08 février 2024

Un enfant commence à apprendre à lire la Bible - Photo de Priscilla Du Preez sur https://unsplash.com/fr/photos/garcon-touchant-la-page-du-livre--mCXEsLd2sU
Bible

Du risque de pinaillage dans l’étude d’un texte biblique, et du risque d’une lecture toute-contemplative ?

Par : pasteur Marc Pernot

Question posée :

Bonjour M. le pasteur,
J’étudie actuellement les textes bibliques avec une joie immense, dans le cadre d’une reprise d’études en théologie. Cependant, il me vient parfois à l’esprit, lorsque je travaille sur l’exégèse d’un texte précis, que l’on frôle allègrement la frontière avec le pinaillage. Par exemple, certains auteurs sont ainsi capables de disserter plusieurs pages sur le choix en grec d’origine du mot « qui » plutôt que « quiconque » (Luc 12,10), et d’en tirer d’interminables interprétations, qui me renvoient un peu, parfois, à la lycéenne que j’étais devant son prof de littérature capable de parler une heure durant du choix de Zola de commencer une phrase par un adverbe. Je me pose alors la question : lorsque l’on étudie un texte biblique, n’avons nous pas tendance au pinaillage? A voir du sens dans chaque mot, là où parfois peut-être l’esthétique ou l’usage a primé sur l’emploi d’une expression? Sans rester dans le « tout contemplatif », comment ne pas tomber dans le travers opposé, à savoir la sur-analyse?

Réponse d’un pasteur :

Bonjour

Bravo ! Pour votre passion et pour vos réserves.

L’exégèse des textes bibliques

Je suis tout à fait du même avis que vous, il faut savoir jusqu’où ne pas pousser le bouchon trop loin, cela dépend un peu de chaque personne. On peut tout à fait écrire 12 thèses de doctorat sur la première lettre du livre de la Genèse ou du prologue de Jean. Je pense aussi que c’est un peu, beaucoup, exagéré, voire ridicule.

Cela dit, le texte biblique a été écrit pour ses lecteurs, pour leur donner du grain à moudre, pour leur donner l’occasion de se poser des questions, de chercher. Ces textes sont faits pour entrer en débat avec bien d’autres textes. Ce sont donc à la base des textes qui ne sont pas simples, qui sont écrits dans des milieux qui aiment réfléchir et débattre entre de multiples interprétations. Ensuite, la langue hébraïque s’y prête, avec ces mots dont les racines ont souvent de multiples sens. Les évangiles sont particuliers, avec uen écriture très dense et très travaillée. Ce n’est pas juste un récit jeté là par un auteur en huit jours, ce sont des œuvres d’art comme un œuf de Fabergé, jusque dans les détails.

Donc déjà à la base ces textes sont faits pour être riches de multiples sens. En plus, ces textes sont comme des poèmes : le sens est une chose, au delà de cela, ce qui importe est l’expérience de lecture, ce que cela suscite chez les lecteurs. C’est fait pour. L’importance n’est pas seulement dans le message mais le lecteur est appelé à contribuer. C’est souvent explicitement le cas, par exemple dans les évangiles quand un personnage est anonyme : c’est la place du lecteur qui, par exemple, est invité à être ce disciple non nommé qui chemine vers Emmaüs (Luc 24). Ou quand la fin du récit n’est pas racontée, par exemple à la fin de la parabole du fils prodigue quand on ne sait pas ce que décidera le fils aîné : d’entrer ou de ne pas entrer faire la fête : c’est encore la place du lecteur qui est invité à écrire la suite avec sa propre vie.

L’analyse des textes et la lecture priante

Je trouve que vous avez tout à fait raison de confronter une lecture qui coupe les cheveux en quatre et une lecture contemplative, je dirais même une lecture priante. Ce sont deux gestes complémentaires, qui se nourrissent et se corrigent l’un l’autre.

