à quoi sert-on ? Pourquoi vit-on ? Ma vie en particulier sert-elle à quelque chose ? et si je n’avais pas existé ?
Question posée :
Monsieur,
Tout d’abord merci pour votre site et vos réponses toujours très intéressantes aux questions !
Je vous contacte aujourd’hui à propos d’une interrogation un peu difficile : à quoi sert-on ? Pourquoi vit-on ? Ma vie en particulier sert-elle à quelque chose ? Au fond… est-ce que cela aurait vraiment changé quelque chose si je n’avais pas existé ?
Ce sont des questionnements récurrents chez moi depuis mon adolescence, et qui me font souvent beaucoup souffrir. Ne trouvant de réponses nulle part, j’ai commencé à m’intéresser récemment à la religion (que je ne connaissais pas du tout avant, provenant d’une famille athée pour qui la vie n’a naturellement pas de sens et cela ne pose pas de problème), et je dois dire que cela m’a considérablement aidée. J’y ai trouvé un soutien véritable, un support inespéré et chaleureux !
Cependant, les questions sont encore là et parfois rejaillissent douloureusement. En fait, je n’arrive pas à trouver un sens à mon existence : j’ai sans cesse le sentiment que si je n’avais pas existé, quelqu’un autre aurait pris ma place (ou même personne) et ça aurait été ni mieux ni moins bien, juste différent. J’ai du mal à concevoir l’idée selon laquelle Dieu m’aimerait MOI en particulier, pour ce que je suis, et parce que je suis moi. Je n’arrive pas vraiment à faire le lien entre Dieu et notre existence sur Terre. J’ai souvent entendu que Dieu nous a créé car il nous aime. Mais… pourquoi ? Se sent-Il seul ? Quel intérêt pour Lui ? Et pourquoi Moi plutôt qu’un autre ? Aurions-nous chacun une « mission » en particulier à accomplir (au sens d’un projet de Dieu, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel) ? Peut-on considérer que Dieu ait prévu un fil conducteur dans nos vies (en ce cas, j’ai du mal à le ressentir, c’est peut-être l’origine de ma souffrance) ?
J’entends aussi dire que nous vivons aujourd’hui pour ce qu’il y a après notre mort. Mais même si j’espère qu’il y aura quelque chose après ma mort, cela reste une question très ouverte pour moi, je ne suis pas absolument sûre d’y croire. Donc ce n’est que moyennement réconfortant !
J’essaie de m’accrocher aux belles choses de la vie, aux relations avec ceux que j’aime. C’est un puissant moteur de motivation… mais au fond, n’est-ce pas une fuite nécessaire et même vitale pour nous tous face à ce sentiment de perte de sens ? Comment se sentir « soutenu » dans le fait qu’on existe et que l’on a sa place dans le monde, malgré l’apparente futilité de la vie et du quotidien, et plus encore dans les moments difficiles ?
Merci très sincèrement,
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Bravo pour votre riche questionnement, profond et vrai.
En particulier cette première question « à quoi sert-on ? » est excellente. Se la poser est une excellente démarche.
Nous ne sommes pas un moulin à café pour devoir servir à quelque chose. Et encore, même un moulin à café peut être gardé et aimé même s’il ne « sert plus », juste parce qu’ile st beau, ou parce que ce moulin à café nous vient de notre grand-mère. Notre personne est ainsi, elle a, je pense, une important sans que le fait de servir à quelque chose soit déterminant pour cela. Sinon cela veut dire que les handicapés, les démunis dans un coin perdu, les personnes âgées, les chômeurs de longue durée, les artisans d’un métier perdu… peuvent directement se voir signifié qu’il ne leur est plus reconnue aucune dignité, ni valeur, ni même d’humanité. Ce serait monstrueux, car c’est absolument faux et cela doit rester faux, il y va de notre sens même de l’humain. Et même du sens de ce qui est beau, juste et vrai. Un tableau de Matisse, il ne sert à rien, dans un sens, s’il disparaissait la terre continuerait à tourner demain. Bien des fleurs, et des animaux ne servent à rien, une rose dans une steppe perdue, un oiseaux dans la toundra, un renard du désert, ne « servent à rien », si l’on en reste là ? Et Et pourtant, nous sommes au moins comme une de ces petites merveilles, notre simple existence vivante a grand prix.
Notre vie n’a donc pas, a priori, de sens ni d’utilité. Elle n’a pas besoin d’en avoir un pour valoir un prix infini. Une fois cela posé, la question se pose à nous d’une autre façon, bien plus belle et créative, qu’est-ce que je pourrais faire qui aurait du sens, se poser cette question comme un écrivain devant sa page blanche, pour commencer à ajouter de l’encre sur le papier, ou comme un sculpteur devant son bloc de marbre, commençant à dépouiller la matière brute pour se concentrer sur l’essentiel qu’il a en tête et qui est comme déjà présent dans la matière brute, mais comme une possibilité parmi une infinité d’autres, chaque coup de burin, éliminant des possibles pour en dégager un qui est propre à l’artiste.
Et du coup les actes de notre vie, ne sont plus une nécessité subie, comme ce que subit le pauvre moulin à café commandé sur Amazon pour servir à moudre du café, servilement, jusqu’à ce qu’il tombe malicieusement en panne deux mois après sa garantie. Quand notre dignité est donnée a priori, alors, notre action a un prix, un vrai sens, c’est en plus, par grâce, pour la beauté du geste, même du petit geste. Celui d’une pâquerette déployant ses minuscules pétales. C’est déjà cela, et cela participe à la beauté du monde, même si elle n’en sait rien et s’en fiche royalement. Sauf qu’en en prenant conscience, là encore, le geste devient offrande, hymne à la vie. Même si cela ne change pas la face du monde, cela y participe.
