17 décembre 2023

Prédication

Le Magnificat (Luc 1:39-56) par le professeur Michel Grandjean

Texte, vidéo et poscasts de la prédication. Ceci est un témoignage personnel. N’hésitez pas à donnez votre propre avis ci-dessous.

pasteur Marc Pernot

 

Vidéo :

(Voir le texte biblique ci-dessous)

texte de la prédication à imprimer

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Cologny, le dimanche 17 décembre 2023,
par : Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme,
Faculté de théologie, Université de Genève

La foi : faire confiance en la promesse de Dieu

Nous allons nous pencher sur le fameux Magnificat de Marie. J’en entends peut-être déjà un ou deux qui se disent en leur for intérieur : « Marie, c’est bien joli, mais c’est tout de même un peu catholique. On ne va quand même pas se mettre à parler de la sainte Vierge dans un temple protestant… »

Quelqu’un qui penserait ainsi aurait tort. D’abord parce que l’un des grands textes de Luther en 1520-1521, l’un des plus profonds, est précisément consacré au Magnificat. Mais surtout parce que Marie n’est pas moins importante dans l’histoire du salut qu’Abraham, qu’on appelle « le père des croyants », pour la bonne et simple raison qu’il a cru en la promesse de Dieu. Vous vous rappelez : Dieu demande à Abraham de compter toutes les étoiles s’il le peut, puis il lui dit « telle sera ta descendance ». Le texte de la Genèse dit ensuite : « Abraham (ou plutôt Abram) eut foi dans le Seigneur, et pour cela le Seigneur le considéra comme juste. »

La promesse à Abraham est complètement folle puisqu’elle s’adresse à un homme de plus de 75 ans qui n’a encore pas un seul enfant. Mais Abraham « eut foi dans le Seigneur ».

Pour Marie, les choses sont au moins aussi folles. C’est une jeune fille, d’une famille dont on ne connaît rien, qui est de surcroît très probablement illettrée, une jeune fille qui vit dans un village auquel le guide Michelin de l’époque n’attribue aucune étoile, Nazareth. C’est cette jeune fille qui reçoit la visite d’un ange. Et cet ange lui parle d’un enfant à naître. Elle devra l’appeler Jésus et il sera tenu pour le Fils de Dieu. Le texte de l’évangile de Luc a ensuite ces mots : « Marie dit alors : ‘Je suis la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi comme tu l’as dit !’ »

Abraham, Marie : nous sommes en présence de la même attitude de foi face à une promesse de Dieu. Nous n’avons donc aucune raison de nous intéresser à Abraham et de nous désintéresser de Marie. Et le temps de l’Avent se prête tout particulièrement à une méditation sur Marie.

Enceinte, Marie se rend chez sa parente Elisabeth, où elle passe quelques mois. Et voici, dans le récit de Luc, que Marie entonne un hymne au Seigneur, cet hymne qu’on connaît généralement sous son premier mot en latin : magnificat.

Un hymne

A la vérité, les lecteurs de Luc comprennent aussitôt que cet hymne est une construction de l’évangéliste. Personne, parmi les premiers lecteurs de l’évangile, ne s’est probablement demandé comment Luc, qui n’était bien sûr pas présent lors de la rencontre des deux femmes enceintes, a bien pu savoir ce que Marie a dit alors. Mais l’important n’est pas là : l’hymne de Marie déborde de références à la Bible hébraïque. Si vous avez dans votre bible des références et des renvois, il vous suffit de jeter un coup d’œil dans la marge : dans la TOB, on trouve à la hauteur du Magnificat pas moins de 39 références bibliques !

