vue sur Jérusalem avec le dôme de la mosquée et des clochers d'églises - Image par Günther Simmermacher de Pixabay
Question

Dans notre groupe interreligieux, se pose la question de savoir si on peut prier ensemble ou non ?

vue sur Jérusalem avec le dôme de la mosquée et des clochers d'églises - Image par Günther Simmermacher de Pixabay

« Jérusalem » : « la demeure de la paix », de l’accomplissement ? C’est en tout cas un bel objectif, ensuite, il y a du boulot !

Question posée :

Bonjour Marc,

Je fais partie d’un groupe interreligieux dans ma ville. Beaucoup d’actions communes, de dialogue ou de solidarité, mais encore en plein cheminement sur la question de la spiritualité qu’on peut avoir ensemble. Pour l’instant on se limite à une minute de silence au début de nos réunions.

A Assise en 1986 un Pape avait décrété qu’on ne pouvait pas prier ensemble, mais seulement être ensemble pour prier. On voudrait éviter les trois écueils que sont le syncrétisme, le prosélytisme et le relativisme – comment faire ? Au moins entre chrétiens et juifs, n’y a-t-il pas une proximité qui devrait permettre de partager quelque chose de la foi sans se trahir ?

Amitiés,

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Je ne suis pas absolument certain que le syncrétisme, le prosélytisme et le relativisme puissent être décrétés trop vite comme les trois écueils. À mon avis, je commencerais par essayer un peu pourquoi cela le serait nécessairement et quand cela le serait.

Est-ce que décréter cela ne viendrait pas des autorités religieuses, cela me semble probable, cela dit je comprends que votre association veuille politiquement et diplomatiquement protéger les sensibilité des ces autorités. Chacune et chacun est à accompagner, pas à pas, selon ses forces.

Mais si une brave personne met son cœur dans une recherche de Dieu et fait son miel en prenant un peu à gauche et à droite : de quel droit on pourrait lui dire que c’est, pouah, du syncrétisme ? D’ailleurs notre foi à tous et toutes s’est historiquement faite comme ça ! Le pluriel de Elohim (Dieu en hébreu) n’est pas seulement un pluriel de majesté, c’est aussi un pluriel qui récapitule tout le divin, c’est « l’assemblée des dieux » qui devient alors le sujet des verbes conjugués au singulier. Quand ensuite la confession de foi fondamentale du judaïsme, reprise par Jésus, est d’écouter Yhwh Dieu comme unique, on pourrait taxer cela de syncrétisme aussi. Et le culte marial, et la prière à Jésus que l’on entend dans nos temples et cantiques… c’est un peu, pas très, loin du syncrétisme aussi. Il faudrait par exemple voir ce genre de réflexion avec des théologiens comme Thomas Roemer, ou Jean-Daniel Dubois ?

Personnellement je suis très biblico biblique et ne suis pas prêt à mettre un bouddha, une icône, un cristal, et non plus une croix ni une bougie sur un petit autel de prière. Mais bon, chacun son truc. En puis, chacun sa paille et sa poutre dans son propre œil. La sincérité est à mon avis assez importante dans notre recherche de Dieu, ensuite, que Dieu nous aide.

Je ne suis pas contre du tout le fait de prier ensemble, ou que ceux qui voudraient puissent le faire. Mais à ce moment là que ce ne soit pas une seule voie qui soit représentée, mais soit plusieurs soit à tour de rôle. Que ceux qui veulent prier leur Dieu ou leurs divinités ou leur arbre comme ils l’entendent, j’y reconnais quelque communion possible avec ma propre prière. Même si elle s’exprime différemment, cela ne met pas ma foi en danger.

Le prosélytisme, certes est un gros mot, mais quand je dis à quelqu’un combien ma foi est géniale (pour moi), tant que je ne dis pas que celui qui n’a pas la même foi que moi est un infidèle dans l’erreur et vomi par Dieu… cela me semble être une façon de reconnaître que l’autre est un frère de témoigner de ma foi. Donc plutôt que prosélytisme, je mettrais plutôt l’intégrisme et le dogmatisme comme écueils.

