
90 ans après, cela reste une plaie vive et une indignation inspirante
Un témoignage douloureux entendu dans une maison de retraite
La semaine dernière, dans une maison de retraite où j’étais allé faire le culte, en attendant l’heure du début (j’arrive toujours très en avance), une dame de 95 ans m’interroge sur ce scandale que représente la promotion donnée à un prêtre qui avait été condamné pour atteinte sexuelle sur mineur. Cette dame me dit penser aux victimes de cet homme et d’autres, et que laisser une nouvelle chance à cet homme ne justifie pas cela, et que cela banalise ce genre de faits.
Violences sexuelles dans l’Église et responsabilité spirituelle
Je reconnais devant cette dame la sagesse de ses paroles et je m’excuse au nom de l’Église chrétienne de tout cela. Elle me demande ensuite comment est-ce que c’est possible que cela arrive ? C’est vrai que ces atteintes graves à son prochain, qui plus est en situation de faiblesse et de confiance, sont épouvantables, et tellement contraires à l’Évangile que c’est particulièrement choquant de les voir arriver dans l’église. C’est vrai qu’il existe un pourcentage de personnes malades, et il est compréhensible que certaines de ces personnes s’infiltrent dans l’église. Mais je suis d’accord avec cette dame sage que j’ai rencontrée : ce n’est pas tant le fait qu’il existe des personnes malades qui est surprenant, c’est le traitement par l’institution qui est finalement encore plus incompréhensible et profondément choquant, blessant, nocif. Effectivement, l’institution croit certainement vivre l’Évangile en faisant cela, mais en réalité elle participe à crucifier les victimes de violeurs et de pédophiles, et libère des personnes ayant cette tendance au lieu de les encourager à se faire soigner.
Le silence de l’entourage et le traumatisme des victimes
Nous parlons donc de cela, et je lui dis que finalement il semble que 9/10 des atteintes sexuelles sur les enfants avaient lieu en famille, ce qui est absolument épouvantable, de par l’agression, premièrement, mais aussi à cause des liens de confiance et d’amour familial qui sont profondément blessés aussi.
Témoignage bouleversant d’une survivante
À ces mots, la dame me dit que ça lui est arrivé à elle, quand elle avait cinq ou six ans, de la part de son propre père. Qu’elle n’a rien dit à sa mère pour ne pas lui faire de la peine. Mais qu’elle a veillé ensuite pendant des années avec grande attention sur ses petites sœurs pour qu’il ne leur arrive pas la même chose, les avertissant que c’était quelque chose d’inacceptable, et que si leur père essayait sur elles, eh bien qu’elles viennent lui en parler. Je lui ai dit toute l’admiration que j’avais pour cette façon dont elle a protégé ses sœurs, et toute ma compassion pour ce qui lui est arrivé et sur le fait de ne pas avoir eu la chance d’avoir un père digne de ce nom. Cela a été pour elle, tout au long de ces 90 années, une plaie vive. Je ne lui ai pas dit, bien sûr, que je regrettais qu’elle n’ait pas pu en parler à sa mère. Parce que c’est trop tard, et qu’elle a pu garder, au moins, l’idée que sa mère ne savait rien. Assez souvent, les mères sentent ce genre de choses et sont donc elles-mêmes complices plus ou moins inconscientes et silencieuses des agissements de leur mari, père, beau-père, fils ou cousin… Car cet homme déviant est aussi peut-être un mari aimant, le soutien de famille, et quand même le père des enfants. Mais comme le disait cette dame, on comprend que des malades existent, mais le manque de réponse adéquate de l’entourage lui semblait presque pire. Elle a dû elle-même ressentir ce manque de soutien.
L’incompréhension devant l’attitude des institutions religieuses
Alors je ne sais pas si l’on peut faire un classement du plus grave au moins grave pour ce genre de blessures. Mais au cours de mon ministère de pasteur de paroisse, j’ai rencontré bien des personnes qui ont pu témoigner de ce qu’il leur était arrivé de cet ordre dans leur enfance. Et il me semble utile que nous sachions un petit peu ce que ces personnes ressentent et ce dont elles ont besoin, car cela reste finalement incompréhensible pour qui ne l’a pas vécu.
