dessin au trait représentant un parent grondant son enfant - Image par Benoît DE HAAS de https://pixabay.com/fr/illustrations/parent-enfant-gronder-%C3%A9duquer-6960951/
Ethique

Église et politique : j’estime ne pas à recevoir de consignes de la part de l’église, mais j’admets qu’il existe des cas extrêmes.


Question posée :

Bonjour

J’aurais une remarque à propos du sujet « église et politique »; personnellement, j’estime ne pas avoir de consignes à recevoir de la part de l’église en ce domaine; cette dernière soit se borner, pour moi, à appeler les « fidèles » à s’engager dans la société.

Mais j’admets qu’il existe des cas extrêmes où on ne peut se taire : et heureusement qu’il y a eu l’église confessante en Allemagne à l’époque du nazisme pour, en quelque sorte, sauver l’honneur du christianisme.

A Genève même, le pasteur Jean de Saussure, prêchait avec courage à St Pierre dans la même veine sans tenir compte des admonestations que lui a adressées le Conseil fédéral…

Qu’en pensez vous ?

Bien amicalement

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

C’est une question très discutée et très marquée par l’idéologie de chacun, et aussi de sa place dans l’église.

Ce que je remarque, c’est que dans l’histoire, l’Eglise a presque toujours été à côté de la plaque, ou très très en retard, sur ses positions politique et morale, quand elle en a pris. Par exemple sur les sujets qui nous semblent majeurs avec le recul: l’église n’a été en pointe ni sur la question de l’esclavage, ni sur l’égalité homme femme, ni en ce qui concerne le racisme ou la discrimination contre les homosexuels. Par exemple.

Les belles positions courageuses et prophétiques ont été portées à chaque fois par une personne individuelle ou deux qui rassemblent ensuite un petit groupe de militants qui vont agir pour faire avancer la société, souvent en conflit ou en rupture avec leur propre église, d’ailleurs.

Il est normal que l’église soit moins prophétique que l’individu, pour plusieurs raisons :

  1. un groupe d’individus est en général aussi bon que le niveau moral moyen de ses membres
  2. dans tout groupe humain il est une question de pouvoir personnel et l’église n’est évidemment pas à l’abri de cela, particulièrement dans les cadres de l’église.
  3. l’église se doit d’être l’église pour tous, or, toute prise de position prophétique introduit un clivage, laissant entendre (ou même disant) aux personnes qui ne sont pas d’accord avec sa prise de position que ces personnes sont de mauvaises personnes aux yeux de l’église, et même de Dieu. C’est explicitement le cas dès que les responsables d’églises brandissent le « status confessionis » pour légitimer une prise de position morale ou politique : cela signifie que toute personne qui ne serait pas du même avis renierait le Christ lui-même (c’est à dire que les responsables de l’église se prennent littéralement pour le Christ revenu sur terre !).

L’église en Allemagne du temps des nazis est un bon exemple : l’église était précisément devenue l’église du Reich. Quelques personnes, et non l’église instituée, se lèvent pour porter une voix courageuse et juste. C’est excellent. Ensuite ces personnes se structurent elles même en église, pourquoi pas, bonne idée ? sauf que c’est là que les ennuis commencent, les leaders commencent à se diviser, et même l’excellent Bonhoeffer se met à dire que les personnes qui ne sont pas dans son « église confessante » ne sont pas chrétiennes et ne sont donc pas sauvées. C’est tyrannique, même si, bien sûr on peut comprendre Bonhoeffer.

L’exemple de Jean de Saussure est de la même veine : c’est un homme qui devient prophète et se lève, et parle. C’est effectivement comme cela que je comprends le rôle du chrétien engagé dans la foi : de s’engager dans sa propre vocation avec liberté et courage. Certains individus sont bons à cela, et effectivement sauvent l’honneur du christianisme.

Le Christ lui-même ne prend pas de position politique, ni d’ailleurs ne fait pas de morale, et encore moins du moralisme. Avec ses commandements impossibles (ne pas résister au méchant, être parfait, ne pas penser que l’autre est nul « racca »), en encourageant à payer l’impôt à César, en embauchant des apôtres activistes anti-romains et en encensant un centurion romain… Jésus montre qu’il agit à un autre niveau que de vouloir diriger la conscience politique de ses disciples. Il encourage chacun à écouter Dieu directement dans l’intimité (Matthieu 6:6), puis à s’engager personnellement au service de la justice (Matthieu 5 avec les « béatitudes »).

