18 septembre 2019

papyrus Ryland P52 - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:P52_recto.jpg
Question

Jean l’évangéliste est il Jean l’apôtre ? Comment parle-t-il ainsi « des juifs » ?

Par : pasteur Marc Pernot

papyrus Ryland P52 - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:P52_recto.jpg

Le plus ancien fragment d’un texte des évangiles est ce papyrus Ryland P52 tiré d’un exemplaire de l’Evangile son Jean. Il a été trouvé en Egypte et semble dater du (début du) IIe siècle.

Question posée :

Bonjour Monsieur,

En lisant l’évangile de Jean, une chose m’a intrigué. Jean l’évangéliste est il Jean l’apôtre ?
D’un côté l’évangéliste semble avoir une proximité de Jésus jusqu’à connaître ses sentiments intimes mais d’un autre côté l’usage du mot juifs indique une distance historique. En effet, il me semble que durant la vie de Jésus, il était rabbi et ils étaient tous juifs. La conscience d’une foi séparée du judaïsme n’a eu lieu qu’après, durant la vie de Jean après la mort de Jésus ?
A moins qu’il s’agisse d’un problème de traduction ?

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Bien des experts ont leur avis là dessus. Mais c’est vrai que leurs hypothèses durent ce que durent les roses, fleuries un jour et fanées 3 jours après.

Il est effectivement curieux, et je dois reconnaître : assez désagréable, que le texte de l’Evangile selon Jean parle « des juifs » de façon péjorative. Il s’agit effectivement de quelque chose d’étrange car non seulement Jean, mais Jésus lui-même, Marie, Joseph, les 12 apôtres… étaient évidemment tous juifs.

Ménorah - arc de titus - https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Arc_titus_relief_sud.jpg Cela me semble pouvoir se comprendre en envisageant l’histoire de ce texte. Après la mort de Jésus, foi chrétienne s’est rapidement développée parmi les païens. C’était assez logique du moment que l’on pense que Jésus est le Messie, le Christ. Car cette fonction consiste à accomplir la promesse donnée à Abraham d’être une bénédiction pour toutes les familles de la terre. Cette diffusion a fait qu’assez rapidement, le nombre de chrétiens issus du paganisme est devenu important. Parmi eux, certains se sont mis à suivre les commandements, les rites, les fêtes, et le shabbat juif. D’autres ne l’ont pas fait, restant ni circoncis (pour les hommes), ne suivant pas les règles alimentaires. Les communautés ont commencé à se réunir entre chrétiens le dimanche (pour des raisons symbolique, et pour laisser le champ libre aux juifs qui le voulaient d’aller le samedi à la synagogue avec ceux qui n’étaient pas chrétiens). Jusqu’en 70, les choses ont fonctionné ainsi, avec je suppose quelques tensions à la synagogue pour les judéo-chrétiens, car la question du Messie n’est pas une petite question de détail dans ce cadre mais un changement de paradigme, et il est possible que les chrétiens étaient un peu fatiguant à la longue avec leur Jésus est le Messie, le Christ. En 70, il y a eu une révolte juive, portée par un messianisme concurrent de celui de Jésus, un messianisme à la roi David, les romains ont mis à sac Jérusalem, pillé et détruit le temple (il y a encore sur l’arc de triomphe de Titus à Rome la mémoire du défilé des vainqueurs avec la Ménorah de ce temple), et des mesures contre les juifs de l’empire romain. Suite à cet événement, les juifs de la synagogue en ont eu assez et ils ont demandé aux judéo-chrétiens de bien vouloir prendre le large et ne plus venir à la synagogue des juifs non chrétiens. Il semble que ces mentions « des juifs » dans l’évangile selon Jean date de l’époque de ce traumatisme. « Les juifs » signifie alors ceux qui s’opposent aux « judéo-chrétiens », ceux qui s’opposent à l’idée même que Jésus soit le Messie, le Christ. Cela voudrait donc dire que cette expression date des années 70-90, typiquement.

Pour autant, cela ne veut pas dire que l’Evangile selon Jean aurait été écrit en 80. Ce serait à mon avis un peu rapide et caricatural de dire cela. Un texte comme celui ci a une histoire qui s’étend à mon avis sur 50 ans. Il me semble vraisemblable qu’il y ait eu des prises de note des paroles de Jésus (des disciples pouvaient le faire avec leur rabbi), il y avait aussi la mémoire de ces paroles et de ses gestes (avant que l’alphabétisation soit si répandue, avant l’imprimerie et avant internet, la mémoire orale des personnes était bien plus développée qu’aujourd’hui). Après la disparition de Jésus et la naissance de communautés chrétiennes un peu partout, il est plausible que des recueils de paroles de Jésus et des recueils de faits & gestes de Jésus ont commencé à être compilés pour échanger dessus et les transmettre aux nouveaux venus. Dans un sens on pourrait dire que l’évangile de Jean a commencé à être composé du vivant de Jésus puis rapidement à commencer à s’écrire. Et c’est vrai qu’il y a des détails dans les récits de cet évangile qui semblent être très anciens, comme l’histoire de la piscine de Béthesda qui a été détruite au début des années 40 me semble-t-il… L’attribution de ce texte à Jean, un des apôtres les plus proches de Jésus est très ancienne. C’est vrai qu’il était assez habituel de placer un texte sous le haut patronage de son maître quand on était son disciples, en hommage, c’est ainsi que certaines lettres attribuées à Paul ne sont probablement pas de lui (après une analyse scientifique du vocabulaire). Mais dans le cas des évangiles, cela me semble assez fermement assuré que l’apôtre Matthieu-Lévi a écrit une première version de l’Evangile qui porte ce nom, et que l’apôtre Jean est à l’origine de l’évangile qui porte son nom. Cela ne veut pas dire qu’ils en ont été les seuls rédacteurs, mais qu’ils en sont à l’origine, ce qui n’empêche pas que la communauté assemblée autour d’eux ait participé à la rédaction sur quelques dizaine d’années, voire 50 à 60 ans pour l’évangile selon Jean dont certains traits, comme cette mention péjorative contre « les juifs » ne peut être à mon avis comprise autrement.

A mon avis, pour ne pas faire d’anachronisme, il faudrait traduire cette expression par « les opposants » ou « les intégristes » afin de rendre ce côté péjoratif évidemment pas contre le judaïsme mais contre une certaine attitude.

Dans cet évangile selon Jean, il est question du « disciple bien aimé » qui est lui aussi une énigme. Je pense que c’est en partie le souvenir personnel de Jean lui-même et c’est une façon de laisser la place pour le lecteur et qu’il se sente aimé comme Jean s’est senti aimé.

Bravo pour votre lecture approfondie de ces extraordinaires textes !

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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