
Église et politique : j’estime ne pas à recevoir de consignes de la part de l’église, mais j’admets qu’il existe des cas extrêmes.
Question posée :
Bonjour
J’aurais une remarque à propos du sujet « église et politique »; personnellement, j’estime ne pas avoir de consignes à recevoir de la part de l’église en ce domaine; cette dernière soit se borner, pour moi, à appeler les « fidèles » à s’engager dans la société.
Mais j’admets qu’il existe des cas extrêmes où on ne peut se taire : et heureusement qu’il y a eu l’église confessante en Allemagne à l’époque du nazisme pour, en quelque sorte, sauver l’honneur du christianisme.
A Genève même, le pasteur Jean de Saussure, prêchait avec courage à St Pierre dans la même veine sans tenir compte des admonestations que lui a adressées le Conseil fédéral…
Qu’en pensez vous ?
Bien amicalement
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
C’est une question très discutée et très marquée par l’idéologie de chacun, et aussi de sa place dans l’église.
Ce que je remarque, c’est que dans l’histoire, l’Eglise a presque toujours été à côté de la plaque, ou très très en retard, sur ses positions politique et morale, quand elle en a pris. Par exemple sur les sujets qui nous semblent majeurs avec le recul: l’église n’a été en pointe ni sur la question de l’esclavage, ni sur l’égalité homme femme, ni en ce qui concerne le racisme ou la discrimination contre les homosexuels. Par exemple.
Les belles positions courageuses et prophétiques ont été portées à chaque fois par une personne individuelle ou deux qui rassemblent ensuite un petit groupe de militants qui vont agir pour faire avancer la société, souvent en conflit ou en rupture avec leur propre église, d’ailleurs.
Il est normal que l’église soit moins prophétique que l’individu, pour plusieurs raisons :
- un groupe d’individus est en général aussi bon que le niveau moral moyen de ses membres
- dans tout groupe humain il est une question de pouvoir personnel et l’église n’est évidemment pas à l’abri de cela, particulièrement dans les cadres de l’église.
- l’église se doit d’être l’église pour tous, or, toute prise de position prophétique introduit un clivage, laissant entendre (ou même disant) aux personnes qui ne sont pas d’accord avec sa prise de position que ces personnes sont de mauvaises personnes aux yeux de l’église, et même de Dieu. C’est explicitement le cas dès que les responsables d’églises brandissent le « status confessionis » pour légitimer une prise de position morale ou politique : cela signifie que toute personne qui ne serait pas du même avis renierait le Christ lui-même (c’est à dire que les responsables de l’église se prennent littéralement pour le Christ revenu sur terre !).
L’église en Allemagne du temps des nazis est un bon exemple : l’église était précisément devenue l’église du Reich. Quelques personnes, et non l’église instituée, se lèvent pour porter une voix courageuse et juste. C’est excellent. Ensuite ces personnes se structurent elles même en église, pourquoi pas, bonne idée ? sauf que c’est là que les ennuis commencent, les leaders commencent à se diviser, et même l’excellent Bonhoeffer se met à dire que les personnes qui ne sont pas dans son « église confessante » ne sont pas chrétiennes et ne sont donc pas sauvées. C’est tyrannique, même si, bien sûr on peut comprendre Bonhoeffer.
L’exemple de Jean de Saussure est de la même veine : c’est un homme qui devient prophète et se lève, et parle. C’est effectivement comme cela que je comprends le rôle du chrétien engagé dans la foi : de s’engager dans sa propre vocation avec liberté et courage. Certains individus sont bons à cela, et effectivement sauvent l’honneur du christianisme.
Le Christ lui-même ne prend pas de position politique, ni d’ailleurs ne fait pas de morale, et encore moins du moralisme. Avec ses commandements impossibles (ne pas résister au méchant, être parfait, ne pas penser que l’autre est nul « racca »), en encourageant à payer l’impôt à César, en embauchant des apôtres activistes anti-romains et en encensant un centurion romain… Jésus montre qu’il agit à un autre niveau que de vouloir diriger la conscience politique de ses disciples. Il encourage chacun à écouter Dieu directement dans l’intimité (Matthieu 6:6), puis à s’engager personnellement au service de la justice (Matthieu 5 avec les « béatitudes »).
Le rôle de l’église me semble être celui de Jean-Baptiste : appeler la population à se plonger dans la grâce de Dieu, à aller vers le Christ. Le Christ renvoyant lui-même chacun à Dieu et à chercher sa propre vocation auprès de son prochain. Et effectivement, l’église a fait un inestimable travail en ce domaine, puisque nous avons effectivement reçu l’Evangile 2000 après, que nous avons des trésors de pensées en débat, mais aussi de témoins lumineux (même si rien de cela n’est parfait, bien sûr). L’église est là pour susciter un questionnement qui puisse libérer les personnes des idées reçues. C’est ce que fait Jésus avec ses paraboles étranges et ses paroles choc. Il apporte, suscite un questionnement parmi les personnes de la foule. Ses disciples s’insurgent : mais pourquoi est-ce que tu n’es pas plus clair? Ils veulent un catéchisme de choses à penser et un nouveau code moral à appliquer. Mais Jésus préfère, comme Socrate, faire en sorte que la personne puisse accoucher d’une version plus aboutie d’elle-même. Quand l’église se mêle de fixer une « confession de foi » imposée, quand elle donne aux fidèles des réponses aux questions politiques ou morales, elle empêche les personnes de réfléchir et de prier, de discerner par elles-mêmes. C’est nocif pour leur développement. Si l’on pense qu’il y a une vraie question, le rôle de l’église est de nourrir un juste questionnement, de susciter une réflexion : cela consiste à se placer à un autre niveau que celui de la leçon de morale ou de théologie. Il s’agit d’apprendre aux membres de l’église (y compris à ses « responsables ») à lire, à interpréter, à observer, à s’interroger, à débattre en s’écoutant et en se respectant (même si l’on n’est pas d’accord avec l’autre). Ensuite, la décision ne peut pas être captée par un groupe d’experts se prenant pour le Christ, et même au dessus de lui. La décision n’appartient pas non plus à une majorité (c’est comme cela que le Christ a été condamné par les responsables religieux de l’époque, ni pire ni meilleurs que ceux d’aujourd’hui).
Avec joie d’en discuter.
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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Merci cher Marc Pernot pour cet éclairage historique d’une part et théologique d’autre part sur les rapports entre Église et politique. Votre analyse contraste favorablement avec les injonctions qui circulent en ce moment. Merci de susciter ainsi humilité et respect dans nos échanges en paroisses plutôt qu’une prise de position clivante et péremptoire.
Vu de ma chaise…
Le rôle des eglises, quelles que soit les dénominations, n’est pas de dire pour qui voter, ou qui est le bon, ni qui est le méchant.
les eglises n’ont pas a avoir d’objectifs politques.
Je crois que leur rôle, est d’enseigner des valeurs essentielles et fondamentales, comme l’amour du prochain et de soi même, ainsi que de donner des outils de discernement.
Pour le reste c’est à l’Esprit de venir au secours du croyant pour faire les choix qui lui conviennent le mieux, fussent-ils mauvais aux yeux des autres. (Rappelons nous que Jesus a fini sur la croix a cause justement de ses « mauvais choix » 🙂
Et n’oublions pas que le fils du charpentier parmi ces valeurs nous invite a ne pas juger, de crainte d’être nous même jugé a la même aune.
Dieu seul sonde le coeur et les reins est-il écrit.
Que l’esprit nous eclaire tous individuelement .
Amen.