
Est-ce que la théologie, avec ses chicanes, ne finit pas par désespérer le croyant ?
Question posée :
J’aimerais vous poser une question, ne pensez-vous pas que la Théologie dans son ensemble, avec ses courants si divers, ses points de divergences (entre telle ou telle conception de l’interprétation), avec sa science qui parfois est incompréhensible pour le « commun des mortels », avec toujours cette soif de rechercher ce qui finira toujours à un moment par nous échapper, ne finit pas par desservir la foi , tout du moins par « l’ébranler » ….pensez vous qu’il soit toujours utile pour plus de compréhension ( via cet outil qu’est la théologie, dans son sens le plus large ) d’élaborer , encore et encore ce genres de « systèmes » ( et de sans cesse s’y référer) ce qui à mon sens , bien qu’utile certes a atteint ses limites ( il suffit de s’apercevoir des débats houleux entre théologiens ).
Belle soirée
Réponse d’un pasteur :
Cher Monsieur,
Ce serait vraiment dommage que la théologie désespère quiconque.
Comme vous le dites, cette soif de recherche est belle, et c’est normal qu’elle nous échappe. Dieu est l’au-delà de tout et nous n’en ferons jamais le tour. Dieu merci, oserais-je dire. Quelle tristesse quand on ne cherche plus, il me semble que ce serait cela qui desservirait la foi, elle serait comme figée, endormie, et même plus ou moins morte, faisant comme partie des meubles dans notre existence. Même une plante verte aime à envoyer ses racines plus profondément, ses branches plus largement et élever ses feuilles vers la lumière. Notre être et notre vie, et donc notre foi, sont comme cela.
C’est pour cela qu’il existe des livres de théologie qui sont redoutablement complexes. En philosophie aussi, d’ailleurs. Cela me semble parfois comme une sorte de coquetterie, à vrai dire. Une mode. Ce ne sont pas toujours les ouvrages de théologie les plus ardus qui sont les plus fins et les plus profonds. Mais, ce n’est pas grave, rien ne nous oblige à lire des livres qui sont illisibles pour nous. Il n’y a pas de honte ni de fierté dans ce domaine. Il y a simplement l’utilité pratique. Il est bon, certainement, de pousser un petit peu ses limites en lisant des livres ou des articles, en écoutant des prédications et des conférences juste un petit peu plus compliquées que ce à quoi nous sommes habitués. Pousser ainsi un petit peu nos limites, avancer d’un pas. Ce qui serait mauvais, c’est de se culpabiliser de ne pas arriver à sauter une marche trop haute pour nous.
Effectivement, cela ébranle notre théologie présente, mais dans le bon sens du terme, ça la travaille. Ça la fait vivre, s’assouplir et se muscler. Et, normalement, cela doit être au service de notre développement, y compris le développement de notre foi.
Est-ce que cela peut ébranler notre foi de nous intéresser à la théologie ?
C’est possible, mais alors c’est que notre foi était bâtie sur du sable, comme le dit Jésus dans une de ses succulentes paraboles (Matthieu 7). Si notre foi repose sur une doctrine, sur une formule théologique, alors oui, quand on questionne cette théologie, cela peut nous troubler. Mais il n’est pas sain que notre foi repose sur une formule théologique, ce n’est pas fait sur cela. La foi, littéralement, c’est une confiance en Dieu. Or, quand on a confiance en quelqu’un, c’est alors que l’on peut discuter avec lui, chercher à le connaître, l’interroger.
Seulement, il existe effectivement des formes malades de la recherche théologique.
Il faut d’abord lui trouver sa juste place : ni trop élevée ni trop basse, juste comme un moyen utile pour approfondir et pour s’améliorer, pour vivre d’une plus juste façon, plus authentique, pour prier et pour débattre entre personnes de bonne volonté.