L’hymne est un genre littéraire bien connu dans la Bible hébraïque et dans la littérature de l’époque de Luc. En voici quelques exemples :

  • En Exode 15, juste après le passage de la mer Rouge : Moïse chante un hymne avec tout le peuple : « Je veux chanter le Seigneur, il a fait un coup d’éclat. Cheval et cavalier, en mer il les jeta… »
  • En 1 Samuel 2, quand elle met au monde un fils, le petit Samuel, Anne entonne un hymne : « J’ai le cœur joyeux grâce au Seigneur… je me réjouis de ta victoire. Il n’est pas de saint pareil au Seigneur, il n’est personne d’autre que toi… »
  • Et l’on pourrait citer de nombreux psaumes ou des textes de la littérature intertestamentaire, de l’époque du NT, comme les Psaumes de Salomon ou certains textes de Qumran. Bref, Luc met dans la bouche de Marie (comme un peu plus tard dans celle de Zacharie ou dans celle de Syméon) un cantique dans le plus pur style de la Bible hébraïque.

De quoi s’agit-il ?

Chanter la grandeur de Dieu

Marie s’exclame tout de go : « Mon âme magnifie le Seigneur », ou « exalte le Seigneur ». Dès qu’elle ouvre les lèvres, c’est pour dire la grandeur de Dieu.

Quatre siècles plus tard, Augustin ne procédera pas autrement quand il se lancera dans la rédaction de ses Confessions. Son livre le plus fameux commence précisément par ces mots : « Tu es grand, Seigneur, et bien digne de louange… » Ce sera un autre magnificat… Comme si, dès qu’on ouvre les lèvres pour parler de Dieu, on ne peut que reconnaître, d’entrée de jeu, sa grandeur.

Marie chante donc la grandeur de Dieu. Comme Moïse au bord de la mer Rouge qu’il vient de traverser. Comme Anne qui tient le petit Samuel dans ses bras. Si l’on veut chanter Dieu, commençons par reconnaître qu’il est grand, c’est-à-dire non seulement qu’il nous dépasse (comme un géant qui serait comme nous, mais en plus grand), mais qu’il est autre que nous, le Tout-Autre. Dieu n’est pas comme nous, et nous allons le voir dans le cantique de Marie.

Car si Marie chante la grandeur de Dieu, c’est parce qu’il « a porté son regard sur son humble servante », celle qui est toute petite.

Une expérience de Dieu

Cela implique une chose fondamentale, que Luther souligne déjà en 1520 : Marie ne pourrait pas chanter cet hymne si elle n’avait pas, d’abord, fait l’expérience de Dieu. Dieu l’a visitée, elle a goûté le Saint Esprit, et en conséquence de tout cela, elle déborde de joie.

Ailleurs, Luther a même une formule terrible pour tous les savants de la terre qui se piquent de savoir quelque chose de Dieu : « seule l’expérience fait le théologien ». Le théologien, ce n’est pas celui qui a lu tous les livres, qui connaît toutes les langues et qui se fait fort de tenir de longs discours sur Dieu. Le théologien, c’est celui qui a fait l’expérience de Dieu. Marie a fait l’expérience de Dieu. On va y revenir dans quelques minutes.

On l’a dit : Marie chante la grandeur de Dieu, qui se tourne vers son humble servante et qui se soucie de l’humain dans sa petitesse. Mais cette grandeur de Dieu n’est pas ici l’œuvre de la création ou l’anéantissement des Egyptiens dans les flots de la mer Rouge : elle réside ici, dans la bouche de Marie, en cela même que Dieu se préocuppe de la petitesse de l’humain, en cela même qu’il se tourne vers la petite Marie de rien du tout. Comme Luther le relève, Gabriel aurait très bien pu aller à Jérusalem plutôt qu’à Nazareth, et même chez la fille du grand-prêtre Caïphe : voilà une jeune fille de bonne famille, voilà quelqu’un qui compte dans le monde religieux. Gabriel, tout au contraire, va chez une jeune fille qui ne compte pour rien dans la société de son temps.

On pourrait en rester là. Mais on oublierait peut-être bien l’essentiel de ce cantique.

