Autres fêtes chrétiennes où l’on mange bien : épiphanie, chandeleur, jeûne genevois
L’Épiphanie ou Fête des Rois : origine et sens chrétien
L’Épiphanie a lieu le 6 janvier. Ce mot vient du grec et signifie « manifestation » ou « apparition soudaine ». Ainsi, ce terme signifie pour les Chrétiens la manifestation de Dieu aux Hommes, et c’est ce jour-là qu’était originellement fêtée l’incarnation du divin en Jésus, du divin dans le monde.
Au début des temps chrétiens, l’Épiphanie est la grande et unique fête chrétienne « de la manifestation du Christ dans le monde » et se célèbre le 6 janvier. Les Eglises d’Orient célébraient à cette date à la fois la Nativité, le baptême du Christ et les noces de Cana. Fêter Noël à la date du 25 décembre ne viendra que plus tard en Occident, dans la seconde moitié du 4ème siècle. Selon les historiens François Walter et Alain Cabantous, « il y aurait une tradition occidentale optant pour une naissance le 25 décembre et une tradition orientale pour le 6 janvier car l’épiphanie et bien à l’origine une fête de l’incarnation du Christ ». En Occident, le 6 janvier a donc perdu de son ampleur après le 4ème siècle « pour conserver uniquement le message symbolique qu’exprime la venue des Mages à la crèche ».
L’Epiphanie clôt le cycle dit « des douze jours » entre le 25 décembre et le 6 janvier, qui suit la période de l’Avent.
Le nom de « fête des Rois » se généralise au 19e siècle, en référence à l’arrivée des rois mages.
Les Rois Mages dans la Bible et la tradition chrétienne
Selon la tradition, Gaspard, Melchior et Balthasar, les trois rois Mages, arrivent ce jour-là auprès de Jésus dans la crèche pour célébrer sa naissance et apportent en cadeau de l’or, de la myrrhe et de l’encens. Que nous dit la Bible ? Les Mages n’apparaissent que dans un seul évangile, celui de Matthieu (chapitre 2, 1-12) :
“Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage. » A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître. « A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple. » Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait, et les envoya à Bethléem en disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant ; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage. » Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie. Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin. Après leur départ, voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Joseph se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, pour que s’accomplisse ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète : D’Egypte, j’ai appelé mon fils.”
Il ne sera plus fait mention ensuite de ces Mages, sur lesquels le texte est donc très vague. Ce n’est que quelques siècles plus tard que leur sera donnée leur dénomination traditionnelle.
La Galette des Rois : coutume et symbolique
En Suisse, en France et en Belgique, depuis le moyen âge a lieu la coutume de la « galette des rois » ou « couronne des rois » : une pâtisserie contenant une fève ou deux fèves. Chez vous aussi, le plus petit se cache sous la table pendant qu’un adulte coupe la couronne, puis la sert morceau par morceau, pendant qu’au fur et à mesure et à l’aveugle l’enfant sous la table crie le nom du convive auquel est destiné le morceau ? Deux fèves, deux convives proclamés roi et reine.
L’Épiphanie à Genève après la Réforme
Après la Réforme, à partir de 1550, toutes les fêtes sont abolies du calendrier genevois. Disparaît par conséquent aussi la fête des Rois. Elle est cependant réintroduite discrètement dans les cercles privés dès le dernier quart du 16ème siècle, bien que le Consistoire poursuive ceux qui s’y livrent. La pratique consistait alors généralement à cuire la galette des rois avec de véritables fèves, remplacées ensuite par des fèves en céramique ; on buvait à la santé de celui qui devenait roi des convives en consommant le morceau de galette comportant la fève.
