1. La Régénération : La Création Continuée (Palingénésie)
Le terme traduit par « régénération » est le mot παλιγγενεσία (palingénésie en philo) de παλιν (à nouveau) et de γένεσις (la genèse, la création) : Il ne s’agit pas d’une unique « seconde naissance » mais de notre création poursuivie sans cesse à nouveau. C’est un processus continu, toujours en cours chez chaque personne.
Nous le sentons : il nous arrive parfois le bonheur d’avoir franchi un palier. En tout cas, nous sentons à tout âge que nous évoluons, que nous murissons. C’est cela dont il est question.
Jésus utilise souvent des images agricoles pour illustrer ce qu’est le « Royaume de Dieu », c’est-à-dire cette action de Dieu pour nous sauver : un semeur qui répand abondamment les graines comme des germes de bonté et de création. Ou une graine de moutarde qui devient un grand arbre capable de domestiquer les aspects les plus sauvages de notre nature. Le Psaume 1ᵉʳ renvoie, lui, à l’image d’un arbre irrigué en profondeur, destiné à croître et à porter du fruit en sa saison.
Le terme régénération ne me semble pas bien rendre cette notion de nouveauté, ni l’expression de nouvelle naissance qui pourrait faire penser à une unique nouvelle étape. Il me semble plus juste de parler de création continuée.
Difficulté et Bénédiction de notre Genèse Inachevée
Cette nature inachevée de l’humain est pour nous à la fois une difficulté et une bénédiction.
- La difficulté est que l’humain est inabouti, imparfait.
- La bénédiction, c’est que nous sommes libres de participer à notre propre genèse. Et cette création continuée nous fait connaître le bonheur de grandir, d’aimer plus et mieux, d’avoir moins peur, et d’être parfois nous-mêmes source de bonnes nouveautés.
Mais bien sûr, en attendant, toute personne reste imparfaite, à la fois pécheresse et au bénéfice de la grâce de Dieu, de son pardon et de ses bons soins. Cette imperfection pose quand même des problèmes très concrets, c’est ce dont s’inquiétaient nos amis quant à honorer avec bienveillance l’existence de toute personne, et à l’accueillir, en plus, au paradis. Que fait Dieu ?
C’est comme dans un jardin : il ne suffit pas de planter de bonnes graines, de mauvaises herbes poussent joyeusement et des branches mortes bloquent la montée de la sève. C’est pourquoi une seconde opération de salut est indispensable, en plus de la création continuée.
2. Le Renouvellement : La Réparation de l’Humain (Anakainōsis)
Si le terme de palingénésie est un terme hautement philosophique, le terme de renouvellement, en grec ἀνακαίνωσις (anakainōsis), est tiré du vocabulaire quotidien : c’est la rénovation d’un bâtiment ou la réparation d’un objet par un artisan. Dieu est notre créateur continu, il est aussi notre Réparateur d’humain.
La création continuée est purement positive, apportant un supplément d’être. La réparation de l’humain est plutôt comme un soin médical visant à enlever une tumeur. C’est ce qui est mis en image dans le Psaume 1ᵉʳ. Il présente deux portraits, celui du juste et celui du méchant. Le travail de réparation est comparé au vannage du blé : sur l’aire de battage, le vent emporte la paille pour ne laisser que le bon grain dans le panier. Ce vent, ce Souffle, c’est l’Esprit de Dieu.
Quand on regarde cette image de la paille et du grain, il est clair que cela dit que chaque personne est comme un épi, à la fois paille et grain, méchanceté et bonté. On ne peut avoir l’un sans l’autre dans un épi comme dans notre être humain toujours en cours de genèse.
Le jugement de Dieu ne vise donc pas à éliminer certaines personnes, mais à trier au sein de chaque personne, pour garder précieusement sa meilleure part – le grain – et supprimer son côté piquant – la paille.
Le Jugement comme Purification et Transformation
Ce jugement de Dieu est de l’amour bien sûr. Comment en serait-il autrement avec Dieu ? L’amour discerne, valorise et conserve ce qui est bon ou prometteur chez l’autre, même s’il est caché par toute une meule de paille.
Paul témoigne lui-même de cette rénovation, lui qui fut autrefois un furieux intégriste persécutant les autres. Il reconnaît : « Nous étions autrefois insensés, rebelles, égarés, esclaves de toutes sortes de désirs et de plaisirs ; passant notre temps dans la méchanceté et dans l’envie, odieux et nous détestant mutuellement. » (Tite 3:3). L’Esprit l’a soigné de cette méchanceté, mais il a conservé la beauté de son enthousiasme qui est maintenant au service du bien.
Le jugement est ainsi une purification de chaque personne, non une sélection de quelques-unes.
Cette purification est une image récurrente de la Bible : comme la moisson suivie du vannage du blé, comme la vendange et le pressoir qui éliminent les rafles mais gardent la moindre goutte de bon jus, comme le minerai passé au creuset pour éliminer les scories et ne garder que l’or, l’argent et le platine. Une lecture hâtive de la Bible peut se laisser abuser par ces images du juste et du méchant ayant pour conclusion que le méchant sera éliminé et jeté dans les flammes de la Géhenne. En réalité, c’est donc le méchant en chacun qui sera éliminé, et le juste en chacun qui sera précieusement gardé par Dieu.
L’Amour Inimaginable de Dieu
L’idée d’un concours divin où seuls les plus performants seraient sélectionnés est absurde. Même le meilleur d’entre nous a sa part de méchanceté à réparer. Mais surtout, aucun parent digne de ce nom n’abandonnerait ses enfants à la forêt. C’est encore plus inimaginable pour Dieu. Il nous garde tous, cherchant notre croissance positive (par création continuée) et notre guérison (par la réparation).
Par conséquent, oui, nous serons tous sauvés, mais après restauration et élimination de toute méchanceté, de notre paille, de nos pépins et de nos scories. Seul Dieu sait ce qu’il restera d’un Adolf Hitler après une telle restauration, mais ce ne sera plus l’épouvantable tyran, peut-être quelque chose d’aussi mignon et minuscule qu’un nouveau-né.
Mais peu importe, nous verrons bien pour la vie future (pour l’instant, c’est ici que ça se passe). L’important c’est de vivre aussi peu que ce soit ces deux immenses services en notre faveur que sont notre création continue et notre restauration. Dire que ce sont des fruits du travail de l’Esprit en nous montre que ce sont des miracles que nous aurions bien eu du mal à obtenir par notre seule sagesse.
Cette théologie du salut peut nous inspirer dans notre façon de vivre : c’est un regard bienveillant sur l’autre, sans naïveté, discernant le meilleur, le valorisant, l’aidant à se développer. Cette théologie torpille les jugements binaires qui classent les gens et les pays entre « gentils » et « méchants ».
Paul et Jésus : l’Adaptation à la Culture Philosophique
Jésus et Paul ont été inspirés par cette bienveillance de Dieu jusque dans leur façon de s’exprimer ici. Pour dire ce salut de Dieu, ils utilisent le terme de palingénésie. Ils auraient pu citer du Ésaïe, du Jérémie ou du Zacharie pour dire que Dieu a pour projet d’apporter du neuf dans nos vies, mais ils utilisent ce terme de palingénésie, étranger à la Bible et issu de la philosophie stoïcienne. L’attitude de Jésus et de Paul est touchante : ils entendent la culture de la personne qu’ils accompagnent, ils partent de là pour lui proposer un cheminement. C’est le reflet de la tendresse de Dieu et de sa patience : nous avons le droit de tâtonner dans notre façon de penser, de prier, et d’agir : Dieu nous accompagnera toujours pour le meilleur.