La gravité d’une atteinte sexuelle est manifestement beaucoup plus importante que ce que l’on peut imaginer. Cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir été blessé lors d’un accident, par exemple (avec des blessures pourtant plus visibles). Comme cette dame dont la plaie était toujours vive 90 ans après. Les personnes qui n’ont pas connu ce malheur ont parfois tendance à minimiser les faits, ce qui est terrible pour les victimes. Trop souvent elles entendent des choses du genre : ce n’était qu’un geste, une bêtise, il n’y a pas mort d’homme… Eh bien si, dans un certain sens, il y a une part de mort d’homme ou de femme à chaque fois. Pour lui permettre d’avancer, pour que ces faits appartiennent au passé au lieu de sans cesse être une plaie à vif comme pour cette dame de 95 ans, il est essentiel que les faits soient nommés par d’autres : que la victime soit entendue et crue, que la gravité des faits soit dite, que la victime soit reconnue comme victime et l’agresseur comme agresseur. Car, le plus souvent, l’agresseur, lui, ne cessera de nier ou de minimiser les faits. Mieux vaut ne rien attendre de ce côté-là de la part de la victime pour avancer. Mais du coup c’est d’autant plus important que dans l’entourage, il y ait une vraie reconnaissance de la gravité de l’atteinte sexuelle.
C’est là le drame quand dans la famille ou dans l’institution où se sont passés ces faits il n’y a pas de réponse à la hauteur. Or, pour la mère de famille, la famille et son couple sont importants, bien sûr. Le responsable de l’église, catholique mais aussi protestante ou évangélique, ressent une honte pour son institution, rejaillissant injustement sur tous les prêtres et pasteurs. Certes. Mais comme le disait cette grande dame : en minimisant, en cachant, en passant tranquillement par-dessus, ces responsables salissent encore plus l’Église que de reconnaître qu’un malade s’était glissé dans ses rangs. Pour toutes les victimes, alors, il y a un dommage supplémentaire : elles risquent bien de perdre goût à fréquenter l’église qui pourtant est la plupart du temps une vraie chance pour avancer dans sa foi et dans son cheminement de vie. Il arrive que des personnes perdent de la foi à cause de cela, et c’est vraiment un grand dommage, car qui mieux que Dieu peut nous aider à ressusciter ?
Foi, Évangile et vrai sens du pardon
J’ai moi-même entendu un de mes paroissiens revenir vers moi après avoir parlé au responsable d’une institution sur une agression qu’il avait subie : il était scandalisé, blessé parce que le « responsable » lui avait fait la leçon : qu’il devait pardonner. Ce responsable se sentait certainement très chrétien, vivant l’Évangile en laissant à l’agresseur une nouvelle chance, et surtout en prétendant apprendre le pardon à la personne qui avait été victime… alors qu’il était en train de lui donner un coup de couteau supplémentaire dans sa plaie à vif : en la jugeant coupable de ne pas pardonner.
C’est aux antipodes de l’Évangile, pour bien des raisons :
L’Évangile, ce n’est jamais d’accabler une personne blessée, mais de la soutenir. Pour cela, on ne se place pas au-dessus d’elle pour la juger et lui donner des ordres, mais en dessous d’elle pour la soutenir, à côté d’elle pour écouter et pour compatir, pour soigner ses plaies.
Quand le pardon est mal compris et devient une blessure supplémentaire
Le pardon, ce n’est pas faire comme s’il n’y avait pas de problème. Ce serait comme si un médecin à l’hôpital disait à une personne porteuse d’une méningite virale « je te pardonne » et disait à son entourage « circulez, faites comme si de rien n’était » : la personne porteuse du virus ne sera pas aidée à aller mieux, son entourage infecté continuerait à en souffrir et cette peine se répandrait d’autant plus dans ce milieu. Le pardon, dans ce cas, consiste à mettre un diagnostic, à appeler les choses par leur nom, à rendre les mesures pour aider la victime, et aussi pour aider le coupable à ne pas être en situation de faire encore du mal. Le pardon ce n’est pas de laisser triompher l’injustice et la prédation en les cachant. Le pardon, c’est de prendre soin de tous en vérité.
