
Cette terre donnée par Dieu pour être une terre où coule le lait et le miel ? Il y coulent le sang et les larmes.
Question posée :
Cher Marc,
il y a des passages dans l’ancien testament qui me posent vraiment un problème: la promesse de Dieu faite à plusieurs reprises de donner au peuple d’Israel une terre où coule le lait et le miel, la terre promise. Et dans le livre de l’Exode, et encore plus dans les Nombres, cette terre est très bien définie géographiquement, allant grosso modo de la Méditerranée au Jourdain et à la Mer Morte. Donc il me semble que cela ne peut être une terre symbolique ou spirituelle. De plus, les habitants de ces terres doivent en être chassés pour laisser la place aux Israélites.
Malheureusement, cette promesse est d’une actualité terrible, sources d’énormes souffrances des 2 côtés. C’est devenu une terre où coulent le sang et les larmes. S’agit-t-il d’un terrible malentendu? Qu’en penses-tu? Amicalement,
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Encore une fois, je suis admiratif de la qualité et de la profondeur de ta recherche. Franchement.
Dieu a donné la terre d’un autre ? Interprétations
Cette question du don de la terre par Dieu est une question tout à fait tendue politiquement, bien sûr. Elle a fait et fait encore de grands dégâts. Cela montre que l’on a besoin de faire de la théologie. Sinon des idéologies prennent le pas, les idéologies sont sacralisées, sinon le matérialisme devient notre Dieu. Car imaginer, et oser dire à son frère « Dieu m’a donné ta terre », ce n’est pas de la foi, c’est de la rapine. C’est donc un mélange de matérialisme, et une tentative de mettre Dieu au service de notre amour de la possession.
Bien sûr, on peut l’appuyer sur des textes bibliques, mais en lisant la Bible (ou le Coran, ou Marx) avec ce genre de lecture fondamentaliste, on en arriverait vite à des choses épouvantables, des massacres et des lapidations au nom de Dieu ou de je ne sais quel idéal. Personne n’est obligé d’interpréter de cette manière : il suffirait de prendre d’autres textes de la Bible et de les prendre comme boussole pour comprendre qu’il est impossible de penser que Dieu envoie un peuple prendre la terre d’autres peuples. Par exemple, au hasard, « aime ton prochain comme toi-même », ou « ce que vous voulez que les humains fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes. » Avec ces textes pris au sérieux, on est amené à comprendre autrement un texte qui semblait nous appeler à tuer ou à voler notre prochain. Cela nous appelle alors soit à rejeter ce verset horrible, ou plutôt, si possible, à en faire une lecture spirituelle de ces textes quand le texte semble contraire à la bonté que Dieu veut. C’est pourquoi le fondamentalisme est une plaie. La Bible n’est pas en cause, c’est l’interprétation de la Bible qui doit être faite avec cœur et discernement. Cela aide énormément de chercher à interpréter la Bible en nous demandant si notre lecture est cohérente avec la façon dont Jésus agissait dans la vie. Je ne pense pas que Jésus ait fracturé la porte d’une maison, jeté dehors la famille qui habitait dedans, afin de s’y installer à la place de ces gens. Impossible ? Alors non, Dieu n’a pas dit de prendre la terre ou la maison d’un autre.
Dieu est-il plus présent ici qu’ailleurs ?
Mais, « la terre promise » par Dieu, alors ? Est-ce cette parcelle localisée géographiquement ? Ou faut-il lire cela en un sens figuré, spirituel, allégorique ?
Cette question d’une lecture matérielle ou spirituelle de cette promesse est ancienne. Après des invasions mésopotamiennes, une partie du peuple hébreu a été exilée en plusieurs vagues vers -580 avant Jésus-Christ. C’est un drame humain, évidemment. Les exilés ont pu aussi craindre qu’en étant loin du Temple, hors de « la terre d’Israël », ils seraient coupés de Dieu ? Ils vont découvrir qu’il n’en est rien. Même quand on est physiquement loin, à Babylone ou à Goumoens-le-Jux, par la prière et par l’étude on est tout autant avec Dieu que si on était à Jérusalem. Cette expérience va distendre chez certains croyants le lien étroit entre la géographie terrestre et le salut donné par Dieu. Les prophètes (que nous avons dans la Bible) enseigneront alors que Dieu n’a que faire des sacrifices dans tel ou tel temple, à telle ou telle date, que le véritable culte à Dieu est un cœur qui se tourne vers lui et qui nous inspire des actes de justice. Ce que l’on peut faire n’importe où sur terre. Dieu remplit et déborde les cieux et la terre entière. Qu’il demeure dans la louange des fidèles (où qu’on soit on peut être dans la louange). C’est alors que la synagogue et la lecture de la Torah va devenir plus importante pour ces juifs de la diaspora que les sacrifices au temple. On peut lire la Bible, se rassembler à une dizaine de fidèles et prier partout dans le monde.
