16 avril 2019

Prédication

Ne vous inquiétez pas du lendemain (Matthieu 6:24-33)

(Voir le texte biblique ci-dessous)

Écouter

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le Lundi Saint 2019,
Par : pasteure Sandrine Landeau

Giotto : François d'Assise prêchant aux oiseaux
J’aimerais vous proposer ce soir une petite enquête sur ce texte très intrigant.

A première vue, on dirait un texte de sagesse profane. Jésus ne vous fait-il pas penser ici, par exemple, à la fable de la cigale et de la fourmi, dans une version où nous serions encouragés à être des cigales qui chantent tout l’été ? Ou bien ne vous fait-il pas penser à la fameuse maxime épicurienne, « carpe diem » – cueille le jour, profite de ce jour sans te soucier des jours suivants. Faut-il donc comprendre ici qu’il faut cesser, nous tous et toutes, de se préoccuper de gagner de quoi manger, boire, avoir un toit, se vêtir ? On voit bien vite que ce n’est pas tenable : si personne ne produit à manger, ne cueille et ne prépare à manger, il n’y aura rien à manger, ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Jésus ne peut pas nous appeler à cela, lui qui se soucie sans cesse de nourrir les foules, de participer à des repas, de rétablir les plus soucieux de celles et ceux qu’il rencontre dans une vie belle, pleine de joies et de relations fécondes.

Si cette piste n’est pas la bonne, on pourrait alors entendre cet appel à ne pas se préoccuper du lendemain comme réservé à quelques-uns ou quelques-unes, qui pourraient, se retirant des soucis du monde, se consacrer à la vie spirituelle, comme ces des moines et moniales bouddhistes, qui mendient chaque jour leur pitance. Mais là encore, d’une part c’est incohérent, car cela fait reposer sur les autres le souci du lendemain dont on ne veut pas pour soi-même (c’est le syndrome que les anglophones appellent « not in my backyard », pas dans mon jardin), et d’autre part cela ne cadre pas avec ce que nous savons de l’enseignement et de la vie de Jésus : il s’adresse à tous et toutes sans distinction, tous et toutes sont appelés à le suivre, à vivre une relation personnelle avec Dieu. Et Jésus lui-même ne se retire pas du monde pour vivre une vie de prière et de mendicité, au contraire, il va à la rencontre des gens, sur les chemins, dans les villages, dans les villes, dans les maisons, les synagogues, bref, dans tous les lieux de vie, au plus proche des préoccupations de ses contemporains.

Une autre piste de compréhension pourrait être de dire que Dieu, si nous sommes pauvres mais assez bons croyants, assez bonnes croyantes, va par miracle remplir nos assiettes et nos armoires de ce qui nous est nécessaire. Et s’il ne le fait pas, c’est que nous nous faisons trop de souci et que cela empêche son action. On voit bien les dangers d’une telle position, qui culpabilise celles et ceux qui sont déjà victimes… L’armée du salut avec son slogan « soupe, savon, salut » nous dit bien que parler de vie spirituelle à des gens qui meurent de faim n’a pas de sens : il faut d’abord s’occuper de les nourrir, puis leur redonner de quoi redevenir digne à leurs propres yeux d’abord par le savon, avant de se préoccuper de parler de salut…

Si donc toutes ces premières pistes sont des impasses, comment comprendre ce texte ? Plusieurs indices nous sont donnés par le texte qui nous guident vers une autre compréhension.

Premier indice : ce verset du début « nul ne peut servir deux maîtres, vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ». Ce dont il est question ici, Jésus le dit clairement, c’est donc bien de théologie, pas de sagesse pratique de vie. Ceci n’excluant pas bien sûr que la théologie puisse avoir des conséquences tout à fait pratiques dans nos vies. L’enjeu, c’est de savoir ce qui est au centre de notre vie, ce qui est notre Dieu : tout le monde, même la personne la plus athée, a un dieu, quelque chose qui est au centre de sa vie et qui oriente sa vie. La question est de savoir qui est ce dieu… Ici Jésus nous place devant l’alternative de choisir entre le Dieu biblique de la vie, celui qui s’est approché de nous en Jésus-Christ, et Mammon, c’est-à-dire l’argent, la richesse matérielle, dont on fait si facilement un dieu, au centre de nos vies. Il vaut la peine de réfléchir régulièrement à ce qui oriente réellement notre vie, nos actes, de vérifier ce qui dirige nos prières, nos relations. Et c’est à cela que Jésus nous appelle dans ce petit texte qui nous parle de nourriture, de boisson et de vêtement. Et pour cela, il nous parle de façon surprenante des oiseaux du ciel et des lis des champs… Creusons donc encore pour mieux comprendre.

