femme blonde se cachant le visage avec en arrière fond une église - Photo by Abigail Keenan on Unsplash
Foi

Dans quelle mesure notre relation à Dieu relève-t-elle du domaine de l’intime, de la pudeur ?

Par : pasteur Marc Pernot

femme blonde se cachant le visage avec en arrière fond une église - Photo by Abigail Keenan on Unsplash

Quand la foi n’a rien de superficiel, rien d’ostentatoire, tout en souffle intime.

Question posée :

Cher Monsieur,

Je tiens à vous remercier très chaleureusement pour votre site, que j’apprécie énormément et qui m’a considérablement aidé dans ma réflexion. Je suis une jeune adulte qui vient d’une famille très athée, j’ai moi-même été « touchée par la foi » (je ne sais trop comment formuler cela…!) il y a maintenant un peu plus d’un an, après la lecture des Evangiles un peu par hasard, alors que j’étais dans une phase de gros doutes existentiels.
J’ai pris l’habitude de consulter très régulièrement votre site qui est à la fois une source de réflexion, de réconfort, et un moyen de me « nourrir » sur mon chemin spirituel encore tout jeune. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas comment me positionner par rapport à la religion – je fréquente des paroisses catholiques et une grande majorité de mes amis sont catholiques ; il y a des choses que j’aime et qui me touchent dans le catholicisme, et pour autant je pense être d’une sensibilité un peu plus « libérale », qui se rapprocherait du protestantisme, sur beaucoup de points. Mais tout cela est une autre histoire !

En réalité, je me permets de vous contacter aujourd’hui à propos d’une question qui me taraude depuis déjà un certain moment, mais que j’ai mis du temps à réussir à verbaliser.

Je tombe souvent sur des articles de journaux dont l’intitulé est « comment bien prier en couple ? » ou encore « prier en famille », etc.
De même, je vois qu’il existe des groupes de prière dans toutes les paroisses (catholiques) que je fréquente.
Egalement, j’ai fréquenté un groupe social dans une paroisse qui pratiquait à la fin ou au début des rencontres un temps de prière commune (soit une simple récitation, soit un peu plus, par exemple lecture/chant d’un psaume, lecture d’un passage du Nouveau Testament, intentions de prière, etc.). Or je suis toujours très inconfortable avec cette idée de « prière commune », que nous récitions tous la même chose en même temps, cela me parait superficiel et ce n’est pas « en accord » avec ce que je ressens vis-à-vis de la foi depuis plus d’un an. Mais difficile de refuser de participer…!

Lors de ma première lecture des Evangiles, je suis tombée sur ce passage bien connu –

« Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »

– qui a été un des premiers passages à me toucher, car je l’ai compris ainsi : même moi, qui n’ai reçu aucun sacrement ni culture religieuse, qui ne connait rien de la religion, je peux pratiquer la prière (et donc entamer une « relation » avec Dieu), car il suffit d’être « seul dans sa chambre » – quoi de plus simple, finalement, quand on n’a pas l’habitude de fréquenter des lieux de culte (ce qui était mon cas à l’époque). Je me suis bien reconnue dans ces paroles, qui m’ont libérée et m’ont permis « d’assumer » cette spiritualité naissante : je ne prie véritablement qu’en absolue solitude (une solitude qui peut toutefois être « partagée » : par exemple j’ai participé un jour à un temps d’adoration, nous étions plusieurs dans l’église mais seuls en même temps, et j’ai trouvé cela très fort, au contraire).

Tout cela pour aboutir à la question suivante : dans quelle mesure notre relation à Dieu relève-t-elle du domaine de l’intime ?

Je pense que nous avons tous une relation unique, même s’il y a peut-être bien des similitudes entre chacun. Mais mon problème est de voir que partager cette relation ne semble pas poser de problème aux croyants que je côtoie, alors que je ressens une extrême pudeur à l’idée de partager cette intimité avec d’autres. En général, si je participe à un groupe où nous faisons une prière en commun, je suis incapable même de réciter et je m’abstiens. Ma bouche ne s’ouvre tout simplement pas. Dans les cas où j’arrive à le faire, c’est simplement pour ne pas attirer l’attention, mais il n’y a rien de « véritable » dans les paroles que je prononce. Comme si la dimension collective faisait perdre tout son sens à la prière, et je me rends compte que je suis absolument incapable, dans ce domaine du religieux, de trahir ce que je ressens très profondément. J’ai l’impression que l’on est dans une sorte de mise en scène, que participer à cette mise en scène est une une manière « d’adhérer » à la communauté – comme tout le monde le fait – où ma relation personnelle et véritable ne trouve pas de place.