Sur Jean-Paul II, je préfère m’abstenir, il y a du bon et du moins moins bon, comme dans toute personne.

Et le relativisme, dans une certaine mesure, ne fait pas de mal, au contraire. Oui sur les valeurs de base, on ne peut pas dire que l’homophobie et le racisme, après tout cela peut se défendre… OK. Mais dans le domaine de la religion, il me semble pas mal de relativiser les doctrines, les rites, les institutions par rapport à Dieu(x). Ça, quand même, ça fait du bien, je pense?. C’est la base de l’idée même de transcendance. Effectivement, quand on sacralise sa propre confession de foi, son livre, son baptême bien comme il faut… on a parfois du mal à reconnaître que Dieu est d’un autre ordre. Et il est alors difficile de penser que ceux qui n’ont pas exactement ces mêmes codes ce même chemin pourraient être, néanmoins, dans une foi valide. Mais bon, ceux qui refuseraient ce « relativisme » là, s’ils participent à des rencontres interreligieuses, ce serait pourquoi ? Ce serait pour quoi (avec quelle idée en tête) ? pour ne pas passer pour sectaire et intégriste (alors qu’un peu, si) ? Ce relativisme là, reconnaissant la transcendance de Dieu par rapport à la religion, cela ne veut pas dire que le croyant lui-même cesse de chercher et ait de la compote dans la tête, ce n’est en général pas le cas. On peut avoir de vraies bonnes convictions, d’autant plus qu’on a soi-même bien réfléchi, sincèrement et en liberté.

Donc, bref, j’ai des réserves vis à vis de ces 3 « écueils ». Je chercherais à mettre les clignotants ailleurs. Par exemple de mettre comme règle que tout texte lu ou prière prononcée, ne vienne pas stigmatiser qui que ce soit d’autre, ou poser un exclusivisme. par exemple « ô Christ, toi qui est la vérité… » ou « Eternel, c’est toi qui es Dieu et il n’y a pas d’autre Dieu que toi » peuvent se dire dans sa chapelle, mais n’a pas à être entendu. A partir de ce moment là, que quelqu’un prie Toutatis et Vishnou avec ferveur, cela ne me donne pas envie pour moi-même, mais par contre je peux admirer la foi du priant et reconnaître dans son élan quelque chose qui est dirigé vers ce que j’appelle Dieu.

D’ailleurs, qu’il te bénisse et d’accompagne

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

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4 Commentaires

  1. Robinson dit :

    Cher Marc, merci pour ta longue réponse ! Je comprends les nuances pour syncrétisme et prosélytisme. Au fond, l’essentiel est de rester sincère et bienveillant dans l’échange, avoir assez confiance dans ce qu’on est pour ne pas avoir peur d’être transformé par l’autre.

    Pour le relativisme, voilà bien un des mots qui piquent de la théologie qui demandent d’abord une définition ! Bien d’accord pour relativiser les dogmes. Le dialogue interreligieux entre amis peut être d’ailleurs un catalyseur pour faire grandir les croyants dans leur théologie – et devenir plus libéraux.

    Le problème serait de penser qu’on peut tout accepter au nom de l’ouverture d’esprit. Non seulement des opinions qui s’opposent à l’éthique et à la loi, tu cites l’homophobie et le racisme à juste titre, mais aussi des opinions qui s’opposent à la science. Notamment l’arquéologie sur le contexte d’écriture de nos livres, la biologie sur l’apparition et l’évolution de la vie et de l’homme, l’histoire sur la Shoah, l’écologie sur le dérèglement climatique. Parfois il n’y a pas de dialogue possible, les faits ne sont pas des opinions.

    1. Marc Pernot dit :

      Bonsoir
      & merci pour les encouragements !

      Le problème du mot « relativisme » est que c’est une injure dans la bouche de certains, la définition c’est donc quelque chose comme « pouah ta pensée sent mauvais, car elle transgresse la limite que j’impose à liberté de ma propre pensée ». Donc effectivement la définition du relativisme est relative ! Elle dépend de ce qui est tabou pour celui qui porte ce jugement.

