20 septembre 2025

Des personnes en train de communion avec un bout de pain et une petite coupe de vin - Photo de Nico Smit sur https://unsplash.com/fr/photos/femme-en-hijab-blanc-tenant-la-main-des-personnes-9UW_8aVN8mA
Théologie

La Communion (cène, eucharistie) : mémoire, unité et différences théologiques, expérience spirituelle

Penchons-nous avec courage sur la question de la communion (ou sainte-cène ou eucharistie). C’est une question qui est profondément délicate, elle est malheureusement la source de toutes les divisions entre chrétiens alors qu’elle devrait bien au contraire être une source de communion entre nous tous.

La Cène : mémoire et unité voulue par Jésus

Les apôtres de Jésus, tous autour de la même table, ont régulièrement partagé le pain et le vin avec Jésus, et en particulier lors d’un dernier repas assez tragique qu’ils vont prendre ensemble quelques heures avant que Jésus soit arrêté. Ils étaient donc là, chacun avec sa sensibilité politique, théologique et spirituelle, chacun avec son rapport particulier avec cet homme qui les rassemblait, Jésus, chacun avec son espérance en lui. Il y avait là Pierre avec sa fougue, il y avait là Jean, si proche de Jésus, semble-t-il, il y avait là André, Jacques, Philippe, Thomas et d’autres disciples que nous connaissons moins, il y avait là des femmes proches de Jésus, et puis il y avait Judas et son geste tragique d’amener les autorités à se saisir de Jésus. Loin de l’exclure de sa table, Jésus lui donne même, de sa propre main, le pain à manger. Cela montre la grande ouverture de Jésus invitant à sa table.

Dans son testament spirituel (Jean 17), Jésus a manifesté de façon passionnée, dans une ardente prière, son espérance de nous voir, nous, ses disciples, unis. Non, pas semblables, mais unis. S’il manifeste cela, c’est bien qu’il y avait des divisions, même entre ses disciples les plus proches. Sa prière et sa table assument cela et travaillent à faire que leurs différences soient une richesse. Ils étaient donc tous là ce soir-là, rassemblés à table autour de Jésus. Quand pourrions-nous enfin, nous-mêmes, passionnés par Jésus-Christ, nous rassembler à la même table, sans faire obstacle à cette union entre nous voulue par le Christ ? Qu’est-ce qui fait obstacle ? Non pas Dieu, non, pas Jésus, mais il me semble que c’est la folie des hommes, et c’est si contraire à l’attitude de Jésus rassemblant ses disciples autour de la même table que cette attitude de rejet de l’autre au nom de la fidélité au Christ me semble être un oxymore.

Ce n’est pas rationnel mais cela s’explique à mon avis par le fait que le geste de la communion touche manifestement quelque chose de très profond, de viscéral dans la vie spirituelle de bien des chrétiens. Pas de tous, assurément : certains n’y sont pas particulièrement sensibles et c’est bien leur droit. Mais quand pour une personne, vivre la communion nourrit profondément sa vie spirituelle, cette personne peut avoir l’impression que quand un autre la vit différemment, cela remettrait en cause quelque chose d’essentiel dans sa propre vie. Cela ne devrait pas nécessairement, mais c’est compréhensible. Une personne qui se sent mise en danger sur un point essentiel pour elle peut avoir des réflexes de défense qui ne passent même plus ni par le cerveau, ni par le cœur.