Le rôle de l’église me semble être celui de Jean-Baptiste : appeler la population à se plonger dans la grâce de Dieu, à aller vers le Christ. Le Christ renvoyant lui-même chacun à Dieu et à chercher sa propre vocation auprès de son prochain. Et effectivement, l’église a fait un inestimable travail en ce domaine, puisque nous avons effectivement reçu l’Evangile 2000 après, que nous avons des trésors de pensées en débat, mais aussi de témoins lumineux (même si rien de cela n’est parfait, bien sûr). L’église est là pour susciter un questionnement qui puisse libérer les personnes des idées reçues. C’est ce que fait Jésus avec ses paraboles étranges et ses paroles choc. Il apporte, suscite un questionnement parmi les personnes de la foule. Ses disciples s’insurgent : mais pourquoi est-ce que tu n’es pas plus clair? Ils veulent un catéchisme de choses à penser et un nouveau code moral à appliquer. Mais Jésus préfère, comme Socrate, faire en sorte que la personne puisse accoucher d’une version plus aboutie d’elle-même. Quand l’église se mêle de fixer une « confession de foi » imposée, quand elle donne aux fidèles des réponses aux questions politiques ou morales, elle empêche les personnes de réfléchir et de prier, de discerner par elles-mêmes. C’est nocif pour leur développement. Si l’on pense qu’il y a une vraie question, le rôle de l’église est de nourrir un juste questionnement, de susciter une réflexion : cela consiste à se placer à un autre niveau que celui de la leçon de morale ou de théologie. Il s’agit d’apprendre aux membres de l’église (y compris à ses « responsables ») à lire, à interpréter, à observer, à s’interroger, à débattre en s’écoutant et en se respectant (même si l’on n’est pas d’accord avec l’autre). Ensuite, la décision ne peut pas être captée par un groupe d’experts se prenant pour le Christ, et même au dessus de lui. La décision n’appartient pas non plus à une majorité (c’est comme cela que le Christ a été condamné par les responsables religieux de l’époque, ni pire ni meilleurs que ceux d’aujourd’hui).

Avec joie d’en discuter.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

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6 Commentaires

  1. Pascale dit :

    N’étant pas une spécialiste du discours construit, je fais juste quelques remarques.
    Tout d’abord à propos de l’illustration choisie : géniale ! D’une part c’est fou ce que quelques traits de crayon plutôt sommaires peuvent être expressifs et d’autre part, mine de rien, le dessin annonce déjà la teneur du propos qu’on va trouver dans la réponse.
    En ce qui concerne les prises de position des uns et des autres au cours de l’histoire, je pense qu’il faut être très prudent car il est difficile de se plonger dans un contexte passé sans le déformer avec nos yeux actuels. Sur la montée du nazisme (et plus largement à propos de l’attitude du chrétien face au pouvoir politique), j’ai lu il y a quelques temps un article intéressant d’André Gounelle paru dans la Revue d’histoire et de philosophie religieuses en 1994 et intitulé « Pour ou contre Hitler ? Le débat entre Hirsch et Tillich en 1934 » (il se trouve facilement en ligne).
    Pour les prises de position actuelles de l’église il faut clairement distinguer l’église catholique du reste. Le pape, en tant que chef spirituel d’une institution, se doit de prendre des positions et celles-ci seront ensuite nécessairement relayées par les médias. Et j’avoue que j’apprécie parfois d’entendre ses propos au milieu du discours ambiant, j’y trouve une réelle utilité. Pour les autres églises, la problématique se situe davantage au niveau local, au niveau de la paroisse et du pasteur. Personnellement je trouve qu’il est bon que le pasteur puisse exprimer et surtout argumenter des prises de position, ne serait-ce que pour lui-même, à lui d’être capable de le faire dans le respect des autres opinions (c’est bien ce qui est parfois fait ici, non ? Si je dis parfois c’est qu’il arrive que le propos soit assez neutre et d’autres fois plutôt tranché) et sans que ce soit pris pour des consignes. Si on veut aider à développer une réflexion personnelle, cela se fait aussi par l’exemple ; on suscite souvent davantage le débat en disant « Moi je pense cela et toi ? » qu’en disant « Tu penses quoi de … ? ». Ensuite, c’est à nous d’être suffisamment adultes pour savoir ce que nous en ferons. Si on prend la parole du pasteur comme une parole d’évangile, c’est chez nous qu’il y a un problème. Evidemment je dis tout cela dans un contexte où il est permis de s’exprimer librement. Dans une dictature c’est surtout une question de courage et là, c’est une tout autre histoire.