De manière générale, ce dernier quart du 16e siècle voit l’étau disciplinaire se desserrer à Genève. Le contrôle exercé par le Consistoire sur la foi et les mœurs des fidèles s’estompe. La cité réformée commence à perdre certains des traits qui ont fait jusque-là son caractère particulier (et qui ont laissé tous les clichés et stéréotypes d’une Genève austère et puritaine encore en vigueur aujourd’hui, bien que la période « rouleau compresseur » sur la discipline ait en réalité duré seulement entre 1555 et 1570 environ). On le voit très bien avec la fête des Rois : En 1606, alors que Théodore de Bèze vient de disparaître, le tribunal ecclésiastique excommunie deux magistrats, coupables d’avoir célébré la fête des rois. Signe des temps, cette sanction est levée par le Conseil des Deux-Cents (sorte d’ancêtre du Grand Conseil) : le pouvoir civil s’impose ainsi comme autorité prédominante.
Références et pour en savoir plus :
- WALTER François, CABANTOUS Alain, Noël, une si longue histoire, Payot, 2016, pp. 18-19.
- GROSSE Christian, « Il doit y avoir trop grande rigueur par cy-devant » La discipline ecclésiastique à Genève à l’époque de Théodore de Bèze », in Théodore de Bèze (1519-1605) : actes du Colloque de Genève (septembre 2005), Irena Backus (dir.), Genève, Droz, 2007, pp. 55-68.
- ROGET Amédée, « Le gâteau des Rois. Episode de l’histoire ecclésiastique de Genève, 1606 », Etrennes genevoises, 2 (1878), pp. 61-86.
- GROSSE C., DUNANT GONZENBACH A., FORNEROD N., GROSS G., SOLFAROLI CAMILLOCCI D., VERNHES RAPPAZ S., Côté chaire, côté rue. L’impact de la Réforme sur la vie quotidienne à Genève (1517-1617), La Baconnière, Genève, 2018.
La Chandeleur : Présentation de Jésus au Temple et traditions
Ich habe genug. Les notes de la cantate de Jean-Sébastien Bach se déversent dans la cuisine depuis la stéréo du salon, remplissent l’air. Sur ces notes, les mots du vieux Siméon, il y a longtemps. On n’est alors plus dans cette cuisine à préparer de la pâte à crêpes pour la Chandeleur, on est à Jérusalem il y a deux mille ans.
« Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils amenèrent Jésus à Jérusalem pour le présenter au Seigneur –ainsi qu’il est écrit dans la loi du Seigneur : tout garçon premier né sera consacré au Seigneur- et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons. »
La symbolique biblique de Siméon et la lumière
On est à Jérusalem il y a deux mille ans. Là, Siméon. Il a cent douze ans, Siméon, homme juste et croyant qui attend la mort. Il lui avait été révélé qu’il ne la verrait pas avant d’avoir rencontré le Christ.
Ce jour-là, poussé par l’Esprit, il se rend au temple, où Marie et Joseph lui amènent Jésus. Le très vieil homme prend alors le bébé dans ses bras puis s’adresse à Dieu, « maintenant, Maître, c’est en paix comme tu l’as dit que tu renvoies ton serviteur, car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples ».
Ce récit, c’est celui de la Présentation de Jésus au temple, raconté par Luc dans son chapitre deux (2-32). Elle a lieu le 2 février, quarante jours après Noël, car les enfants devaient être présentés à Dieu quarante jours après leur naissance. C’est devenu la Chandeleur, célébrée semble-t-il sous sa forme chrétienne en Occident depuis 472, mais cette fête vient aussi de la nuit des temps, la fête païenne des lupercales en l’honneur des loups ou encore la fête de la fin de l’hibernation de l’ours. L’ours qui sortait de sa tanière ce jour-là pour voir si le temps était clément.
Quarante jours après Noël donc, Marie, Joseph et l’enfant se rendent au temple, où Siméon reçoit Jésus dans ses bras, le bénit et prononce ces belles paroles, « Maintenant, Souverain maître, tu peux laisser ton serviteur aller en paix, car mes yeux ont vu ton salut ».
