13 novembre 2023

Les pages d'une ancienen Toral, Bible en hébreu - Photo de Tanner Mardis sur https://unsplash.com/fr/photos/carta-bianca-per-stampante-xUXGHzhIbN4
Bible

Cette terre donnée par Dieu pour être une terre où coule le lait et le miel ? Il y coulent le sang et les larmes.

Les pages d'une ancienen Toral, Bible en hébreu - Photo de Tanner Mardis sur https://unsplash.com/fr/photos/carta-bianca-per-stampante-xUXGHzhIbN4

Question posée :

Cher Marc,
il y a des passages dans l’ancien testament qui me posent vraiment un problème: la promesse de Dieu faite à plusieurs reprises de donner au peuple d’Israel une terre où coule le lait et le miel, la terre promise. Et dans le livre de l’Exode, et encore plus dans les Nombres, cette terre est très bien définie géographiquement, allant grosso modo de la Méditerranée au Jourdain et à la Mer Morte. Donc il me semble que cela ne peut être une terre symbolique ou spirituelle. De plus, les habitants de ces terres doivent en être chassés pour laisser la place aux Israélites.
Malheureusement, cette promesse est d’une actualité terrible, sources d’énormes souffrances des 2 côtés. C’est devenu une terre où coulent le sang et les larmes. S’agit-t-il d’un terrible malentendu? Qu’en penses-tu? Amicalement,

Réponse d’un pasteur :

Bonsoir

Encore une fois, je suis admiratif de la qualité et de la profondeur de ta recherche. Franchement.

Dieu a donné la terre d’un autre ? Interprétations

Cette question du don de la terre par Dieu est une question tout à fait tendue politiquement, bien sûr. Elle a fait et fait encore de grands dégâts. Cela montre que l’on a besoin de faire de la théologie. Sinon des idéologies prennent le pas, les idéologies sont sacralisées, sinon le matérialisme devient notre Dieu. Car imaginer, et oser dire à son frère « Dieu m’a donné ta terre », ce n’est pas de la foi, c’est de la rapine. C’est donc un mélange de matérialisme, et une tentative de mettre Dieu au service de notre amour de la possession.

Bien sûr, on peut l’appuyer sur des textes bibliques, mais en lisant la Bible (ou le Coran, ou Marx) avec ce genre de lecture fondamentaliste, on en arriverait vite à des choses épouvantables, des massacres et des lapidations au nom de Dieu ou de je ne sais quel idéal. Personne n’est obligé d’interpréter de cette manière : il  suffirait de prendre d’autres textes de la Bible et de les prendre comme boussole pour comprendre qu’il est impossible de penser que Dieu envoie un peuple prendre la terre d’autres peuples. Par exemple, au hasard, « aime ton prochain comme toi-même », ou « ce que vous voulez que les humains fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » Avec ces textes pris au sérieux, on est amené à comprendre autrement un texte qui semblait nous appeler à tuer ou à voler notre prochain. Cela nous appelle alors soit à rejeter ce verset horrible, ou plutôt, si possible, à en faire une lecture spirituelle de ces textes quand le texte semble contraire à la bonté que Dieu veut. C’est pourquoi le fondamentalisme est une plaie. La Bible n’est pas en cause, c’est l’interprétation de la Bible qui doit être faite avec cœur et discernement. Cela aide énormément de chercher à interpréter la Bible en nous demandant si notre lecture est cohérente avec la façon dont Jésus agissait dans la vie. Je ne pense pas que Jésus ait fracturé la porte d’une maison, jeté dehors la famille qui habitait dedans, afin de s’y installer à la place de ces gens. Impossible ? Alors non, Dieu n’a pas dit de prendre la terre ou la maison d’un autre.

Dieu est-il plus présent ici qu’ailleurs ?

Mais, « la terre promise » par Dieu, alors ? Est-ce cette parcelle localisée géographiquement ? Ou faut-il lire cela en un sens figuré, spirituel, allégorique ?

