Une jeune femme concentrée sur sa lecture d'un livre dans une bibliothèque - Photo de Eliott Reyna sur Unsplash
Témoignages

aujourd’hui je fête l’anniversaire d’un bouleversement, celui du jour où Dieu est entré dans ma vie.


Message reçu :

Bonjour M. le pasteur,
Ce n’est pas vraiment une question que je vous envoie aujourd’hui, il faut croire que comme nombre de mes élèves je ne respecte pas toujours les consignes… Si je vous écris, c’est que je vous lis beaucoup, et qu’aujourd’hui je fête l’anniversaire d’un bouleversement, celui du jour où Dieu est entré dans ma vie. Alors, j’ai écrit quelques phrases, des lignes que je vous adresse ici, et une question finalement assez personnelle sans certitude que j’aie le droit de vous demander cela : et vous? Quel est le texte biblique qui a ouvert pour vous la porte?

« 𝐴𝑢 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑟𝑏𝑒, 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑟𝑏𝑒 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝐷𝑖𝑒𝑢, 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑟𝑏𝑒 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝐷𝑖𝑒𝑢. » (Jn 1,1)
C’est ainsi que l’histoire commence, dans l’évangile de Jean, celui des quatre Évangiles canoniques dans lequel je suis tombée amoureuse d’un texte biblique pour la toute première fois — extrait que j’ai naturellement choisi pour mon baptême — et celui qu’avec le recul je préfère, sans toutefois savoir expliquer exactement pourquoi. Peut-être pour sa poésie singulière, pour la place fabuleuse qu’il laisse à la primauté de l’amour. Peut-être aussi parce que ce texte donne le sentiment que chaque détail, chaque petit événement recèle un sens en son sein, une signification en germe qui fleurit parfois bien après que j’ai refermé la Bible. Peut-être tout simplement parce qu’il commence ainsi.
« 𝐴𝑢 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑟𝑏𝑒. »
Ceux qui me connaissent un peu savent mon amour des mots. Je me glisse en phonèmes comme on se réfugie dans un bain tiède, je me berce de la musicalité des vers, m’amuse des figures de style. Montesquieu prétendait qu’il n’avait jamais connu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait pu apaiser. Je crains ne pouvoir en dire autant, mais si me perdre dans les lignes ne suffit pas toujours à tarir mes larmes, cela a au moins le mérite de leur donner un petit corps d’encre bien calé sur sa ligne, une silhouette qui ne débordera pas des pages.
J’ai lu des centaines, des milliers de livres, empli ma tête d’histoires de toutes sortes aussi sûrement que l’on remplit sa gourde pour la marche à venir, sans que cela ne suffise jamais. J’allais, je vais encore, toujours chercher plus. Plus de mots, plus de réflexions, plus de références, plus de… tout. Je papillonne des contes de fées à la philosophie, des romans aux essais, et j’arpente la poésie comme autant de chemins vers le monde. Parce que je veux comprendre, narcissiquement me comprendre aussi, parce que les mots, les talents, les aptitudes des autres me sont toujours apparus comme infiniment plus précieux que les miens pour dire ce qui bruisse en dedans à l’heure où la nuit accroche ses ombres aux branches.

Et puis, j’ai commencé à lire la Bible.
Oh, pas tout, pas dans l’ordre, pas comme il faut sans doute. Au début, par curiosité, par acquis de conscience, un peu comme on coche une case sur une check-list : Le Rouge et le Noir, 𝑐ℎ𝑒𝑐𝑘, À la recherche du temps perdu, 𝑐ℎ𝑒𝑐𝑘, la Bible, 𝑐ℎ𝑒𝑐𝑘. Mais la curiosité a duré, s’est peu à peu muée en besoin. En passion.

Sauf que… je ne lis pas vraiment la Bible.
Je crois que c’est elle qui me lit.
Étrange formulation s’il en est, mais impossible de le dire autrement.

