Mon pasteur a critiqué mon interprétation de la « parabole des talents »?
Question d’un visiteur :
Cher Marc,
Je voudrais un peu d’aide dans la lecture de la parabole des talents qui m’a toujours perturbé, et fait l’objet de discussions passionnées avec mon Pasteur et d’autres membres de ma Paroisse.
1° Si l’on prend talents dans le sens premier : disposition à faire quelque chose, tout est clair, limpide par rapport à l’obligation à agir !
2° Si l’on prend le mot talent dans le sens de la traduction Somme d’argent : Alors Aïe Aïe ! Personnellement, je pense que contrairement à tout ce que j’ai entendu : le Maître de cette parabole ne doit surtout pas être identifié à Dieu car (Sans doute mes opinions politiques y sont pour quelque chose) mais :
- Le Maître de la parabole répartit ici inégalement son ‘don’ (puisque ce n’est pas un prêt mais une gratification n’est ce pas ? )
- Le Maître part sans donner aucune recommandation, aucun cap à suivre. Côté ressources humaines c’est nul : Demerden Sie sich !…
- Il ne suscite aucune solidarité entre ses employés,
- Le Maître fait preuve d’injustice et d’inconséquence à son retour : Qu’est ce qu’on fait ses ‘bons serviteurs’ ? Ont ils partagé avec les pauvres, aidé autres : RIEN, si ce n’est confié cet argent à des banquiers ?? Ont ils investi pour améliorer des conditions de travail.. Aider, développer une activité pour améliorer l’alimentation et donner du travail : Rien ils ont juste confié l’argent à des banquiers MAIS MAIS : S’ils avaient eu affaire à un Madoff ?? Comment aurait réagi le Maître ?
- Le ‘’Mauvais’’ serviteur a eu peur, a souffert d’un manque d’assurance, de confiance en lui, confiance dans les autres… Ce don qui lui était fait avait pour lui plus de valeur que pour les autres, le peu qu’il avait reçu avait pris plus d’importance que chez les autres.. Il voulait le garder précieusement : Faillait il le condamner et le traiter comme une ‘merde’ pour autant ? Si c’était juste un don, pourquoi le maltraiter ainsi au retour ? il a reçu la plus petite somme… Créant déjà une discrimination l’incitant à rester dans sa peur, dans son manque d’estime!!
Je propose modestement comme clef pour mieux comprendre : Renommer la parabole : le mauvais Maître ! et développer à partir de là, la différence avec la relation que Dieu établit avec nous. Ce Maître a t-il quelque chose à voir avec Dieu ? Serait ce donc un Maître qui est là pour juger condamner punir le nul sans lui avoir expliqué, sans l’avoir encouragé ? Créant des différences entre les êtres dans la répartition des bénédictions :
Toi est super, je te donne 10 talents, toi tu es nul tu resteras dans ta nullité avec 2 talents…..
Voilà personnellement mon interprétation qui m’a valu une grosse remontrance de mon pasteur et provoquer un grand chagrin, m’identifiant personnellement au ‘mauvais serviteur’ ayant en effet un salaire très modeste.
D’avance merci de me faire part de votre opinion ou façon d’interpréter cette ‘foutue’ parabole qui met tout le monde mal à l’aise !
Bien fraternellement
Réponse d’un pasteur :
Cher monsieur
Le propre du texte biblique est d’inviter à une interprétation personnelle du lecteur. C’est particulièrement le cas pour les paraboles de Jésus, évidemment, car à quoi bon sinon inventer ces petites histoires ? Si Jésus voulait délivrer un message bien unique, clair, il aurait pu bétonner une dogmatique et mettre ce qu’il veut dire avec un plan clair en 3 fois 3 points et une conclusion. S’il invente ces petites histoires bizarres c’est pour inviter le lecteur à se prêter au jeu, à réfléchir, à chercher, à se découvrir lui-même dans cette recherche, et avoir envie de Dieu pour l’aider à avancer.