Cette question d’une lecture matérielle ou spirituelle de cette promesse est ancienne. Après des invasions mésopotamiennes, une partie du peuple hébreu a été exilée en plusieurs vagues vers -580 avant Jésus-Christ. C’est un drame humain, évidemment. Les exilés ont pu aussi craindre qu’en étant loin du Temple, hors de « la terre d’Israël », ils seraient coupés de Dieu ? Ils vont découvrir qu’il n’en est rien. Même quand on est physiquement loin, à Babylone ou à Goumoens-le-Jux, par la prière et par l’étude on est tout autant avec Dieu que si on était à Jérusalem. Cette expérience va distendre chez certains croyants le lien étroit entre la géographie terrestre et le salut donné par Dieu. Les prophètes (que nous avons dans la Bible) enseigneront alors que Dieu n’a que faire des sacrifices dans tel ou tel temple, à telle ou telle date, que le véritable culte à Dieu est un cœur qui se tourne vers lui et qui nous inspire des actes de justice. Ce que l’on peut faire n’importe où sur terre. Dieu remplit et déborde les cieux et la terre entière. Qu’il demeure dans la louange des fidèles (où qu’on soit on peut être dans la louange). C’est alors que la synagogue et la lecture de la Torah va devenir plus importante pour ces juifs de la diaspora que les sacrifices au temple. On peut lire la Bible, se rassembler à une dizaine de fidèles et prier partout dans le monde.

C’est pourquoi, quand l’empereur Cyrus permettra un retour une cinquantaine d’années plus tard, certains de ces déportés rentrèrent en Israël, beaucoup restèrent dans le pays où ils s’étaient installés depuis plusieurs générations. De sorte que vers -300 va être entreprise une traduction en grec de la Torah, puis des autres textes de la Bible hébraïque afin que ces juifs de la diaspora puissent continuer à étudier la Bible quand bon nombre ne savent plus l’hébreu. Cela veut dire qu’effectivement, ces personnes sont entrées dans cette compréhension que vous avancez : une lecture spirituelle du don de la terre. La « terre promise », c’est d’avancer en étant conduit par la promesse de Dieu. C’est la terre où nous marchons devant la face de l’Eternel. C’est pourquoi un juif vivant sa foi en Suisse n’est pas moins juif que celui qui est à Jérusalem.

La « terre promise » au sens spirituel ?

Hélas, tu as raison, il est extrêmement désolant que cette parcelle de terre soit « une terre où coule le sang et les larmes », alors que Dieu veut faire que tout coin de notre planète soit une « terre où coule le lait et le miel ». C’est la promesse donnée à Abraham pour tous les peuples de la terre, toutes les nations.

Quelle est alors cette terre promise au sens spirituel ? A chacun de chercher, par l’Esprit. Quelques idées qui me viennent en tête :

  • Cette promesse de Dieu c’est que nous avons notre place en ce monde, dans son amour. Personnellement, et en tant que peuple.
  • Cette promesse, c’est ce qui nous met en route « vers nous-même », comme Abraham, comme Moïse et les hébreux, dans un chemin de libération de ce qui nous retenait esclave, chemin qui passe par le désert, l’écoute et l’étude de la parole créatrice, dans le silence du désert,
  • Ces peuples étrangers qu’il faut chasser devant nous, c’est ce qui, en nous-même est étranger à ce qui nous élève, c’est ce qui tue notre âme, l’empêche d’être en paix.
  • ..

C’est vrai qu’au temps de Jésus, une partie de la population attendait un nouveau David qui chasserait les Romains et rétablirait le royaume d’Israël au sens politique du terme. C’est la lecture littérale, matérielle de la promesse d’une terre. Ils vont être bien déçus par Jésus car lui passe son temps à dire qu’il accomplit cette promesse au sens spirituel, intime. Il dit « mon Royaume n’est pas de ce monde », et encore « le Royaume des cieux est au dedans (ou au milieu) de vous », et quand la foule acclame Jésus comme un roi, dans sa montée à Jérusalem, Jésus ne se dirige pas vers la palais du gouverneur pour prendre le pouvoir sur cette terre, il ira au temple de Jérusalem rappelant cette Parole de Dieu disant que sa maison est la prière de tous les peuples. C’est une lecture spirituelle du Royaume.

