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Podcast audio de la prédication / Podcast audio du culte entier
(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le dimanche 12 septembre 2025,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
Transcription de la Vidéo :
Regarder pour voir : ouvrir les yeux et chercher la source
Nous venons d’entendre cette cantate de Rheinberger qui chante : « Regardez, regardez, quel amour le Père nous a montré. Regardez, avec combien de miséricorde il tourne son visage vers nous… » Je trouve excellent cet appel : ouvrir nos yeux, les lever, scruter un moment au-delà de la simple écorce de la vie, de la substance des choses. Et regarder : chercher à voir non seulement le meilleur, mais ce qui est derrière ce meilleur, l’eau qui l’a irrigué, remonter son cours, explorer, chercher à voir la source d’où l’eau a jailli.
C’est ce que fait Moïse : « Fais-moi voir ta gloire ! »(Exode 33:18) C’est ce que demande Philippe à Jésus : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit ! » (Jean 14:8) Cette demande est magnifique. C’est pourquoi Jésus y répond, avec son habituelle franchise, car il venait juste de dire qu’en réalité nous connaissons déjà Dieu et que nous l’avons vu. Jésus était content de se dire qu’il avait accompli sa mission de nous faire connaître Dieu et même de nous le faire « voir », mais il se rend compte avec déception que, même s’il a bien fait son travail, ce n’est pas si facile pour nous de voir Dieu. Il est d’une tout autre dimension que nous, n’étant pas de ce monde bien qu’ayant un rapport avec ce monde dont il est la source.
C’est donc une question ancienne et une question de toujours : peut-on voir Dieu ? Comment voir Dieu ? Regardons pour voir.
Moïse voit Dieu de dos, il voit sa gloire
À ce point du récit de l’Exode, Moïse vient de détruire un veau d’or que les Hébreux s’étaient fabriqué. Cela montre combien la tentation de s’accrocher aux réalités tangibles est forte pour l’humain. Cela le rassure de voir de ses yeux, de toucher du doigt. Par conséquent, dans notre désir de « voir » Dieu, nous devrons faire attention à ne pas nous forger de jolis petits veaux bien dorés, sculptés en dogmes et en rites massifs.
« Fais-moi voir ta gloire ! » dit Moïse à Dieu. C’est une prière. C’est très intelligent et pertinent de vivre cette recherche dans la prière.
Le terme de « gloire » est à mon avis une mauvaise traduction : כבד (kabod) en hébreu, c’est littéralement avoir du poids dans l’histoire, avoir une efficacité bien réelle, tangible dans son action. C’est ce que demande Moïse : de voir des effets réels, des bénéfices concrets du projet de Dieu de sauver les personnes qu’il aime. Que cela ne soit pas seulement une belle promesse, que cela ne soit pas du pipeau.
C’est la différence entre ce véritable principe actif qu’est le Dieu vivant par rapport à un veau d’or. Ce dernier permet de faire la fête autour de lui dans une superbe ambiance, tout le monde est content avec ce joli dieu qui les rassemble, sauf que ce dieu-là ne nous rend pas meilleur. Au mieux, il nous fait stagner, au pire il nous désespère et nous rend méchants.
