Avent 23 – Avec Maurice Zundel : Une Mystique Réaliste et l’Art de la Prière

L’itinéraire spirituel de Maurice Zundel : entre foi et silence

Il a été éduqué à Neuchâtel en des temps où l’opposition entre catholiques et protestants était importante. La pratique catholique qu’il a connue dans son enfance lui est apparue comme assez sèche et morne. Une première rencontre va le faire avancer dans sa foi chrétienne, avec un camarade de classe protestant, ils abordent l’Évangile et en particulier le sermon sur la montagne (Matthieu 5), et les pensées de Pascal. Il se découvre ainsi une véritable passion, un enthousiasme, un feu intérieur.

À l’occasion de ses études au monastère d’Einsiedeln, après la force de la Parole, il découvre la richesse du silence et de la contemplation.

Va ensuite pour lui la formation théologique, cérébrale, abstraite, à mil lieues de la contemplation. Et pourtant son travail sur la Somme théologique de Thomas d’Aquin va lui devenir pour lui une source qu’il va chercher à adapter dans un catéchisme moderne dont je vous mets un extrait en dessous en ce qui concerne la prière.

La rencontre avec Saint François d’Assise et la mystique réaliste

La découverte, et même la rencontre avec saint François d’Assise, va être pour lui une expérience vive, loin de tout système, un approfondissement immense, cela va profondément ouvrir Maurice Zundel sur la mystique. Une « mystique réaliste », en effet :

La personne de saint François va contribuer à profondément renouveler sa lecture des Évangiles, une lecture beaucoup plus enracinée dans l’humain et la vie humaine. C’est pourquoi je vous ai mis ce second extrait où Maurice Zundel s’inspire de ce récit où Jésus se met à laver les pieds de ses disciples, afin d’illustrer que le maître se fait serviteur.

Extrait du catéchisme de Maurice Zundel sur la prière

– Qu’est-ce que la prière ?
C’est un cri d’amour, une conversation avec Dieu. Elle correspond au besoin que nous avons d’entrer en relation avec qui nous aimons.

– La prière renseigne-t-elle Dieu sur nos besoins ?
Non, il les connaît déjà mieux que nous.

– Change-t-elle la volonté de Dieu ?
La volonté de Dieu, parfaite, infinie, ne peut changer. La prière ne peut changer Dieu, mais elle veut changer l’homme pour l’ouvrir à Dieu. Nous prions pour soumettre notre volonté à la volonté de Dieu.

– Qu’est-ce que la volonté de Dieu sur nous ?
C’est notre bien, notre bonheur. « La volonté de Dieu, c’est votre sanctification. » (1 Th 4, 3).

– Dieu ne pourrait-il pas nous donner le bonheur sans prière ?.
Non, parce que notre bonheur est un rapport d’amour avec Dieu. Il n’y a pas de rapport d’amour sans amour mutuel, sans conversation : la prière est une conversation d’amour.

– La prière est un don que Dieu fait à l’homme ; c’est l’homme qu’elle honore, parce qu’elle le met sur un pied d’égalité avec Dieu. En faisant pour une part dépendre notre destin de nous-mêmes, de notre prière : « Approchons de Dieu à pas d’amour » (Saint Grégoire).

– En quoi consiste la prière ?
En tout ce en quoi, dans notre vie, l’amour peut entrer. Nous pouvons adhérer à tout l’univers, tout aimer, nous unir à tout, pourvu que Dieu soit le centre.
Il est excellent de tout demander, parce que cela signifie tout spiritualiser.Le bénédicité, par exemple, nous permet d’affirmer la liberté humaine, de sanctifier les repas et d’y voir un don de l’Amour plutôt qu’une exigence du corps.

– Quand faut-il prier ?
Toujours. Toute action ouverte sur Dieu est une prière.

– Faut-il prier le matin et le soir ?
Oui, il est nécessaire de réserver dans sa journée des moments pour ne penser qu’à Dieu.

