philosophique et théologique, il évoque plutôt « l’insouci de soi » que rend possible la grâce de Dieu. Dès lors que nous sommes aimés et gardés sans condition, nous n’avons plus à nous soucier de notre avenir éternel, c’est une affaire réglée. C’est cette joyeuse nouvelle qu’il voulait mettre (très maladroitement) en avant avec sa prédestination.

Je pense que cet appel à l’insouci de soi est une bonne chose en ce qui concerne notre salut éternel, mais exagéré quant à notre vie ici-bas. L’Évangile est certes l’annonce de la grâce de Dieu, il est aussi un appel à nous convertir, à nous laisser soigner par Dieu, à nous ouvrir à une résurrection à vivre sans cesse un petit peu plus, c’est un encouragement à avoir soif de l’Esprit de Dieu, puis à vivre de ce souffle… C’est-à-dire quand même que le souci de soi est primordial. La première brebis dont nous avons à être le berger, c’est nous-mêmes ; alors seulement, nous serons en mesure de discerner notre vocation en ce qui concerne notre prochain. C’est ce que dit aussi la parabole de la paille et la poutre, la parabole du bon Samaritain (en nous considérant premièrement comme la personne ayant besoin d’être aidée par le Christ, et ensuite de faire de même).

Pour le moins, nous avons à assurer sans cesse les deux en parallèle (nous soucier de nous-mêmes et nous soucier de notre prochain), car si nous attendions d’être totalement affûtés pour commencer à servir, nous ne ferions rien de toute notre vie. Et si nous étions tout le temps dans le service en nous oubliant nous-mêmes, nous serions très, très vite aigris et épuisés. Jésus passe souvent de l’un à l’autre, interrompant son service des autres afin de prendre un temps pour lui-même avec Dieu.

Mais les deux ne sont pas toujours en concurrence, c’est souvent dans la rencontre avec l’autre et dans le service de l’autre que nous nous découvrons nous-mêmes et que nous pourrons nous ajuster et nous laisser ajuster. C’est ce que j’ai essayé de dire en introduction à la dernière prédication sur « Consolez, consolez mon peuple« .

Certainement, tout ce travail très humain de berger de nous-mêmes et de berger de ceux qui nous sont confiés est un travail qui se fait devant Dieu. Ou plutôt, il est fait par Dieu en collaboration avec nous-mêmes, à quatre mains, si je puis dire. C’est pourquoi Jésus articule notre écoute de Dieu, notre amour pour Dieu, avec notre amour pour notre prochain et notre amour pour nous-mêmes. Les trois ensemble et les trois en parallèle, les trois se nourrissant et se compensant mutuellement.

Parfois, il faut le reconnaître, le christianisme a appelé à « renoncer à soi-même ». C’est à mon avis à nuancer. Cela a parfois été le cas littéralement sous influence de certains ascètes, esséniens ou moines du désert, particulièrement au temps des martyrs ou peu après (cherchant à les égaler). Mais ce n’est à mon avis pas dans l’esprit de l’Évangile. Alors que les exercices stoïciens visent (si j’ai bien compris) entièrement à se développer soi-même : avec pour finalité, pour sens de notre vie, ce développement. L’Évangile propose une autre finalité : c’est Dieu, c’est l’amour. Il s’agit de renoncer à centrer notre vie sur notre petit nombril, mais de transcender, de sublimer notre moi et notre vie par l’amour, à l’image de Dieu. Ce n’est absolument pas se perdre, bien au contraire, ce n’est pas se dissoudre en Dieu ni s’effacer devant Dieu. Au contraire : l’Évangile, c’est la résurrection (littéralement : Dieu nous met debout), nous crée, nous augmente, nous donne puissance de créer et nous appelle à cela, à notre propre façon. Dieu espère faire de chacun un véritable sujet, comme le stoïcisme, mais à la différence qu’il n’est alors pas un sujet autocentré, mais vivant par l’amour, pour l’amour. C’est la finalité qui est diamétralement différente, même si les deux proposent un développement de soi.C’est à mon avis comme cela qu’il faut comprendre cet appel du Christ : « celui qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera » (Matthieu 10:39).

Par exemple, dans Ézéchiel 3:1 l’ange (ou Dieu) nous dit : « Fils de l’homme, mange ce livre, et va, parle… » : nous ne sommes pas transformés en simples lecteurs audios de la Parole de Dieu, l’humain devant s’effacer complètement devant un message objectif à transmettre. Mais la Parole de Dieu est comme une nourriture pour nous, elle nous rend capables d’être nous-mêmes source d’une parole subjective, notre propre parole, et que notre parole soit créatrice. C’est ainsi que nous devenons un petit peu plus enfants de Dieu, à son image, mais cela n’a rien d’une perte de notre personnalité. Au contraire. C’est une « vie en abondance (en débordement) » (Jean 10:10)

Il y a donc certes à nous soucier de soi-même, à mon avis. Mais comme un serviteur se prépare pour son service. Comme vous dites magnifiquement, c’est dans ce travail de soi que « s’ouvre l’espace inouï de l’autre, d’autrui, l’alter-souci, l’autre soin ».

Bien fraternellement,

Marc

par : pasteur Marc Pernot

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Un commentaire

  1. François dit :

    La Foi ! Vaste question ! En fait, d’équilibre s’agit il ? Est-ce que la foi est EN nous, apte à nous soutenir, participer à notre développement autant intérieur qu’extérieur, à notre esprit qu’au développement de notre âme ; ou bien est-ce que la Foi doit se juger par les œuvres qu’elle accomplit,en nous donnant les forces nécessaires à l’exercice de telles fonctions ? J’ai bien peur que dans la deuxième hypothèse ne,se réalise plus « la foi par les œuvres » que l’inverse, c’est à dire d’utiliser la foi pour ce qu’elle est réellement, un don gratuit de Dieu, qui nous est accordé de manière spontanée afin de nous aider dans notre développement.
    Mais ce n’est que mon opinion, et je peux me tromper !

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