C’est donc une bonne recherche de prier Dieu en lui disant : « Fais-moi voir ta gloire ! », que notre théologie et notre prière, notre culte et notre vie nous permettent réellement d’avancer : que notre âme soit élargie, que notre cœur s’attendrisse, que notre espérance ne s’épuise pas, que notre enthousiasme de vivre et de faire de bonnes choses soit vibrant et fécond…
Moïse va expérimenter l’efficacité de cette prière demandant « à voir » concrètement. Dieu le guide dans cette découverte. Moïse doit d’abord se tenir sur « le rocher ». Ce rocher, dans la Bible, c’est la confiance en l’Éternel. Cette méditation sur l’amour infini de Dieu pourrait être l’ouverture de nos prières. De là, comme Moïse, nous pourrons bien voir. Ce qu’il voit, c’est Dieu qui passe, il n’en aperçoit que le dos : c’est normal car Dieu est mouvement, il précède toute existence. Ce qu’il voit de la « gloire de Dieu », ce sont toutes les déclinaisons possibles de l’amour, de la tendresse, de la bienveillance, de la miséricorde, de la bonté, de la patience. Ce ne sont pas que des idées seulement, puisque c’est « la gloire de l’Éternel » qui se manifeste ainsi : ce sont donc des faits d’expérience dont il est question. Dans la prière, c’est ce que nous pouvons chercher à contempler. C’est pourquoi il était utile de d’abord se tenir sur notre confiance dans l’amour de Dieu afin de mieux en reconnaître les signes dans notre vie. Ouvrir alors nos yeux et regarder « la gloire de son amour », il a laissé des traces bien visibles, des faits petits et grands à relever. S’en émerveiller car chaque manifestation de bonté en ce monde est un miracle.
Il y a bien deux petites difficultés dans cette tirade saisissante de Dieu à Moïse, mais elles sont faciles à corriger. Non, Dieu ne « punit » pas, c’est un abus d’anciennes traductions, il est marqué littéralement que Dieu « visite » les familles où les pères ont fait n’importe quoi : c’est pour soigner que Dieu visite, c’est pour aider, sauver. Bien sûr. Comment le traducteur a pu supposer que Dieu visiterait pour punir les descendants de personnes problématiques ? Elles sont sans doute les premières victimes, et ces traumas non soignés peuvent effectivement faire souffrir les 3 ou 4 générations suivantes, comme l’observe aussi la psychanalyse contemporaine. Heureusement donc que Dieu les visite, et heureusement qu’il ne tient pas le coupable pour innocent : car le mal commis montre qu’il a besoin de soins, il ne suffit pas de passer l’éponge. Cela encore nous donne des indices de l’action puissante de l’amour de Dieu pour ressusciter des vies, très concrètement.
Voir cette dynamique de bonté active, c’est voir « la gloire de l’Éternel », c’est voir le jaillissement de vie à sa source, c’est voir Dieu lui-même à l’œuvre.
Cette observation de la gloire de l’Éternel est très inspirante et instructive, cela se prépare, cela s’entraîne, cela s’exerce dans la prière. Cela devient progressivement plus facile, et cela nous aide à nous mettre en route, comme les Hébreux, vers la vie.
La demande de Philippe : « Montre-nous le Père »
La demande de Philippe est du même bois que cette prière de Moïse :
Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit.
Jésus répond : « Celui qui m’a vu a vu le Père. » Et modeste, avec ça ? Sauf que c’est vrai, et que le dire n’est pas de l’orgueil. Au contraire : Jésus dit que ce qu’il est et ce qu’il fait, il n’aurait pas pu le faire de lui-même : c’est Dieu qui a agi. Qui de nous peut se forcer soi-même à aimer ? Par la philosophie ? Par les bonnes résolutions ? Peut-être pour vous, mais je remarque en moi-même que ce n’est pas gagné d’avance. D’où nous viennent nos éclairs de bonté ? La poussière du sol n’a pas de bonté et nous sommes faits de cette poussière du sol. Aucune des cellules de notre corps n’a de bonté, et pourtant : il nous arrive d’avoir un petit peu de bonté, de compassion, l’envie de faire plaisir. C’est à un tout autre niveau que le fait d’exister : nous sommes alors une source, même si c’est une petite source. Cela n’a pu venir que d’un autre niveau de la réalité : de Dieu. Par conséquent : qui a vu un de nos modestes éclairs de bonté a vu le Père car c’est lui, la source de vie et donc de bonté.
Bien sûr qu’en Jésus c’est à un degré supérieur, mais lui-même nous dit juste après que nous sommes un avec lui : « En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et que je suis en vous. » (Jean 14:20)
Quand Jésus dit : « Qui m’a vu a vu le Père », il nous apprend à voir dans notre moi profond l’enfant du Père qui espère et qui aime : et ainsi, à reconnaître Dieu. C’est immense bien entendu. Et cela ne doit rien à nos mérites, nous l’avons reçu.
