Annonce à Joseph par l
Prédication

Pourquoi Jésus n’a pas été appelé Emmanuel ? (Matthieu 1:20-25 ; Romains 12:4-21)

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 27 décembre 2020,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Annonce à Joseph par l'ange - Codex Egberti (Xe siècle)

Vous avez entendu que Joseph reçoit l’annonce de la venue d’un fils qu’il devra appeler « Jésus ». Et que c’est ainsi que sera accomplie la promesse de la venue d’un fils du nom d’ « Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous ». Est-ce qu’il n’y a pas une erreur ? Le prophète aurait-il prophétisé de travers ? Matthieu n’a pas pu mettre ces deux informations dans la même phrase sans le faire exprès.

La traduction qu’il donne du nom « Emmanuel » est exacte, Emmanuel en hébreu veut bien dire « Dieu » (El) « avec » (imma), « nous » (nou en hébreu comme en français) : imma-nou-El.

Conjuguer l’Emmanuel

Il n’y a pas de verbe dans cette petite phrase formant le nom d’Emmanuel, cela fait qu’il est possible de la comprendre de différentes façons. Les hébreux sont spécialistes de ce genre de jeux de mots, leur langue s’y prêtant particulièrement, cela ayant développé, dans cette culture, l’intérêt pour les débats au sein même de la Bible et entre ses lecteurs. C’est ainsi que quand il y a une ambiguïté dans le texte biblique, c’est intentionnel, afin de permettre de tisser les différents sens rendus possibles. « Dieu avec nous », c’est à la fois :

  1. « Dieu est avec nous », au présent, c’est une expérience faite de génération en génération.
  2. « Que Dieu soit avec nous », comme un optatif, c’est alors une invocation à Dieu. Selon Jean Calvin, c’est le cœur même de la prière : simplement s’ouvrir à ce que Dieu espère nous apporter comme dons et comme vocation.
  3. « Dieu sera avec nous », au futur, c’est une confiance qu’il sera avec nous de façon nouvelle, inattendue.

Emmanuel, « Dieu avec nous » à tous les temps, comme dans l’Apocalypse où Jean traduit le nom de Dieu YaHWeH par « Celui qui est, qui était et qui vient » (Apoc 1:4). C’est pourquoi Matthieu commence à dire l’Évangile comme l’accomplissement de cette théologie et de cette foi, tissées de confiance, de prière, et d’espérance.

Pourquoi est-ce que Joseph et Marie doivent appeler leur fils Jésus, Yeho-shoua c’est-à-dire littéralement « Yahweh sauve » pour accomplir cette promesse de venue de l’Emmanuel « Dieu avec nous » ?

Précisément parce que c’est en « nous » que Christ accomplit la promesse. C’est pour cela qu’il eût été réducteur d’appeler Jésus « l’Emmanuel », comme s’il suffisait que Jésus ait une dimension divine pour nous sauver tous. Alors que, par lui, cette dimension divine est donnée à l’ensemble.

Je reconnais que cette visée est nettement plus fatigante et complexe pour nous que si Jésus était à lui seul l’Emmanuel, pour que nous assistions à la venue de Dieu dans le monde comme on assiste à un feu d’artifice sur la rade en disant oh que c’est beau, oh la belle bleue, oh la belle rouge, avec la croix et la résurrection comme bouquet final ? Et bien non, Le salut donné en Christ n’est pas un spectacle auquel on assiste. Le programme Jésus « Salut de Yahweh», c’est que ce salut nous change, nous. Bien sûr. C’est ce qu’a dit Angelus Silesius, un mystique du XVIe siècle bien connu pour ses prédications condensées en une seule ligne. Pour Noël, il donne cette belle prédication : « Christ serait-il né mille fois à Bethléem, s’il n’est pas né en toi, tu restes mort à jamais. Il faut donc que ce soit en toi que Dieu naisse. »

Dieu avec toi, Dieu avec chacun de nous

Que Dieu soit donc avec nous, au sens que sa Parole s’incarne en nous comme le dit encore Jean (Jn 1:12). « Dieu avec nous », Emmanuel, est ainsi à comprendre d’abord en ce sens : Dieu avec chaque personne de l’humanité entière. Cette annonce est importante dans la Bible Hébraïque. C’est révélation si fréquente de Dieu comme Elohim ou Yahwé Imeka : « Dieu avec toi ». C’est déjà une révolution incroyable par rapport à une théologie du Dieu tout-puissant, perché sur son Olympe, et qu’il faut supplier pour qu’il nous aide un peu. Au contraire, cette promesse de Dieu donnée à Jacob « Je serai avec toi » (Genèse 28:15) signifie que Jacob peut inventer lui-même son propre chemin, que Dieu promet de rester avec lui, et donc de le suivre pour l’aider, le secourir. C’est ce qui est dit aussi à Josué pour accomplir sa vocation personnelle : « Ne t’effraie pas et ne t’épouvante pas, car l’Éternel, ton Dieu, est avec toi dans tout ce que tu entreprendras. » (Josué 1:9).

