11 février 2020

Adam et Eve au paradis, le péché originel - Lucas Cranach l
Théologie

Perspective : « Mais monsieur, le péché, ça n’existe pas ! »

N°5 d’Une perspective à la foi
Eglise Protestante de Genève.
Un encouragement à réfléchir, discuter :
par exemple dans les commentaires ci-dessous.

 

Adam et Eve au paradis, le péché originel - Lucas Cranach l'Ancien (1533) « Ne cherche pas à savoir quel crime a commis l’homme
qui dort si profondément sous le champ des étoiles. De crime il n’y eut pas.
L’innocence est sa sœur, grande poitrine bleue qui bat au cœur du temps. »[1]

« Mais monsieur, le péché, ça n’existe pas ! »

Cette affirmation, lancée par un aumônier (ne le cherchez pas, il ne travaille plus pour l’EPG !) en réponse à la question angoissée d’un patient a été pour lui une véritable planche de salut.

« Elle m’a dit ça dans un grand sourire, et ça m’a sauvé, vraiment », en dira simplement cet homme quelques années plus tard, qui raconte  « je ne suis pas pratiquant, mais j’étais hanté par cette question : cette longue série d’épreuves, cette souffrance, cette maladie qui m’amenait aux portes de la mort étaient-elles la punition pour mes péchés ? J’allais tellement mal que j’étais prêt à l’accepter, et à me laisser mourir. Elle m’a parlé d’un avant la résurrection de Jésus-Christ et d’un après. Un avant où les hommes projetaient sur Dieux leur logique toute humaine, et un après à partir duquel le monde entier sait que chaque être est aimé de Dieu bien au-delà de ce qu’il fait ou ne fait pas. Aimé d’un amour plus fort que tout, que rien ne peut détruire… Je n’avais encore jamais pleuré comme j’ai pleuré ce jour-là. De reconnaissance et de joie. »

 

Qu’il soit dit originel, véniel ou mortel, collectif ou individuel, au singulier ou au pluriel, le péché est une invention aussi délicate que polymorphe. Le péché se rencontre en effet pensé soit comme un état constitutionnel, un résultat d’une désobéissance, une souillure, soit comme une faute dite morale ou une faute devant Dieu seul, un manquement, une erreur coupable (consciente ou non) ou bien encore comme une révolte, une désobéissance à la prétendue « volonté de Dieu ».

Nous devons aux stoïciens de le retrouver très vite lié au sexe ou aux « passions » de l’homme, à son manque de « vertus ». Il est pensé aussi comme une force personnifiée, la cause de tout ce que l’on peut faire de mal, mais aussi comme le signe même de l’impuissance de l’homme, le fait de rater sa cible (selon l’une des traductions possibles du terme hébreu ancien).

 

Le premier constat que l’on peut poser, et qui surprend souvent, c’est que le péché peut n’avoir aucun rapport avec mal que l’on fait, pas plus qu’avec celui que l’on subit. La première mention du mot « péché » apparait pour la première fois dans le livre de la Génèse – non pas avec Adam et Eve et leur refus d’autonomie, (cf. l’exégèse remarquable que l’on trouve l’Ancien testament commenté[2])- mais avec Caïn, avant même qu’il ne commette le meurtre de son frère : « le Seigneur ne porta pas un regard favorable sur Caïn ni sur son offrande. Caïn fut très fâché, et se renfrogna. Le Seigneur dit à Caïn : pourquoi es-tu fâché ? Pourquoi es-tu renfrogné ? Si tu agis bien, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n’agis pas bien, le péché est tapi à ta porte, et son désir se porte vers toi ; à toi de le dominer ! »[3]

 

Le deuxième, c’est que toute définition que l’on fait du péché est relative.

En effet, elle dépend tout autant de l’époque, du lieu, de la tradition religieuse dans laquelle nous sommes nés que de notre histoire collective, de notre anthropologie et de notre psychologie, n’en déplaise à certains.

Mais elle dépend surtout, pour les protestants que nous sommes, des textes bibliques auxquels nous choisissons de faire référence. Et là encore, pas d’absolu : c’est l’interprétation que nous en faisons qui va se montrer déterminante.

