Conversation avec une philosophe sur le Psaume 143:2 «N’entre pas en jugement avec ton serviteur car aucun vivant n’est juste devant toi. »
Message :
Cher Marc,
Je vous envoie ce petit billet que j’ai écrit mercredi et qui, je trouve, fait écho – jusque dans le lexique parfois – à votre explication sur le justice divine que je viens de lire sur votre site.
Je suis tombé sur ce verset un peu par hasard : «N’entre pas en jugement avec ton serviteur car aucun vivant n’est juste devant toi. » Psaumes, 143, 2.
parce que, le matin, il m’arrive de prendre un livre dans la bibliothèque sans intention particulière et de détailler une phrase ou deux, d’écrire 15 mn à 20 mn là-dessus. En général, cela me donne une référence précise pour un de mes cours qui se complète ou qui part dans une autre direction. Cela développe une idée ancienne ou nouvelle. Parfois, c’est même une expérience qui se dévoile ou s’approfondit. Un petit exercice tout bête avec un retour sur investissement souvent intéressant. Mercredi, je me suis dis que pour changer un peu, j’allais prendre la Bible et je tombe sur ce psaume 143 que je ne connais pas vraiment et le verset 2 qui m’arrête. Pas étonnant que cette lecture des Psaumes n’avance pas si on est collé dès le deuxième verset…
Cette supplique de David qui craint un jugement divin en estimant à juste titre qu’il y aura forcément à redire dans sa conduite ne me dérange pas car 100% juste ce n’est possible pour personne, évidemment. Dans l’idée de David l’omniscience divine garantissant que l’être soit passé au peigne fin, Dieu trouvera forcément qch à redire. Freud vous dirait, lui, bien volontiers que tout le monde est névrosé, ce qui est fort encourageant dès qu’un psy cherche des patients.
Nul n’est irréprochable donc. Mais je ne sais pas, cela ne me satisfait pas complètement. Je trouve cette interprétation trop simpliste. Un truc cloche.
Et je me rends compte que ce n’est pas exactement l’homme mais « aucun vivant » dont il est question, ce qui désigne tout vivant quel qu’il soit. Donc même la sauterelle, le pissenlit ? Il y aura un truc à redire ? C’est sévère comme idée. Si on pense qu’il y a un jugement sur tout et que la conclusion, c’est qu’il n’y a rien de juste, cela peut même inciter au fatalisme ou au j’menfoutisme, à faire n’importe quoi. « Nul n’est juste devant toi », ce n’est pas très engageant pour un face à face, me semble-t-il. « Il y a quelque chose de pourri au Royaume », dirait Hamlet.
Et même franchement, pourquoi se mettre en peine de juger ? puisque c’est déjà jugé en quelque sorte. Pas besoin de monter un tribunal si tout le monde est coupable, s’il n’existe nul innocent. Et la supplique de David m’apparaît maintenant contradictoire : pourquoi demander à Dieu de ne pas juger ce qui est déjà jugé ?
Pourquoi ? sinon parce que le face à face ne peut pas relever réellement du jugement punitif.
Car si on voit les choses à partir de « devant toi », ce n’est peut-être pas si « pourri » comme disait Hamlet, il me semble. Aucun vivant n’est juste « devant toi » peut signifier que les rapports du juste et de l’injuste ne concernent pas les rapports entre l’homme et Dieu.
Je trouverais cela assez logique cette absence de jugement car on peut imaginer que puisque tout doit fonctionner avec tout dans un principe dynamique – rien ne nous attend qu’une évolution de notre être, une intensification de l’être. Quant au juste et à l’injuste, il me semble ne concerner que les relations humaines et se montrer problématiques ie ayant à être jugés et rejugés sans arrêt.
C’est vrai qu’on parle bien de « justice divine » mais, de façon intuitive, cette idée m’a toujours paru trop terrestre, à vrai dire sans grand intérêt invitant à trop de questions absurdes sans produire le début de l’ombre d’une esquisse de solution à aucun problème. Cela me semble même oxymorique cette association « justice divine ». Je ne vois plus trop comment on pourrait lui donner du sens, sinon en ce que rendre justice à ce qu’on aime, c’est justement aimer. Me reviennent forcément les paroles de Jésus « je ne suis pas venu pour juger le monde (y compris les pissenlits et les sauterelles) mais pour le sauver ».