Cela rejoint un autre aspect que je retrouve régulièrement dans la foi catholique : je vois mes amis qui se signent en entrant dans une église ou pendant les messes, ou encore qui pratiquent la génuflexion devant l’autel – un geste qui m’impressionne (et qui m’émeut, en quelque sortes) énormément, car c’est un ancrage dans le corps d’une conviction spirituelle ; c’est accepter de manifester corporellement son respect à un dieu que l’on ne voit pas, mais auquel on affirme naturellement sa fidélité par ce geste visible de tous. Je ne pense pas du tout que ce geste soit « essentiel », je pense qu’il concerne avant tout la personne qui le pratique, que cela repose sur un choix personnel, etc. Je ne lui donne pas plus de crédit qu’à autre chose. Mais je ne peux rester indifférente face à mon sentiment : je constate que je serai incapable de faire de même (même se signer…!). Et ce n’est pas faute d’envie, c’est que je ne peux pas faire des gestes ou des signes aussi manifestes de cette foi, surtout pas devant autrui, mais même encore seule dans une église vide ou chez moi. Comme si j’étais très complexée par quelque chose. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est au-delà de mes forces, cela dépasse mes limites de pudeur (autant se mettre nue dans une église remplie de monde) !

Mais y a-t-il vraiment de la place pour la pudeur dans la religion ? J’ai bien conscience qu’il s’agit d’une expérience qui porte également une dimension sociale, et je sais aussi apprécier certains aspects de cette dimension sociale.
Cependant, je constate que certains gestes comme ceux cités précédemment, ainsi que la connaissance de certaines prières, chants, paroles, particularités liturgiques, etc. et le partage de ceux-ci sont si évidents pour les croyants de mon entourage que je ne peux qu’en souffrir un peu. De jalousie, d’abord, car toutes ces choses relèvent de leur « habitus », de comportements qu’ils ont à peine eu à apprendre et qui sont sus et intériorisés de manière très forte, qui ont été valorisés par leur entourage alors qu’ils étaient encore très jeunes, ce que moi-même en tant que croyante « nouvelle », n’appartenant pour le moment à aucune église et n’ayant reçu aucune éducation religieuse quand j’étais enfant, ne pourrai jamais « rattraper » à cette échelle et aussi profondément.
Et donc en conséquence, j’ai le sentiment (personnel, car je fréquente pourtant des personnes ouvertes et très tolérantes) que parce que cette dimension sociale comporte autant de codes relatifs à l’expression de cette foi, qui sont naturels pour la plupart des croyants, je ne pourrais jamais vraiment « appartenir » à la communauté des croyants, car ce ne sera jamais à 100% naturel pour moi. Ou alors toujours avec au fond de moi cette tare d’être quelqu’un qui vient d’ailleurs, et qui – pour grossir les traits ! – n’a pas fait de caté, qui n’a jamais célébré de fête religieuse en famille, et qui d’ailleurs ne peut pas partager cela avec sa famille (notez que c’est aussi une grande souffrance pour moi que de me dire que, si un jour j’ai des enfants et que je les élève dans la foi, ils entendront des critiques ou moqueries de la part de leurs oncles, tantes et grands-parents – bien que ceux-ci ne soient pas extrêmement virulents pour autant. Je rêve parfois de la simplicité et du naturel que connaîtront mes amis dans ce cas). J’envie aussi tous mes amis qui ont reçu le baptême « gratuitement », ainsi que cette éducation et donc qui ont les « codes » depuis toujours, car c’est une base qui les rattachera toujours et indéniablement au « groupe », quels que soient les fluctuations qu’ils vivront avec leur foi. Tandis que pour moi, ce sera toujours un effort d’adhérer à ces codes (et puis de les apprendre, dans un premier temps), et un effort presque insurmontable d’exprimer ces codes devant les autres et face à moi-même, un tiraillement avec ce que j’ai vécu précédemment – mon éducation athée et mon propre athéisme. Et pourtant, j’ai le sentiment d’une foi réfléchie et nourrie sans tout cela, et je lis beaucoup au sujet de la religion. Mais souvent mon ignorance des « codes » me rattrape pour s’écraser en pleine figure… comme un rappel que je n’ai pas ma place.

