19 décembre 2024

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Notion Théologie

Qu’est-ce que la théologie ? Sens, enjeux et évolutions

Le mot théologie associe deux termes grecs : theos qui veut dire Dieu et logos. Étymologiquement, la théologie est un logos sur Dieu. Dans un premier point je m’arrêterai sur le sens du mot logos ; un deuxième portera sur le défi que représente un logos concernant Dieu, et je terminerai par un troisième point sur la manière dont le néoprotestantisme tente de relever ce défi.

A. La notion de « logos » dans la pensée grecque

En grec, le mot Logos a trois sens, qui s’enchaînent.

1. La parole articulée et l’énoncé de sens

Logos signifie, d’abord, la parole articulée et construite. Si je me donne un coup de marteau sur le doigt, et que je pousse un cri; si en marchant, je sifflote un air, sans y prendre garde; si dans une forte fièvre, je délire, c’est à dire si je prononce des syllabes à la suite les unes des autres qui ne forment pas de phrases ni même de mots, dans tous ces cas, on a des sons, des bruits qu’on ne peut pas qualifier de « logos ». Par contre, si je dis: « je me suis blessé en plantant un clou », ou bien si je chante les diverses strophes d’un cantique, ou encore si je raconte à des amis une histoire avec un début, un milieu et une fin, alors nous avons affaire à un « logos ». Le « logos » est, en premier lieu, une parole intelligente et intelligible, un agencement de mots et une combinaison de phrases qui sont compréhensibles, un énoncé qui a et exprime un sens.

2. L’intelligence, la logique et la science

Le deuxième sens du mot logos découle du premier. Du discours intelligible, on va passer à l’intelligence qui s’exprime ou qui se manifeste dans un tel discours. Le logos n’est pas seulement la parole construite, articulée, mais aussi le travail de l’esprit (réflexion et savoir) qui classe nos sensations, nos expériences et nos observations, qui saisit les choses, qui interprète les événements, qui permet de les raconter, de les décrire, et de les expliquer. En ce deuxième sens, logos correspond à deux mots français :

  • d’abord, à celui de « logique », c’est à dire ce qui permet de bien raisonner, de bien connaître les choses, d’en montrer la cohérence.
  • ensuite, à celui de science. Logos a donné en français le suffixe « logie » qui désigne quantité de sciences : géologie, biologie, archéologie, etc. La science, en effet, donne une connaissance raisonnée des choses qui permet d’en parler de manière intelligente et cohérente.

3. La structure intelligible du réel

Ces deux premiers sens du mot « logos » vont en entraîner un troisième. De tout temps, les philosophes se sont étonnés que l’intelligence humaine arrive à comprendre le monde, que la pensée et la science puissent analyser la réalité concrète, y discerner des règles, des structures et des articulations. Nous constatons qu’il existe une régularité dans le monde; la nature obéit à des lois mathématiques que notre esprit découvre et formule. Le mot « logos » sert, en troisième lieu, à désigner cette logique interne, cette structure intelligible qui se trouve dans les choses, qui leur donne leur vérité ou leur réalité intrinsèques.

B. Le défi de la théologie : dire l’indicible

Si on applique à la théologie ces trois sens de « logos », on dira qu’elle est, premièrement, un discours sensé sur Dieu; deuxièmement, une connaissance de Dieu; troisièmement, la structure même de l’être de Dieu.

Cette formulation soulève un énorme problème. Si notre discours a la capacité de rendre compte du monde, par contre Dieu lui échappe. En effet, Dieu est transcendant, ce qui signifie qu’entre lui et nous existe une différence radicale. Cette différence, la Bible l’exprime de diverses manières : Dieu est créateur, nous sommes créatures. Le prophète Esaïe écrit que Dieu est un « Dieu caché », que ses pensées ne sont pas nos pensées. Et pourtant, la Bible dit aussi que Dieu se manifeste, se révèle, se donne à comprendre aux êtres humains. Son logos s’est fait chair. Il se fait proche de nous.

Il en résulte que la théologie chrétienne se trouve prise dans une tension. Il lui faut rendre compte à la fois du mystère de Dieu et de sa révélation. La réflexion théologique navigue entre deux écueils :

  • D’un côté, elle ne doit jamais oublier que notre pensée ne peut pas saisir Dieu, l’enclore. La théologie doit rester modeste devant l’ineffable.
  • De l’autre côté, la théologie doit dire quelque chose de Dieu, afin que l’évangile soit entendu. Si on tait Dieu, on l’élimine de notre horizon.

La théologie navigue entre celui de s’imaginer trop savoir (dogmatisme), et celui de renoncer à tout savoir (agnosticisme).

C. La perspective du néoprotestantisme

Comment le néoprotestantisme tente-t-il de relever ce défi ?

1. Une révolution de la pensée protestante

À la fin du dix-huitième siècle s’opère un tournant considérable. Comme le souligne Ernst Troeltsch, les réformateurs comme Luther ou Calvin raisonnaient encore avec des catégories de pensée proches du catholicisme médiéval. Le néoprotestantisme va proposer une conception de la théologie qui y voit non pas un savoir objectif, mais une expression subjective.

2. De la doctrine objective à l’expérience de foi

Chez les Réformateurs, on avait la conviction que le logos humain pouvait exprimer fidèlement le logos de Dieu. La doctrine formulait une vérité extérieure et neutre. Au dix-neuvième siècle, à la suite de Kant, on prend conscience que notre discours ne décrit pas les choses telles qu’elles sont en elles-mêmes, mais telles que nous les percevons. Ce qui va conduire le néoprotestantisme à affirmer que la théologie ne parle pas de l’être de Dieu, mais de la manière dont Dieu nous touche. Plutôt que « théologie » (savoir sur Dieu), il serait préférable de dire « anthropothéologie ». On analyse la vie croyante.

Ce qui entraîne deux conséquences :

  • L’expérience spirituelle est nécessaire au théologien, comme l’ouïe au musicien.
  • Quand l’expérience se modifie, les doctrines évoluent. Elles ne sont pas des définitions figées mais des expressions de la foi dans un contexte donné.

En ce qui concerne la Bible, elle est vue comme un discours humain rendant compte d’expériences spirituelles authentiques, ce qui en rend une critique non seulement possible, mais nécessaire.

D. Conclusion : la théologie comme cartographie de l’invisible

Peut-on dire que la théologie est un savoir ? Oui, mais avec deux précisions. Premièrement, c’est un savoir sur l’expérience de Dieu (similaire à l’esthétique pour l’art). Deuxièmement, c’est un savoir toujours limité et relatif.

Le travail du théologien ressemble à celui d’un cartographe. Sans carte on se perd, mais représenter le globe terrestre sur une surface plane impose des distorsions. Toute carte exprime et déforme la réalité qu’elle veut représenter. Il en va de même du discours théologique : il vise, sans jamais totalement y parvenir, à exprimer une vérité absolue à travers des mots relatifs.


Auteur : Professeur André Gounelle
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