Cette promesse de « Dieu avec toi » est pour toute personne individuelle, c’est ce que nous voyons dans la donnée à Moïse et Aaron, ils sont chargés de bénir le peuple d’Israël entier, et la méthode qui leur est donnée pour cela est de dire la bénédiction au singulier, sur chaque personne : « L’Éternel parla ainsi : Vous bénirez les enfants d’Israël ainsi : vous leur direz L’Éternel te bénit et te garde… » (Nombres 6:22-26)

Cette importance de l’individu personnel est propre à la pensée biblique. Dans la philosophie grecque, l’humanité appartient à un cosmos ordonné, la personne est un simple élément de cet ordre global, étant, au gré de son destin, esclave ou citoyen, membre de telle famille, telle corporation, telle cité, tel peuple. C’est ainsi que l’on voit Socrate relativiser sa propre existence comme individu. Et qu’Aristote considère que l’esclave est par nature appelé à servir et à être possédé par un autre. Au contraire, dans la Bible, c’est chaque personne qui est importante c’est elle qui est le lieu de l’Emmanuel. C’est pour cela que Jésus est Christ. afin que cela soit réalisé pour chacun. Et cela passe par une bénédiction dite à chaque personne individuelle. Ce n’est pour préparer cela qu’il est important de dire à chaque personne qu’elle est personnellement bénie par Dieu, que pour elle aussi, Dieu est « imeka », « avec toi ».

C’est une question d’ouverture au souffle de l’Esprit de Dieu, et c’est indispensable même au niveau de notre propre survie, car chacun de nous a besoin de paroles qui le reconnaissent comme humain pour le devenir.

C’est ce qu’a bien dû observer, hélas, l’empereur Frédéric II (au XIIIe siècle) avec une expérience épouvantable digne des docteurs Josef Mengele et Shiro Ishii. Frédéric II voulait s’avoir s’il existait une langue première, naturelle. Il a pris six nouveau-nés qu’il a fait soigner par des nourrices avec interdiction de leur dire un seul mot, espérant les voir spontanément parler en grec, en hébreu ou en latin ? Résultat : les 6 enfants sont morts, ce qui montre que pour devenir humain nous avons besoin de recevoir une parole qui nous est adressée. Cela a des implications essentielles sur le plan éthique, dans les cas les plus quotidiens de la vie. Chaque personne a besoin de la parole d’un autre qui dise son humanité. C’est tout aussi important pour nous que dans les cas extrêmes, par exemple :

  • Quand est-ce qu’un embryon est humain et pas seulement une partie du corps de la mère ? Quand il est reconnu comme humain par des parents.
  • Une personne dans un comma profond peut être aimée par une personne comme étant une amie, un fils, un parent, reconnaissant ainsi son humanité.
  • Et le clochard dont plus personne ne connaît le nom, pourra se sentir humain grâce à quelques mots d’une personne en passant.

C’est ainsi que Dieu est Emmanuel au sens de Dieu avec chacun de nous. Sans condition de performance.

L’importance de la pluralité : être, c’est être parmi.

La promesse du salut de Dieu en Jésus-Christ, c’est cela et aussi plus que cela car cette promesse n’est pas seulement « Dieu avec chacun » elle est « Dieu avec nous », au pluriel. C’est ce qu’a bien valorisé la philosophe Hannah Arendt dans son livre « la condition de l’homme moderne » disant l’importance de la pluralité : « La pluralité est la condition de l’action humaine, parce que nous sommes tous pareils, c’est à dire humains, sans que jamais personne soit identique à aucun autre humain ayant vécu, vivant ou encore à naître ». D’où l’importance de l’individu. Cependant, vivre, dit-elle, ce n’est pas seulement être, ce n’est pas seulement occuper cet intervalle qui va de notre naissance à notre mort. Vivre : c’est être parmi les humains, comme le disait les Romains « Inter homines esse ». Hannah Arendt relève cette formule qui a donné en français le mot « intérêt », « inter esse », « être parmi ».

Les deux sont à tenir, je pense : « être » et « être parmi ». L’Emmanuel construit les deux.

Notre génération a bien, très très bien saisi l’importance que l’Evangile accorde tout particulièrement à nous en tant qu’individu personnel. Seulement il y a aussi une dimension collective, comme le rappelle Hannah Arendt. L’humain est une pluralité d’individus distincts.