On dit souvent que c’est une chance de découvrir la foi en étant adulte, et je suis parfaitement d’accord, mais je trouve que c’est aussi une souffrance quand on regarde avec détail cette dimension collective et la difficulté que l’on peut ressentir à adhérer à celle-ci.

Peut-être me direz-vous que ces choses-là sont surtout du domaine du symbole, du purement humain, et que la communauté des croyants est beaucoup plus large, qu’il n’y a pas besoin de connaître telle prière ou tel geste pour être enfant de Dieu. Que la relation intime avec Dieu est ce qu’il y a de plus précieux. C’est ce que je me dis pour me réconforter dans ces moments-là : après tout, le plus important est dans le coeur, et de plus j’ai reçu de ma famille athée tout ce qu’il y a de meilleur (notamment l’amour) et je sais que c’est ce qui a de plus important. Mais j’avoue que je ne peux pas m’empêcher d’en souffrir un peu et de m’interroger sur cette dimension « collective » (qui finalement est aussi un petit peu « exclusive », vu de l’extérieur) de la religion. Je m’en veux aussi de souffrir pour si peu… Peut-être qu’il est normal pour quelqu’un comme moi de passer par cette phase très pudique, vu que j’ai découvert la foi dans l’intimité et qu’il m’est impossible de la manifester dans ma famille (je vis encore chez mes parents). Peut-être que je ne me sens tout simplement pas « légitime » à pratiquer ces gestes, paroles, etc., car ce n’est pas là d’où je viens.

Evidemment, je garde toutes ces réflexions pour moi depuis longtemps et c’est la première fois que j’ose les mettre à l’écrit et les envoyer à quelqu’un ! Je ne suis pas, au fond, réticente à l’idée de parler de tout cela avec d’autres croyants, ou à un prêtre des paroisses que je connais, mais il y a à la fois la pudeur de me livrer qui m’en empêche, et aussi l’impression que l’on me conseillera avant toute chose d’entamer une démarche vers le baptême – qui en soi m’intéresse, mais ne règlerait pas, je crois, ce sentiment de perpétuelle non-appartenance face à « l’habitus » du commun des croyants. C’est d’ailleurs ce sentiment, que j’ai gros sur le coeur, qui me freine un peu dans l’idée de recevoir le baptême. Je ne peux pas faire abstraction de cette réflexion et simplement adhérer à un sacrement en me disant que « ça ira mieux quand je serai dedans » !

Je vous remercie très sincèrement pour votre attention et vous souhaite tout le meilleur en ces temps difficiles. Et veuillez m’excuser pour ce mail assez long, je ne suis pas une spécialiste de la concision…!

Une jeune croyante un peu complexée

P.S. : je suis bien entendu tout à fait d’accord pour partager cette question sur votre site, comme de nombreuses questions-réponses ont pu m’éclairer par le passé…

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir Madame

Grand merci de permettre de partager ce témoignage et cette réflexion que je trouve absolument magnifique. Je ne serais pas croyant, ou pas pratiquant qu’une seule lettre comem cela me donnerait envie de m’y mettre.

Je pense que Jésus savais ce qu’il faisait quand il a conseillé de prier en privé, et même de ne prier qu’en privé. Cela ne plaît pas à certaines personnes qui interprètent ce passage de façon à en relativiser la portée. C’est leur droit, puisqu’effectivement, bien des paroles de Jésus sont provocantes afin que nous nous posions des questions, plus que pour nous asséner des réponses. Il n’empêche que selon ces paroles et selon la pratique même de Jésus, la prière est fondamentalement intime, avec Dieu, dans le secret de notre intérieur, sans témoin.