Dieu élève les petits

Marie ne chante pas seulement Dieu parce qu’il a tourné son regard sur elle. Elle n’est pas du genre à dire : « Je suis une petite servante, mais Dieu m’a exaltée. Il a fait de moi quelqu’un d’important. Je suis contente parce que je vais devenir un thème iconographique promis à un immense succès. Je suis fière de moi parce qu’on va construire dans le monde tout plein de basiliques en mon nom. »

Non, Marie chante Dieu parce qu’il élève les humbles, les misérables, ceux qui sont dans la détresse. Il n’a pas seulement jeté son regard sur Marie, mais sur les humbles, sur tous les humbles. Or, ces humbles, ce sont tous les délaissés du monde, tous ceux qui souffrent, tous ceux qui n’ont souvent, aux yeux du monde, qu’une existence collective. Ce sont aussi les victimes des guerres : aujourd’hui les otages israéliens (dont on connaît les noms et dont on voit les portraits), mais aussi toutes les familles palestiniennes qui pleurent des morts et qui sont incapables de soigner des blessés (familles dont on ignore l’identité). Ces humbles, ce sont les malades, les isolés, les pauvres. Il est vrai, hélas : nous ne voyons pas que ces pauvres, ces affamés soient aujourd’hui comblés de biens, mais nous sommes ici dans le registre de la promesse : Dieu n’abandonne pas les pauvres. Quand bien même nous devrions mourir, Dieu ne nous abandonne pas. Ces pauvres, ces humbles, ces gens qui doivent mourir : c’est aussi nous. Dieu jette sur nous son regard.

Alors oui : Marie chante ici le renversement fondamental des valeurs qui est au cœur de l’Evangile. Dieu ne vient pas dans le monde en fanfare, mais dans l’incognito d’un bébé qui va naître à Noël. Dieu ne vient pas combatre le mal comme saint Georges, sur des fresques fameuses, qui terrasse les dragons, mais comme un homme qui meurt sur la croix. Nous autres les humains, nous consacrons l’essentiel de nos forces à monter toujours plus haut dans l’échelle du pouvoir, de la richesse et du prestige, alors que Dieu descend vers les plus petits. L’Evangile est fort d’un pouvoir de renversement de l’ordre établi.

Marie a fait une expérience. Elle a vécu quelque chose de décisif, qui fait désormais partie de sa vie (en allemand, on parle d’Erlebnis pour désigner l’expérience de vie, qui n’a rien à voir avec celle qu’on fait dans un laboratoire de chimie). Et c’est ce qui l’habilite à prendre la parole, dans cette mise en scène de Luc qui conduit à Noël.

Mais il n’est écrit nulle part que Marie serait la seule à pouvoir faire l’expérience de Dieu. Ici encore, tout l’Evangile est une invitation à rencontrer ce Dieu qui vient nous rencontrer. A faire l’expérience de Dieu.

Comment faire l’expérience de Dieu

Comment faire cette expérience ? Ici, le prédicateur doit rester prudent. Il n’y a pas de méthode universelle qui serait uniformément valable pour tout le monde. Et je ne crois guère aux manuels de spiritualité qui proposeraient de faire en 10 ou 12 leçons l’expérience de Dieu. Cette expérience, ce peut être la lecture de la Bible, qui nous parle tout à coup de manière personnelle. Ce peut être le saisissement d’une musique comme le Magnificat de Bach qui nous fait vibrer intérieurement. Ce peut être la rencontre d’une personne qui joue un rôle décisif dans notre vie. Ce peut être le silence d’une retraite monastique. Ce peut être la rencontrer de quelqu’un qui a besoin de notre aide. La seule chose qui soit sûre, c’est que l’expérience de Dieu n’est pas réservée à une toute petite élite, mais que tous, nous sommes invités à reconnaître le Christ dans celles et ceux que nous rencontrons. « Chaque fois que vous l’avez à l’un des plus petits d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Marie porte le Christ en elle, biologiquement et spirituellement. Nous sommes invités à le porter en nous spirituellement.