« 𝐴𝑢 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒𝑛𝑐𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑙𝑒 𝑉𝑒𝑟𝑏𝑒. »
Un bruit, donc, dès la première phrase, le Verbe incarné, une Parole, quelque chose qui résonne déjà. Il y a dans ce prologue un symbolisme fabuleux qui m’a happée tout entière. On y entre à pas menus, et on l’entend déjà, ce son, comme l’écho d’une note qui demeure dans le calme d’après. Après quoi ? Après… le moi d’avant. Car au fur et à mesure de ma première lecture s’est fait en moi, pour la première fois depuis bien longtemps, le silence.
Le silence, j’ai tendance à le fuir depuis toujours. Les cris de mes élèves, le rythme de la musique, et l’incessant flot de pensées frénétiques adornent mes journées de milliers de bruits presque palpables. Ils s’insinuent partout ; je vis dans un océan de sons. Ils sont si présents, si envahissants, qu’ils débordent de moi, et je chantonne, je chantonne tout le temps, sans m’en rendre compte, des mélodies sans paroles qui s’entrelacent du lever du soleil jusque tard dans la nuit, agaçant parfois les autres, dissonant leurs propres chants intérieurs.

Cet évangile m’a volé mes bruits.
Et le temps de sa lecture, il a mis le Verbe à la place.

Ça fait un drôle d’effet. Un peu comme quand, après une immense explosion, un silence s’installe, profond, entier, un silence des oiseaux et des arbres, un silence des hommes et des machines, un silence avec une texture, une présence. Un silence de coton.
Et ce fut précisément au plus profond de ce silence que ce texte me lut pour la première fois, il y a des mois de cela. Ça peut paraître très présomptueux formulé ainsi, comme si j’étais la lectrice désignée, la bonne personne au bon moment pour ces lettres tracées à ma seule attention, mais peu importe. Les mots manquent pour dire autrement, pour dire les contours et les sensations, les pensées et le bouleversement. Le murmure de la levée de voile. Pour dire peut-être tout simplement « C’est ça, c’est ce texte-là que je cherchais depuis longtemps. »

J’ai donc lu. Et relu. Et relu encore. Et à chaque passage, les mots étaient les mêmes, et à chaque passage, ma lecture était différente, comme si le texte lui-même avait changé, comme s’il me chuchotait au cœur de nouvelles inspirations. Comme s’il était… vivant. Le monstre de cartésianisme en moi a bien songé à m’opposer que ce n’était qu’un livre, du papier et de l’encre, des mots humains écrits par des humains, ceux que dans ma tête j’appelle aujourd’hui des « ancêtres dans la foi », bon sang, un peu de sens commun, de logique, de pragmatisme, ce n’est rien d’autre qu’un conte, une fable sans cigale ni fourmi !
Un conte de fées, exactement. Précisément. Un conte auquel on croit bien après l’enfance, et qui ne nous apprend pas que les monstres existent — ça, tout enfant le sait depuis le Petit Chaperon Rouge ou Hansel & Gretel — mais que l’on peut tuer ces monstres en nous, que l’on a un après, un avenir. Chaque conte lu lorsque j’étais enfant me l’a ressassé en larsen : je vais être aimée et ce sera extraordinaire. 𝐻𝑎𝑝𝑝𝑖𝑙𝑦 𝑒𝑣𝑒𝑟 𝑎𝑓𝑡𝑒𝑟. Sauf que l’𝑎𝑓𝑡𝑒𝑟, trente ans plus tard, ça ne ressemble pas souvent à un château et ses bals grandioses. Alors on oublie. Pire, on n’y croit plus. « Tu te crois dans un conte de fées ? ». Je n’ai jamais osé répondre « Bah, oui, j’aimerais bien », parce que ça ne se fait pas lorsque l’on est adulte, que l’on a un travail, des responsabilités, des obligations, et des millions de bruits qui nous rappellent à l’ordre.

Un conte de fées.
Est-ce blasphème qu’oser cette comparaison ? Peut-être. Encore une fois, peu importe, finalement… Lorsque l’on sait qu’une étude récente publiée en 2017 a évalué ces fables comme on étudie la phylogénie des espèces, et conclu que certains des contes d’occident pourraient dater d’au moins 6 000 ans, il n’y a guère de quoi prendre la mouche : une telle pérennité montre bien leur importance et leur pouvoir libérateur ! À travers eux, l’enfant connaît la menace, la peur, la réassurance, la libération.
En lisant les quatre Évangiles, et celui-là tout particulièrement, j’ai eu à nouveau 8 ans. La peur, les froncements de sourcils devant un mot heurtant ma pupille, le souffle retenu devant la phrase qui me résiste, le sourire, tout y était. Et surtout, surtout… j’ai grandi. Avancé, non sur un chemin tout tracé, mais dans une réalité un peu plus grande et qui m’a développée.

