La prière de demande qui a mis Jésus tellement en colère (Marc 9:14-29)
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(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève, le dimanche 22 octobre 2023,
par : pasteur Marc Pernot
Le cri de déception et de colère de Jésus
Jésus leur dit : « Ô génération sans foi, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? »
Mais qu’est-ce qui met Jésus dans une telle colère ? Il est manifestement déçu, désespéré, il n’en peut plus de cette humanité et de ces disciples qu’il doit élever dans la foi. Jésus semble alors douter de sa mission de Christ. Non du bien fondé de sa mission, mais d’en avoir la capacité. Sur la croix il se met à douter que Dieu l’accompagne en disant « Mon Dieu, mon dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » Nous retrouvons ici ce Jésus très humain, désemparé, mais c’est de l’humanité qu’il doute, de sa capacité à évoluer.
De la déception à l’action
Ce cri de déception et de désespoir de Jésus dure une seconde, déjà il entreprend de répondre à la demande qui l’a tant déçu : « Amenez-le-moi. »
C’est un témoignage essentiel qu’apporte ce sursaut de Jésus. C’est une théologie qui n’est pas présentée sous forme d’une leçon par un « Dieu est ceci ou cela », ce n’est pas une éthique qui pose des obligations et des interdits :
- C’est une théologie en acte que nous offre ici Jésus : Nous n’avons rien à craindre de Dieu, même s’il était terriblement déçu de nous, jamais il ne nous laissera tomber, il travaillera encore et encore à nous aider.
- Et c’est une éthique en acte : quand nous sommes déçu et en colère, nous pouvons le dire à notre prochain quand c’est pour mieux avancer ensemble, comme Jésus le fait ici.
Quel est le problème ?
Mais qu’est-ce qui met Jésus dans une telle colère ? Un homme demande la guérison de son fils terriblement souffrant. Qu’y a-t-il de plus naturel ? D’ailleurs, avec Jésus, le résultat va effectivement aboutir à ce que le fils vive. Alors ? Ce qui est gravement en cause, c’est plutôt une question de foi comme l’indique Jésus dans son cri de désespoir.
Regardons donc ce que dit l’attitude de l’homme et des disciples, puisque c’est ce qui met Jésus tellement en colère : l’homme explique les symptômes, c’est normal, puis il dit « J’ai parlé à tes disciples pour qu’ils chassent cet esprit, et ils n’en ont pas eu la force. » Peu après, Jésus réagit vivement aussi quand l’homme lui dit « Si tu peux faire quelque chose, laisse-toi émouvoir et viens à notre secours. » Cette fois, Jésus explique ce qui ne va pas en renvoyant l’homme à lui-même en lui répondant « Celui qui a foi peut tout. ». Et effectivement, alors, l’homme saisit que sa prière de demande révèle un problème radical de sa foi à lui.
Il y a là, je pense, un virage à 180° dans la façon de comprendre la prière de demande.
Au début du récit il y a une prière qui cherche à convaincre Dieu de régler le problème qu’on lui soumet.
Ensuite il y a une prière qui demande à Dieu de nous rendre capable d’avancer avec lui dans la résolution du problème qui nous tourmente. Cette question mérite d’être creusée.
Convaincre Dieu de faire ce qu’on lui demande ?
Au départ, il y a une bonne attitude de l’homme. Il voit qu’il y a un problème, il saisit que ce problème le dépasse, et il cherche l’aide de Dieu. C’est important. Il aurait pu faire l’autruche en niant qu’il y a un problème (nous faisons trop souvent cela, ce qui nous mène en général droit dans le mur). L’homme aurait pu se désespérer de ne pouvoir s’en sortir par ses propres moyens, ni par la solidarité humaine (Il nous arrive aussi la tentation de baisser les bras). Puis l’homme cherche l’aide de Dieu.
Excellent mais il y a ce problème de foi qui consiste dans notre prière de demande à chercher à convaincre Dieu de faire ce que nous espérons. La prière vue comme une télécommande sur laquelle nous appuierions frénétiquement les boutons pour qu’elle marche enfin…
Si cela fait réagir si vivement Jésus c’est qu’il y a là un grave danger :
1) Le premier problème est théologique : en faisant cela, on pense, au fond, que Dieu serait responsable de cette souffrance, puisque cela suppose que Dieu pourrait faire quelque chose pour la soulager mais ne le fait pas, attendant qu’on le supplie assez fortement pour le convaincre d’agir.