C’est ce qu’essaye de mettre en place l’apôtre Paul, par exemple, dans ce fameux hymne à l’amour de 1 Corinthiens 13 (voir ci-dessous). Paul insiste pour que la théologie soit faite par amour et pour l’amour, car cet amour est Dieu, en réalité, dans cet hymne. Alors la foi est géniale, ébranlant nos certitudes trop ancrées (devenues des idoles, des grigris ou des doudous), et confortant l’essentiel qui nous anime, nous mettant plus en forme et moins angoissés.
La théologie, source de disputes
Il peut arriver, comme vous le dites, que des personnes se disputent, injurient ou excluent les autres pour leur théologie. C’est que leur théologie n’est alors ni dans l’amour des autres ni dans l’amour de Dieu :
Le récit de la Genèse qui parle de l’homme devenant fou avec cette histoire d’Adam et Ève et du serpent qui parle : ce récit montre cette arrogance de l’homme qui prend sa propre pensée pour égale et préférable à Dieu. C’est aussi une image du croyant fou, du théologien pensant toucher le ciel avec son interprétation de la Bible, de Dieu et du monde. Interprétation qu’il pense être la seule valable, et qui remplace dnas le cœur de cette personne le Dieu vivant, Dieu au-dessus de toute théorie cherchant à l’enfermer. Ce récit montre qu’alors les personnes de cette histoire accusent les autres au lieu de saisir qui il est vraiment.
Mais avec l’amour : on sait bien que Dieu, ce Dieu que l’on aime, est au-delà de tout, et il est alors normal que chacun ait une relation particulière, unique avec lui. Il est normal qu’il y ait une variété de théologies et une évolution de notre théologie, car une personne, à un moment donné, a besoin de Dieu comme Père, tantôt de Dieu comme mère, ou comme ami, ou comme roi, ou comme créateur, comme guide ou comme rempart contre l’adversité… et bien d’autres encore. Mais il n’y a effectivement pas lieu de se disputer pour cela. Ou alors c’est que nous avons besoin de plus prier pour sentir que Dieu est et restera toujours infiniment plus élevé que nos interprétations, leur échappant sans cesse. Si nous nous disputons, c’est que nous avons encore besoin de plus de théologie, pas de moins de théologie, et d’une meilleure façon de faire de la théologie, une théologie animée par l’amour, comme le suggère Paul, une théologie humble devant Dieu et devant nos frères et sœurs, une théologie au service de ce qui est vraiment l’humain (au sens où Christ est l’humain), au service de la réconciliation entre les humains et au service de notre réconciliation avec Dieu, l’au-delà de tout.
Au contraire, la discussion théologique est stimulante et passionnante. On est souvent trois fois plus intelligent quand on discute avec respect avec une autre personne. Partageant les vues, les lectures, le vécu de foi et de vie.
La théologie : source d’une meilleure vie
La théologie doit enrichir notre foi, en dégager le meilleur, nous apprendre à mieux prier, d’une façon plus profonde et plus pure. La théologie doit nous désencombrer de nos idoles, quelles qu’elles soient. Elle doit nous aider à mieux comprendre et à user de nos cultes et de nos sacrements… Elle doit nous aider à être nous-mêmes, authentiquement, en secouant le joug de ce que l’on nous a toujours dit qu’un bon chrétien devrait penser et faire.
La théologie est une recherche de Dieu, elle est aussi une recherche de ce qu’est la source de ce qui fait vivre et de ce qui est juste et bon. C’est alors de la philosophie, certes, mais une philosophie qui s’enrichit de pas moins de six mille ans de théologies (depuis l’invention de l’écriture) et qui s’enrichit d’expériences spirituelles (ce qui est une dimension essentielle de l’humain depuis 100’000 ans, probablement).
Paul nous dit comment faire de la théologie.
Voici donc ce que nous dit Paul, lui qui est un formidable et inlassable théologien, sur la façon de faire de la théologie : sans amour, ce que produit le théologien n’est que du bruit… car c’est en réalité partiellement que nous connaissons Dieu et notre frère, notre sœur.
