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Ethique

Comment faire pour aimer malgré l’ingratitude et la méchanceté ? Doit-on toujours se comporter avec amour?

Par : pasteur Marc Pernot

canard avec des cannetons - Image par Jessica Hathcock de Pixabay

Question posée :

Bonsoir,

Cela fait environ deux ans que je me suis réellement approché de l’église et que j’avance en apprenant jour après jour.

Avec le temps je me suis rendu compte d’une difficulté qui revient toujours et j’aimerais vous en parler. « Aime ton prochain », oui, le chrétien a cette image d’humain parfait qui aime et accepte tout car tout vient/passe par Dieu n’est-ce pas.

Je dois avouer que je n’arrive pas à aimer et accepter les hommes et la société de manière général, j’ai même tendance à juger.

Je me rassure en pensant que je ne suis ni Dieu ni Jesus et peut-être eux-mêmes jugent-ils parfois.

J’ai tellement d’amour et de bienveillant à offrir mais je suis si triste d’être trop souvent entourée de personnes qui me donnent envie de reprendre mon amour et ma bienveillance pour moi tant je pense qu’il ne le mérite pas.

Comment faire pour ne pas juger? Comment faire pour aller au-delà de l’ingratitude des uns et de la méchanceté des autres? Doit-on toujours se comporter avec amour?

Je vous souhaite un bon début de semaine et me réjouis de vous lire.

Bien à vous.

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Votre réflexion est vraiment excellente, pleine de bonne volonté, de sincérité et d’humilité.
Cela mérite bien une réponse un petit peu développée, je m’en excuse à l’avance, mais vous touchez là tellement l’essentiel de la base de la vie…

Bien souvent, Jésus exprime sa pensée de façon extrêmement radicale, infinie. Par exemple quand il dit « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens: Tu ne tueras point; celui qui tuera est passible de jugement. Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère est passible de jugement. » (Matthieu 5:21-22). Cela peut paraître étrange car il lui arrive à lui-même, Jésus, de se mettre en colère contre les « scribes et pharisiens » qu’il traite de tous les noms (même de « sépulcre blanchi » ce qui est digne du capitaine Haddock), ou quand il s’indigne que le temple de Jérusalem soit devenu comme « une caverne de voleurs » au lieu d’être une « maison de prière ».

Mais c’est précisément ce genre de commandements infinis qui permet à la fois à Jésus :

  • de nous proposer un idéal (ce serait bien d’être d’une parfaite mansuétude),
  • sans être culpabilisant (personne ne peut nous en vouloir de ne pas être parfait comme Dieu est parfait).

Le tout étant à entendre précisément dans le cadre de la grâce infinie de Dieu, manifeste en particulier par le respect et même l’attention soutenue qu’avait Jésus pour les pécheurs (que nous somme tous, bien entendu). Ce commandement exagéré veut dire que nous sommes tous parfois en colère, et qu’il serait bon que nous arrivions à l’être un petit peu moins, qu’il serait pas mal d’espérer dominer un peu notre colère. Mais comment faire ? par définition la colère est quelque chose qui fait partie de nous et qui nous domine. Sur le fond de dl’Evangile du Christ, nous comprenons que nous pouvons compter sur Dieu pour nous aider à nous soigner, et progressivement à nous libérer.

C’est le premier point, je pense. Le second est qu’à côté de ces commandements exprimés de façon ultra radicale par Jésus, il s’exprime avec bien des paraboles agricoles, par exemple avec une graine qui pousse et devient un arbre, il y a ainsi une notion de progressivité, de patience que sait avoir l’agriculteur. Cela nous invite à être patient avec nous même, comme Dieu est patient envers nous : nous sommes au mieux une jeune pousse, qui va encore pousser, nous ne sommes pas encore un grand grand chêne, c’est normal. Cela nous invite aussi à voir la réalité en demi-teintes et en progressivité. En particulier dans les personnes que nous rencontrons, elles sont merveilleuses et aussi dangereuses, elles sont sources de bénédictions et de méchancetés. Toutes, bien entendu, à des degrés divers et de façons plus ou moins directes. Comment aimer dans ces conditions ? Et comment entendre ce commandement d’aimer ?

D’abord, il me semble important de remarquer que ce qui nous est proposé (par jésus, citant la Bible Hébraïque) c’est « aime ton prochain comme toi-même » (Marc 12:29-31). Il faut donc aussi, et sans doute d’abord s’aimer soi-même. Et se protéger, car effectivement, si nous nous laissons massacrer par la méchanceté de l’autre sous prétexte de l’aider, personne ne sera avancé, et finalement ce sera le mal qui aura triomphé.