C’est pourquoi, quand l’empereur Cyrus permettra un retour une cinquantaine d’années plus tard, certains de ces déportés rentrèrent en Israël, beaucoup restèrent dans le pays où ils s’étaient installés depuis plusieurs générations. De sorte que vers -300 va être entreprise une traduction en grec de la Torah, puis des autres textes de la Bible hébraïque afin que ces juifs de la diaspora puissent continuer à étudier la Bible quand bon nombre ne savent plus l’hébreu. Cela veut dire qu’effectivement, ces personnes sont entrées dans cette compréhension que vous avancez : une lecture spirituelle du don de la terre. La « terre promise », c’est d’avancer en étant conduit par la promesse de Dieu. C’est la terre où nous marchons devant la face de l’Eternel. C’est pourquoi un juif vivant sa foi en Suisse n’est pas moins juif que celui qui est à Jérusalem.
La « terre promise » au sens spirituel ?
Hélas, tu as raison, il est extrêmement désolant que cette parcelle de terre soit « une terre où coule le sang et les larmes », alors que Dieu veut faire que tout coin de notre planète soit une « terre où coule le lait et le miel ». C’est la promesse donnée à Abraham pour tous les peuples de la terre, toutes les nations.
Quelle est alors cette terre promise au sens spirituel ? A chacun de chercher, par l’Esprit. Quelques idées qui me viennent en tête :
- Cette promesse de Dieu c’est que nous avons notre place en ce monde, dans son amour. Personnellement, et en tant que peuple.
- Cette promesse, c’est ce qui nous met en route « vers nous-même », comme Abraham, comme Moïse et les hébreux, dans un chemin de libération de ce qui nous retenait esclave, chemin qui passe par le désert, l’écoute et l’étude de la parole créatrice, dans le silence du désert,
- Ces peuples étrangers qu’il faut chasser devant nous, c’est ce qui, en nous-même est étranger à ce qui nous élève, c’est ce qui tue notre âme, l’empêche d’être en paix.
- ..
C’est vrai qu’au temps de Jésus, une partie de la population attendait un nouveau David qui chasserait les Romains et rétablirait le royaume d’Israël au sens politique du terme. C’est la lecture littérale, matérielle de la promesse d’une terre. Ils vont être bien déçus par Jésus car lui passe son temps à dire qu’il accomplit cette promesse au sens spirituel, intime. Il dit « mon Royaume n’est pas de ce monde », et encore « le Royaume des cieux est au dedans (ou au milieu) de vous », et quand la foule acclame Jésus comme un roi, dans sa montée à Jérusalem, Jésus ne se dirige pas vers la palais du gouverneur pour prendre le pouvoir sur cette terre, il ira au temple de Jérusalem rappelant cette Parole de Dieu disant que sa maison est la prière de tous les peuples. C’est une lecture spirituelle du Royaume.
Mais en ce qui concerne ce petit lopin de terre d’Israël qui nous est cher, Dieu n’est pas en cause dans ces guerres incessantes depuis des millénaires. Cette terre se situe à une place très très particulière géographiquement : elle est au carrefour de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe. Elle est donc au croisement de toutes les invasions, de toutes les convoitises. C’est sa faiblesse et c’est son incroyable richesse d’être aussi au carrefour de civilisations immenses, depuis toujours.
Pour résoudre ces difficultés, à mon avis, Dieu n’est pas le problème, c’est la solution. Qu’il soit un peu plus reconnu comme Dieu à la place de ces idoles auxquelles nous nous cramponnons, et ça commencera à aller mieux pour tout le monde.
Dieu te bénit et t’accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
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Peut-être dans le coeur y a t il les 2) / les 4?
Monsieur le Pasteur. Merci pour votre approche à la lumière du message d’amour de Jésus. Je reste néanmoins perturbé par la notion d’interdit dans ces textes bibliques. Dans le cadre de la conquête de la terre promise, pouvez-vous apporter votre réflexion théologique en ce qui concerne cette notion de l’interdit ? Quand une ville était vouée à l’interdit, n’était-il pas demandé par certains prophètes comme Samuel, … (par Dieu ??) de tout détruire et de tuer tous les habitants (homme, femmes et enfants) ? Quelle signification spirituelle peut-on retirer de cette notion? Merci
Bonjour Monsieur
Effectivement, une ville comme Jéricho « vouée à l’interdit » signifie littéralement ne rien prendre de cette ville là et tout faire disparaître. Comment comprendre cela ? A la lumière de ce qu’a dit et fait le Christ,c’est absolument impossible d’imaginer une seconde que Dieu demande de massacrer hommes, femmes, enfants, vaches et poulets… Or, il y a un principe d’interprétation de la Bible utilisé depuis des millénaires : quand un passage de la Bible n’est pas possible au sens matériel (le massacre abominable) il faut le lire alors au sens spirituel (allégorique). Ce texte parle de l’entrée dans la terre promise, souvent lue au sens figuré comme une entrée dan sla vie que Dieu espère pour nous. L' »interdit » voudrait alors dire que quand on entre dans la vie voulue par Dieu, il est bon de ne pas faire de compromis avec sa conscience, avec l’amour, avec la foi, avec ce que Dieu souffle en nous par son Esprit.
Dieu vous bénit et vous accompagne