Même si je parlais les langues des hommes et des anges,
si je n’ai pas l’amour, je suis une cloche qui résonne ou une cymbale qui retentit.
Même si j’avais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance,
Si j’avais même toute la foi jusqu’à transporter des montagnes,
si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien.
Même si je distribuais tous mes biens pour la nourriture des pauvres,
même si je livrais mon corps pour être brûlé,
si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien.
L’amour est patient, l’amour est serviable, il n’est pas envieux ;
l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil,
il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt,
il ne s’irrite pas, il ne médite pas le mal,
il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité ;
il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout.
L’amour ne meurt jamais.
Que ce soient les prophéties, elles seront abolies ;
les langues, elles cesseront ;
la connaissance, elle sera abolie.
Car c’est partiellement que nous connaissons ;
c’est partiellement que nous prophétisons.
Mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel sera aboli.
Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant,
je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ;
lorsque je suis devenu homme, j’ai aboli ce qui était de l’enfant.
Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse,
mais alors, nous verrons face à face ;
aujourd’hui je connais partiellement,
mais alors, je connaîtrai comme j’ai été connu.
(L’apôtre Paul, dans sa 1re lettre aux Corinthiens, chapitre 13)
Une théologie motivée par l’amour, nourrie par l’amour de Dieu et s’en inspirant, une théologie qui a conscience qu’elle ne voit que de façon confuse, qu’elle ne sera toujours que partiellement vraie. Alors le croyant peut faire de la théologie sans tuer Dieu en lui, et sans tuer son frère, sa sœur. Et sa façon de faire de la théologie sera au contraire vivifiante pour sa foi et pour sa vie, pour ses relations avec les autres et avec le monde.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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« La théologie est une recherche de Dieu, elle est aussi une recherche de ce qu’est la source de ce qui fait vivre et de ce qui est juste et bon. » Il se trouve qu’hier soir j’ai regardé l’émission de la 5 C ce soir . Une Imame, Kahina BAHLOUL, a expliqué le sens véritable du mot Charia dans la pensée musulmane : « la voie qui mène à la source »…
Certes, c’est le « véritable » sens du mot Charia pour certains courants de l’Islam. Pour d’autres comme les Talibans, le véritable sens du mot Charia est tout autre chose. Il en est de même pour le concept de guerre sainte Djihad, est-ce la guerre contre les « infidèles » ou la recherche de se débarrasser de l’infidélité en soi-même ? Ou le vrétitable sens du mot Islam, est-ce dérivé du mot paix ou du mot de soumission ?
Donc en vérité, pour le Coran comme pour la Bible, tout est une question d’interprétation. Il n’y a donc pas de « véritable sens » dans ce domaine, sauf pour les intégristes qui pensent que leur interprétation est la seule juste, que c’etst l’interprétation de Dieu lui-même. Les autres reconnaissent qu’il y a une pluralité de sens possibles, et expliquent pourquoi ils choisissent telle ou telle interprétation. C’est à cela que sert la théologie, quand elle est animée par l’humilité devant Dieu (au moins).
Merci pour ces propos très vrais, me semble-t-il. Personnellement, c’est justement par la théologie, par sa diversité, sa profondeur, sa nuance, que l’idée de foi m’est devenue acceptable et que je me suis dit que, peut-être, elle pourrait me concerner. Bon, j’ai choisi des théologiens qui parlent à ma sensibilité — plutôt très libérale —, mais en tant qu’athée, je partais de très, très loin. Et c’est indubitablement la lecture de ces livres qui m’a montré qu’être croyant voulait dire beaucoup de choses, souvent très différentes d’une personne à l’autre, d’un penseur à l’autre, mais que, tout bien pesé, ça n’avait pas grand chose à voir avec le fait le « croire au Père Noël », comme je m’en étais persuadée pendant des années. Voilà : juste un témoignage pour montrer que loin d’ébranler la foi, la théologie peut aussi la faire éclore !