Le deuxième indice, c’est la question de la nourriture et de la boisson. Les oiseaux du ciel que nous sommes appelés – littéralement – à « regarder avec attention » ne sèment ni ne moissonnent, ne font pas de réserves, et ils ont pourtant à manger. Plusieurs choses sont intrigantes ici : d’abord ce n’est pas toujours vrai, il arrive que les oiseaux meurent de faim, comme à la fin du si sec été passé, il arrive aussi que les oiseaux fassent des réserves. Et surtout, la nourriture ne leur tombe pas tout cru dans le bec… même les oisillons appellent leurs parents pour signaler qu’ils ont faim et pour rappeler leur position du nid. Quant aux adultes, ils cherchent leur nourriture tout à fait activement. Certes l’Evangile n’est pas un traité d’ornithologie, mais quand même, Jésus n’ignore pas ces choses. Et surtout, semer et moissonner ne sont en aucun cas des actes que Jésus condamne. Au contraire, il compare à plusieurs reprises l’action de Dieu à celle d’un agriculteur qui sème du bon grain, qui sème sur la terre préparée et même non préparée, qui embauche des ouvriers pour travailler dans ses champs, qui s’occupera d’organiser la moisson. Ce dont il est question ici ça ne peut donc pas être de dire aux agriculteurs de cesser de faire leur travail ! Il ne peut donc s’agir que de nourriture et de boisson spirituelle. Cela nous est confirmé par le texte grec : la vie qu’il s’agit de nourrir avec la nourriture et la boisson dont il ne faut pas se soucier, c’est en effet en grec la psychè, pas la bios, qui serait la vie biologique nourrie par la nourriture terrestre. La psyché, c’est le souffle de la vie incarnée, c’est l’essence de la vie qui nous anime. Si donc Jésus, nous glisse ce mot de psychè, c’est précisément pour nous inviter à changer de niveau de lecture et de réflexion. Qui sont donc ces oiseaux du ciel dont la vie est psychè, souffle de vie incarnée, et qui reçoivent nourriture sans avoir à s’en soucier, à la mériter, à travailler pour ? Ce qui fait le plus sens, en tout cas à mon avis, c’est d’identifier ces oiseaux du ciel à ce qui en nous cherche la relation avec Notre Père qui est aux cieux. En suivant cette hypothèse, on voit que ce que Jésus nous enseigne, c’est que cette relation nous est déjà donnée, elle nous nourrit déjà, nous n’avons pas à nous en soucier, nous n’avons pas à la mériter par notre travail.

Troisième indice : les vêtements les lis des champs qui sont plus beaux que ceux de Salomon dans sa gloire. Salomon est certes une figure extrêmement importante de l’Ancien Testament, un grand roi d’Israël, mais ce pourquoi il est connu, ce n’est pas tellement sa garde-robe, mais plutôt sa sagesse, c’est-à-dire pour son attitude adéquate, appropriée tant par rapport à Dieu, que par rapport aux hommes. Le corps, dont Jésus nous dit qu’il est plus que les vêtements, c’est ce qui nous permet d’être en relation au monde, aux autres et à Dieu. Les vêtements dont nous habillons notre corps disent quelque chose de notre façon d’entrer dans ces relations, de prendre une place dans le monde. Ce que Jésus nous dit en soulignant que les lis sont magnifiquement vêtus par Dieu, c’est que à nous aussi Dieu donne déjà une place, une position, avant que nous ayons fait quoi que ce soit. Nous n’avons pas à chercher cette place, cette valeur aux yeux de Dieu, c’est lui qui nous la donne. « Tu as du prix à mes yeux, car je t’aime » nous dit Dieu à chacune, à chacun, selon un verset d’Esaïe : tu as du prix à mes yeux, tu comptes pour moi non pas parce que tu as fait ou non, mais parce que je t’aime déjà, avant toute chose. C’est aussi ce que nous dit, de manière plus imagée, cette drôle de leçon sur les lis des champs. Elle nous dit encore autre chose : ce que permet le vêtement, la parure du lis, c’est de croître, de se multiplier, de porter du fruit. C’est sur ce point que Jésus attire notre attention : « regardez les lis des champs comme ils croissent ». Cet amour donné par Dieu, qui nous donne une place que nous n’avons pas à gagner, cet amour donné gratuitement, sans aucune condition, nous permet à notre tour de grandir, nous rend capable de porter du fruit, quelle que soit la forme que prend ce fruit.