– Comment faut-il prier ?
De la manière qui nous unit le mieux à Dieu et qu’il nous importe de choisir. Ce n’est pas toujours la même.

– Faut-il prononcer des paroles ? Réciter ?
La prière est d’abord le cri de l’esprit. Toute prière vocale – même les prières inspirées comme le Notre Père et le Je vous salue Marie – ne doit être que l’amorce et le sacrement de la prière intérieure faite de foi, d’espérance et d’amour.

Extrait du tome 3 des œuvres complètes de Maurice Zundel

Méditation sur l’Incarnation et l’Amour du prochain

… Cela semblerait tout naturel qu’un prophète, et le plus grand des prophètes, nous donne comme testament d’aimer Dieu. Un prophète est naturellement quelqu’un qui parle de Dieu, qui parle au nom de Dieu. Et notre Seigneur n’est pas seulement un prophète, le plus grand des prophètes, il est le Verbe, la Parole même, la Parole éternelle de Dieu et qui est Dieu.

Et cependant, la dernière consigne de notre Seigneur, ce n’est pas d’aimer Dieu, c’est d’aimer l’homme. Ce qui est tellement extraordinaire, tellement surprenant que cela tient du miracle. Il ne s’agit pas d’aimer dans l’abstrait un Dieu qui a finalement pris notre visage, un Dieu qui a toutes nos limites et qui est l’expression de nos options passionnelles. Il s’agit d’aimer l’homme, tout homme, chose difficile, où il est impossible de tricher parce que l’homme est plein de limites et qu’il n’est pas naturellement aimable.

Sans doute, quelques hommes peuvent susciter spontanément notre sympathie. Mais combien d’autres nous semblent repoussants ! Et cependant, ce sont eux qu’il faut aimer, comme Jésus les a aimés, les aime et les aimera éternellement.

Comment cela est-il possible ? Nous ne pouvons entendre cette parole qu’en y voyant une révélation du Christ lui-même. Car où est-il, ce Christ ? Comment l’atteindre ? Où est-il, ce Dieu vivant, incarné, ce Dieu qui est un événement continuel de l’histoire humaine ? Où est-il, sinon justement dans l’homme ?

L’Incarnation — qui est la communication faite à l’humanité de notre Seigneur de la substance du Verbe, c’est-à-dire de la personnalité même du Fils éternel de Dieu et de son infini dépouillement — n’est pas réservée à cette humanité de Jésus. Elle est faite pour être communiquée et doit atteindre tous les hommes. Ce sont tous les hommes qui doivent, en Jésus, accéder à la vie divine et devenir UN, un seul corps, une seule vie, une seule personne. Car, comme dit saint Paul aux Galates : « Désormais, il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni homme ni femme, ni esclave ni libre citoyen : vous êtes tous UN, une seule personne en Jésus-Christ. » (Ga 3:28)

Les hommes ne peuvent être hommes qu’à ce prix, car être homme authentiquement, c’est n’avoir plus de frontières, c’est être ouvert d’une manière illimitée, c’est être capable d’accueillir toute l’humanité, toute la création, tout l’univers dans un cœur qui ne connaît pas de frontières. Les hommes, même les plus proches : époux, parents, enfants ou amis, ne peuvent se trouver et s’atteindre à fond, se rejoindre dans leur racine, dans ce qu’ils ont de plus secret et de plus personnel, qu’à travers Dieu. Car Dieu est notre racine commune. C’est en Dieu que notre vie a son origine et son berceau. C’est dans le cœur de Dieu qu’elle jaillit à chaque instant. C’est en Dieu que nous atteignons notre véritable identité et c’est par là que nous pouvons réellement nous rencontrer les uns les autres, nous aimer en échangeant Dieu, nous aimer en respirant sa présence, nous aimer en nous communiquant les uns aux autres ce bien infini qu’est le Dieu vivant.

C’est pourquoi la dernière consigne de notre Seigneur, c’est justement de « nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés » (Jn 13,34)…

Maurice Zundel, Vie, mort, résurrection, éditions Anne Signier, 1995