Paul : voir comme dans un miroir
C’est ce que dit Paul dans son hymne à l’amour : Nous pouvons voir Dieu comme dans un miroir. En nous regardant nous-mêmes, nous voyons une capacité à aimer d’un amour éternel : nous pouvons voir Dieu, certes de façon déformée et confuse, mais quand même.
Saint Augustin : « Tu étais au-dedans de moi »
Saint Augustin, après une longue recherche de Dieu, finit par le trouver ainsi : « Tu étais au-dedans de moi, et moi j’étais dehors. » (Confessions 10:27) Cette vision permet d’avancer très concrètement, il nous conseille : « Voici donc en quoi vous devez faire des progrès : Aimez le Seigneur, et apprenez par là à vous aimer vous-mêmes ; et lorsqu’en aimant le Seigneur vous serez parvenus à vous aimer, vous pourrez alors en toute sécurité aimer votre prochain comme vous-mêmes. » (sermon 90:6)
Voir Dieu en l’autre : le Christ au fond de l’humanité
En voyant notre prochain, alors, nous pourrions reconnaître le Christ au fond de son humanité, et donc voir quelque chose du Père. Je peux en témoigner car dans ma vie, j’ai eu la joie de rencontrer bien des personnes en des circonstances où elles osent se montrer d’une façon authentique : à l’occasion de leur baptême, de leur mariage, du deuil d’une personne chère, de soucis, de recherche spirituelle, de maltraitance… Je peux vous dire combien la personne humaine est touchante, toujours. Nul n’a choisi d’être méchant, ni dépressif, ni orgueilleux, ni égoïste. Chacun fait ce qu’il peut pour vivre et espérer, plus ou moins maladroitement. Mais quand on regarde au fond, on ne peut qu’être ému. L’âme humaine est un miracle qui ne vient pas de ce monde. C’est Dieu, c’est la gloire de Dieu que l’on voit au fond, c’est ce que nous apprend cette phrase incroyable de Jésus : « Qui m’a vu, en vérité, a vu le Père. » Et c’est à vous, c’est pour vous, c’est de vous qu’il le dit (car il vous connaît bien et il vous aime).
Textes de la Bible
Exode 33 : 18 à 34 : 7
Moïse dit à l’Éternel : Fais-moi voir ta gloire ! … 21L’Éternel dit : Voici un endroit près de moi ; tu te tiendras sur le rocher. 22Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que j’aie passé. 23Puis je retirerai ma main, et tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue.
34:5L’Éternel descendit dans la nuée, se tint là auprès de lui et proclama le nom de l’Éternel. 6L’Éternel passa devant lui en proclamant : L’Éternel, l’Éternel, Dieu compatissant et qui fait grâce, lent à la colère, riche en bienveillance et en fidélité, 7qui conserve sa bienveillance jusqu’à mille générations, qui pardonne la faute, le crime et le péché, mais qui ne tient pas (le coupable) pour innocent, et qui punit la faute des pères sur les fils et sur les petits-fils jusqu’à la troisième et à la quatrième génération !
Jean 14 : 7-11
Si vous me connaissez, dit Jésus, vous connaîtrez aussi mon Père. Et, dès maintenant, vous le connaissez et vous l’avez vu. 8Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. 9Jésus lui dit : Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire, toi : « Montre-nous le Père ! » 10Ne crois-tu pas que, moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que, moi, je vous dis, je ne les dis pas de ma propre initiative ; c’est le Père qui, demeurant en moi, fait ses œuvres. 11Croyez-moi : moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi. Sinon, croyez à cause des œuvres elles-mêmes.
1 Corinthiens 13 : 12
Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.