      Dans un groupe interreligieux, la discrimination est une sorte de tabou, je pense, et celui qui dirait que l’on a bien le droit d’être raciste et homophobe serait frappé d’anathème. Alors que dans une église à fond sur la très sainte trinité, quelqu’un qui dirait qu’après tout Jésus est un homme normal aura peut être le même type de difficultés à se faire entendre.

      C’est vrai que je suis très attaché à la solidité de la cohérence de la pensée, personnellement. Cela dit, une personne qui a une pensée fantaisiste, faisant fi de toute vraisemblance, a bien le droit de s’exprimer, et ne me dérange pas outre mesure tant qu’elle est tolérante. Par exemple une personne qui pense que Jésus aurait marché sur l’eau physiquement, matériellement. Je considère que cela n’a aucun sens (à mon avis), mais cela ne me gène pas qu’une personne le pense. Je suis bien d’accord avec toi, il n’est alors pas la peine de discuter alors que les univers mentaux sont sur des plans parallèles. Cependant, entre personne civilisées on peut néanmoins tout à fait être dans la même église, et étudier la Bible ensemble pour chercher comment on peut s’ouvrir, grâce à ce texte, au salut de Dieu pour nous aujourd’hui. Et il est bien possible que cette personne pense comme moi que notre espérance n’est pas d’arriver à traverser le lac à pieds, mais que par la foi, Christ fasse que nous puissions faire notre chemin sans être englouti par le chaos, les tempêtes de l’existence. Et si cette personne persiste à penser que si, absolument, elle attend que la foi en Jésus la fasse marcher sur l’eau, alors je lui proposerai de nous prévenir pour que nous soyons là pour la soutenir quand elle essayera.

  2. Robinson dit :

    La différence entre « être ensemble pour prier », chacun à sa façon les uns après les autres, et « prier ensemble », dire les mêmes mots et poser les mêmes gestes en même temps me paraît fondamentale. C’est le second qui nous interroge.

    Qu’est-ce qu’une prière inclusive ? Faut-il prendre en compte chaque culture, un peu de patois de Canaan et un peu d’ailleurs, au risque de faire un mélange morue aux fraises-épinard-chocolat indigeste ? Ou chercher le plus petit dénominateur commun, viser l’universel sans les contingences culturelles ? Une prière déiste ? Tu me répondras peut-être que la solution est de méditer ensemble sur l’instrumental d’une cantate de Bach !

    Un point important est que notre association accueille aussi des personnes de convictions agnostiques et athées. Ce temps spirituel risque de les exclure. Cette minute de silence laïque, que chacun interprète et vie à sa façon est d’une tristesse infinie mais au moins fait l’unanimité.

    1. Marc Pernot dit :

      Je ne comprends pas trop.

      Si le silence de l’athée sur Dieu n’exclut pas le croyant. Pourquoi la prière du croyant exclurait l’athée ?

      En fait, l’absence de prière est un plus petit dénominateur commun réduit donc au néant, c’est à dire à l’athéisme.

      Il me semble qu’entre personnes de bonne volonté, et c’est précisément un peu le but de ce genre de réunions, chacun devrait pouvoir être lui-même (se limitant seulement à ce qui n’injurie pas un autre), sans que les autres se sentent exclus. Et si dans un tour de table où chacun dirait une courte prière à sa façon, l’athée faisait silence ou lisait un poème d’Eluard, il aura eu sa place dans l’expression de l’essentiel pour lui. Cela me semble plus intéressant. A la fois dans le fond (de ce qui sera dit), et dans la forme (faire attention à ce que l’on dit et comment cela peut être entendu, et accepter qu’il y ait une diversité explicite de façon d’espérer).

      Cela me semble mieux que le zouli poème bien consensuel, et donc qui ne dit pas grand chose sur le fond, et qui, sur la forme, n’assume pas vraiment la diversité comme étant une richesse.

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