La naissance spirituelle des disciples (Matthieu 14,22-33)
(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le jeudi 3 septembre 2020, par la pasteure Sandrine Landeau 3 septembre 2020
Jésus force les disciples à partir sur la mer. Cette phrase m’a arrêtée. C’est tellement loin du mode de relation habituel de Jésus ! C’est même la seule fois où une action de contrainte lui est attribuée. C’est d’autant plus étrange si on comprend ensuite que Jésus envoie ses disciples en pleine tempête pour mieux leur apparaître comme unique sauveur, ce qui en ferait un maître un peu pervers. Où est la bonne nouvelle ?Le Dieu que Jésus est venu manifester n’est pas pervers. De tout son être il nous veut libres et vivants. Il ne nous contraint pas, et il ne nous envoie pas volontairement des épreuves, même pas pour nous faire grandir. Il est différent de dire que, d’une rude épreuve ou d’un moment de douleur ou d’égarement, Dieu peut faire naître du nouveau, du vivant, comme il le fait avec la résurrection du Christ, c’en est une autre que de dire que ces épreuves viennent de lui. Je crois que le monde est en cours de création, Dieu œuvre toujours pour ordonner le chaos indifférencié du monde et y faire jaillir de la vie, de la complexité heureuse. La Bible commence littéralement par ces mots : « en un commencement ». Et chaque instant est un commencement, à chaque instant Dieu appelle à la vie, à la relation.
Je suis restée arrêtée un bon moment, cherchant la bonne nouvelle dans cette contrainte… l’éclairage est venu pour moi de ce que Jésus dit à Nicodème dans l’Evangile de Jean : « il faut naître d’en haut pour voir le royaume de Dieu. » C’est cette image de la naissance qui m’a donné une clé pour comprendre cette contrainte et c’est avec cette image que je vous propose de parcourir ce récit avec vous aujourd’hui : un récit d’accouchement, celui de la naissance spirituelle des disciples.
La contrainte que Jésus exerce sur ses disciples ce jour-là est je crois du même ordre que celle que la femme enceinte exerce sur le fœtus au moment de l’accouchement : une contrainte forte, douloureuse aussi, nécessaire pour que la vie puisse passer et grandir. Le fœtus ne peut pas rester indéfiniment dans le ventre de sa mère, ce serait la mort certaine pour l’un et l’autre. De la même manière, Jésus ne peut pas laisser ses disciples s’accrocher à lui physiquement et spirituellement indéfiniment. Dans l’épisode de la multiplication des pains, les disciples s’étaient immédiatement tournés vers Jésus, sans même tellement chercher de solution aux-mêmes, ou plutôt en ordonnant à Jésus une manière de faire. Il y a déjà, inconsciemment, à la fois une tentative de mainmise sur Jésus, et une dépendance forte à sa présence.
Pour remettre chacun à sa place, il faut séparer, différencier. Comme une femme qui accouche met son enfant à distance d’elle, hors d’elle, marquant une nouvelle étape dans le processus de différenciation entre elle et cette nouvelle vie, Jésus met ses disciples à distance de lui, distinguant ainsi entre lui et les êtres nouveaux que sa Parole fait d’eux, mais aussi entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont en train de devenir. Jésus monte sur la montagne pour prier, seul, et il envoie les disciples sur le lac. Il les remet en mouvement, il leur redonne de l’espace, comme la naissance donne au fœtus un nouveau monde à habiter, un nouveau monde où se mouvoir. Mais la nouveauté fait peur, le mouvement fait peur, il est plus sécurisant de rester au pied de la montagne pendant que le Christ prie que de partir seuls. Mais est-ce bien cela qui est demandé en fait ? Si on reprend l’image de la naissance, il est certain qu’il faut à un moment que le bébé quitte le ventre de sa mère. Il est tout aussi certain qu’il a encore besoin de sa mère après la naissance, et même pas seulement de sa mère mais de bien d’autres humains. La naissance n’est qu’une étape dans le processus de développement, pas la fin de ce processus ! En partant sur le lac, les disciples n’ont donc pas à quitter définitivement Jésus, mais grandir en établissant un autre type de relation avec lui. Jésus d’ailleurs annonce aux disciples qu’ils ont à le précéder, mais qu’il va les rejoindre.