Mais en ce qui concerne ce petit lopin de terre d’Israël qui nous est cher, Dieu n’est pas en cause dans ces guerres incessantes depuis des millénaires. Cette terre se situe à une place très très particulière géographiquement : elle est au carrefour de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe. Elle est donc au croisement de toutes les invasions, de toutes les convoitises. C’est sa faiblesse et c’est son incroyable richesse d’être aussi au carrefour de civilisations immenses, depuis toujours.

Pour résoudre ces difficultés, à mon avis, Dieu n’est pas le problème, c’est la solution. Qu’il soit un peu plus reconnu comme Dieu à la place de ces idoles auxquelles nous nous cramponnons, et ça commencera à aller mieux pour tout le monde.

Dieu te bénit et t’accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

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8 Commentaires

  1. Benjamin dit :

    Bonjour Pasteur,

    Dans ce cas, comment comprendre les questions des disciples à Jésus, concernant la restauration du Royaume d’Israël ? Est-ce seulement un royaume devenu spirituel, ou bien une réalité matérielle ?

    Le fait que les disciples de Jésus aient cette question à cœur montre qu’il y avait une certaine attente d’une restauration d’un royaume temportel.

    NB : Maintenant, Jésus a surtout prêché l’arrivée du Royaume de Dieu/des Cieux. Donc ma question serait plutôt : comment comprendre la perspective des disciples, quand ils ont posé cette question.

    Bien à vous,

    1. Marc Pernot dit :

      C’est vrai qu’au temps de Jésus, une partie de la population attendait un nouveau David qui chasserait les Romains et rétablirait le royaume d’Israël au sens politique du terme. C’est la lecture littérale, matérielle de la promesse d’une terre. Ils vont être bien déçus par Jésus car lui passe son temps à dire qu’il accomplit cette promesse au sens spirituel, intime. Il dit « mon Royaume n’est aps de ce monde », et encore « le Royaume des cieux est au dedans (ou au milieu) de vous », et quand la foule acclame Jésus comme un roi, dans sa montée à Jérusalem, Jésus ne se dirige pas vers la palais du gouverneur pour prendre le pouvoir sur cette terre, il ira au temple de Jérusalem rappelant cette parole de Dieu disant que sa maison est la prière de tous les peuples. C’est une lecture spirituelle du Royaume.

  2. PG dit :

    Monsieur le pasteur,

    Merci pour vos récents articles.

    L’article sur la terre de Palestine me laisse un peu perplexe, dans la mesure où vous ne prenez pas en compte des faits de nature politique, indépendamment de votre volonté de ne pas interpréter à la lettre l’AT qui parle de la terre d’Israël.

    L’interprétation de ce que signifie la Terre promise dépasse le champ de mes compétences, je vous laisse seul juge. Je noterai simplement que selon certains protestants, une prophétie annonce que le temple sera construit une troisième fois à Jérusalem et que cela sera soi-disant un signe de la fin des temps, comme du reste le retour des Juifs en Palestine avec la création d’Israël en 1948 aurait également été prophétisée, comme un autre signe de la fin des temps.

    Sur le plan politique et humain, votre prise de position ignore à mon sens les tourments subi par le peuple juif, à commencer par son expulsion de la terre sur laquelle il vivait il y a deux mille ans. Les juifs n’ont plus jamais eu de patrie depuis ce moment et ont subi trop souvent humiliations et persécutions, jusqu’à la Shoah. Cela devrait être pris en compte me semble-t-il (cela d’autant plus que selon certains, mais cela est contesté et je n’en sais rien du tout, le grand mufti de Jérusalem aurait soi-disant soufflé à Hitler l’idée de la solution finale, alors que Hitler aurait simplement eu comme premier objectif d’expulser les Juifs vers la Palestine, pur racontar ? Peut-être).