  • Le premier est effectivement de décortiquer le texte : le lecteur se place au dessus du texte, le replace dans le contexte, fait des hypothèses d’histoire de la rédaction de ce texte, examine les variantes qui existent dans les différents manuscrits, etc. C’est un travail à proprement parler scientifique.
  • Avec le second geste, le lecteur se place sous le texte, se laisse toucher, se laisse déplacer : le lecteur lit sa propre vie en écoutant le texte qui agit comem un révélateur. C’est une lecture priante où nous comptons sur l’Esprit pour nous inspirer et nous donner le courage de nous convertir à cette occasion, de recevoir la Parole avec un P majuscule que Dieu espère souffler au fond de notre conscience, de notre cœur, de nos tripes.

La première lecture seul serait desséchante, sans autre intérêt que le plaisir de chercher, comme une grille de sudoku.
La seconde lecture seule risque de nous embarquer dans n’importe quel rêves, délires,ou fantasmes, dans l’idéologie ou des émotions du moment.

Mais l’une corrigeant l’autre, nourrissant l’autre, c’est, je pense génial : un travail d’équipe entre Dieu et nous-même. C’est pourquoi il me semble très utile de proposer en paroisse une formation à l’étude des textes de la Bible, au « pinaillage », aux outils d’exégèse, afin que chaque personne qui le désire puisse sentir la profondeur de ces textes. Quant à la lecture priante, il est vrai que l’on peut la faire en groupe de personnes qui se connaissent boen, mais l’essentiel reste la lecture intime, personnelle, quand la personne est cœur à cœur avec son Dieu.

L’exégèse en vue d’une meilleure appropriation des textes

Les travaux qui vous sont proposés sont très utiles, il est essentiel au moins de savoir que cela existe, cela permet de déployer nos antennes, notre sensibilité à la lecture. Par exemple ce débat sur « qui » ou « quiconque » que vous citez, cela me semble très intéressant. Car une lecture traditionnelle est très simpliste quand elle suit cette idée d’une qualification des personnes de juste ou d’injuste, de bon ou de méchant, de fidèle ou d’infidèle, ,c’est ce que laisse penser le « quiconque ». Or aucune personne réelle n’est à 100% quoi que ce soit, et donc ce genre de texte propose une typologie, parle de composantes de l’étre de chaque personne en qui il existe à la fois du juste et de l’injuste,une part de bonté et de méchanceté, une par de foi et de rejet ou d’oubli de Dieu… Que le texte lui-même, au niveau de la sémantique, ouvre à ce genre de lecture est intéressant et ouvre à une lecture plus profonde, et prépare à une lecture priante où nous nous reconnaîtrons plus facilement dans chacun des personnages mis en scène dans le récit ou dans l’enseignement. Il suffit peut-être d’avoir croisé ce genre de discussion sur la sémantique de Luc 12:10 pour attraper ce geste.

Donc oui, bien d’accord avec vous : de l’analyse des textes, oui, mais sans tomber dans se noyer dans les abîmes d’une exégèse desséchante, de la lecture contemplative et priante, sans se perdre dans les fumées d’un pur sentimentalisme…

Que Dieu nous soit en aide.
Il nous bénit et nous accompagne

par : pasteur Marc Pernot

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Un commentaire

  1. Pascale dit :

    Une lecture priante est à peu près accessible à tout le monde, pour peu qu’on se sente autorisé à le faire et un peu libéré des idées toutes faites. Par contre l’exégèse dépend davantage des situations et des possibilités de chacun. Il me paraît alors important que parmi ceux qui ont quelques connaissances, même modestes, même celle qu’on a simplement reçues en écoutant une étude biblique, il en y en ait un grand nombre qui se sentent responsables de partager cette connaissance de la façon la plus large et la plus honnête possible. Car le savoir peut si facilement être source de manipulations, ce qui a été particulièrement le cas lorsque le commun des mortels n’avait pas même accès au texte biblique.
    Par ailleurs si on veut des bons exemples qui mêlent une lecture priante avec une recherche approfondie, on peut lire les prédications de Marc. Du moins c’est ainsi que je les ressens.

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