Il me semble que c’est une question de sincérité une question de respect de soi-même, de respect aussi de l’intimité des autres personnes autour de nous, de respect pour Dieu. On ne se montre en général pas à d’autres personnes dans une relation intime de couple, que ce soit une relation physique, ou des mots d’amour. Pourquoi ? A mon avis c’est pour une question de sincérité, une question de fidélité à l’autre. En effet, la personne humaine est particulièrement sensible à l’opinion des autres. Par conséquent nous ne pouvons jamais véritablement faire abstraction du « public » quand il y en a un. Nous n’aurons pas tout à fait les mêmes mots, les mêmes gestes, les mêmes silences, ni la même écoute en public qu’en privé. Il en est de même dans la prière à Dieu, si c’est comme vous le dites un groupe de personnes qui prient chacune en leur fort intérieur, ces personnes sont ensemble et la relation de chacun à Dieu reste intime. Mais dès lors que cette prière s’exposerait publiquement, il serait impossible à la personne de ne pas tenir compte, plus ou moins consciemment, de l’opinion des autres sur ce qu’elle laisse percevoir. La personne chercherait et prétendrait s’adresser à Dieu alors que cette personne chercherait en partie à faire passer un message à d’autres personnes que Dieu, et chercherait à être reconnue elle-même aux yeux de ces personnes. Quand on est sensible à la droiture et à la fidélité (ce qui n’est pas une mauvaise chose), cela peut être ressenti comme incorrect, comme tordu, comme faux, comme tordant notre cœur et comme trompant la personne avec qui nous sommes en relation (Dieu ou notre amoureux ou amoureuse). Il en est de même pour un geste très privé comme un signe de foi et d’engagement, comme un signe de croix, dès lors qu’il est public.

Est-ce de la pudeur ? C’est une question intéressante. Dans un sens, il y a de cela car la pudeur est une sorte de retenue qui semble venir de l’intérieur de nous-même. Mais j’y verrais plus la pudeur du couple sur l’intimité de ses relations, plus que la pudeur de la personne. En effet la pudeur du couple vise à garder la pureté de cet échange à deux, la sincérité et la fidélité que l’absence de regard extérieur seul permet. Alors que la pudeur de la personne me semble avoir parfois entachée d’une sorte de séduction érotique (je ne critique pas, seulement je ne retrouve pas cela dans la pudeur du croyant à afficher sa foi, sa prière).

Je partage et je trouve excellent, tout l’inverse d’un manque de maturité le fait que vous ayez cette pudeur.
Par contre, il me semble tout à fait possible de s’exprimer en ce qui concerne la théologie. C’est tout autre chose de parler de Dieu (et non à Dieu), le message est alors clairement adressé au public, c’est un but clair, avoué, sincère. C’est du même ordre avec une déjà écrite et préparée à l’avance, ou une « confession de foi » (qui est en réalité une synthèse de théologie). Cette parole est adressée au public, en pensant ensemble à Dieu, qui est présent.

Grand grand bravo à vous, jeune croyante. Et surtout ne soyez pas complexée par ce que ce que vous vivez me semble témoigner d’une magnifique attitude, tant au niveau personnel, éthique, existentiel, qu’au point de vue de la relation à Dieu.

Mais d’ailleurs, même si ce n’était pas à mon goût et que personnellement je vivais d’une tout autre façon ma propre foi, ma prière, je vous encouragerais aussi ne pas être complexée de votre foi et de votre prière, de votre théologie. C’est en étant soi-même que l’on avance, que l’on rayonne, que l’on vit. C’est dans cette honnêteté et cette sincérité, c’est dans cette confiance à Dieu qu’il pourra « travailler » pour nous aider à avancer et à devenir nous-même (comme il est dit dans la vocation d’Abraham en Genèse 12). C’est ce que pose, finalement ce « Amen » à la fin de notre prière : une confiance en Dieu qui nous permet d’assumer être comme nous sommes, et que s’il y a un truc qui ne va pas trop, Dieu nous aidera à travailler dessus.

Dieu vous bénit et vous accompagne

par : Marc Pernot, pasteur à Genève

Réponse du visiteur :

Bonjour Monsieur,

Un immense merci pour votre réponse qui m’apporte bien du soulagement.
Vous semblez avoir tout à fait cerné ce que je ressens et cela fait du bien de se sentir comprise !

Quand vous dîtes, en parlant de la prière exposée en public :

« cette personne chercherait en partie à faire passer un message à d’autres personnes que Dieu, et chercherait à être reconnue elle-même aux yeux de ces personnes. »,

c’est exactement ce sentiment-là que j’ai, et donc l’impression que prendre part à ce type de prière serait pour moi une forme de « trahison » envers la relation intime à Dieu ; ou alors, sans parler de trahison, simplement quelque chose d’un peu superficiel. En revanche il est vrai que l’idée de parler de Dieu ne me dérange pas, c’est vraiment dans le contexte de la prière que je trouve le côté « public » gênant.

Aussi, je n’avais pas pensé au parallèle avec la relation de couple que je trouve très parlant. J’ai l’impression d’avoir les idées un peu plus claires !

Grand merci et bien à vous.

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