15 décembre 2019

Logo du Léman Express, à propos de son inauguration - CFF SNCF
Prédication

« Mais où est donc passé le wagon rouge ? » (Zacharie 6 ; Jean 4:19-26)

(Voir le texte biblique ci-dessous)

Écouter :

prédication (message biblique donné au cours du culte)
Culte transfrontalier à l’occasion de l’inauguration du Léman Express,
Genève, le dimanche 15 décembre 2019,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Logo du Léman Express, à propos de son inauguration - CFF SNCF Quel texte biblique vous choisiriez pour de réjouir de l’inauguration d’un nouveau train ? Le chercher, c’est le trouver (on trouve de tout dans la Bible 🙂 : il y a cette vision du prophète Zacharie « Et voici quatre wagons sortent d’entre les deux montagnes… » (6:1). De plus, ce début du livre du prophète Zacharie est un texte réjouissant et stimulant. Il est écrit à l’époque où le roi de Perse permet aux hébreux déportés de revenir dans leur pays et de reconstruire le temple de Jérusalem, à l’heure où Zacharie écrit, il va bientôt être inauguré. Période pleine d’enthousiasme pour repartir du bon pied, avec la foi au centre, avec des valeurs de justice et de bonté. Avec une idée aussi de salut au delà de leur simple peuple, pour toutes les nations avec le Messie appelé ici « le germe » ou « le soleil levant ».

Cette vision de Zacharie est un des textes les plus énigmatiques de la Bible. C’est ce que reconnaît l’immense commentateur juif de la Bible qu’est Rachi : il dit que ce texte est si énigmatique qu’on ne le comprendra pas avant que le Messie nous l’enseigne. Or, voilà que nous avons trouvé le Messie en Jésus. Et dans un épisode de l’Évangile selon Jean nous retrouvons bien des éléments de cette vision de Zacharie : les deux montagnes, l’Esprit qui souffle, l’édification d’un temple nouveau en la personne humaine, le salut débordant d’Israël sur l’universel, et la découverte du Messie.

C’est deux textes s’éclairent mutuellement.

Qu’est-ce qui déroute les commentateurs depuis des millénaires dans cette vision de Zacharie ? C’est qu’il y a quatre équipages de quatre couleurs qui sont envoyés parcourir toute la terre : un rouge, un noir, un blanc, et un tacheté. Chacun des ces équipages est un des quatre Esprits des cieux, nous dit l’ange, avant d’expliquer les rôles de l’équipage noir, blanc et tacheté. Pas un mot sur le rouge. Chacun de ces équipages est un fruit du souffle de Dieu, source éternelle de consolation, de force et de paix, source de vie et de résurrection. Un des dons de l’Esprit aurait-il été oublié ? Où est donc passé le wagon rouge et son équipage ? Serait-il en grève ? Aurait-il été oublié dans le texte de Zacharie par un copiste maladroit ? C’est peu vraisemblable car l’équipage rouge était nommé le premier dans la liste des quatre dons de l’Esprit de Dieu, donc le principal, le cœur de l’action de l’Esprit.

Quand l’ange explique les fonctions de l’Esprit, il passe directement au second : l’équipage noir sort vers le pays du Nord où l’équipage blanc le suit. Au sens historique, c’est du nord d’Israël, de Babylone et de Perse que viennent les ennemis qui ravagent le pays, profanent ou démolissent le temple, exilent le peuple. Au sens spirituel, ces ennemis sont tout ce qui nous brise, ruine notre foi ou notre espérance, notre paix. Le pays du Nord, pour Israël, c’était un petit peu les Savoyards et les Français d’hier pour Genève.

Si l’équipage noir évoque la mort et le châtiment de l’ennemi, il est ici immédiatement suivi de l’équipage blanc qui évoque la lumière et la vie, la pureté. Déjà quelque chose de l’amour des ennemis annoncé et vécu par Jésus-Christ apparaît ici. L’époque de Zacharie est celle de la paix avec les ennemis d’hier. Dans ce texte de Zacharie, le souffle de Dieu n’est donc pas un souffle vengeur qui extermine les peuples du nord, il élimine seulement ce qui en faisait hier des ennemis. Et c’est ainsi que le regard que Zacharie a dans ce texte nous ouvre à un sens spirituel pour toutes les époques : afin que Dieu vienne à notre aide pour chasser en nous ce qui est source de mort, d’aliénation, de sentiment d’être en exil loin de soi, de perte de bonheur, de destruction de la foi : c’est cela qui est éliminé par le souffle divin évoqué par l’attelage noir laissant immédiatement place au souffle de l’équipage blanc pour révéler ce qui est bon, même dans nos ennemis d’hier. D’ailleurs : Abraham, Sarah, Rébecca, Léa et Rachel ne viennent-ils pas tous de ce « pays du nord » ? L’esprit ne va pas seulement passer dans ce pays du nord, il va y reposer, dit l’ange.