Pour cela, cela demande se se connaître un peu, de connaître un peu le monde, de chercher ce que l’on pourrait faire. Non, Dieu n’a pas tout préparé à l’avance, il n’avait pas écrit à l’avance les cantates que Jean Sébastien Bach a écrites, Dieu l’a seulement encouragé, il a irrigué cette capacité. Bach aurait très bien pu l’exercer différemment, ou ne pas l’exercer si la vie avait tourné différemment, s’il ne s’était pas levé le matin, ni entraîné à faire de la musique. Il serait peut-être devenu savetier, et le monde aurait quand même tourné. Bien sûr. Un peu, un tout petit peu différemment, moins bien. Ni plus ni moins pour chacun de nous. Notre existence même est un don unique pour le monde. A nous de voir ce que nous voulons apporter, comment, même modestement. Même un simple dialogue comme celui ci change un petit peu quelque chose au monde, il infléchit sa course. L’apôtre Paul a une image assez parlante et juste, celle d’un corps dont nous sommes chacun un membre, avec cette intéressante interpellation qui rejoint la vôtre « si l’oreille disait: Parce que je ne suis pas un oeil, je ne suis pas du corps ne serait-elle pas du corps pour cela? Si tout le corps était oeil, où serait l’ouïe? S’il était tout ouïe, où serait l’odorat? » (1 Corinthiens 12:16-17).
Cependant, cette image a une limite, c’est qu’une oreille a, a priori, une vocation assez précise (même si elle peut aussi se voir ajouter d’être un support pour les lunettes et un crochet pour les masques). Alors que nous, a priori, avons comme première mission de forger notre propre vocation. Et avons bien besoin de l’aide de Dieu pour cela, dans un dialogue, sans soumission à avoir.
Comme socle de base, je trouve que ce que vous proposez est tout à fait excellent : « s’accrocher aux belles choses de la vie, aux relations avec ceux que j’aime ». Je n’y vois pas une fuite, bien au contraire. C’est un point d’appui. Pour avancer, il est bon de prendre un bon point d’appui avec un pied, c’est ce qui permet ensuite de prendre un élan, prendre aussi le risque de soulever l’autre pied, ce qui effectivement suppose un léger déséquilibre. Un certain vertige. C’est là que l’Esprit, le souffle de Dieu, nous donne le courage et l’impulsion nécessaire, nous aide à discerner le temps juste pour ce pas, et où, comment le faire, et déjà envisager le pas suivant.
Comment se sentir soutenu, avoir ce sentiment de sa propre dignité, et de la merveille qu’est cette journée qui s’ouvre pour y inscrire notre vie ? Tout cela s’accueille, je pense. Cela se travaille aussi, au jour le jour. Dans la réflexion, dans l’observation de soi-même et du monde. Cela se travaille aussi dans la prière du soir. Je pense. Dans la louange et la gratitude devant Dieu. Cela peut venir comme d’un coup, dans une expérience de l’amour de Dieu. Cela peut aussi venir progressivement, comme un arbre pousse, insensiblement bais réellement et solidement.
En tout cas, Dieu vous bénit et vous accompagne fidèlement. Et se réjouit, et espère le moindre de vos petits pas, petit geste.
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
Réponse du visiteur :
Cher Monsieur,
Merci beaucoup pour votre mail qui me remet les idées en place… J’aime beaucoup les images que vous utilisez, je les trouve très parlantes. Je me rends compte que j’attache trop d’importance à cette notion « d’utilité » justement, au détriment de la valeur intrinsèque de la vie (et sa beauté…). D’autant plus que je suis artiste moi-même et naturellement très sensible à la beauté de tout un tas de choses « inutiles » (avec de très gros guillemets !!). J’ai trop tendance à voir l’oeuvre artistique comme bien au-delà de l’Homme (comme détachée de l’Homme et justement plus proche de Dieu, peut-être), et donc l’homme, à côté, comme tout petit et complètement insignifiant, inutile… Mais après tout, l’homme a aussi sa part de responsabilité dans l’oeuvre d’art. Et effectivement si nous nous considérons de la même manière que nous considérerions une oeuvre artistique ou un objet qui nous est cher pour des raisons affectives (comme le moulin à café de votre exemple), ça change la donne. La focale est ailleurs (et bien au-delà) de l’idée de l’utilité.
En tout cas, votre réponse a vraiment libéré quelque chose dans ma réflexion et je vous en suis extrêmement reconnaissante !! Je l’ai lue à plusieurs reprises et je pense que je la lirai souvent encore pour rappel.
Je vous remercie et vous souhaite tout le meilleur,
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À la personne qui a posé la question
En tout cas, poser la question ici a été utile, non seulement pour vous, mais aussi pour toutes les personnes qui se trouveront enrichis par votre questionnement et par la réponse donnée !
On vit pour rien. La vie n’a aucun sens. On meurt comme des chiens pour parodier Franz Kafka dans le procès. La vie est absurde. Nous sommes pitoyables: naitre, souffrir et puis mourir.
Et au milieu de tout cela, quelques gestes d’une beauté inouïe.
Et parfois une étincelle d’un peu d’amour.
Dieu vous bénit et vous accompagne. Vous avez du prix.
Cher monsieur comment pouvez vous trouver la vie inutile alors que vous vous appelez Hamour. Il y a dans votre nom de l’amour, et je pense que vous en avez beaucoup à offrir et à recevoir.