Un petit mot sur cette étonnante prédication :
« D’où nous viennent nos éclairs de bonté ? La poussière du sol n’a pas de bonté et nous sommes faits de cette poussière du sol. Aucune des cellules de notre corps n’a de bonté, et pourtant : il nous arrive d’avoir un petit peu de bonté, de compassion, l’envie de faire plaisir. C’est à « un tout autre niveau que le fait d’exister » : nous sommes alors une source, même si c’est une petite source. Cela n’a pu venir que d’un autre niveau de la réalité : de Dieu. Par conséquent : qui a vu un de nos modestes éclairs de bonté a vu le Père car c’est lui, la source de vie et donc de bonté. »
CQFD 😉
Je ne sais pas si c’est Dieu mais vous touchez – je trouve – quelque chose de tout à fait juste.
En vue d’un podcast, je relis en ce moment La Barbarie de Michel Henry et j’en trouve réellement des échos dans votre prédication. Je crois même que Michel Henry parvient à la même conclusion que vous par une autre voie.
Il explique que le développement devenu hyperbolique des sciences, et qui s’initie aux tournant des XVIème et XVIIème siècle surtout, concurrence – Michel Henry écrit dans les années 80 – le développement de la culture. Je crois qu’on peut le constater davantage aujourd’hui qu’à la fin des années 80 lorsque le sabordage des Humanités n’était pas encore intégral. En cela, Henry s’est montré tellement visionnaire… bref…
Il définit précisément la culture comme « le mouvement par lequel la vie ne cesse de se modifier soi-même afin de parvenir à des formes de réalisation et d’accomplissement plus hautes, afin de s’accroître. ». La culture est donc le « lieu » où la vie est à la fois le sujet – cela même par quoi se produit cet accroissement de l’être et son objet, la transformation de la vie.
Parce que la science, se fondant sur l’universalité de ses principes et démonstrations, ne dévoile l’être que débarrassé de toute subjectivité, elle rate justement la vie. C’est la thèse de Michel Henry. « Il n’existe pas de cube dans la nature », écrit-il, pour être plus clair. Et plus la science essaie de déterminer la vie de façon objective et plus elle la manque en quelque sorte et plus la science se développe plus elle échappe au soubassement de la vie, plus elle s’éloigne de la vie et de la culture. De ce point de vue, je ne crois pas qu’il aurait été d’accord avec la formule : « un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup en rapproche ».
Il estime que l’essence de la vie est de s’auto affecter, de « se sentir vivant » et de s’auto accroître. Or, se sentir vivant ne peut dépendre de la simple matérialité mais relève d’un tout autre niveau, comme vous dites, qu’il qualifie, lui, de transcendantal.
C’est là où votre prédication m’a interpellée : « Faire preuve de bonté » « relève d’un autre niveau que le fait d’exister ». Je n’y avais jamais pensé ainsi.
Pour reprendre votre analyse, nous buvons à une autre source qu’à celle de la simple existence brute qui ne peut pas rendre compte de ce mouvement, ou de cette culture, car son principe est « extérieur » ou d’un autre niveau.
Donc « un éclair de bonté » – comme manifestation de la culture, telle que Michel Henry la définit – en tant qu’il manifeste la vie, nous montre le Père. Alors…, eh bien, je suis d’accord et surprise…
En vrai, mais comment vous faites ? Avec vous, on arrive toujours dans des endroits imprévus !
Chère Amélie
Quel magnifique compliment et complément.
Je trouve passionnant d’avoir ce dialogue que, vous ouvrez entre la Bible et des philosophes. Quand on parle du principe de « la Bible seule » ce n’est surtout pas pour nous enfermer dans cette vieille bibliothèque, c’est au contraire pour la mettre en dialogue avec les sciences, les sciences dures où existent des cubes, les sciences humaines où l’on sait que les cubes ont parfois huit dimensions et pas seulement trois, avec les philosophies et avec les religions. Donc 1000 mercis.
Avec ma gratitude et mon admiration
Merci Lili pour vos apports. Lorsque je vois s’afficher « Lili » dans la liste des commentaires récents, je me réjouis par avance !
Oh, merci, Pascale ! Je suis vraiment touchée de votre encouragement.