C’est pour voir cela que Zacharie « se tourne et lève les yeux pour voir ». « Se tourner » est ici le verbe souvent traduit par « se convertir », et « lever » les yeux est comme une résurrection du regard. C’est à ce nouveau point de vue que nous invite Zacharie. C’est cette nouvelle clairvoyance que nous pouvons recevoir au souffle de l’Esprit. Ensuite, l’ange — c’est à dire la méditation et la prière — nous permettra de travailler sur ce que nous aurons vu.

L’équipage tacheté et fort s’élance, lui, vers le pays du Sud. Historiquement, cela désigne l’Égypte avec qui Israël a une histoire contrastée : l’Égypte est à la fois la terre de refuge en temps de famine et un piège quand les hébreux s’y installent, elle devient un esclavage et une aliénation, comme au temps de Moïse. Au sens spirituel, l’Égypte évoque la formidable force de l’industrie humaine, qui est à la fois une grande ressource et un danger (ces textes bibliques ont une modernité incroyable). Là encore, l’Esprit de Dieu selon Zacharie ne vient pas en destructeur, il vient avec un souffle plein de force et de nuances, comme tacheté, à la fois noir et blanc, pour intervenir chirurgicalement sur ce talent qu’est l’industrie humaine. Le même train peut servir à rassembler des peuples et à déporter, même à exterminer des populations. Quant à la maîtrise des forces de l’atome, elle donnera peut-être demain une source d’énergie propre pour tous, sa première utilisation a été d’exterminer des centaines de milliers de civils. C’est donc d’une façon extrêmement fine, tachetée et même temps puissante que nous avons a vivre par l’Esprit que Dieu nous envoie. Cet équipage tacheté est envoyé parcourir la terre entière, toutes les dimensions de notre existence : afin de purifier et éclairer, de guérir et de ressusciter l’éducation, les arts, les solidarités, les techniques, la politique, les religions, les regards des uns sur les autres, les équilibres… Au cas par cas, avec nuances et avec force.

Nous voyons bien l’application concrète pour nous de ces équipages noirs, blancs et tachetés. Nous voyons bien l’importance de cette action de l’Esprit saint, et celle de la voix de l’ange qui évoque notre prière et notre réflexion où nous accueillons ce travail de Dieu pour nous et en nous. Mais où est donc passé le wagon rouge ? À quelle mission ce souffle premier s’est-il attelé, à quelle mission plus urgente, plus essentielle que de faire la paix avec nos ennemis et de donner une conscience à notre formidable industrie humaine ?

« Rouge » en hébreu est ici « édom » bien connu dans la Bible dans l’histoire d’Ésaü et Jacob pour évoquer la vie humaine portée par son sang rouge. Si même l’ange n’a pas vu sortir l’équipage rouge, c’est qu’il est resté en dedans. Il évoque donc, me semble-t-il, le travail de l’Esprit en chacun de nous et dans nos communautés. Le wagon rouge est avec nous, il est en nous, il travaille à bâtir l’humain comme temple de l’Esprit. Le véritable temple de Dieu n’est ni à Jérusalem, ni sur le mont Garizim, nous dit Jésus, mais à l’intérieur de cette personne qu’il rencontre, de chaque personne qu’il rencontre, fusse-elle une Samaritaine, fusse-t-elle une femme, ce qui dans cette culture très nationaliste et très patriarcale est synonyme d’absolument tout le monde, sans condition de sexe ou d’orientation, sans condition de parcours de vie, d’origine, de sensibilité ou de religion.