 
                                                                             
                     
                     
                     
                         
                         
                        
Bonjour Monsieur le pasteur,
J’apprécie énormément vos commentaires bibliques, pouvez-vous donc m’éclairer sur 1 Corinthiens 3:12-15 où Paul parle de ceux qui ont bâti leur œuvre sur le Christ, Dieu retiendra ce qui est bon et eux-mêmes seront sauvés « comme à travers le feu ». Qu’en est-il de ceux qui ont refusé de bâtir sur ce fondement ? Leur œuvre sera détruite mais qu’en sera-t-il d’eux-même ?
Merci pour votre réponse; que Dieu bénisse votre ministère.
Chère Jacqueline,
Merci pour les encouragements, c’est vraiment très sympa.
Et bravo de vous poser des questions à partir du texte biblique, c’est ça qui est très riche, très stimulant.
Votre question est tout à fait intéressante, et je me la suis posée également en lisant ce texte qui est tout à fait remarquable. Je pense qu’on peut l’interpréter en disant qu’en réalité la question ne se pose pas. En effet, voilà ce que dit Paul : “Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ. » (1Corinthiens 3:11). Cela peut sembler étrange, car nous connaissons bien des personnes qui ne s’intéressent pas du tout à Jésus-Christ, et qui fondent encore moins leur existence sur les paroles et la façon d’être de Jésus. Qu’est-ce que ces mots de Paul voudraient donc dire ? Je dirais que c’est le fait que par nature, tout être humain, même s’il l’ignore, vit par l’amour et pour l’amour. C’est cela qu’incarne Jésus-Christ : la grâce de Dieu comme fond essentiel de la vie. Mais on le sait, si un enfant n’avait jamais été aimé du tout, cet enfant mourrait. Un enfant à qui on n’a jamais parlé durant les premières années de sa vie, ne pourra plus jamais apprendre à parler. Tout être humain a soif d’être aimé et finalement a soif d’aimer aussi. Nos carrosse principales sont celles d’avoir été mal-aimés, nos plus grandes découvertes et avancées dans notre être sont en rapport avec cela. C’est comme ça que je comprends cette affirmation de Paul : Personne ne peut poser un autre fondement que Jésus-Christ (que l’amour manifest). Dieu a voulu qu’il en soit ainsi dans la nature humaine.
Mais, effectivement, on n’est pas obligé de construire sa vie sur l’amour, comme le propose l’apôtre Paul dans son fameux hymne, comme le propose Jésus dans ce résumé de l’essentiel qui consiste à aimer Dieu et son prochain et soi-même. À ce moment-là : l’œuvre bâtie, et l’épanouissement de la personne, sont sans doute un petit peu compliquées.
Merci pour ce dialogue précieux.
Dieu vous bénit et vous accompagne.