Le pardon, pour la victime, ce n’est pas une question de ne pas dire que l’homme qui l’a blessée n’a rien fait, le pardon, pour la personne qui a été victime, c’est de faire que sa blessure ne soit pas sans cesse revécue dans le présent. C’est une affaire entre elle-même et sa propre histoire. C’est comme la cicatrisation d’une plaie : la victime n’est pas coupable de ne pas cicatriser instantanément, bien sûr, cela peut prendre du temps, cela demande des soins. Il n’est donc pas charitable mais cruel d’appeler une victime à pardonner. Par exemple, nul ne peut dire à une personne, comme je l’ai entendu plusieurs fois, qu’elle devrait pardonner à sa mère qui l’a laissée dans les griffes de son homme : on fait ce que l’on peut, même 90 ans après, la plaie peut ne pas être refermée.
Reconnaissance des victimes et espérance de guérison
C’est encore pire quand on demande à la personne de se taire pour protéger la famille ou l’Église : cela tord les liens de loyauté, et la victime est rendue coupable de porter atteinte à ces nobles institutions en poussant sa légitime plainte. Alors que ce serait salutaire pour ces institutions de prendre au sérieux ces furoncles.
C’est encore pire quand des versets bibliques sont cités pour appeler la victime au silence et au « pardon ». Je suis désolé si après cela il est difficile à la personne de lire la Bible sans être en révolte contre cette Bible dont on s’est servi comme arme contre elle. C’est le pire du pire quand on lui dit que Dieu pardonne, qu’elle doit donc pardonner : c’est comme assassiner son frère ou sa sœur au nom de Dieu, c’est chercher à tuer la foi en Dieu dans le cœur de cette personne, la faisant se sentir indigne d’être aimée par Dieu car elle n’arrive pas à pardonner. J’aimerais m’excuser profondément auprès de toutes les victimes de ces prêches cruels pour les victimes. Dieu connaît son cœur et compatit infiniment, Dieu est à son côté, bien sûr, évidemment, absolument toujours.
Trop souvent, l’entourage familial ou ecclésial écoute d’un air gêné et ne fait rien. Que peut faire la victime ? Continuer à parler ? Cela lui coûte énormément. Se taire, et faire mine de rien ? C’est insupportable aussi et c’est finalement le mal qui a triomphé. Quitter la famille ou l’église qui ont été des lieux complices de l’agression ? Peut-être, mais ce devrait plutôt être à la personne coupable de partir qu’à la victime d’être privée du soutien qu’est habituellement une famille ou une paroisse.
Un chemin de foi et d’espérance
Mais heureusement, il existe bien des églises, et de plus en plus, où la parole des victimes est écoutée. Heureusement, du chemin peut être fait ensuite, un chemin de guérison, de consolation, de résurrection de ce qui a été atteint. Et l’aide de l’Église, de la famille et de la foi en Dieu sont alors tellement précieuses dans ce chemin de vie. Aucune situation n’est sans espérance, avec sa bénédiction.
Avec cette grande dame de 95 ans qui a gardé la foi, je pense à ce Psaume 27 dont voici un extrait :
Même si père et mère m’abandonnaient
L’Éternel me reçoit et me garde.Enseigne-moi ton chemin, Éternel,
conduis-moi par des routes sûres malgré ce qui m’agresse.
Ne me livre pas à la merci de l’adversaire.
Contre moi se sont levés de faux témoins qui soufflent la violence.
Mais j’en suis sûr, je verrai les bontés de l’Éternel sur la terre des vivants.« Espère l’Éternel,
Sois fort et prends courage,
Espère l’Éternel ! »
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Les violences et le silence institutionnelles détruisent les fondements de toute confiance. La nécessité d’écouter enfin les victimes est criante.