Les 4 wagons de l’Esprit viennent d’auprès de Dieu, passant entre les montagnes, nous dit Zacharie. Le souffle de Dieu ne vient pas sur nous venant de Jérusalem, ni du mont Garizim mais il passe entre ces montagnes de bronze, entre nos différents cultes particuliers si fermement établis. Le souffle de Dieu ne viendra pas de Jérusalem, ni de La Mecque, de Lhassa ou Bodhgaya, ni de Rome, Constantinople, Toronto, Augsbourg, ni même de Genève (c’est pour dire !). Le souffle divin, dans toute sa richesse sortira d’entre tout cela, comme un train de quatre wagons : rouge, noir, blanc et tacheté.

Des « fleuves d’eau couleront en notre sein » nous promet Jésus(Jean 7:38) comme à la Samaritaine(Jean 4:10). Promesse que nous serons chacune et chacun, personnellement le Temple de Dieu, le temple de son Esprit coulant comme une source de vie en nous et autour de nous. Promesse que nous serons, que nous sommes prophète ou prophétesse selon notre vocation personnelle, comme la Samaritaine sera envoyée vers les siens, faite apôtre par Jésus.

« L’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jean 4:23), c’est la promesse que nous sommes déjà fait grand prêtre par l’Esprit et par la vérité : par l’Esprit saint qui nous a été donné bien plus que nous ne le pensons, et par notre sincérité. Cette vision de Zacharie et sa relecture par Jésus sont une invitation à ce que le vrai sommet de notre vie spirituelle soit celle de notre prière secrète et donc sincère, prière où parfois l’Esprit lui-même prie en nous et murmure à Dieu cette prière ultime « Abba, Père »(Marc 14:36; Rom 8:15; Gal 4:6), puis « mon Père et votre Père »(Jean 20:17) en pensant à ceux qui nous entourent. En même temps, Jésus le dit bien, nous avons encore besoin de ces montagnes de bronze que sont nos religions, nos cultes, nos chapelles et nos paroisses, mais « l’heure vient et elle est déjà là » où l’Esprit souffle sur chacune et chacun, passant entre les montagnes de bronze, à leurs limites, là où elles deviennent modestes.

Aujourd’hui, nous dit la parole de YHWH (l’Éternel), il convient de nous investir tous ensemble, nous qui nous reconnaissons exilés et aspirant d’être en paix. Il est temps de nous réunir grâce à notre Dieu commun à tous, puis de mettre les moyens afin de couronner celui que Dieu nous désigne : Josué fils de Yehotsadaq. Selon la signification de ces noms propres, il s’agit de couronner à la tête de notre espérance « l’Éternel est salut » fils de « l’Éternel est juste ». C’est là tout un programme, c’est une théologie et une façon d’être. Jésus dira la même chose : « recherchez premièrement, le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné en plus » (Matthieu 6:33) : espérer l’action de Dieu en nous et ce qui est juste selon lui. Paul dira : de la théologie, de la foi, des actes généreux, du culte, de la prière : oui mais pas sans amour (1 Corinthiens 13). Comment faire ? Impossible de se forcer : c’est à recevoir par l’Esprit, nous dit la vision de Zacharie avec son histoire de ce train de 4 charriots à roulettes sortant d’entre les montagnes. Le salut de Dieu est enfant de sa justice : de son respect pour nous, de son amour pour nous, de sa fidélité même unilatérale. C’est ce Josué fils de Yehotsadaq que nous sommes envoyés couronner comme grand prêtre sur ce monde. Afin que cela nous inspire, régnant sur notre théologie, sur nos valeurs, notre espérance, notre prière.

Zacharie saisit ensuite que même cela n’est pas encore l’ultime. La première chose que nous avons à apprendre à ce grand prêtre tout juste couronné c’est que son règne est limité. Tu lui diras à ce Josué, au nom de l’Éternel : « Voici un homme dont le nom est Tsèmar (« Germe »), il germe là où il est et il bâtit le palais de l’Éternel. » (verset 12)

Que notre foi, notre réflexion théologique et éthique, notre espérance soit au service de l’humain en germe, de l’humain de plus en plus inspiré par l’Esprit de Dieu. C’est à cela que travaille sans cesse le wagon rouge, rouge comme la vie, rouge comme le sang prêt à être versé pour ceux que l’on aime s’il le fallait absolument. Rouge comme l’amour.

cette vision du couronnement du grand prêtre : ce n’est pas la foi pour la foi, la prière pour la prière, la contemplation et la louange pour la louange, ce n’est pas l’étude en vue de la seule sagesse. C’est tout cela au service du Germe en l’humain, bâtissant l’humain comme habité par l’Esprit de Dieu, Souffle de vie. Cet humain, ce Germe ne germe pas seulement en tel ou tel lieu particulier, « il germe là où il est », littéralement « il germe dans ce qu’il a sous ses pieds ». Dieu est le Seigneur de toute la terre, nous dit l’ange, chaque arpent de terre est le saint des saints dès lors qu’un humain en Germe l’a sous ses pieds. La question n’est pas d’être abouti, mais d’être, ou même seulement de s’espérer être, par l’Esprit, en Germe.