Ce qui ne signifie pas que ce soit facile car aimer peut prendre tellement de formes et rencontrer tant d’obstacles qu’il y a même des cas où on abandonne. Et que c’est difficile d’aimer sur commande. Et on retombe là sur votre grille de lecture, que tout le monde a la grâce, on dirait. Du moins que cette grâce n’est pas conditionnée à un jugement quel qu’il soit, autrement dit que Dieu « aime » sans condition. Je ne sais pas si vous avez raison mais une grille de lecture c’est un peu comme une théorie scientifique, plus elle permet d’expliquer un texte/le monde, de le faire comprendre et de mettre en pratique, plus elle est, sinon vraie, au moins sur le chemin vers quelque chose de plus vrai.
C’est fou ce texte, je ne pensais vraiment pas en arriver là en l’ouvrant ce matin, 😉
Sincèrement,
Lili
Réponse :
Chère Lili
Quelle magnifique « petit » billet, que je publierais avec joie pour en faire profiter du monde.
Le jugement de Dieu comme pardon
« Pas besoin de monter un tribunal si tout le monde est coupable. » « Les rapports du juste et de l’injuste ne concernent pas les rapports entre l’homme et Dieu. »
Je suis du même avis si l’on pense en termes d’innocence et de culpabilité. Cela n’entre pas en compte devant Dieu. Et c’est de là que notre système de santé, par exemple, ne tient pas compte de cela et soigne la personne malade ou blessée sans lui demander son casier judiciaire. Ce jugement de Dieu n’est pas en termes de comptabilité des fautes comme l’ont longtemps prétendu certains théologiens inventant les doctrines d’expiation et de rachat des fautes…
Le jugement de Dieu comme soin
Par contre, il est utile de tenir compte du juste et de l’injuste, au sens où ce qui est injuste crée de la souffrance, déconstruit, divise et tue. C’est très pragmatique. Ne pas tenir compte de ce qui est injuste serait comme si un médecin renvoyait une personne en disant je vous pardonne votre pneumonie, allez en paix, sans rien faire pour enlever les bactéries, mettant en danger le bonhomme et son entourage. C’est comme cela que je comprends le « je ne suis pas venu pour juger mais pour sauver » de Jésus. Il affirme à la fois la dignité radicale de chaque personne et de chaque pissenlit, et à cause de cela il s’engage pour le soigner, afin que ce qui est mauvais, dans le sujet et autour de lui, soit affaibli, moins virulent, éradiqué. Ce serait dommage de ne pas voir que du ma a été commis et donc qu’il y a des dégâts à réparer, des victimes à soigner, de potentielles futures victimes à protéger. Ce serait dommage aussi de ne pas tenir compte de ce qui est juste dans la personne, et dans le pissenlit, pour s’en réjouir, pour avoir de la gratitude éventuellement, et pour que cela rayonne encore mieux.
Aimer sur commande ?
Que c’est difficile d’aimer sur commande. Oui, mais comme professeure, je suppose que vous y arrivez assez bien, en réalité, avec vos élèves. Bien sûr, des affinités et des antipathies existent mais vous arrivez à vous occuper de chacune et de chacun pour essayer de l’élever un peu, de toute façon. C’est cela, et pas plus, je pense qui est dit quand il nous est commandé d’aimer. En même temps cela n’aiderait personne si la professeure disait : je vous aime tous (et je suis payée, un petit peu, pour cela), vous avez tous une égale dignité (c’est vrai, et cela s’appelle en théologie « la grâce »), donc je vais vous mettre à tous la même note, la note maximale. Car cela n’aidera pas ceux qui auraient besoin de travailler plus, et cela ne développerait pas chez les plus doués une vocation de philosophe.
Est-ce que cela vous parle ?
Re-Réponse :
Marc,
Déjà, oui, vous pouvez publier cela sans problème où vous voudrez. Je n’aurais pas su où le placer moi-même. Cela peut peut-être porter profit. J’avoue que deux témoignages récents sur votre blog – Gaëlle et Marie – m’ont impressionnée car c’est toujours étonnant de voir des pensées se déployer en acte, de voir comment les autres abordent ces textes ou présentent des expériences d’une façon qu’il m’est impossible de réaliser. Pour qui s’intéresse à la vie de l’esprit, c’est vraiment enrichissant ce partage car assez rare à observer dans la vie quotidienne.