    Des juifs orthodoxes aux États-Unis partagent votre opinion et manifestent contre la présence d’Israël. Pour eux, il s’agit d’un mouvement purement humain et Israël reprendra place en Palestine seulement avec l’aide du messie encore à venir.

    En conclusion, tout cela est très compliqué, j’en conviens ! Comme le destin des Juifs du reste.

    Un autre article sur le divorce et votre interprétation nuancée qui s’écarte de la lettre rigide des écrits de Saint-Paul me paraît convaincant. Vous invoquez un Dieu d’Amour miséricordieux qui comprend les complexités des situations. Eclairant pour moi. J’ai en particulier bien aimé votre réponse au lecteur qui vous a expliqué qu’il craignait l’enfer pour aller avec une femme divorcée qui avait été trompée par son mari…

    Cordialement,

    1. Marc Pernot dit :

      Cher Monsieur,

      Merci d’entrer en dialogue

      Je reconnais les lacunes de mon article sur le plan de l’actualité politique. D’autant plus que c’est tout à fait délibéré. La question posée est une question d’exégèse et de théologie, et cela tombe bien car c’est dans ce domaine que j’ai quelques compétences, ou en tout cas, une formation. C’est un des éléments, un seul des éléments à apporter dans l’épais dossier sur cette question.

      Effectivement cela entre en débat avec d’autres courants religieux, parlant de messianisme, ou même seulement parlant de « terre sainte » à propos de cette parcelle de terre qui est au Moyen Orient.

      Parler de « terre sainte » est déjà une option théologique chargeant ce dossier délicat de tout un poids de décrets divins, rendant encore plus difficile d’avancer sur cette question. Si on suppose que Dieu est de son côté, comment peut-on ensuite discuter ?

      Mais en Christ, quand il est dit que « le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas », cela signifie que l’ensemble de la terre est sainte. Alors la question du partage de cette terre devient effectivement une question humaine, une question de politique et d’éthique, éventuellement une question historique, mais déchargée d’une sacralité diablement encombrante.

      Bien cordialement

  3. Olimpia dit :

    profonde et limpide réponse
    Merci

  4. Bruno dit :

    Monsieur le Pasteur. Merci pour votre approche à la lumière du message d’amour de Jésus. Je reste néanmoins perturbé par la notion d’interdit dans ces textes bibliques. Dans le cadre de la conquête de la terre promise, pouvez-vous apporter votre réflexion théologique en ce qui concerne cette notion de l’interdit ? Quand une ville était vouée à l’interdit, n’était-il pas demandé par certains prophètes comme Samuel, … (par Dieu ??) de tout détruire et de tuer tous les habitants (homme, femmes et enfants) ? Quelle signification spirituelle peut-on retirer de cette notion? Merci

    1. Marc Pernot dit :

      Bonjour Monsieur
      Effectivement, une ville comme Jéricho « vouée à l’interdit » signifie littéralement ne rien prendre de cette ville là et tout faire disparaître. Comment comprendre cela ? A la lumière de ce qu’a dit et fait le Christ,c’est absolument impossible d’imaginer une seconde que Dieu demande de massacrer hommes, femmes, enfants, vaches et poulets… Or, il y a un principe d’interprétation de la Bible utilisé depuis des millénaires : quand un passage de la Bible n’est pas possible au sens matériel (le massacre abominable) il faut le lire alors au sens spirituel (allégorique). Ce texte parle de l’entrée dans la terre promise, souvent lue au sens figuré comme une entrée dan sla vie que Dieu espère pour nous. L' »interdit » voudrait alors dire que quand on entre dans la vie voulue par Dieu, il est bon de ne pas faire de compromis avec sa conscience, avec l’amour, avec la foi, avec ce que Dieu souffle en nous par son Esprit.

      Dieu vous bénit et vous accompagne

  5. Anne-Marie dit :

    Peut-être dans le coeur y a t il les 2) / les 4?

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