    1. Marc Pernot dit :

      Grand merci pour cette intéressante et fine contribution.
      Entendre le pape appelé à la paix, à l’accueil des migrants… c’est génial. En même temps, j’ai des réserves, personnellement :

      • C’est tellement attendu, convenu.
      • C’est souvent dans finesse ni nuances,un idéalisme déconnecté des difficultés présentes.
      • Donner des leçons de paix et d’accueil aux autres, c’est assez facile, on peut culpabiliser ainsi joyeusement la population (d’où le petit dessin). Mais avant de faire cela, ce serait pas mal de mettre ses propres affaires en ordre. L’institution représentée par le pape continue d’excommunier les protestants pour quelques détails de théologie (par rapport au Christ que nous avons en commun). Et on culpabilise les fidèles de ne pas prendre une famille de migrants dans leur salle à manger alors que rien que dans le palais du Vatican et l’immobilier de son institution le pape pourrait en faire dormir des dizaines de milliers ?
  2. Maignan Marie dit :

    Merci de poser les bonnes questions.
    Le Dieu de Jésus-Christ n’humilie jamais l’être humain, qu’Il a créé à son image.
    Or l’Église continue à culpabiliser les citoyens. Une femme mangeant un fruit défendu aurait damné l’humanité, mis en détresse, en danger les êtres humains … Des citoyens sont considérés même enchaînés par un démon, par des forces du Mal, par Satan le bouc émissaire . Alors tous ont besoin de sacrifices, d’exorcismes, de l’Église triomphante pour le salut éternel…
    Au tournant du IIIe siècle, l’Église chrétienne, encore indivise, a adopté une théologie du sacrifice et de la rédemption, une Église hiérarchique et un corps de prêtres, un ritualisme eucharistique, des éléments étrangers aux sources scripturaires… ce comportement est encore la source de divisions entre les Églises.
    « La prétention du christianisme à être “religion de salut” est souvent comprise comme si la religion mettait le salut dans la pratique du culte et la croyance aux dogmes… ». Joseph Moingt, jésuite, L’Esprit du christianisme : religion, révélation et salut, Paris, Temps Présent Editions, 2018, 282 p.
    Ces paroles de rachat, de sauvetage mal comprises, « Le Christ Sauveur », « hors de l’Eglise pas de salut » empoisonnent encore l’aujourd’hui la société occidentale. La religion est devenue privée et la société avec ses lois laïcque. L’Église est
    en train de perdre pouvoir et autorité dans ces idées saugrenues de rachat ..

  3. Anne dit :

    En phase….mais ce n’est de loin pas la pensée majoritaire😉

  4. André dit :

    Vu de ma chaise…
    Le rôle des eglises, quelles que soit les dénominations, n’est pas de dire pour qui voter, ou qui est le bon, ni qui est le méchant.
    les eglises n’ont pas a avoir d’objectifs politques.
    Je crois que leur rôle, est d’enseigner des valeurs essentielles et fondamentales, comme l’amour du prochain et de soi même, ainsi que de donner des outils de discernement.
    Pour le reste c’est à l’Esprit de venir au secours du croyant pour faire les choix qui lui conviennent le mieux, fussent-ils mauvais aux yeux des autres. (Rappelons nous que Jesus a fini sur la croix a cause justement de ses « mauvais choix » 🙂
    Et n’oublions pas que le fils du charpentier parmi ces valeurs nous invite a ne pas juger, de crainte d’être nous même jugé a la même aune.
    Dieu seul sonde le coeur et les reins est-il écrit.
    Que l’esprit nous eclaire tous individuelement .
    Amen.

  5. Caroline dit :

    Merci cher Marc Pernot pour cet éclairage historique d’une part et théologique d’autre part sur les rapports entre Église et politique. Votre analyse contraste favorablement avec les injonctions qui circulent en ce moment. Merci de susciter ainsi humilité et respect dans nos échanges en paroisses plutôt qu’une prise de position clivante et péremptoire.

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