Mais là encore, il faudra partager ce pouvoir, au risque de se prendre pour Dieu, ce qui ne serait pas génial : ce serait sortir de la dépression pour entrer dans une bouffée de folie délirante. Oui, nous sommes déjà un Germe, habité par l’Esprit, assis sur le trône. Seulement, ô surprise, ô bonheur et paix, il y a un autre sur ce trône avec nous : un prêtre, et, nous dit la parole de l’Éternel, « il y aura un dialogue de paix entre l’un et l’autre », entre le Germe et l’Esprit en nous. En dialogue de Paix (la spécialité de Genève, comme le Valais a la raclette et la Savoie le Reblochon — en disant cela je sens s’approcher de moi le wagon noir).

Nous sommes ainsi chacune et chacun héritier du Royaume de Dieu, cohéritiers avec Christ, en Christ, même les païens, dit Paul suivant en cela Zacharie (Rom 8:17; Eph 3:6). Cela vaut pour chaque personne, dans l’infiniment particulier de chacun. Cela devient ainsi totalement universel, comme dans un corps, et cela ne peut marcher que dans ce dialogue de paix entre chacun, par l’Esprit.

Que Dieu nous soit en aide.

Amen.

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Zacharie 6

Je me tourne, et je lève mes yeux, et je vis :

Et voici quatre wagons sortant d’entre les deux montagnes, et ces montagnes étaient des montagnes de bronze.

  • 2Au premier wagon il y avait des chevaux rouges,
  • au deuxième wagon des chevaux noirs,
  • 3au troisième wagon des chevaux blancs
  • et au quatrième wagon des chevaux tachetés et forts.

4Je réagis en disant à l’ange qui parlait avec moi : Qu’est-ce que cela, mon seigneur ?

5L’ange me répondit : Ce sont les quatre Esprits des cieux qui sortent du lieu où ils se tenaient devant le Seigneur de toute la terre.

  • 6Le wagon aux chevaux noirs attelés à l’un des chars sortant vers le pays du nord,
  • et les blancs sortent en les suivant ;
  • les tachetés sortent vers le pays du sud 7Et les forts sortent et cherchent à aller parcourir la terre. Il leur dit : Allez, parcourez la terre ! Et ils parcoururent la terre.

8L’ange m’interpela en disant : Regarde, ceux qui sortent vers le pays du nord font reposer mon Esprit dans le pays du nord.

9La parole de YHWH pour moi me dit : 10Tu recueilleras la participation des exilés, de Heldaï, de Tobiya et de Yedaya : tu iras, toi, en ce jour dans la maison de Josias fils de Sophonie, où ils sont, venant de Babylone. 11Tu recueilleras de l’argent et de l’or, tu feras des couronnes et tu les mettras sur la tête de Josué (« l’Éternel est salut »), fils de Yehotsadaq (« l’Éternel est juste »), le grand prêtre. 12Tu lui diras : Ainsi parle le l’Éternel des puissances : Voici un homme dont le nom est Tsèmar (« Germe »), il germe là où il est, et il bâtit le palais de l’Éternel.

13C’est lui qui bâtira le palais de l’Éternel; il portera les insignes de la majesté ; il s’assiéra et gouvernera sur son trône. Il y aura aussi un prêtre sur son trône, et il y aura un dialogue de paix entre l’un et l’autre.

 

Jean 4:19-26

Seigneur, dit la femme à Jésus, je vois que tu es prophète. 20Nos pères ont adoré sur cette montagne ; et vous dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem. 21Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. 22Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. 23Mais l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche. 24Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. 25La femme lui dit : Je sais que le Messie vient — celui qu’on appelle Christ. Quand il sera venu, il nous annoncera tout. 26Jésus lui dit : Je le suis, moi qui te parle.

 

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