Donc, oui, les paraboles mettent mal à l’aise. C’est fait pour. Chacun se projette dans sa propre lecture et du coup les lectures des autres lui semblent porter à faux, ou être inintéressantes. En partie, bien sûr puisque si nous avons chacun notre propre sensibilité, et notre histoire, nous n’en demeurons tous à peu près la même sorte de bête quand même.
Votre lecture est intéressante, personnelle, et elle vous a fait entrer dans une bonne dynamique, elle a produit une belle discussion passionnée avec d’autres personnes. Je dirais que le but est atteint. Ensuite, ce n’est pas facile de discuter. Si chacun a envie d’amener les autres à sa propre position ce n’est plus un dialogue. Si l’on ne peut pas entrer un peu dans la lecture de l’autre et l’enrichir encore un petit peu, éventuellement, on passe à côté non seulement du respect de l’autre mais de l’enrichissement de soi-même. Si l’on ne peut pas additionner les interprétations comme un bouquet, on torpille le fond même de ce que c’est que la Bible, on transforme ces géniales paraboles de Jésus en une petite histoire moralisatrice simplette.
Cela ne veut pas dire qu’il faille considérer comme géniale n’importe quelle lecture raciste, légaliste, ou abracadabrante. Bon, on peut au moins rester poli, et respectueux soi-même, mais on n’est pas obligé alors d’approuver à grand cri et abonder dans son sens. Mais ce n’est pas le cas de votre lecture. Même si la lecture traditionnelle est de reconnaître dans ces énigmatiques « talents » les dons de chacun (c’est même passé dans notre langue avec le sens du mot « talent »), il n’en demeure pas moins que si Jésus avait voulu parler des dons de chacun et uniquement de cela, il aurait pu le dire, mais il prend comme image une somme d’argent, c’est indubitable et ce n’est certainement pas innocent. Ensuite pour aller dans votre sens, le maître reconnaît qu’effectivement, il est un homme dur, qui moissonne où il n’a pas semé, et qui amasse où il n’a pas vanné… et nous avons donc là, si le maître révèle l’être de Dieu (ce que Jésus ne dit pas), un dieu méchant. Ce qui va bien avec la sanction incroyablement dure, définitive, pire qu’une peine de mort avec des tortures éternelles et cette incroyable phrase « on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a », ça ne ressemble pas au capitalisme le plus brutal et sauvage ? Mais rien ne dit que Jésus identifie le maître à Dieu, ni qu’il approuve cette conception de Dieu mais peut vouloir pousser au bout la logique de cette théologie.
Votre lecture est donc intéressante, indubitablement. J’en vois d’autres possibles, bien entendu. Par exemple en considérant ces énigmatiques talents comme du boulot à faire. Cela cadre aussi bien avec l’histoire, on donne à chacun une responsabilité non pas à cause de ses mérites mais en fonction des capacités de chacun, le reproche du serviteur grognon concerne effectivement le travail effectué à la place du maître. Et la conclusion est alors acceptable : à celui qui a pu faire fasse à ses responsabilités on va donner en plus le boulot de ceux qui ne lèvent pas le petit doigt, comment faire autrement ? Et dans l’église ça marche comme ça aussi non ?
Il y a donc plein de façons de lire une parabole. Et Jésus lui-même quand il interprète ses propres paraboles en fait toujours une lecture métaphorique complexe, ajoutant plusieurs lectures différentes de la même parabole. C’est ainsi que dans Jean 10 il est à la fois la porte et le berger ! Dans Matthieu 13 nous sommes à la fois la graine lancée dans le monde et le terrain qui la reçoit…
Donc soyez tout à fait consolé, mais juste un conseil, la prochaine fois, si vous sentez qu’une personne n’a pas envie d’écouter une autre interprétation que sa propre petite interprétation à lui… laissez tomber, on n’a jamais fait boire un âne qui n’a pas soif, en on dépense alors une super bonne énergie qui pourrait être bien utile autrement placée.
Amitiés fraternelles
Marc
Notez simplement qu’il n’est pas écrit que le maître soit un « homme dur » mais que c’est la perception du 3ème serviteur et que le maître, en réponse, rentre dans la dialectique du serviteur.