La communion comme sacrement et signe visible de la grâce

Les différences de conception en ce qui concerne la communion sont à mon avis accessoires par rapport au fait de vivre avec ce rite quelque chose d’important dans notre foi en Christ, passant par notre corps. Sur cette réalité de foi, sur cette expérience vécue, je pense qu’il n’y a pas vraiment de différence entre les différentes branches du christianisme. Cela devrait quand même être l’essentiel. C’est ainsi que la communion est un sacrement aussi bien dans le catholicisme que dans toutes les branches du protestantisme. On dit que saint Augustin (Ve siècle) aurait défini la notion de « sacrement » comme un « signe visible d’une grâce invisible, institué pour notre sanctification ». Bon, Saint-Augustin n’a jamais dit cela (on ne prête qu’aux riches), mais au moins cette formulation est, je pense, un point de consensus assez généralisé entre chrétiens : il y a quelque chose de matériel, que l’on peut donc percevoir par nos sens, et qui renvoie à cette réalité spirituelle, fondamentale pour l’Évangile du Christ, qu’est la grâce de Dieu. Être appelé à prendre et à manger le pain, et/ou à boire dans la coupe est une façon de dire aux personnes présentes que la grâce de Dieu (son amour inconditionnel pour nous en tant que personne individuelle) nous est offerte en Christ. Que cette grâce offerte nous assemble (ou devrait nous assembler) en un corps. Prendre ces choses (le pain, le vin) et les ingérer est une façon de professer notre foi : de dire à Dieu « oui » pour ce don qu’est le Christ pour nous. Je pense que là-dessus, les Églises catholique, orthodoxe et protestante sont unies. Il y a le geste, la participation de notre corps, pas seulement de notre intellect. Et ce n’est pas négligeable. Car si notre cerveau n’est pas le moindre de nos organes en importance, nous ne sommes pas seulement un cerveau, nous ne sommes pas seulement un esprit : nous sommes un corps animal, pensant, spirituel et relationnel. Ce geste de la communion permet de mobiliser toutes ces dimensions. Et pour bien des personnes, c’est donc une expérience profonde, puissante, pour nous mettre en relation avec le Christ.

Différences théologiques entre protestants mais aussi catholiques

Les différentes branches du christianisme n’ont parfois pas la même conception de ce que sont et deviennent le pain et le vin offerts, pris et assimilés lors de la communion.

Une autre différence consiste à savoir qui est invité à communier ? Seulement ceux qui ont la compréhension officielle ? Seulement ceux qui se soumettent dans leur pensée et leur vie à ce que décrète leur église ? ou est-ce que tous sont invités et en premier lieu les pécheurs et ceux qui pensent différemment ?

En tout cas, les branches du protestantisme que sont les chrétiens « luthériens », les « presbytériens » (ou « réformés »), et les « anglicans » (ou « épiscopaliens ») ont des compréhensions différentes de la Communion mais elles ont décidé de se reconnaître mutuellement comme étant « en communion », c’est-à-dire d’accueillir avec joie et sans réserve les membres des autres églises. Toutes accueillent de la même façon les chrétiens catholiques et orthodoxes à leur table, bien sûr.

Cette unité n’est pas une uniformité et il y a des différences assez importantes entre les conceptions de Luther, de Zwingli et de Calvin sur la question de la cène, du statut du pain et du vin qui sont mangés ou bus par les personnes, sur la manière dont nous entrons en communion avec le Christ à cette occasion.

La compréhension d’Ulrich Zwingli (réformateur en Suisse alémanique) 

La Cène est pour lui un acte commémorant le geste de Jésus avec ses disciples (en référence à cette parole de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi », Luc 22:19, 1 Corinthiens 11:24-25). Le fait de participer est pour la personne une profession de foi publique.

Il pense que le Christ s’est sacrifié une fois pour toute sur la croix et que cela suffit, la communion n’est donc pas un sacrifice de plus mais « une mémoire faite du sacrifice et l’assurance de la délivrance dont Christ nous a fait la preuve. » (18e des 67 articles de Zwingli, 1523)

En ce qui concerne la « présence du Christ », et en particulier de son corps, dans la communion, Zwingli dit que le Christ est monté au ciel à l’Ascension : dès lors il n’est pas physiquement présent sur terre, en particulier pas dans la matière du pain ou du vin. Le pain et le vin sont là comme des symboles. Comme tout « signe », il faut l’interpréter comme renvoyant à ce qui est signifié : le pain renvoie au corps brisé de Jésus sur la croix, et le vin renvoie à son sang versé sur la croix, historiquement. Ces signes rappellent au croyant cet événement unique dans l’histoire de l’humanité, il y reconnaît le don de Dieu, ce qui lui permet de saisir par sa foi la grâce de Dieu manifestée en Christ, de la faire sienne publiquement en prenant le pain et le vin. Le fidèle prend ainsi place dans la communauté des disciples du Christ. Il fait corps (1 Corinthiens 12). Sans la foi du fidèle, ingérer le pain et le vin n’apporterait rien en soi.

