17 juin 2025

Une famille heureuse, grand-mère, fille et petite fille - Image par Kalé Jimenez de https://pixabay.com/fr/photos/famille-g%C3%A9n%C3%A9ration-femmes-filles-6655711/
Bible

Cette parole de Jésus nous appellerait à haïr nos parents, nos enfants et notre vie ?

Question posée :

Bonjour
J’au entendu une prédication savante sur un passage très important pour moi. Il s’agit de ce passage choquant où Jésus semble appeler à haïr ses proches pour mieux l’aimer lui, Jésus, alors qu’il a passé son temps à enseigner qu’aimer est le cœur même de la vie, de l’Évangile:

“‭Si quelqu’un‭ vient‭‭ à‭ moi‭, et‭ s’il ne hait‭‭ pas‭ son‭ père‭,‭ sa mère‭,‭ sa femme‭,‭ ses enfants‭,‭ ses frères‭, et‭ ses sœurs‭,‭ et‭ même‭ sa propre‭ vie‭, il ne‭ peut‭‭ être‭‭ mon‭ disciple‭.‭” (Luc 14:26)

Ce pasteur spécialiste de l’hébreu explique que la traduction est fidèle au texte grec des évangiles, mais que si l’on sait que Jésus parlait en langue hébraïque, il aurait probablement utilisé l’expression ולא en hébreu, qui signifie « alors il ne faut pas haïr ses parents… » au lieu de « et ne hait pas ses parents… » Qu’en pensez-vous ?

J’ai eu l’énorme privilège d’avoir un papa avec lequel je m’entendait très très bien. Donc ce conseille de Jésus « d’haïre » mon père (mon meilleur ami) et mettre à la place un « Jésus » qui reste/restait une personnage emblématique, m’a beaucoup interrogé.

Dans ma vie (je suis de 1946 j’ai bien sûr rencontré des situations familiale très compliquées au point que j’ai trouvé que cette interprétation de Luc 14.26 a un élément très très important: on doit commencer par le commencement c’est à dire il faut résoudre d’abord ces conflits familiale, relationnelle avec des personnes à côté de moi avant d’aller à l’extérieur. Je dois d’abord enlever la poutre dans mon œil ….

Réponse d’un pasteur :

Cher Monsieur,

Comme c’est touchant !

Face à un passage choquant dans la Bible

a le droit de simplement passer à la suite. Mais quand on a la possibilité, comme vous, de chercher une solution, c’est bien enrichissant : cela aiguise l’intelligence et la foi.

Une erreur de traduction ?

Pour ce qui est de l’interprétation passant par l’hébreu, c’est effectivement souvent intéressant d’aller chercher les notions hébraïques derrière le texte grec du Testament. Ce serait génial si cela pouvait faire rentrer ces paroles de Jésus dans un message plus consensuel, appelant à aimer ses proches.

J’ai donc regardé dans la Bible hébraïque où nous aurions cette expression « ולא » : je n’ai trouvé qu’une seule occurrence dans toute la Bible hébraïque, en Exode 2:3 : « ‭Ne pouvant‭‭ le cacher‭‭ plus longtemps. » A priori, l’affirmation que « ולא » en hébreu aurait une signification différente des mêmes mots en grec « et ne pas » ne me semble pas du tout évidente. Cela ne marche pas trop de traduire cette phrase toute simple par « Alors il ne doit pas pouvoir le cacher‭‭ plus longtemps ». À ce stade, j’ai donc quelques doutes sur l’affirmation avancée par le prédicateur que vous avez entendu. Mais en tout cas, cela m’a intéressé. Et bravo à lui d’affronter l’Évangile par la face nord.

Ce passage de l’Évangile est effectivement très déroutant.

Quelle autre piste pourrait-on explorer ?

Se questionner

Je dirais d’abord qu’il n’est pas nécessairement bon de gommer les paroles choquantes afin de les faire rentrer dans le rang d’une petite morale simpliste. Il faut d’abord replacer cela dans le contexte, avec en particulier le statut que Jésus lui-même donne à ses propres paroles : ce ne sont pas des commandements comme dans la Torah, ce sont des paroles faites pour faire réfléchir, pas pour leur obéir avec le petit doigt sur la couture du pantalon. Un exemple flagrant est cette parole où Jésus nous dit très solennellement : “Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant.” (Matthieu 5:39) C’est manifestement inapplicable, cela laisserait les victimes exposées aux méchants : que cette victime soit nous-mêmes ou que cette victime soit un autre, il faut bien quand même résister de temps en temps aux méchants, aux violeurs, aux assassins, ou typiquement quand une femme est humiliée, frappée et violée par son mari. Cette parole de Jésus est donc pour le moins choquante, comme celle qui nous inviterait à haïr ses propres parents.