Je suis comblé, dit Siméon. Ich habe genug. Jean-Sebastien Bach écrit cette cantate en 1727, le quatrième dimanche de l’épiphanie, qui tombe cette année-là un 2 février. Ich habe genug exprime Siméon, qui a vu Jésus et qui peut désormais mourir dans la joie. Siméon est serein. Schlummert ein, le deuxième aria, l’aria du sommeil, est comme une berceuse accompagnant le mourant. Endormez-vous, yeux fatigués. Pour Siméon, la fin de vie est paisible, le désordre est une chose du passé.
Siméon est arrivé à bon port. La cantate se termine, la cuisine devient paisible le temps d’un instant. Il ne reste plus qu’à confectionner les crêpes, qui rappellent peut-être le disque solaire, évoquant le retour du printemps. Ou peut-être aussi les doit-on à un ancien pape qui en faisait distribuer aux pèlerins qui arrivaient à Rome. Ou alors, c’est une réminiscence des gâteaux de blé offerts en offrande par les Vestale lors des Lupercales pour que la récolte suivante soit bonne.
C’est la Chandeleur. Mot qui dérive de chandelles, cierges bénits portés par les fidèles lors des processions. Depuis, on dit que toutes les bougies de la maison devraient être allumées à cette date. La Chandeleur, fête de la Présentation de Jésus au temple et de la lumière car l’hiver touche à sa fin. L’ours sent le printemps au bout de son museau. Profitons-en pour faire rayonner autour de nous la lumière des bougies et du soleil renaissant, en s’imprégnant des paroles du vieil homme, Ich habe genug, Siméon qui savait où était son port.
Pour en savoir plus:
François Walter, Hiver, histoire d’une saison, Paris, 2014.
Le Jeûne genevois : histoire et origines protestantes
Il y a des choses immuables. La tarte aux pruneaux du Jeûne genevois en fait partie, couper chaque moitié du fruit en deux avec trois générations au-dessus de la table de la cuisine. C’est ce qui reste de cette pratique qui vient de l’antiquité, jeûner pour des raisons médicales ou spirituelles, puis de la tradition biblique, jeûner en cas de guerre, de cataclysme naturel, de maladie, de deuil, par solidarité avec des répressions qui ont lieu ailleurs ou en cas d’épidémie. Peut-être qu’on devrait réellement jeûner, en fait. A défaut, on se raccroche aux pruneaux (je me répète, coupés en quatre), on profite de la chance qu’on a et on garde ces moments précieusement.
Il y des choses que l’on croyait immuables, mais à notre grande stupeur, non. Les pruneaux ont mûri trop tôt et, selon la Tribune du jour, Genève perd ses pruniers. Climat, économie. Mais bon, ce petit billet se destine plutôt à regarder très loin en arrière. En s’inspirant largement des textes cités en référence.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’un jeûne ?
Depuis l’Antiquité, le jeûne est pratiqué pour des raisons médicales ou spirituelles. Dans la tradition biblique, le jeûne est présent dès l’Ancien Testament. On jeûne en cas de guerre, de cataclysmes naturels, de maladies et épidémies et de deuil.
Et en Suisse ?
En Suisse, on jeûne depuis le 15e siècle. La Diète (assemblée des députés issus des cantons) organisait des journées de pénitence et d’actions de grâces en cas d’événement grave comme la peste, la guerre ou la famine, mais les cantons décidaient des modalités et de la forme de ces jeûnes.
Le jeûne à Genève
Le premier jeûne dont on trouve une trace dans les archives est célébré en octobre 1567 à l’occasion d’une répression contre les protestants de Lyon. Le procès-verbal de la Compagnie des pasteurs du 5 octobre 1567 indique qu’il est «signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance.»
