28 août 2024

Une femme et son chien se donne la main et l apatte, en contrejour - Image par lokalsportessen de https://pixabay.com/fr/photos/relation-amicale-animal-humain-4499076/
Témoignages

En ce XXIe siècle, une perte de confiance en tout ? Pour un élan de confiance mature.

Excès de confiance, excès de déprime

Au début du XXe siècle, notre société était, me semble-t-il, trop confiante dans la science, dans le progrès, dans la religion, et même dans la guerre en s’y engageant la fleur au fusil. Aujourd’hui, nous connaissons comme une crise de confiance en tout : en l’avenir de notre planète, en Dieu, dans les religions, la politique, les médias, le progrès scientifique et économique, la nourriture, les vaccins, les experts…

Cela délite le lien social et cela décourage bien des personnes. Car pour se lever le matin, pour avancer dans la vie, nous avons besoin de sentir que cela vaut la peine. Pour cela, il faut avoir suffisamment confiance dans l’avenir du monde, un minimum de confiance en nous-mêmes pour entreprendre et confiance dans les autres pour entrer en relation.

Nous observons les symptômes d’une maladie de déception et de défiance en ce monde, en l’humanité et en Dieu. Cette fièvre monte depuis un siècle, après une maladie de trop grande confiance. Des périodes d’euphorie et de déprime se sont déjà succédées dans l’histoire, comme le montre ce psaume de David :

Psaume 22

2Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as-tu abandonné ?…

6Nos pères comptaient sur toi :
et ils n’étaient pas déçus.

7Mais moi, je suis un ver et non plus un homme,
injurié par les gens, rejeté par le peuple…

Avec ce cri, David, et Jésus, mil ans après, expriment le sentiment d’être trahi par tout et par tous : par Dieu, par les hommes, par nos forces, par la vie elle-même.

Comment se sortir de cette maladie ? Comment retrouver une santé de notre confiance collective. Pas la confiance un peu aveugle du début du XXe siècle, mais une confiance saine, mature ?

Le grand récit de l’Exode des Hébreux hors d’Égypte est l’archétype de toute montée ou remontée humaine. Les Hébreux étaient comme piégés au fond de leur détresse en Égypte, n’ayant même plus vraiment envie de s’en sortir. Eux aussi n’ont plus confiance en grand-chose, si ce n’est dans la gamelle reçue de leurs oppresseurs.

1) Deux étincelles pour un début de confiance en soi

Leur remontée commence avec un individu, Moïse, et deux étincelles qui vont faire naître un début de confiance :

  • La première étincelle, c’est la curiosité: Moïse se déplace, il prend du champ, il ouvre les yeux et regarde autour de lui, il voit un drôle de buisson, il s’interroge et va voir de plus près. Un peu de curiosité est déjà un début de confiance qu’il pourrait y avoir du nouveau, que tout n’est pas fini. C’est essentiel.
  • La seconde étincelle est spirituelle. Rempli de doutes légitimes sur ses propres capacités, ouvert grâce à sa curiosité : Moïse reçoit une impulsion venue d’ailleurs, de « YHWH », littéralement : de la source même de l’être. Le Saint-Esprit, c’est cela : une force en nous-mêmes qui vient de plus que nous.

Cette force l’ouvre sur une confiance en lui, sur une ouverture vers les autres :

Exode 3

Moïse est allé se promener au-delà du désert…

La curiosité : 2Moïse vit que le buisson était en feu et ne se consumait pas. 3Moïse dit : Je vais faire un détour pour voir ce phénomène.

Le spirituel : 4L’Éternel vit qu’il faisait un détour pour voir ; et Dieu l’appela de l’intérieur du buisson et dit : Moïse ! Moïse ! Il répondit : Me voici ! (il répond présent personnellement)

Une confiance en un avenir meilleur pour tous : 10Maintenant, va, fais sortir d’Égypte mon peuple, les Israélites !

Une meilleure confiance en soi : 11Moïse dit à Dieu : Qui suis-je pour aller auprès du pharaon et faire cela ? 12Dieu dit : Je serai avec toi…

Un travail théologique et philosophique : 13Moïse dit à Dieu : J’irai donc vers les Israélites, mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ? 14Dieu dit à Moïse Je suis qui je suis.

2) Bâtir une confiance entre humains par des pactes

Moïse a ce début de confiance dans un avenir possible, un début de confiance en Dieu, un début de confiance en lui-même. Les trois vont ensemble. C’est une ouverture, plus un travail spirituel, un travail sur ses convictions, sa théologie, au buisson ardent, puis au mont Sinaï, ce qui le conduit à chercher à bâtir une confiance entre humains. Pas d’avenir meilleur sans cela, car l’homme ne pourra jamais se sauver seul. Nous sommes un animal social. Ce sera le Décalogue, « dix paroles » qui forment une constitution pour fédérer le peuple hébreu autour d’une foi en Dieu et d’un code moral personnel.

Ce texte est un peu basique, moins positif que le Pacte fédéral du Grütli engageant les parties à secourir les autres, moins créatif que le « aime ton prochain comme toi-même » de Jésus. Le Décalogue cherche purement et simplement à établir un pacte de confiance minimale entre nous :

Décalogue (en résumé, d’après Exode 20)

1) Je suis l’Éternel qui t’a libéré de l’esclavage.

2) Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face.

3) Tu ne prendras pas en vain le nom de l’Éternel.

4) Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.

5) Honore ton père et ta mère.

6) Tu ne tueras pas.

7) Tu ne trahiras pas ceux avec qui tu t’es engagé. 5tu ne commettras pas d’adultère)

8) Tu ne voleras pas.

9) Tu ne diras pas de mensonges contre l’autre.

10) Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à l’autre.

Cela pose les bases d’une confiance minimale. Chaque personne du peuple connaît et s’engage implicitement. Une personne qui trahit accepte que sa réputation soit dégradée. Aujourd’hui, même cela n’est plus une évidence, et les auteurs de fake-news plastronnent, et ce n’est plus un handicap pour un politicien d’avoir été pris à mentir, tromper son conjoint, voler. C’est effectivement le lien social, toute possibilité de lien social qui est en danger.

En même temps, c’est intéressant, car le Décalogue reconnaît ainsi que le vol, la tromperie, la calomnie et le meurtre existent entre humains, et que faire confiance aux autres est loin d’être une évidence. Et donc que faire confiance est à la fois indispensable à l’avenir de tous, voulu par Dieu, et en même temps difficile et dangereux, appelle à une confiance vigilante. En Dieu seul, nous pouvons avoir une foi aveugle.

On a beau dire, vue la tendance fondamentale de l’humain à choisir comme dieu son désir de l’instant (voir Adam et Ève en Genèse 3), cela aide de s’entendre sur ce genre de codes de déontologie dans le couple, la famille, la société, et tout groupe humain.

Oui, mais comment aurons-nous la force ensuite de tenir ? Comment saurons-nous aller plus loin que ce pacte minimal ?

3) Devenir capable de confiance

Le Décalogue reconnaît, en particulier avec son dernier article, qu’être digne de confiance ne nous est pas chose facile, car nous ne sommes pas maîtres de nos convoitises, et qu’il nous faut trouver la force de leur résister. On peut certes s’exercer soi-même grâce à un effort de lucidité et d’éthique, on peut éduquer les jeunes (à condition qu’on les aide à avoir le goût de l’effort et pas seulement du jeu). Nous savons bien que c’est indispensable, mais que cela ne suffit pas, que nous avons besoin d’une aide plus grande que l’humain. L’article 10 du Décalogue nous renvoie ainsi à son article 1er : Dieu est libérateur, il est capable de nous sortir de notre propre servitude, même de la servitude de nos pulsions chaotiques et de notre faiblesse.

C’est ainsi que l’individu pourra être à la hauteur de ce qu’Albert Camus dit de l’homme : « un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme. » C’est alors que nous pourrions être dignes de confiance. En ayant cette maîtrise de nous-mêmes et de ce qui est juste et bon. C’est alors que nous pourrions avoir une raisonnable confiance en nous-même que nous ne « pèterons pas les plombs » en faisant n’importe quoi.

Pour cela, nous avons besoin d’un brin de théologie et de philosophie, comme cette formation que Dieu donne à Moïse au buisson de la rencontre puis sur la montagne du Décalogue.

Pour cela, nous avons besoin d’un souffle de création, comme Moïse quand Dieu lui dit « je serai avec toi », ou je serai en toi, comme le dit Jésus en parlant de l’Esprit Saint qui nous est donné. Car voilà ce qu’apporte en ce domaine le spirituel, les dons de l’Esprit que le prophète Ésaïe évoquait ainsi :

Ésaïe 11

2L’Esprit de l’Éternel reposera sur lui :
Esprit de sagesse et d’intelligence
Esprit de conseil et de force,
Esprit de connaissance et de respect de l’Éternel,
il ne jugera pas d’après ce que voient ses yeux…
de sorte que la fidélité sera sa ceinture.

Confiance en notre prochain ?

Ésaïe parle d’Esprit de sagesse de force pour être digne de confiance, il parle d’un Esprit de conseil qui nous permet de discerner quand et comment faire mieux que le pacte de confiance minimal. Et Ésaïe parle aussi de vigilance et de discernement : de ne pas nous laisser abuser par ce que nous voyons et entendons. Avoir confiance ne doit pas rimer avec crédulité, sinon le mal triompherait. Mais même ainsi, ce n’est jamais une garantie, Jésus lui-même a choisi ses apôtres, a vécu 3 ans avec eux et se voit être trahi.

En même temps, avec Jésus, précisément, nous apprenons à ne pas identifier la personne et ses actes. Même si une personne trahit la confiance par ses actes, jamais Jésus ne perd confiance dans la valeur même de la personne. C’est ainsi qu’il prie pour ceux qui le crucifient, en disant : « Père, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34)

Que reste-t-il de la confiance en l’avenir ?

Dans cette confiance difficile en temps de guerre, d’individualisme, de fake-news, d’attentats. Il est urgent de retisser des liens entre nous, de nous ressaisir collectivement. Car sans confiance, comment pourrions-nous bâtir un espace de vie, des liens, des projets, un avenir ?