« il s’engage pour le soigner, afin que ce qui est mauvais, dans le sujet et autour de lui, soit affaibli, moins virulent, éradiqué. »
Je suis convaincue que c’est là une des définitions de l’amour et je trouve très parlante votre comparaison avec le système de santé. Parce qu’il est quand même probable que Dieu, s’il existe tel que vous le postulez, puisse faire aussi bien que la sécu. Logiquement.
Cela ne galvaude en rien la distinction du juste et de l’injuste en lui ôtant son versant punitif et en insistant sur l’idée de réparation de vivants abimés (victimes et coupables). Je crois que c’est la raison pour laquelle je suis opposée à la peine de mort. Et vous avez raison, de se réjouir aussi de ce qui fonctionne avec justesse. Peut-être est-ce le plus difficile. Mon côté pessimiste, voire misanthrope – parfois, il ne faut pas beaucoup se forcer – me fait complètement occulter la louange. Ce n’est pas un truc à quoi je pense. C’est à travailler.
Eh oui, votre propos me parle, même si je ne le placerais pas tout à fait dans la même perspective. Je crois qu’un professeur ne devrait avoir qu’un objectif : que l’élève dépasse le maître, comme on dit. C’est-à-dire non pas que l’élève en sache plus que le maître, même si c’est toujours possible et probablement heureux, mais qu’il le dépasse dans le sens où il s’en passe, où il dépasse cette relation d’accompagnement guidé, où il devient lui-même le maître, ayant développé et mobilisé ses propres forces, ayant repéré ou cherchant à repérer les ambiguïtés des faux-semblant, ceux qui s’imposent à nous de l’extérieur ou de l’intérieur. Et ils sont légions. Ce qui n’est rien d’autre que devenir libre, entreprise dans laquelle le succès n’est jamais certain mais entreprise nécessaire pour « vivre plus authentiquement » comme vous dites souvent. Ce doit être « aimer quelqu’un au moins un petit peu » que lui proposer cette voie, oui, c’est possible. Et je me suis aperçue grâce à votre travail que c’était tout aussi crucial en théologie qu’en pédagogie.
J’ai eu la grande chance, et même le privilège, d’avoir de grands professeurs au début des années 90 à la Sorbonne, à qui je dois de les avoir dépassés. Non en termes de savoir donc car Nicolas Grimaldi (mon directeur de mémoire), Jean-Louis Chrétien, Janine Chanteur, Renaud Barbaras, Jean-Luc Marion, pour les plus connus peut-être, étaient indépassables, mais en terme d’outillage pour qu’ensuite je me débrouille sans eux à peu près honorablement. J’espère. Mon admiration pour les merveilleux professeurs qu’ils furent est sans limite. Je n’ai pas d’autres ambitions pour mes élèves que de les inciter à me dépasser et si j’y suis parvenue quelques fois, en évitant le nivellement, ce ne sera pas si mal.
Merci infiniment, Marc, d’être si optimiste vis-à-vis de ce que je vous envoie,
Lili
Re-Re-Réponse :
Belle ambition du professeur pour ses élèves.
En tout cas c’est ce que Jésus ambitionnait pour nous : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes » (Jean 14:12).
par : pasteur Marc Pernot
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De quoi suis-je coupable ?
A vous de voir.
Mais en tout cas : de ne pas être (encore) parfait, pas au top du top de ce que vous pourriez être. Bien sûr. Cela ne veut pas dire qu’une faute a été commise, mais seulement qu’il y a encore de la marche, du développement possible. Et c’est une bonne nouvelle. N’est-ce pas ?
En tout cas, rien qui nécessite d’avoir besoin du pardon de Dieu.
Pour cela, on peut se relire, pour soi-même, l’hymne à l’amour de Paul de cette façon :
C’est alors que je pourrais me regarder dans la glace en vérité et me dire : je n’ai aucun besoin de pardon, ni de Dieu, ni de ceux que je croise dans la vie de tous les jours : ni mon conjoint, ni mes enfants, ni mes collègues, ni mes voisins. Quelle chance ils ont de m’avoir, je suis pour eux une source jaillissante de bénédictions.
Dieu fasse qu’il en soit ainsi.
Seulement, il n’y a pas à se culpabiliser non plus, car même Jésus-Christ devait parfois prendre du temps pour se ressourcer dans le repos, la réflexion et la prière, et pour cela se retirait seul dans la montagne, renvoyant les foules avides de l’entendre. C’est pourquoi Jésus lui-même refuse quand une personne le qualifie, lui, de « bon », disant que Dieu seul est « bon ».