C’est particulièrement important dans la crise que nous vivons. Nous le sentons existentiellement, quand nous devons vivre confiné, isolé dans notre petit coin, nous souffrons dans notre être. Nous le sentons sur le plan moral, par le simple fait que, malgré tout ce que les médecins et les gouvernements feront, si nous faisons n’importe quoi aujourd’hui, dans 8 jours des milliers de personnes seront frappées et les soignants débordés.

L’Évangile du « Dieu avec nous » se révèle dans l’attention que Jésus porte à chaque personne qu’il rencontre, en particulier, telle qu’elle est. Par ailleurs, il nous apprend à prier ainsi : « toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret » (Matthieu 6:5-11) Jésus part donc de la personne individuelle, il l’invite à prier Dieu dans son intimité, afin de sentir que Dieu est « Dieu avec moi », devenir ainsi soi-même, heureux d’être soi-même. Ne pas être réduit à être membre d’une communauté qui nous dirait que penser ou pour quoi voter, ou qui nous mettrait la présence de Dieu dans la bouche. Être une personne « avec Dieu », comme un « Je » qui entre dans sa chambre et s’adresse à un Dieu à qui il est possible de dire « tu » : que « ton nom soit sanctifié ». Et ensuite, Jésus nous apprend à prier alors au pluriel : « Notre Père, pas seulement mon Père, donne-nous notre pain ».

C’est ainsi qu’« un enfant nous est né », chaque personne nouvelle est d’une nouveauté inouïe, il y a un nouveau nous-même qui est appelé à naître en Christ. Et il y a un « nous » qui est appelé à naître en lui aussi. Un collectif dans cet Emmanuel, ce « Dieu avec nous ».

C’est ce qu’exprime l’apôtre Paul quand il parle de l’humanité comme un corps dont nous sommes les membres. Il emprunte sans doute cette image à un texte célèbre de Tite Live qui raconte la sécession de la plèbe en 494 avant Jésus. Tite-Live présentait déjà l’humanité comme un corps, les différents membres étant les corporations ou les différents ordres de la Cité. Paul reprend cette image bien connue des Romains en insistant sur les individus, ce sont eux les membres du corps, chacun ayant sa vocation propre, insistant sur l’importance que chacun soit bien lui-même, en forme, se sentant comme membre du corps et en lien avec les autres. Être et « être parmi ». Se sentir béni et responsable, se honorant les autres membres, bénissant les autres, même le méchant qui est à soigner parce que lui aussi est un membre du corps, un membre malade, mais un membre irremplaçable.

Et en ces temps où nous sommes, il est bon, je pense de se rappeler le « nous » de l’Emmanuel, « Dieu avec nous », avec l’humanité comme corps du Christ.

C’est aussi un appel à rester fidèle au poste, à notre poste dans ce corps, dans ce « nous ». La banalisation de l’assistance au suicide me semble être un trouble de ce « nous », où toute personne qui se sent, parfois à juste titre, rejetée, inutile, ou pas aimée peut choisir de se retirer du corps, comme si chacun était propriétaire de sa propre existence. Or, nous en sommes plutôt copropriétaire. Actionnaire majoritaire, et encore.

Emmanuel : c’est Dieu « avec chacun de nous » et c’est Dieu « avec nous » comme un corps. Nous pouvons donc nous sentir être digne, individuellement, et nous pouvons nous sentir « être parmi » les humains. C’est à ce double titre que notre existence est intéressante et même passionnante, et bénie en Christ.

Ne craignez pas.

Dieu est venu en nous, et il est venu parmi nous.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Évangile selon Matthieu 1:20-25

Voici, un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit: Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit; 21 elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.

22 Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : « 23 Voici, la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous. »

 

Romains 12:4-21 (extraits)

Tout comme il y a une multitude de parties dans notre corps, qui est un seul, et que toutes les parties de ce corps n’ont pas la même fonction, 5ainsi, nous, la multitude, nous sommes un seul corps dans le Christ et nous faisons tous partie les uns des autres. 6Nous avons des dons différents de la grâce, selon la grâce qui nous a été accordée… 10Quant à l’affection fraternelle, soyez pleins de tendresse les uns pour les autres. Soyez les premiers à honorer les autres… 14Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas.

15Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent ; pleurez avec ceux qui pleurent. 16Soyez bien d’accord entre vous. Ne soyez pas orgueilleux, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne soyez pas sages à vos propres yeux. 17Ne rendez à personne le mal pour le mal… 21Et toi : ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

(Voir traduction NBS)

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2 Commentaires

  1. Kinzanza Alain dit :

    Merci pour le msg c’est très profond et j’en suis béni.

  2. France dit :

    Très beau Message.

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