Ce n’est possible qu’en repartant de la base : du buisson ardent : savoir s’étonner, s’ouvrir à un avenir, s’ouvrir au spirituel, se sentir personnellement concerné dans un « me voici », prendre un début de confiance en nous comme capable de faire un peu a différence en participant à la construction d’un pacte social, travailler pour cela notre théologie et notre philosophie ? Rester vigilant, sans être dupe.

Nous avons été collectivement trop confiants dans la science, l’histoire, l’avenir, la religion. C’est vrai. La perte de confiance que nous connaissons est un danger, mais aussi l’opportunité de bâtir une confiance plus mature en l’avenir, en la beauté de ce monde, en la force du collectif, en l’inépuisable génie de l’humain quand le souffle de l’Éternel est sur lui.

Et si nous n’avions plus confiance en Dieu ni en personne, ni en nous-même, il nous resterait cet élan du Psaume 22, élan que reprend Jésus sur la croix : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Reste l’élan vers Dieu, le cri de notre sincérité, au-delà de notre confiance et de notre déception. Et en ce Dieu nous pouvons placer notre confiance.

par : pasteur Marc Pernot

verset médité prêt à être imprimé

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3 Commentaires

  1. François dit :

    En nous voyant vivre de manière à ce qu' »étonnés les gens puissent dire, voyez comme il s’aime, voyez leur bonheur. » (Robert Lebel) Un temps ou on a besoin de voir vivre des chrétiens comme des chrétiens!

  2. Lili dit :

    Super fouillée votre intervention ! et je vous rejoins sur bien des points.

    Aussi je crois qu’il y a un désintérêt profond pour tout ce qui est autre que soi et une adoration d’un soi qui va trop loin. Toute la modernité y concourt : les réseaux vous renvoient des modèles auxquels tout le monde veut ressembler (pénible), les algorithmes vous renvoient dans des boucles auto-référentes (très pénible), vos boîtes mail vous renvoient des messages le matin sur les sujets de conversation de la soirée passée (hyper pénible) : un renvoi perpétuel au moi.
    Cela amène cette insupportable exacerbation de la susceptibilité identitaire qu’on connaît. Les groupes et communautés ne sont souvent que des extensions plus massives du moi, lorsqu’elles sont obtuses principalement. Et elles peuvent être très implicites : n’allez jamais dire que vous n’aimez pas les sushis surtout, vous seriez rayé de la Ligue des gastronomes. Ce qui fait qu’il devient ensuite de plus en plus difficile de nuancer, ou pire contester (quelle horreur!) une pensée sans qu’on vous applique des termes peu agréables. Les vrais échanges sont rares – quel bonheur, ce blog – et la compassion se retrouve à géométrie variable en direction de son groupe, de son partie, de sa chapelle. C’est triste.

    La science en un sens n’aide pas, effectivement, car elle nous ouvre les abysses de notre ignorance : par exemple l’univers est maintenant composé en grande partie d’une matière noire dont on ne sait pas ce que c’est. Peut-être existe-t-il un multivers. Certains peuvent trouver cela effrayant. Et les progrès de la technique si rapides et quasi incontrôlés dans leurs effets – les IA en première ligne – nous dépossèdent presque de nous-mêmes et peuvent nous amener à douter de nos capacités créatrices. Jacques Ellul y voit une forme de condamnation au désespoir.

    Ce qui m’inquiète le plus (c’est perso) ce sont les rayons des librairies couverts d’ouvrages de développement personnel plus ou moins convaincants, de tarologie, de divination, d’oracles, de pouvoir des pierres etc… Ce retour de la superstition – sans doute le constatez-vous de votre place – semble peut-être corrélé à cette focalisation sur le moi, en soi totalement impuissant, à l’abandon de théologies religieuse qui ont peut-être trop abusé fut un temps et au désintérêt de la chose publique qui montre ses limites dans la production perpétuelle de guerres internationales et de conflits sociaux qui ne trouvent pas vraiment de solutions.

    Je pense qu’on peut croire quand même dans le génie humain. J’ai la grande chance de le côtoyer au quotidien : les jeunes gens sont pleins d’envie de bien faire, ils sont loin d’être idiots et plutôt dans le partage et l’échange dès qu’on leur fait des propositions. Ce sont surtout les adultes qui doivent se montrer à la hauteur et faire honneur à ces intelligences en leur offrant de quoi se nourrir et s’élever. La réflexion ne peut, comme vous dites, être que collective au plus près du buisson.

    1. Marc Pernot dit :

      Chère Lili
      Votre commentaire m’a passionné, comme toujours.
      D’accord pour ne pas être dans le tout individuel, ne pensez vous pas quand même qu’il y a un travail essentiel à faire individuellement, seul à seul avec sa conscience, comme au buisson. Même si, en amont et en aval de ce moment le collectif est indispensable. Une bonne prof de philo peut véritablement avoir un effet « buisson ardent »
      D’accord pour dire que l’on peut ainsi se retrouver collectivement au buisson, mais le « me voici », lui, restera toujours individuel. Je pense. Et il inspire dans la foulée à se tourner vers d’autres.

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