Mais quelle idée de Dieu nous faisons-nous alors ? Il n’aurait pas fait attention ou pas eu de compassion pour ces enfants massacrés, pour ces grands-mères déportées sans secours ? Ce serait aux humains d’apprendre à Dieu la compassion ? Ou bien est-ce que Dieu réserverait son aide aux personnes qui ont un bon réseau d’amis capables de le prier ardemment, et Dieu abandonnerait à leur sort les isolés qui n’ont personne pour prier pour eux ? Cela n’a aucun sens, c’est même tout à fait l’inverse de ce que le Christ a manifesté de Dieu chaque jour. On comprend sa déception.
2) Le second problème que pose le fait de chercher à convaincre Dieu de faire ce que nous espérons, c’est un problème spirituel. La personne qui prie se place alors au dessus de Dieu et cherche à le mettre à son service. Or, il n’est pas impossible que Dieu sache mieux que nous ce qu’il peut faire et ce qu’il faudrait faire. Il n’est pas improbable qu’il vaille infiniment mieux que ce soit sa volonté à lui et non la mienne qui se fasse (Mt 6:10 ; Luc 22:42).
3) Le troisième danger dans cette façon de prier c’est de nous donner bonne conscience à bon compte : nous avons prié Dieu pour la paix dans le monde, la balle est dans son camp. Nous avons fait notre part, qu’il fasse la sienne, et je peux alors retourner à mes petites affaires.
Jésus est donc extrêmement déçu. N’a-t-il pas assez montré que la compassion de Dieu est infinie ? N’a-t-il pas assez montré qu’il est bon de l’écouter, lui, Dieu ? N’a-t-il pas assez montré comment servir l’autre, qu’une bonne pensée n’a jamais mis du pain dans la bouche de l’affamé, que la bonne pensée, la juste prière est appelée à s’incarner dans des actes, comme Jésus relève l’enfant en le prenant par la main.
La guérison de notre prière
Et pourtant, Jésus est sensible à la prière maladroite du père de l’enfant malade, et Jésus va faire ce qu’il faut. Cela passe d’abord par la guérison de la foi du père de l’enfant malade et celle de la foule qui est là. C’est à cela qu’il travaille en réagissant aussi fortement.
Voyons ce que cela peut nous apprendre sur la prière de demande. Par exemple en ce moment de guerres, nous aurions naturellement tendance à prier Dieu pour la paix. Il est bon de voir ainsi ce qui se passe autour de nous, il est bon de compatir à ceux qui souffrent, d’être en soucis pour la mentalité de ceux qui usent de violence contre leur prochain par lucre, par haine, par folie, par peur ou par vengeance. Mais ensuite ? Comme le père de l’enfant malade, il est bon de chercher ce qui pourrait être fait pour que les choses avancent : Dieu nous a donné des yeux pour voir, un cœur pour aimer, une intelligence pour discerner, il nous a donné des mains pour créer, des pieds pour avancer, il nous a donné un esprit d’équipe pour faire corps avec d’autres. Et il est bon de prier, certainement. D’une prière saine.
Ce n’est pas pour nous défausser sur Dieu de notre responsabilité que nous prierons alors, c’est dans la conviction que Dieu a fait et fait encore tout ce qu’il peut. Prier c’est espérer qu’il nous embauchera pour faire notre part dans le chantier du monde, il y a du boulot à faire à notre échelle, selon notre propre vocation.
Prier c’est se laisser grandir dans la foi par Dieu comme Jésus invite l’homme à le faire. Alors, nous dit Jésus, « tout est possible ». Cela ne veut pas dire que nous aurions la toute puissance. Même à Dieu tout n’est pas possible : il ne voulait certainement pas que des centaines d’enfants soient massacrés au Moyen Orient la semaine dernière, si c’est arrivé c’est qu’il ne lui a pas été possible de l’empêcher. Il me semble très probable que le problème de fond pour arriver à la paix soit précisément de commencer par soigner notre foi, à tous et à chacun, comme dans ce récit de guérison du fils. La paix, alors, sera bien plus possible.