Il ne faut donc pas prendre ces paroles choquantes de Jésus au sens littéral, premier, direct. Mais on peut garder le fait qu’elles sont un appel à éveiller notre questionnement, à réveiller notre propre interprétation, comme vous le faites. Cet appel à se poser des questions me semble certainement faire partie de l’intention de Jésus et de ces textes. Il n’est pas vrai que les paroles de Jésus sont simples. Ses mots et ses images sont simples, mais son enseignement est complexe, et même plus que cela : il est troublant afin de nous pousser à complexifier notre façon de voir et de nous sortir de cette tendance que nosu avons à nous reposer sur l’opinion commune.

Nuancer les positions

Néanmoins, cela n’est valable que si, quand même, il y a part de vérité dans ces paroles choquantes : au moins une vérité dans certains cas ou d’une certaine façon, une vérité tenue, étrange, à la limite.

En ce qui concerne haïr son père et sa mère, je dirais que pour le moins Jésus nous invite à couper le cordon. Cela est d’autant plus nécessaire que l’on a une admiration, une amitié, une vénération pour son père ou pour sa mère. Il ne nous est pas demandé de rester comme un fœtus. Aimer, c’est être distinct, ce n’est pas être identique, mais être soi-même et être dans une relation fidèle, aimante et authentique. C’est dans ce sens que je comprendrais le « haïr » de cet étrange commandement : se distinguer pour s’aimer plus véritablement : lui c’est lui et ce n’est pas moi, et pourtant je l’aime. De même en couple : aimer ce n’est pas être identique, mais honorer l’autre dans ce qu’il est et lui être fidèle. C’est alors que la différence enrichit tout le monde.

Une autre façon de voir, une autre logique

Parfois, quand un texte semble impossible, insoluble, c’est que nous sommes coincés dans une certaine façon de voir qui ne convient pas.

Nous avons tendance à entendre les paroles de Jésus comme celles d’un maître qui donne des leçons de morale, attendant que nous nous soumettions à ses commandements, pour marcher bien droit. Le vrai disciple est celui qui fait ce que Jésus dit, et donc ici, pour être vraiment un bon disciple, il nous faudrait couper avec nos familles et amis pour rester bien proches d’un Jésus gourou. Ce n’est pas du tout, mais pas du tout le style de Jésus. Bien souvent, il aide quelqu’un et il l’invite à retourner vivre sa vie, pas à rester enfermé dans sa bande de disciples.

Mais que propose Jésus, alors, au fond ? Que doit attendre comme bénéfice un disciple de Jésus ? Quelque chose qui est de l’ordre du salut et de la vie : c’est un soin, c’est une puissance de transformation. C’est bien plus que trois petits conseils de morale ou de théologie. Si l’on relit le verset choquant qui vous intéresse, mais sous un autre regard où Jésus est plus pour nous un médecin qu’un enseignant, on pourrait lire, je pense, ce verset choquant ainsi :

Que celui qui présente ce symptôme gravissime d’en être à haïr ses parents, ses enfants ou ses amis : eh bien qu’il vienne et je le soignerai.

C’est ce que Jésus explique ailleurs : « Ce ne sont pas‭ ceux qui se portent bien‭‭ qui ont‭‭ besoin‭ de médecin‭, mais‭ les malades‭‭‭. » Je ne suis pas‭ venu‭‭ appeler‭‭ des justes‭, mais‭ des pécheurs‭. (Marc 2:17)

Il existe sans doute un demi-million d’autres façons encore de lire cette phrase de Jésus, et c’est cela qui est stimulant.

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

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2 Commentaires

  1. Marie dit :

    MERCI❤️cher Marc Pernot, comme toujours.. Votre interprétation est stimulante et intéressante. Comme vous dites si bien, « il y a un demi-million » d’autres interprétations possibles😉.. C’est bien pour çà qu’on peut lire et relire les mêmes passages d’Evangile sans jamais se lasser: parce que je les lis toujours à partir de ma propre vie, à partir de là où j’en suis maintenant. Ensuite, pour aller dans votre sens, je me demande si on ne pourrait pas traduire le terme « commandements » dans le Nouveau Testament par le terme « recommandations ». Est-ce qu’on ne serait pas plus près de l’intention de Jésus?.. C’est difficile de donner ENVIE aux gens de lire l’Evangile s’il doivent commencer par traduire tout plein de mots et d’expressions pour les faire entrer dans notre compréhension du monde telle qu’elle est aujourd’hui!

    1. Marc Pernot dit :

      Merci, Marie. Personnellement, je traduits par « paroles » parce que cela me semble être le statut de ce que Jésus nous dit, il a des paroles qui nous invitent à le suivre, certes, seulement, ce qu’il nous apporte est aussi une parole créatrice, comme celle de Dieu, qui nous transforme. Ces paroles ouvrent plus à un supplément d’être qu’à une soumission. Je suis donc bien du même avis que vous en ce qui concerne le mot « commandement » : il me semble que cela induit un contre sens dans la compréhension que l’on peut avoir de ce que Jésus apporte et espère.

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