Ensuite, qu’est-ce que veut dire aimer la personne en face de nous qui est donc toujours en partie merveilleuse et en partie nocive ? Ce n’est pas ignorer cette méchanceté, ce n’est pas l’aimer non plus, c’est espérer pour cette personne et pour le monde que cette personne évolue vers un peu plus de bienfaisance, qu’elle soit un peu pacifiée, que le meilleur en elle puisse s’épanouir et sa méchanceté puisse s’orienter différemment. C’est presque impossible, évidemment, , il faudrait être Dieu, et même lui a bien du mal à favoriser notre épanouissement en une bonne personne rayonnante de sa propre bonne créativité. Mais néanmoins, je pense que cela vaut le coup d’essayer quelques petits gestes qui vont dans le bon sens, en soi-même et pour une ou quelque personnes, que nous discernons,

Dans un sens, il est donc normal et sain de ne pas être naïf face à une personne réelle, oui, elle a une part qui n’est pas bonne, elle a même sans doute une part mauvaise. Comment faire ? Comment l’aimer ? Vous avez raison, nous ne sommes ni Dieu ni Jésus pour aimer tout le monde parfaitement. Nous nous aimons qui nous pouvons, comme nous pouvons, de temps en temps un peu. Personne ne peut nous en vouloir de ne pas être parfait comme notre Père est parfait ! C’est la conclusion que Jésus donne à sa prédication incroyable recommandant d’aimer nos ennemis. (Matthieu 5:43-48), peut-être la plus subversive de toutes ses prédications, à la fois pour sa théologie (de l’amour radical de Dieu, car lui, il aime ainsi), et pour l’éthique que cela nous propose. Là aussi, c’est un idéal inatteignable, et Jésus assume. Oui, c’est impossible, et alors ? Alors deux choses : même si nous ne le faisons pas, Dieu le comprendra et nous aimera quand même. Et pour y arriver un peu, le « truc » est de se laisser engendrer, enfanter par Dieu.

Si l’on écoute cette théologie et cette éthique géniale de Jésus, celle d’aimer son ennemi, celui qui « mérite » d’être aimé, c’est celui qui n’est pas aimable, comme la personne qui « mérite » d’être accueillie en premier aux urgences de l’hôpital c’est la personne la plus malade, la plus contagieuse, ,afin qu’elle se porte mieux elle même, et aussi qu’elle empoisonne un peu moins le mode autour d’elle. C’est d’ailleurs comme cela que Jésus a vécu (révélant ainsi qui est Dieu non seulement en parole mais aussi en actes). Et c’est ce que Jésus explique dans la parabole essentielle qu’est la brebis perdue (Luc 15:1-7). Cela parait bizarre, contre intuitif comme idée, et pourtant, c’est la base de la base pour qu’un couple ou qu’une paire d’amis puissent rester unis, car alors quand un des deux se porte moins bien l’autre va l’aimer d’autant plus, alors que la logique instinctive invite à rejeter celui qui nous est pénible, ce qui fait que notre réaction a tendance à empirer tout début de difficulté. Et quand la personne est géniale, douce, bienfaisante, aimante ? Tant mieux, recevons alors avec gratitude ce qu’elle offre, néanmoins elle a moins besoin d’aide pour avancer.

D’ailleurs :

  • aimer, ici, ce n’est pas nécessairement avoir de la sympathie, ni de l’affection, ni de l’amour ou de l’amitié (on a le droit aussi, bien sûr, mais ce n’est pas la question). « Aimer », ici, c’est espérer du bien pour la personne, c’est avoir envie d’essayer de faire ce que l’on peut pour l’aider à avancer, à donner le meilleur d’elle-même. Aimer, c’est donner un peu de soi-même, alors, et c’est vrai qu’il arrive que cela nous coûte.
  • Et puis, nous n’aimons jamais à mil pourcents comme Dieu peut le faire. Nous, quand nous aimons un peu (en ce sens, de chercher à élever l’autre), c’est déjà extraordinaire. Mieux vaut aimer à 20% qu’à 19%, et c’est mieux que d’être totalement indifférent, mieux que d’avoir en horreur une personne.
  • Et dans le « Tu aimeras ton prochain », il s’agit effectivement d’aimer quelque sept milliards de personnes, sans compter les générations futures, les précédentes, et aussi, je pense, la création entière. Effectivement, par définition même, le « prochain » dans la Bible hébraïque que cite ici Jésus, « le prochain » est celui qui a le même « berger » que moi (c’est la même racine en hébreu). Comme nous pensons qu’il y a un seul Dieu, l’Eternel, il est mon berger et le berger de la création tout entière. Comment faire alors ? A chacune et chacun de trouver sa vocation personnelle, avec une ou deux personnes une fois dans notre vie ? peut-être telle personne que je penserais m’être plus particulièrement confiée, en telle circonstance, ou pour un certain temps, ou pour la vie entière ? C’est à chacun de voir dans sa propre conscience, avec l’aide de Dieu, avec aussi son pardon de ne pas être Dieu capable de cet amour universel et inconditionnel.

Nous ne « devons » donc pas aimer (au sens de ce terme dans l’évangile), mais qu’est-ce que ça fait du bien à tout le monde quand on a pu vivre un geste ayant cette dimension, soit que nous le recevions soit que nous le donnions. Dans tout les cas c’est bien, et cela mérite de nous en souvenir le soir de notre journée, par exemple, dans la louange, dans la gratitude, cela nous permet de l’intégrer dans les fibres de notre être, de notre cœur, de notre cerveau, de nos tripes. .

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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