Ce « tout est possible » de Jésus est comme un chemin ouvrant un avenir. Ce « tout est possible » signifie aussi qu’avec Dieu nous pouvons nous attendre à tout, à l’imprévu que nous n’imaginons même pas, à des cheminements inimaginables pour nous aujourd’hui. Avec Dieu, au souffle de l’Esprit, c’est à cela que nous nous préparons dans la prière. Prier et avoir foi c’est être disponible à voir les choses autrement, à élargir notre attente, à ne pas baisser les bras pour agir en confiance avec Dieu. Alors que quand nous prétendions lui dire ce qu’il devrait faire, nous avions tendance à rester campé sur notre volonté de maîtriser les buts et les moyens, comme la mouche qui tient absolument à passer à travers une vitre, encore et encore.
C’est ainsi que le premier à être guéri, ici, c’est l’homme priant. Sa foi en est transformée, ainsi que sa prière, son rapport à Dieu.
La guérison du fils tourmenté
Finalement, il en va de la guérison de la foi et de la prière de cet homme comme de la guérison de son fils possédé par un esprit sourd et muet.
Tant que nous restons dans cette attitude face à Dieu qui consiste à vouloir en faire l’instrument de notre volonté, notre foi est comme possédée d’un esprit muet et sourd. Jésus affirme que cette foi est comme une absence de foi, et que c’est essentiel pour nous, et pour le monde, de travailler dessus. Oui, mais comment ? Par la prière, répond Jésus, que Dieu chasse cet esprit muet et sourd qui nous coupe de tout souffle de vie venant de Dieu, de son inspiration, de ses intuitions nouvelles.
Il est difficile de laisser partir cette foi en un Dieu que nous pourrions séduire à coup de prière afin qu’il fasse notre volonté, cela peut énormément troubler, comme l’enfant de ce récit. Seulement, en Christ, c’est pour vivre enfin par une foi qui laisse Dieu vivre en nous.
Le texte emploie alors les deux verbes sui servent dans les évangiles pour parler de la résurrection du Christ par Dieu : c’est être éveillé et c’est être mis debout : c’est être capable de voir, enfin. C’est être debout et pouvoir avancer, et travailler à la paix, par la prière et dans l’action qu’avec Dieu nous trouverons à faire.
Textes de la Bible
Évangile selon Marc 9:14-29
En allant vers les disciples, Jésus vit autour d’eux une grande foule et des scribes qui débattaient avec eux. 15Sitôt que la foule le vit, ils furent agités et ils accoururent pour le saluer. 16Il leur demanda : De quoi débattez-vous avec les disciples ? 17Une personne de la foule lui répondit : Maître, je t’ai amené mon fils, qui a un esprit muet. 18Où qu’il le saisisse, il le jette à terre ; l’enfant écume, grince des dents, et devient tout sec. J’ai parlé à tes disciples pour qu’ils chassent cet esprit, et ils n’en ont pas eu la force.
19Jésus leur dit : Ô génération sans foi, jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi. 20On le lui amena. Aussitôt que l’enfant le vit, l’esprit le secoua, il tomba par terre et se roulait en écumant. 21Jésus demanda au père : Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? — Depuis son enfance, répondit-il ; 22souvent l’esprit l’a jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu peux faire quelque chose, laisse-toi émouvoir et viens à notre secours ! 23Jésus lui dit : « Si tu peux ! » Tout est possible pour celui qui a foi. 24Aussitôt le père de l’enfant s’écria : J’ai foi ! Viens au secours de mon manque de foi ! 25Jésus, voyant accourir la foule, menaça l’esprit impur en lui disant : Esprit muet et sourd, moi je t’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus ! 26Il sortit en poussant des cris et en le secouant très violemment. L’enfant devint comme mort, de sorte que la multitude le disait mort. 27Mais Jésus, le saisissant par la main, l’éveilla (le ressuscita), et il se leva (ressuscita).
28Quand Jésus fut rentré à la maison, ses disciples, en privé, se mirent à lui demander : Pourquoi n’avons-nous pas pu le chasser nous-mêmes ? 29Il leur dit : Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière.
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- Ma foi suit son cheminement et j’ai envie aujourd’hui de me mettre à lire la Bible.