Enfin, ni les oiseaux du ciel, ni les lis des champs n’ont à être autre chose que ce qu’ils sont pour recevoir ce qui leur est nécessaire, il n’y a pas de condition, pas d’examen d’entrée. Nous n’avons pas non plus, nous êtres humains à être autre chose que ce que nous sommes pour recevoir de Dieu ce qui nous est nécessaire : nous sommes à l’image de Dieu, et c’est bel et bien à ce titre là que nous pouvons recevoir nourriture et vêtements de lui.

Au vu de ces nouveaux éléments, il semble donc que Jésus ici nous invite en fait à nous « dépréoccuper » non pas des soucis matériels, mais bien plutôt des soucis spirituels : lorsqu’il nous dit « ne vous inquiétez pas pour le lendemain, le lendemain s’inquiétera de lui-même », ce n’est pas tellement de demain mardi 16 avril qu’il s’agit, ni même d’une autre date à venir, mais bien plutôt du lendemain qu’est notre salut devant Dieu. Ce lendemain là nous est déjà donné, déjà offert, selon notre nature qui est d’être à l’image de Dieu : l’amour, la grâce et la paix nous sont donnés avant toute chose, il n’y a pas à s’en inquiéter, il n’y a pas à les gagner, nous pouvons avoir une totale confiance en cela qui nous vient de Dieu, nous pouvons nous appuyer sur cet amour, il ne rompra pas. Et c’est précisément le fait de ne pas avoir à s’inquiéter de cela qui nous libère pour nous soucier d’autres choses : assurer à boire, à manger, de quoi se vêtir pour nous, pour celles et ceux qui nous sont directement confiés, et pour tous nos frères et sœurs en humanité qui sont eux aussi créés à l’image de Dieu. Si Dieu ne fait pas apparaître du pain dans l’assiette de l’affamé pour autant que l’affamé renonce à se soucier du lendemain, en revanche Dieu nous envoie les uns, les unes, vers les autres, et nous pouvons être la main par laquelle le pain est déposé dans l’assiette de l’affamé. Sans que cela devienne un souci qui prenne toute la place et devienne un nouveau Dieu, mais pour que ce soit un élan les uns, les unes, vers les autres, pour grandir et porter du fruit ensemble.

Amen.

Sandrine Landeau

Textes de la Bible

Matthieu 6:24-33

24 Personne ne peut être esclave de deux maîtres ; en effet, ou bien on détestera l’un et on aimera l’autre, ou bien on s’attachera à l’un et on méprisera l’autre. Vous ne pouvez être esclaves de Dieu et de Mamon. 25 C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, ni, pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?

26 Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils ne recueillent rien dans des granges, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? 27 Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ?

28 Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas ; 29 et pourtant je vous dis que pas même Salomon, dans toute sa gloire, n’a été vêtu comme l’un d’eux. 30 Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs qui est là aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne le fera-t-il pas à bien plus forte raison pour vous, gens de peu de foi ?

31 Ne vous inquiétez donc pas, en disant : « Qu’allons-nous manger ? » Ou bien : « Qu’allons-nous boire ? » Ou bien : « De quoi allons-nous nous vêtir ? » 32 — tout cela, c’est ce que les gens de toutes les nations recherchent sans relâche — car votre Père céleste sait que vous en avez besoin. 33 Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît.

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