Le dictionnaire critique de théologie est édifiant en cela : l’apôtre Paul et ses diatribes enflammées sur le péché y sont cités en première ligne, avant la bonne nouvelle de Jésus de Nazareth … qui se révèle ne pas être une si bonne nouvelle que cela dans le contexte de l’herméneutique des auteurs de l’article « péché »[4]. Pourtant, de toutes les paroles que Jésus prononce à propos du péché, bien malin qui pourra prétendre en déduire une définition unique et définitive. On peut tout au plus y voir que Jésus ne retient pas la notion de péché collectif, qu’il n’en donne jamais d’explication, qu’il le donne à voir comme une relation rompue entre l’humain et Dieu. Toujours du fait de l’humain. Et surtout, Jésus lie toujours le péché au pardon.

Pas à la pénitence : car si l’on y regarde de près au-delà de tout préjugé, on remarque en effet que Jésus ne demande jamais à personne de se repentir avant de le « guérir de ses péchés ».

 

Le troisième constat enfin est qu’il demeure une vraie résistance à penser la grâce dans toute son ampleur. Certaines positions pourtant dites chrétiennes se rapprochent ainsi étrangement du dogme du karma (dans l’hindouisme et dans le bouddhisme), qui fait de l’humain un être dont la destinée est déterminée par ses actions passées et présentes

La vraie bonne nouvelle en Jésus-Christ, n’est-elle pas pourtant que c’est l’amour de Dieu qui détermine tant les êtres humains que nous sommes que leur destinée ultime ? Que notre dignité est irréfragable par Jésus-Christ et en lui ? Y aurait-il une volonté de l’humain, liée à la liberté qui lui est laissée par Dieu, qui serait ultimement plus forte que Son amour ?

La manière que nous avons de penser le péché nous éclaire sur la façon dont nous prenons au sérieux la grâce de Dieu révélée en Jésus-Christ, sur la manière dont nous prenons au sérieux l’amour véritablement inconditionnel de Dieu pour chaque être. Elle est un indicateur sur la profondeur de notre confiance, entendez de notre foi, dans le don de la Vie éclaboussée de lumière qui a surgi, un certain matin de Pâques.

 

Le protestantisme a cette richesse de ne pas être contraint par une dogmatique figée dans un catéchisme dont la mise à jour est réservée à une congrégation doctrinale.

C’est parfois sa faiblesse, mais sans doute aussi sa force, en cela que chacun se trouve convoqué à approfondir ses questions, à trouver ses propres réponses, sans avoir fait auparavant 15 ans de séminaire théologique.

 

Dans un camp biblique dont le thème était « Jésus, qui es-tu ? » un enfant de 12 ans a formulé ainsi sa propre réponse : « le péché, c’est quand on n’arrive pas à aimer. Mais c’est pas grave, parce que Jésus, lui, il aime tout le monde »

 

Et pour vous le péché, c’est quoi ?

Élisabeth Schenker
pasteure de l’Eglise Protestante de Genève, aumônier des hôpitaux
pour l’équipe de Perspectives protestantes

Notes

  • [1] André Breton et Philippe Soupault, Les Champs magnétiques, 1924, cité par Jacques Lacarrière, dans La religion, les maux, les vices, Présenté par Alain Houziaux dans Presses de la Renaissance, 1988, p.77
  • [2] L’Ancien Testament Commenté. La Genèse. Albert de Pury, Thomas Römer, Konrad Schmid. Labor et Fides/Bayard 2016. P. 39,
  • [3] Gn 4, 5-7
  • [4] Dictionnaire critique de théologie, sous la direction de Jean-Yves Lacoste, PUF, p. 1052
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5 Commentaires

  1. François dit :

    C’est vrai que Jésus annonce le pardon de Dieu. Seulement, le concept même de pardon n’a de sens que s’il y a un problème, un manque, à la base. Sinon, cela n’aurait même pas de sens de parler de pardon, il suffirait de parler d’amour.