Les disciples ont-ils bien entendu ? Quoi qu’il en soit ils partent, et une fois sur l’eau ils se trouvent au milieu d’une tempête. Dans le processus de la naissance, les eaux calmes, protectrices, de la poche utérine, se rompent pour que l’enfant naisse, deviennent agitées, violentes, incontrôlables. Est-ce cette image qui nous permet de comprendre la violence des eaux du lac dans le récit ? On peut penser aussi, et on n’est pas si loin de la naissance, aux eaux de la création, au chaos originel. La naissance spirituelle des disciples les envoie dans le monde tel qu’il est, avec son agitation, ses tempêtes, ses ambivalences et ses changements aussi : l’eau qui était tranquille peut brusquement d’agiter et devenir mortelle. Les grandes étendues d’eau ne sont pas très positives dans l’imaginaire biblique, car le peuple d’Israël n’avait pas tellement le pied marin. Ce qui est important ici, c’est que Jésus ne provoque pas la tempête : la tempête a lieu, c’est tout. Elle n’est pas là « pour le bien des disciples », elle est là, et la question est de savoir si on peut y survivre et comment.
Les disciples ne comprennent pas ce qui arrivent, ils s’affolent et tout à coup on bascule dans le fantasmagorique. Pierre croit voir le vent, tous croient voir un fantôme, ils perdent leurs repères et leurs réflexes : alors que plusieurs sont des pécheurs expérimentés, ils tremblent sans rien faire d’efficace.
La tourment dans laquelle les disciples sont pris semble au moins autant intérieure qu’extérieure. Rêve ou réalité de cette tempête ? Réalité en tout cas de l’angoisse, une réalité telle qu’elle déforme les perceptions. L’angoisse, tempête intérieure née du changement brutal ou d’événements extérieurs, coupe la relation avec le monde extérieur. Les disciples sont perdus dans l’obscurité, ballottés par les vents. Le nourrisson qui quitte l’utérus pour entrer, poussé avec vigueur par les contractions, dans le monde aérien, connaît aussi un moment de panique où il se sent affreusement seul, alors qu’il a toujours connu une autre présence, englobante, nourrissante, protectrice.
Comme un nourrisson crie au moment où l’air pénètre ses poumons, les disciples crient quand le vent de la tempête les frappe. Et comme un nourrisson terrorisé par la violence du changement de monde qu’est la naissance se calme quand il retrouve l’odeur de sa mère, sa voix, et trouve son sein, les disciples terrorisés par l’abandon apparent du Christ retrouvent leur calme quand ils s’aperçoivent qu’il est là, au milieu d’eux, que sa voix a retentit, que sa main les a touché, et qu’il s’installe dans la barque. Car comme ce qui permet au nourrisson de vivre, c’est la relation avec d’autres humains, l’amour qui naît entre lui et celles et ceux qui sont appelés à prendre soin de lui, différemment de ce qu’il a connu dans l’utérus, ce qui sauve les disciples de la tempête, c’est la relation qui se noue à nouveau, mais autrement, avec le Christ. Car le Christ se présente à eux autrement qu’il ne l’a fait jusque là : il se présente comme puissant aussi dans leur propre vie, pas seulement dans celle des autres. Les disciples se croient perdus, loin de Jésus, loin de tout secours, loin de tout regard, sur le point d’être engloutis par les eaux du chaos. Mais Jésus est tout près, il les voit comme lui seul sait le faire, il les voit vraiment, y compris dans leur panique, et il les aime. A aucun moment il ne leur fait reproche. Il se présente comme hors de leur chaos, comme celui capable de l’ordonner, de lui donner sens, et par là de l’apaiser. Comme le souffle de Dieu plane à la surface des eaux de la création, Jésus « plane » à la surface des eaux de cette naissance spirituelle. Il a puissance sur le chaos intérieur de ses disciples, qui le reconnaissent alors vraiment comme le fils de Dieu pour eux, ce qui est une place nouvelle, une relation autre. Le reconnaissant fils de Dieu pour eux, avec eux, ils lui reconnaissent une place à part, sur laquelle ils n’ont pas de pouvoir, une place nourricière et puissante.
Car la naissance n’est pas la fin, elle n’est que le début, et le Christ est au milieu des disciples comme il est au milieu de nous, nous accompagnant dans notre croissance spirituelle, soutenant, nourrissant, ordonnant, différenciant. Pour que quiconque croit en lui ne meure pas, mais ait la vie éternelle. Amen.
Matthieu 14, 22-33
Aussitôt Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! »
Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! »
Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
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