Exceptionnel ! Merci infiniment. L’image de la télécommande pour « piloter » Dieu est extrêmement parlante. Il est effectivement très difficile de prier comme le souhaitait Jésus quand des problèmes concrets nous perturbent. La tentation de la télécommande est toujours très forte. La leçon est retenue…je vais jeter ma télécommande… MERCI encore.
Millle mercis 🙂
Dieu vous bénit et vous accompagne
Merci, cher Marc, de nous rappeler ce texte.
En vous écoutant, j’ai été saisie par cet ordre de Jésus : « amenez-le moi. » Et, au fil de cette journée, je ne cesse de penser à ce que cet impératif signifie pour nous, pour moi aujourd’hui.
Comme l’écrivait François Varillon :
« Nous sommes sur terre pour être divinisés, pour partager la vie divine, pour devenir, par participation, ce que Dieu est par nature. Sans l’Incarnation de Dieu, la divination de l’homme devient un mythe de je ne sais quel panthéisme. C’est l’insertion de Dieu dans l’humanité qui effectivement nous divinise. Cela suppose, bien sûr, que nous avons compris que l’Incarnation ne se termine pas à l’Homme-Jésus, mais que par l’Homme-Jésus, par Lui, avec Lui et en Lui, elle s’étend à l’Humanité tout entière. L’histoire du salut, l’Histoire sainte comme nous disions autrefois, c’est l’histoire de la christification de l’humanité. Le Christ est donc le signe efficace de Dieu, le Christ est le sacrement de Dieu. L’Eglise, à son tour, est le sacrement du Christ. »
Voici, c’est notre Dieu, en qui nous avons confiance,
Et c’est lui qui nous sauve (Es. 25)
(Sept conférences inédites sur la foi, François Varillon, Ed. Jésuites, 2022, p. , 77)
Bien cordialement
Claire-Lise R.
les effets de la prière sont ceux attendus par le hasard, montrent les statisticiens athées (type zététique), mais la prière ne doit pas avoir de demande impérative et « matérielle » : elle doit être une mise en relation avec l’amour divin, et attendre en sérénité l’effet, positif ou consolation.
À mettre vraiment entre toutes les mains !
La lecture de cette prédication m’a permis de mesurer l’évolution de ma prière ces dernières années (grâce à vous, Marc !). La conception que j’avais alors et qui est décrite ici me paraît maintenant totalement surréaliste. Et, un peu comme lors d’une longue randonnée, cela fait parfois du bien de s’arrêter et de contempler le chemin parcouru.
Je trouve tout de même que les évangiles auraient pu être plus clairs sur cette question. Peut-être qu’à l’époque de la rédaction de ces textes les gens étaient plus habitués à une lecture spirituelle, mais certainement pas tout le monde. Un épisode montrant Jésus vraiment impuissant devant une situation, sans que ce soit la responsabilité de la personne, aurait été pas mal du tout.
D’autre part, les annonces publiques des églises qui prient pour la paix ne me paraissent pas être un bon témoignage, car s’il y a des personnes qui conçoivent la prière comme une télécommande, ce sont bien les non croyants et c’est alors l’occasion pour eux de confirmer leur position.
« Un épisode montrant Jésus vraiment impuissant devant une situation, sans que ce soit la responsabilité de la personne » : il me semble que c’est en bonne place dans les quatre évangiles, à la fin… 😉
Cela ne me paraissait pas être un bon exemple : c’est trop souvent interprété comme étant une nécessité et cela reste malgré tout un choix. Si l’attitude de Jésus face à une personne montre la façon d’être de Dieu, son impuissance aurait pu alors montrer celle de Dieu. Mais bon, cela reste évidemment une suggestion farfelue. L’idée c’était d’éviter des conceptions nocives de la prière.
Effectivement, la croix me semble avoir été abondamment mal prêchée, avec l’image d’un Dieu qui aurait un irrépressible désir de satisfaire son propre désir de Justice et envoyant pour cela son fils innocent être trucidé dans des souffrances atroces. Cela laisse sans voix de cruauté et de perversité. Au contraire, on voit un Dieu qui cherche à employer la façon douce de chercher l’humanité à aimer, suivi par Jésus qui va jusqu’à manger chez ses pires opposants, tout cela dans l’espérance de Dieu qu' »ils respecteront mon fils » (Mt 21:37). Il y a là une impuissance de Dieu, impuissance que nous pouvons espérer être inspirante pour nous, en ces temps de violence et de haine.