Extrait des tentations de Jésus par Botticelli (chapelle Sixtine)
Prédication

« Les deux récits de tentations » (Genèse 2 et 3, Matthieu 4:1-11) par Emmanuel Rolland

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 26 février 2023,
par le pasteur Emmanuel Rolland

Extrait des tentations de Jésus par Botticcelli (chapelle Sixtine)
Du 12 au 17 avril 1937, Dietrich Bonhoeffer offrit quelques jours de retraites aux pasteurs résistants qu’il formait et il débuta ces 5 jours de retraite par une étude biblique sur la tentation dont les notes ont été conservées. Voici ce que lui inspirent les deux récits proposés à notre méditation de ce jour :

« L’Ecriture sainte, dit-il, ne nous raconte pas, à la manière d’un livre d’édification, nombre de récits de tentations humaines et la manière dont elles ont été vaincues. En fait, elle ne nous rapporte que deux histoires de tentations : celle du premier homme et la tentation de Jésus-Christ, c’est-à-dire la tentation qui aboutit à la chute de l’homme et celle qui aboutit à la chute de Satan. » Il explique que si Jésus-Christ a réussi là où Adam a échoué, c’est que le fils de Dieu n’a jamais voulu être qu’un homme, quand le premier homme, aurait tellement aimé devenir un dieu. Quand Jésus-Christ regardait vers le bas, Adam regardait vers le haut. Quand l’un voulait se faire moins, l’autre voulait se faire plus. Celui qui s’est abaissé a été élevé quand celui qui voulait s’élever a été abaissé.

Dietrich Bonhoeffer écrivait à une époque où Hitler aiguisait ses armes et nul doute que Bonhoeffer pensait à la situation de l’Allemagne des années 30 quand il méditait sur le récit des tentations de toute puissance. Il y a toujours quelque chose de menaçant chez ceux qu’aucune frontière ne retient plus. Chez ceux que rien n’empêche ; qui sont prêts à toutes les transgressions pour accroitre leur gloire et leur puissance. Cet « hybris », ce désir d’être « plus », de « s’augmenter » en quelque sorte, on l’observe comme une composante de l’histoire humaine dès les premières pages de la Bible et elle est nommée pour ce qu’elle est : une puissance diabolique qui coupe, qui divise qui fracture. Elle transforme le prochain en lointain, l’ami en ennemi, le frère en étranger. Aujourd’hui encore, nous tremblons quand nous voyons cette puissance à l’œuvre. Oui nous tremblons. Même si l’Ukraine résiste bravement depuis un an contre l’envahisseur et n’a pas craqué. Même si l’Europe et les Etats-Unis, instruits des guerres du passé, n’ont pas attendu pour défendre ce pays, nous tremblons parce que l’équilibre et la paix sont menacés aujourd’hui comme hier par l’obsession d’extension et de conquêtes de quelques possédés mégalomaniaques.

Dietrich Bonhoeffer écrivait à une époque où les questions écologiques, liées à la terre, à l’épuisement de ses ressources ne se posaient pas. Un siècle après lui, plus personne ne peut les ignorer. Plus personne ne peut ignorer combien la croissance menée tambour battant après-guerre avec la meilleure conscience du monde, cette croissance qui a généré la prospérité et à la paix touche aujourd’hui ses limites. Nous ne pouvons plus ignorer combien le « toujours plus », après avoir assuré notre confort et notre sécurité, augmenté notre prospérité et prolongé notre durée de vie, menace aujourd’hui l’avenir.

Et nous aurions donc toutes les raisons de poursuivre le développement de Dietrich Bonhoeffer montrant combien il est dangereux de lâcher la bride à cet instinct qui nous pousse vers le haut, vers le plus, qui, en chacun d’entre nous, vise à s’affranchir de la limite, au risque de nous faire tomber bien bas.

Mais ces deux récits de la tentation ouvrent aussi d’autres pistes de réflexions. D’une part, parce que petit peuple de la Bible est l’exemple archétypique du peuple qui aura repoussé les limites, ses propres limites mais aussi les limites de la connaissance. C’est au petit peuple de la Bible notamment que l’on doit la désacralisation du monde qui a ouvert la porte à l’étude, à la science qui a permis à l’humanité de s’affranchir de bien des limites et d’aller toujours plus loin dans la découverte, les sciences, les techniques et l’art.

D’autre part, parce-que Jésus-Christ, profondément fidèle à la tradition de ses pères, ne s’est pas privé, lui non plus de s’affranchir de certaines limites. N’a-t-il pas multiplié les pains pour nourrir une foule, changé de l’eau en vin, relevé des paralytiques, rendu la vue à des aveugles et guéri des lépreux ? N’a-t-il pas relevé une fillette de la mort ? Quelle frontière n’a-t-il pas pulvérisé ? N’a-t-il pas dit à ses disciples que s’ils croyaient en lui, ils pourraient faire des œuvres plus grandes encore que celles qu’il a accomplis ?

Quant à Adam, n’oublions pas qu’il s’ennuyait ferme dans son petit paradis, sans épouse et sans histoire, et c’est justement parce qu’il s’y ennuyait ferme que Dieu, comme un bon chirurgien, a fait une espèce de transplantation qui a donné Eve, la si vive, Eve la si vivante. Eve, pas bête du tout, qui se dit que si cet arbre est planté-là, au milieu du jardin et qu’en manger augmente la connaissance, l’intelligence, il n’y a pas de raison de s’en priver ! Quant à Adam, mari prudent et raisonnable, à partir du moment où sa femme lui dit de prendre et de manger, que voulez-vous qu’il fît pour la paix de son ménage ?

