16 décembre 2025

Noël et Avent

Avent 17 – avec François Cheng et Etty Hillesum : Du sein de la misère, ouvrir son âme à Dieu

Bienvenue dans cette 17ᵉ case de notre calendrier de l’Avent.

François Cheng est un merveilleux penseur, auteur… et croyant, un croyant très profond articulant le taoïsme et ce qu’il appelle « la voix christique ». Il est très sensible aux catastrophes de notre temps marqué par de terribles violences, des guerres, des catastrophes naturelles et écologiques… et pourtant il écrit sur la beauté de la vie, sur la bonté et l’empathie. Comment ? Il est ouvert sur la transcendance, pour lui, le souffle de vie (l’Esprit) est essentiel, ainsi que notre âme faisant de nous un être unique et irremplaçable.

François Cheng, auteur aux éditions Albin Michel.

Des méditations sur la vie, la mort et la beauté

Après ses « Cinq méditations sur la beauté », François Cheng écrit « Cinq méditations sur la mort ». C’est dans sa 4ᵉ méditation que je croise un passage où il cite « la grande voix d’Etty Hillesum, qui fut gazée par les nazis à Auschwitz. » Bien des points les rapprochent : leur lucidité face à l’adversité du temps, leur rapport très personnel et libre à Dieu. Tous deux sont en quête permanente, non dogmatique de Dieu. Tous deux sont des contemplatifs de la beauté de ce monde et des mystiques. Autant de pistes pour notre propre recherche de Dieu et de salut en ce temps de l’Avent.

L’écho entre Rilke et la prière d’Etty Hillesum

Voici d’abord François Cheng citant Etty Hillesum et Rilke :

Nous autres humains, au fond de l’abîme creusé par le mal radical, nous entendons la chère voix d’Etty Hillesum, voix frêle mais combien lucide, combien résolue…. Et ses paroles font écho au célèbre poème de Rilke dont Etty est une fervente lectrice :
Que feras-tu, Dieu, si je meurs ?
Je suis ta cruche, si je me brise ?
Je suis ton boire, si je m’abime ?
Je suis ta robe et ta mission,
Moi absent, tu perdrais tout sens…
François Cheng, « Cinq méditations sur la mort »

Ce texte qui a particulièrement touché François Cheng est cette fameuse prière trouvée dans son journal où Etty Hillesum demande à Dieu de garder sa foi, dans les conditions terrible de son travail auprès des juifs placés en camp de transit vers les camps d’extermination.

Prière d’Etty Hillesum : Aider Dieu à ne pas s’éteindre en nous

Photo de Etty Hillesum en 1939 - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Etty_Hillesum_1939.jpg Prière du dimanche matin (12 juillet 1942)

Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit, pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entraînement. Pour l’instant, à chaque jour suffit sa peine.

Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte, c’est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour.

Défendre la demeure de Dieu en nous

Il m’apparaît de plus en plus clairement à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. Il y a des gens – le croirait-on ? – qui au dernier moment tâchent de mettre en lieu sûr des aspirateurs, des fourchettes et des cuillères en argent, au lieu de te protéger toi, mon Dieu. Et il y a des gens qui cherchent à protéger leur propre corps, qui pourtant n’est plus que le réceptacle de mille angoisses et de mille haines. Ils disent : « Moi je ne tomberai pas sous leurs griffes ! » Ils oublient qu’on est jamais sous les griffes de personne tant qu’on est dans tes bras.

Cette conversation avec toi, mon Dieu, commence à me redonner un peu de calme. J’en aurai beaucoup d’autres avec toi dans un avenir proche, t’empêchant ainsi de me fuir. Tu connaîtras sûrement des moments de disette en moi, mon Dieu, où ma confiance ne te nourrira plus aussi richement, mais crois-moi, je continuerai à œuvrer pour toi, je te resterai fidèle et ne te chasserai pas de mon enclos.

Comment affronter la grande souffrance ?

Je ne manque pas de force pour affronter la grande souffrance, la souffrance héroïque. Mon Dieu, je crains plutôt les mille petits soucis quotidiens qui vous assaillent parfois comme une vermine mordante. Enfin, je me gratte désespérément et je me dis chaque jour : Encore une journée sans problèmes, les murs protecteurs d’une maison accueillante glissent autour de tes épaules comme un vêtement familier, longtemps porté ; ton couvert est mis pour aujourd’hui et les draps blancs et les couvertures douillettes de ton lit t’attendent pour une nuit de plus, tu n’as donc aucune excuse à gaspiller le moindre atome d’énergie à ces petits soucis matériels.

Utilise à bon escient chaque minute de ce jour, fais-en une journée fructueuse, une forte pierre dans les fondations sur lesquelles s’appuieront les jours de misère et d’angoisse qui nous attendent. Derrière la maison, la pluie et la tempête des derniers jours ont ravagé le jasmin, ses fleurs blanches flottent éparpillées dans les flaques noires sur le toit plat du garage. Mais quelque part en moi ce jasmin continue à fleurir, aussi exubérant, aussi tendre que par le passé. Et il répand ses effluves autour de ta demeure, mon Dieu.

L’offrande de la beauté, même dans l’enfermement

Tu vois comme je prends soin de toi. Je ne t’offre pas seulement mes larmes et mes tristes pressentiments, en ce dimanche de matin venteux et grisâtre, je t’apporte même un jasmin odorant. Et je t’offrirai toutes les fleurs rencontrées sur mon chemin, et elles sont légion, crois-moi. Je veux te rendre ton séjour le plus agréable possible. Et pour prendre un exemple au hasard : enfermée dans une étroite cellule et voyant un nuage passer au-delà de mes barreaux, je t’apporterais ce nuage, mon Dieu, si du moins j’en avais la force. Je ne puis rien garantir d’avance, mais les intentions sont les meilleures du monde, tu vois.

Maintenant je vais me consacrer à cette journée. Je vais me répandre parmi les hommes aujourd’hui et les rumeurs mauvaises, les menaces m’assailliront comme autant de soldats ennemis une forteresse imprenable.

Etty Hillesum (1914 – 1943)
« Une vie bouleversée »


Méditation par : pasteur Marc Pernot

16 décembre < calendrier de l’Avent > 18 décembre

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