Comprise ainsi, la communion est encore de la prédication de l’Évangile, mais avec un support matériel, et la participation des personnes est un signe qu’ils reçoivent cet Évangile.

Remarque : c’est vrai que la communion est au moins cela, mais peut-être y a-t-il pour certaines personnes quelque chose de plus que nous verrons avec les autres théologiens.

La compréhension de Jean Calvin (réformateur à Genève et en France)

Il est le plus proche de Zwingli. Il est d’accord avec lui pour dire que le Christ est au ciel et donc qu’il n’est pas matériellement ni dans le pain, ni dans le vin. Mais Calvin met l’accent sur l’expérience spirituelle du croyant qui, prenant ce pain et ce vin, est élevé au ciel par l’Esprit Saint. Le fidèle peut ainsi réellement entrer en présence avec le Christ. Mais cette présence réelle du Christ n’est pas sur terre dans la matière du pain et du vin, elle reste au ciel.

Pour Calvin, plus que pour Zwingli, le pain et le vin sont efficaces (ce sur quoi insistait le théologien du Moyen Âge Thomas d’Aquin quant aux « sacrements ») : ils permettent aux croyants, en les ingérant, d’être nourris spirituellement par la vie et par le sacrifice du Christ sur la croix.

À la compréhension de la communion comme une prédication avec support matériel, la vision de Calvin ajoute ainsi une dimension mystique. La participation d’une personne est une profession de foi, comme le dit Zwingli, elle serait en plus une expérience spirituelle.

Remarque : on a bien évidemment le droit, et c’est merveilleux quand cela arrive, qu’une personne vive une expérience spirituelle, plus ou moins intense lors de la communion, mais en même temps, ce n’est pas quelque chose que l’on peut maîtriser et j’hésiterais à en faire quelque chose qui devrait être. Ça ne servirait qu’à culpabiliser les personnes qui n’ont pas, ou pas tellement, cette fibre mystique. Mais ça me semble essentiel de le garder comme une possibilité.

La compréhension de Martin Luther (réformateur en Allemagne) 

C’est le plus éloigné de Zwingli, avec une position qui s’approche de celle de l’Église catholique. Selon Martin Luther, le pain reste du pain et le vin reste du vin au point de vue matériel. Mais ils prennent aussi une autre dimension, le corps et le sang du Christ sont unis à ces espèces. L’exemple qui est souvent donné par les luthériens est celui d’un fer mis dans une forge et chauffé à rouge : il est encore du fer, mais il est aussi du feu. Le pain et le vin de la scène seraient encore du pain et du vin, mais porteurs également du corps et du sang du Christ. Ils sont alors toute autre chose et la personne qui les prend, que cette personne ait la foi ou non, va ingérer non seulement du pain et du vin, mais aussi le corps et le Sang du Christ.

Remarque personnelle : je comprends les mots de cette théorie, je trouve l’image poétique, mais j’ai peine à saisir en quoi cela fait sens tellement cela me semble surréaliste. Peut-être peut-on garder quand même de cela l’idée qu’il y a quelque chose qui nous dépasse dans la communion, qui dépasse notre raison, de l’assumer.