Le temps de l’Avent, c’est le temps de l’accueil du Christ en nous. Il est venu à Bethléem il y a un peu plus de 2000 ans, nous croyons, nous espérons qu’il reviendra dans sa gloire. Mais il vient aussi chaque jour en chacune, en chacun d’entre nous. Alors, comme Marie, rendons gloire à Dieu qui tourne son regard sur l’humble servante, sur l’humble serviteur que nous sommes.

pasteur Marc Pernot

Texte de la Bible

Luc 1:39-56

39Dans les jours qui suivirent, Marie se mit en route et se rendit en hâte dans une localité de la région montagneuse de Judée. 40Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41Au moment où celle-ci entendit la salutation de Marie, l’enfant remua en elle. Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit 42et s’écria d’une voix forte : « Dieu t’a bénie plus que toutes les femmes et sa bénédiction repose sur l’enfant que tu auras ! 43Qui suis-je pour que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? 44Car, vois-tu, au moment où j’ai entendu ta salutation, l’enfant a remué de joie en moi. 45Tu es heureuse : tu as cru que le Seigneur accomplira ce qu’il t’a annoncé ! »

46Marie dit alors : « De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur, 47mon cœur est plein de joie à cause de Dieu, mon Sauveur ; 48car il a bien voulu abaisser son regard sur moi, son humble servante. Oui, dès maintenant et en tous les temps, les humains me diront bienheureuse, 49car Dieu le Tout-Puissant a fait pour moi des choses magnifiques. Il est le Dieu saint, 50il est plein de bonté en tout temps pour ceux qui le respectent. 51Il a montré son pouvoir en déployant sa force : il a mis en déroute les hommes au cœur orgueilleux, 52il a renversé les rois de leurs trônes et il a placé les humbles au premier rang. 53Il a comblé de biens ceux qui avaient faim, et il a renvoyé les riches les mains vides. 54Il est venu en aide au peuple d’Israël, son serviteur : il n’a pas oublié de manifester sa bonté 55envers Abraham et ses descendants, pour toujours, comme il l’avait promis à nos ancêtres. »

56Marie resta avec Élisabeth pendant environ trois mois, puis elle retourna chez elle.

(Traduction TOB)

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2 Commentaires

  1. Magnificat anima mea Dominum dit :

    Bonjour,

    merci beaucoup pour cette prédication sur la Magnificat de Marie !

    Concernant la citation de Martin Luther « Seule l’expérience fait le théologien » : Comment établir qu’il ne s’agirait pas d’un tour de notre subconscient ? Existe-t-il des témoignages d’« expériences de Dieu trinitaire » ou seulement des témoignages d’expérience de Dieu sans plus de précision ? A savoir des expériences multiples et rapprochées par une même personne associables à chaque personne de la Trinité ? Par exemple avec une perception abstraite de type « présence ressentie à travers une couleur elle-même associée à la confiance », différentes perceptions symboliques bibliques changeantes associées à différents contextes également changeants de lumière blanche, avec la possibilité de parler et de percevoir une réponse (difficile à retenir parfois), et enfin une perception d’amour universel infini alterné avec une perception symbolique biblique dans la vie quotidienne ou de projets professionnels.

    Dieu répond-il à des questions théologiques et pratiques lors de ces expériences: par exemple est-ce que Jésus était seulement un humain Christ ou bien une personne de la Trinité, est-ce que l’Esprit Saint est une action immanente de Dieu Unitarien, ou une personne distincte de Dieu Trinitaire ? Est-ce que Dieu a une action immanente distincte pour chacune des personnes de la Trinité ?

    1. Marc Pernot dit :

      Oui, je ne pense pas que Dieu se révèle sous forme de dogmes. Mais sous forme d’une inspiration, quelque chose au fond de notre conscience qui nous donne envie d’aimer, de prier, de chercher, de comprendre, d’espérer. Ensuite,cela effectivement bouscule notre théologie.

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