    Ensuite, désolé, mais ce n’est pas factuellement vrai qu’en Christ, le péché et le pardon soient toujours associés. Par exemple :
    • Matthieu 18,15 Jésus dit : « Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. »
    • Marc 3,29 Jésus dit : « quiconque blasphémera contre le Saint-Esprit n’obtiendra jamais de pardon: il est coupable d’un péché éternel. »
    • Jean 8,21 Jésus dit : « Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché; vous ne pouvez venir où je vais. »
    • Jean 9,41 Jésus leur répondit: « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites: Nous voyons. C’est pour cela que votre péché subsiste. »
    • …

    D’accord pour dire que la morale est relative et a une dimension culturelle. Cela n’empêche que dans la Bible, et particulièrement avec le Christ, il me semble qu’il y a une certaine affirmation radicale pour préférer la vie à la mort, l’amour à la haine, le respect au mépris, le service à l’indifférence. C’est vrai que le Christ n’est pas moraliste, privilégiant une éthique tenant compte de chaque cas particulier, mais cela n’est pas une relativisation de toute morale, ce n’est pas un n’importe quoi qui ferait que la notion même d’action mauvaise n’ait plus de sens. Donc désolé, mais il me semble que dire « le péché n’existe pas » est sans doute très sympathique, mais ce message me semble trompeur. Si : il y a des actes que l’on peut qualifier de pécheur, ratant la cible, pour reprendre le sens du mot péché.

    Que risque de penser une personne gravement maltraitée si l’on dit qu’il n’y a plus de péché ? Que finalement, ses années de calvaire ne sont pas grand chose, qu’elle fait bien des histoires avec son traumatisme lancinant ?
    Comment le coupable de traumatismes peut réagir si on lui dit qu’il n’y a pas de péché ? Que finalement ce n’est pas si grave, etqu’il a bien fait de prendre cela à la légère ?

    Pour avancer, il vaut mieux appeler un chat un chat. Si Dieu aime la personne humaine, même pécheresse, il hait le péché. Parce qu’il est source de mort. Je dirais dont que si, le péché existe, et qu’il est horrible. Peut-être pourrait-on dire qu’en Christ il n’y a plus de pécheur, il n’y a plus que des personnes humaines à soigner, et si possible qu’elle commette moins de péchés. Et prenne conscience de ses responsabilité, de sa vocation, de sa capacité à faire le bien plutôt que le mal… avec l’aide de Dieu.

    1. Marc Pernot dit :

      J’aime beaucoup votre « il n’y a plus de pécheur » car toute personne est d’abord une personne sous le regard de Dieu, et il ne confond pas la personne avec ses péchés.
      Reste les conséquences des péchés à gérer pour soigner les victimes, reste le pardon à faire sentir au coupable, et les racines de ces mauvais actes à soigner en lui, afin qu’il progresse.

  2. Pascale dit :

    Pour répondre à la question posée à la fin de l’article, à mon sens, si la visée ultime de notre vie est l’amour de Dieu, du prochain et de soi-même, le péché se définit comme ce qui fait obstacle à ce triple but. Ce n’est alors pas une liste de choses à ne pas faire, quand bien même elle serait personnelle, puisqu’une même action peut être, selon les circonstances, un manque d’amour, comme un acte d’amour ou ni l’un ni l’autre. J’irais jusqu’à dire que le péché ne peut se définir qu’à partir de ce que l’on est à un moment donné de sa vie. Si quelque chose nous est pour le moment totalement impossible, il est inutile alors de se le reprocher et on ne devrait regretter que ce qu’on n’a pas fait et qu’on aurait voulu et pu faire. Cela demande un discernement permanent dont la Bible n’est qu’un élément parmi d’autres. Lorsque ce discernement se fait devant Dieu dans la prière, je l’appellerais repentance ; c’est vraiment utile, non pas pour obtenir un pardon qui nous est déjà donné, mais pour faire un pas de plus vers notre visée ultime.

  3. Marc Pernot dit :

    Peut-être qu’il convient de définir le péché, au contraire, non à partir de ce que l’on est soi-même, mais à partir de l’autre. C’est peut-être précisément cela qu’est la fin de l’égocentrisme. Si je suis infidèle à l’autre ou à l’Autre, si je le blesse, il y a un problème. Et même si cela m’était impossible de faire mieux, il me semble que cela vaut la peine de regretter et de se reprocher, ne serait-ce que pour le dire à l’autre que j’ai blessé, non ? Et pour progresser moi-même. Pour faire un pas de plus vers notre visée ultime, comme vous dites.

    1. Pascale dit :

      Oui, bien sûr. Je voulais en fait distinguer la notion de péché qui porte une réelle responsabilité ou culpabilité, du mal causé à autrui qu’il ne faut jamais nier mais, dans la mesure du possible essayer de soigner et cela quelque soit notre propre responsabilité.

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