La compréhension des protestants réformés (presbytériens) 

Bien des protestants « réformés » ont aujourd’hui une compréhension de la cène très proche de celle d’Ulrich Zwingli : la communion est une prédication de l’Évangile avec un support matériel et c’est un temps de profession de foi des fidèles, avec bien entendu, la possibilité pour le fidèle de vivre une expérience spirituelle intense au plus diffuse, si telle est sa sensibilité. C’est un temps, un rite fédérateur pour les fidèles, tous invités à la même table dans leur diversité. Pour les réformés, ce sacrement est important, seulement, dans cette sensibilité réformée, on se méfie toujours un peu du risque de superstition qui est un piège pour la religion. C’est pourquoi l’insistance est délibérément portée plus sur la prédication orale que sur la communion. Elle n’est donc, de ce fait, ni obligatoire pour les fidèles, ni célébrée nécessairement pour qu’un culte soit un vrai culte.

En tout cas, théoriquement dans les églises réformées : le pain reste du pain et le vin reste du vin, même si à mon étonnement dans certaines églises protestantes à Genève, le pain est offert aux fidèles accompagné de ses paroles « le corps du Christ » ou « le pain de vie », ce qui semble dire une façon de comprendre la communion plus proche de celle des luthériens ou des catholiques que de celle de Zwingli ou de Calvin. Personnellement, s’il faut dire quelque chose en remettant le pain au fidèle, je préfère dire « Dieu vous bénit », le pain offert étant signe de la grâce de Dieu manifestée en Christ, et non le corps du Christ. Mais dans notre église, chacun est libre, pasteur comme fidèle, de comprendre à sa façon ce geste de la communion. Et cela montre en réalité à quel point il nous dépasse. C’est la grande chance et le grand risque des rites.

La compréhension dans l’anglicanisme (pays anglo-saxons)

Il connaît aussi dans son sein une certaine diversité, il n’y a donc pas une position unique. Les textes officiels, en tout cas, disent que la présence du Christ est réelle lors de cet évènement, mais que cette présence est spirituelle, non matérielle : le pain reste du pain, le vin reste du vin, et c’est spirituellement que le corps et le sang du Christ sont assimilés lors de la communion quand le fidèle les prend avec foi. Cela rapproche la position anglicane de celle de Calvin, finalement, même si certains anglicans auraient plutôt une position proche de celle de Zwingli.

La compréhension dans l’Église catholique

Elle annonce que le Christ est présent, corporellement, substantiellement dans le pain et dans le vin quand ils ont été consacrés par un prêtre, indépendamment de la foi de la personne qui va les prendre. Il ne s’agit pas seulement d’une présence spirituelle, la divinité du Christ est vraiment rendue présente dans cette matière. Il faut comprendre néanmoins que la notion de « substance » n’est ici pas au sens courant actuel du terme, mais plutôt au sens de la philosophie grecque, où le terme de substance désigne la réalité profonde d’une chose au-delà de l’apparence qui n’est qu’un accident. Cela ne veut donc pas dire que, pour le catholique, au point de vue des molécules, le pain cesserait d’être de la cellulose. Sur ce plan-là, le pain reste du pain, mais sa réalité profonde serait tout autre, le pain n’est plus du pain, il est, au fond, le corps du Christ.

La grande différence, la plus délicate en pratique, c’est que l’Église catholique entend réserver son invitation à participer à ce geste aux personnes qui sont déjà suffisamment avancées dans la communion avec l’Église, avec ses doctrines et ses recommandations quant à la vie concrète. Ne sont alors parfois pas invitées : une personne non baptisée, ni une personne qui ne reconnaît pas le pape de l’Église romaine comme ayant autorité sur sa propre foi et sa propre vie (comme une personne protestante), ni une personne qui assumerait de choisir de vivre une vie de façon non conforme aux prescriptions de l’Église (par exemple une personne remariée). Mais ce refus est très théorique car bien des prêtres de l’Église catholique ont une pratique bien plus pastorale que dogmatique. Qu’ils soient remerciés du fond du cœur.

Conclusion : un sacrement qui nous dépasse

Ce qui nous autorise, chacune et chacun à en avoir votre propre compréhension, votre propre expérience (et laisser les autres en paix, si possible).

Dieu vous bénit et vous accompagne.

Marc

 

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