Et je crois que c’est dans ce mouvement, imperceptible et primordial, que j’ai senti la présence de Dieu.
Dans l’immatériel des mots et le concret des scintillances dans ma tête.
Dans le calme qui a suivi cette découverte.
Musique éteinte.
Mélodie tue.
Clapotis de pensées, de confiance enfin, d’un apaisement inédit.
Dans l’écume de cet amour promis, accordé sans condition, sans chantage.
Une grâce sans un bruit.
« 𝑈𝑛𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑓𝑖𝑛 𝑠𝑖𝑙𝑒𝑛𝑐𝑒. » (1 Rois 19, 12)

Gaëlle

Réponse d’un pasteur :

Bonjour Gaëlle

Mil mercis pour ce magnifique magnifique texte. Quelle belle sensibilité, littéraire et spirituelle, existentielle aussi dans votre ouverture et votre capacité à évoluer ce qui n’est facile pour personne, surtout quand on accède ainsi à quelque chose de vraiment nouveau. Tout commencement est un accouchement. Il y en a de plus ou moins surprenants, de plus ou moins difficiles.

Quel bel anniversaire.

Puisque vous me posez la question, ce qui est sympa, personnellement, c’est vrai que c’est la Bible qui m’a aussi ouvert la porte. Il peut y avoir bien d’autres ouvertures de porte (la mystique, l’art, la foi rayonnante d’une grand-mère, la philosophie, la science…). Mais pour moi cela a aussi été la Bible, je pense. Et c’est effectivement par curiosité scientifique (oserais-je dire) que j’ai ouvert ce livre. Je ne sais plus bien pourquoi j’ai attaqué sa lecture par la lettre de Paul aux Romains, j’avais un vague souvenir d’avoir entendu que c’était un texte majeur. C’est vrai mais c’est peut-être le plus difficile, le moins drôle des textes de la Bible. Pas tellement féérique. Chercher dans la table des matières, attaquer la lecture de cette bibliothèque par ces mots solennels et alambiqués de Paul, c’est un petit peu s’initier à la randonnée en commençant par la face nord de l’Eiger en baskets, mais bon, après avoir lu un chapitre par jour de cette prose pas dénuée de lyrisme, je suis quand même arrivé à l’Apocalypse (texte assez hallucinant même pour un amateur de science-fantasy comme moi à l’époque), et enfin je suis arrivé aux évangiles, ce sont effectivement ces textes qui m’ont conquis. C’est par là que j’aurais dû commencer, et c’est bien heureux que j’aie pu lire ces textes, par quel miracle alors que je ne suis pas d’un naturel très patient, ce qui fait que pour « à la recherche du temps perdu », je m’y suis essayé deux ou trois fois mais je n’ai pas pu dépasser la première phrase (ce qui doit faire une dizaine de pages quand-même, peut-être)… Alors que pour la Bible, c’était il y a des décennies et cela ne m’a pas quitté.

Cela ne me choque pas que vous parliez d’un effet conte de fées avec ces textes de la Bible. C’est effectivement un des niveaux de lecture de ces textes. Et sans doute un des niveaux d’écriture aussi, même s’il y a bien des passages basés sur des faits matériellement historiques, il y a aussi une mise en récit de vérités spirituelles et théologiques, dont le niveau de vérité n’est pas matériel, évidemment. Par exemple quand on dit que Jésus est la lumière du monde. Au sens matériel cela n’a pas de sens, évidemment. Ou un sens partiel : L’homme Jésus a historiquement, matériellement existé en chair et en os, d’une part, et d’autre part Jésus n’est pas une source d’un champ électromagnétique qui serait à disposition de ses disciples. Et pourtant, c’est ce dont vous témoignez, et en vous-même cela se réalise, ce qui est effectivement assez magique. C’est ce double niveau de sens qui constitue, qui tisse ces textes, en partie historique et en partie spirituel, parfois les deux à la fois. C’est ce qu’ignore, ou feignent d’ignorer des attaquants comme Michel Onfray, peu importe.

Merci pour vos encouragements en ce qui concerne jecherchedieu.ch, c’est stimulant. Si vous permettiez que j’y publie votre texte, anonymement, ce serait un honneur et pourrait toucher d’autres personnes. Vous n’êtes pas du tout obligée d’accepter, bien entendu, je comprendrais très bien que vous gardiez cela comme très personnel.

En tout cas, grand merci pour ce message qui m’a nourri.

Dieu vous bénit et vous accompagne

Marc

par : pasteur Marc Pernot

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