Il y eut certainement des jeûnes antérieurs qui ont eu lieu dès les premiers temps de la Réforme, mais ils ne sont pas documentés. D’autres jeûnes sont proclamés par la suite, par exemple en signe de solidarité avec le massacre de la Saint-Barthélémy en 1572 ou lors des guerres contre la Savoie en 1589. Dès 1640, comme dans l’ensemble des cantons suisses réformés, le jeûne devient quasi annuel. Il s’agit d’un acte moral et religieux, un signe d’affliction et d’humilité face aux malheurs du monde.
Lorsque Genève est annexée à la France entre 1798 et 1813, le jeûne devient une fête patriotique et permet de marquer tant l’identité protestante que genevoise. Cette couleur patriotique du jeûne est maintenue à Genève, qui décidément ne fait jamais rien comme les autres et qui instaure un jeûne genevois à une autre date que celle du Jeûne fédéral institué en 1832 par l’ensemble des cantons suisses chaque troisième dimanche de septembre.
En effet, les protestants genevois ne sont pas d’accord avec cette décision fédérale œcuménique et en 1837, quelques pasteurs annoncent le rétablissement du Jeûne genevois le jeudi – seul jour de la semaine sans marché- qui suit le premier dimanche de septembre. Ces pasteurs célèbrent trois cultes à la Madeleine, à Saint-Gervais et à Saint-Pierre, puis sont censurés et l’un est même suspendu de prédication pour six mois.
Pour finir, en 1840, Genève instaure officiellement son propre Jeûne, accompagné d’un jour férié jusqu’en 1869. A partir de cette date, il devient moins institutionnel et commence à perdre sa signification religieuse.
Le 8 janvier 1966, le Grand Conseil modifie une loi et déclare férié le jour du Jeûne genevois à la place du 1er mai. Ainsi, Genève garde son jeûne genevois le jeudi suivant le premier dimanche de septembre.
La tarte aux pruneaux : une tradition culinaire du Jeûne
Comme l’écrit Claude Bonard, «telle est donc l’origine des jeûnes qui consistent à « offrir sa faim au profit d’une cause. Mais l’estomac ayant tout de même ses exigences, il fallait tout de même prendre quelques forces. » Et c’est là qu’intervient la désormais traditionnelle tarte aux pruneaux. Cuisinée la veille, elle permettait aux femmes et aux domestiques de participer au culte du jour (culte qui au 18e siècle commençait tôt le matin pour se terminer à quinze heures). Au départ, c’était la seule collation de la journée, puis de fil en aiguille elle est devenue le dessert d’un bon repas dont chaque famille a sa propre recette.
Une bonne tampougne au Salève
En triant il y a quelques années la bibliothèque de ma grand-mère, je suis tombée sur Le Livre de Blaise écrit par Philippe Monnier en 1904. Un livre que je détestais, car quelque part il y est écrit que «les filles, ça pleure tout le temps», phrase que nous répétait régulièrement ladite grand-mère pour nous reprocher la moindre larme qui menaçait de couler. Avant de le jeter par la fenêtre, je l’ai quand-même feuilleté et je me suis réconciliée avec ce texte et cette écriture genevoise savoureuse, au point de rire de bon coeur avec son protagoniste, le petit Cuendet, qui s’y exclame: « Le Jeûne, c’est un jour où on se paie une bonne tampougne au Salève » !
Pour aller plus loin:
- Claude BONARD, Les destins croisés de Genève et Lyon, 2019 (blog)
- Olivier FATIO, « Le jeûne genevois, réalité et mythe », in Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, 14, 1971, pp.391-425.
« Jeûne genevois, Jeûne fédéral: d’où vient la différence de date? », in Feuille d’Avis Officielle, Genève, 10 septembre 2008. - Jeûne, article Wikipedia.
- Dans le procès-verbal de la séance de la Compagnie des pasteurs du vendredi 5 octobre 1567 : « Au commencement d’octobre vindrent nouvelles de la prinse de Lion et des troubles de France recommenceant. Pourtant fust signifié le jeusne public, et toute l’Eglise exhortee a prieres extraordinaires et repentance. » CH AEG Cp Past R 2 f. 50v
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