Alors quelle est, ce que l’on appelle, la faute d’Adam ? Et en quoi Jésus a-t-il réussi là où Adam a échoué autrement dit pourquoi Adam a tout perdu là où Jésus-Christ a tout gagné ?

Observer ce qui change, pour Adam et Eve après avoir « succombé à la tentation » et ce qui change, pour Jésus-Christ après y avoir résisté peut nous aider à esquisser une réponse.

Avant de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Adam et Eve sont tous les deux nus dans le jardin et, nous dit l’hébreu biblique, « ils n’ont pas honte » de ce qu’ils sont. Nus, ils n’ont pas honte. Ils n’ont pas peur non plus. Ignorant à la fois la crainte et la culpabilité, leur nudité, c’est-à-dire leur vulnérabilité ne leur pose aucun problème.

Après avoir mangé du fruit, « leurs yeux s’ouvrent », nous dit l’hébreu biblique et ils découvrent « qu’ils sont nus ». C’est le premier fruit de la « connaissance » qu’ils acquièrent : ils se découvrent nus. En ont-ils honte ? En ont-ils peur ? On ne sait pas mais les voilà qui se mettent à bricoler des pagnes et quand ils entendent la voix de Dieu, ils se cachent. Alors : ont-ils honte, honte de leur nudité ? Ont-ils peur, peur de ce monde dans lequel ils se découvrent étrangers, dans lequel ils se découvrent si démunis, vulnérables. Peur d’eux-mêmes et peur de Dieu. Peur pour leur présent et peur pour leur avenir.

Voici, en quelque sorte, comment sans que le monde change autour d’eux, leur paradis s’est transformé en enfer. Par une simple question de regard. Le monde autour d’eux n’a pas changé, mais c’et le regard qu’ils portent sur leur monde qui a changé. Ils ne voient plus tout ce qu’il y a. Ils ne voient plus que tout ce qu’ils n’ont pas. Ils sont nus. Ils ont peur. Ils tombent de haut.

Jésus, lui, n’est pas dans le jardin, il est dans le désert et au bout de 40 jours sans manger et san boire, il a faim. Jésus est nu. Il n’a pas honte. Jésus est vulnérable. Il n’a pas peur. Jésus a faim. Alors… il mange, c’est-à-dire : il ouvre les Ecritures, Parole de Vie. Il s’en remet à Dieu, même s’il n’y a, au milieu de ce désert, pas d’autre signe de sa présence que sa Parole, sa parole plantée en lui.

Quand Adam s’empare, Jésus Christ s’abandonne. Quand Adam prend, Jésus reçoit. Quand Adam tombe, Jésus-Christ se lève. Et je crois très profondément que, en nous aussi, quand Adam tombe, Jésus-Christ se lève, c’est-à-dire que quand on cesse d’avoir honte de n’avoir rien ou de n’être rien, quand on cesse d’avoir peur de n’avoir rien ou de n’être rien, quand on se fiche d’avoir plus ou d’être plus, alors en nous Adam tombe et le Christ se lève. Adam voulait devenir « comme un dieu », il n’a été qu’un homme. Jésus ne voulut être qu’un homme, c’est lui qui est devenu notre Dieu.

J’ai ouvert cette méditation avec les mots de Dietrich Bonhoeffer ; c’est lui qui a les mots de la fin : « Le tentation de Jésus, écrit-il, n’est pas celle lutte héroïque de l’homme contre les puissances mauvaises. Dans la tentation, Jésus a été dépouillé de toutes ses forces ; il a sombré dans l’obscurité complète. Il ne lui reste rien que la parole salvatrice de Dieu, qui le porte, le retient, combat pour lui et remporte la victoire. Alors, « le diable le laissa », « et voici, les anges vinrent auprès de Jésus et le servirent. De même, dans le jardin de Gethsémané « un ange apparut du haut du ciel pour le fortifier. » Telle est la fin de la tentation : celui qui, après avoir sombré dans la pire faiblesse, a été soutenu par la Parole, reçoit d’un ange de Dieu l’affermissement de toutes les forces de son corps, de son âme et de son esprit. »

pasteur Marc Pernot

Textes de la Bible

Genèse 2, 4b-9 / 15-17

Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5il n’y avait encore sur la terre aucun arbuste des champs, et aucune herbe des champs n’avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol ; 6mais un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol.
7Le SEIGNEUR Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant.
8Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé.
9Le SEIGNEUR Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger, l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.

15Le SEIGNEUR Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et le garder.
16Le SEIGNEUR Dieu prescrivit à l’homme : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, 17mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. »

Genèse 3, 1-8

Or le serpent était la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs que le SEIGNEUR Dieu avait faites. Il dit à la femme : « Vraiment ! Dieu vous a dit : “Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin”… »
2La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, 3mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas afin de ne pas mourir.” »
4Le serpent dit à la femme : « Non, vous ne mourrez pas, 5mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est bon ou mauvais. »
6La femme vit que l’arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle, et il en mangea.
7Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils surent qu’ils étaient nus. Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des pagnes.
8Or ils entendirent la voix du SEIGNEUR Dieu qui se promenait dans le jardin au souffle du jour. L’homme et la femme se cachèrent devant le SEIGNEUR Dieu au milieu des arbres du jardin.

Matthieu 4, 1-11

Alors Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable.
2Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il finit par avoir faim.
3Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
4Mais il répliqua : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme vivra, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu. »
5Alors le diable l’emmène dans la Ville Sainte, le place sur le faîte du temple 6et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour t’éviter de heurter du pied quelque pierre. »
7Jésus lui dit : « Il est aussi écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
8Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne ; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire 9et lui dit : « Tout cela je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores. »
10Alors Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c’est à lui seul que tu rendras un culte. »
11Alors le diable le laisse, et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

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