Michel Grandjean, le 15 avril 2022
Prédication

« Que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise » (Luc 22:39-46)

Texte, vidéo et poscasts de la prédication. Ceci est un témoignage personnel. N’hésitez pas à donnez votre propre avis ci-dessous.

pasteur Marc Pernot

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(Voir le texte biblique ci-dessous)

 

prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Cologny, pour le vendredu Saint 2022,
par : le professeur Michel Grandjean

Dans chacun des quatre évangiles, le récit des deux derniers jours de la vie de Jésus occupe une place fondamentale. Et pourtant, et pourtant dans notre tradition, il nous faut bien reconnaître que nous accordons une toute petite place à ces récits. Voyez, quand on est au mois de mai, ou au mois de septembre, ou au mois de novembre ou au mois de janvier et qu’on cherche un texte sur lequel prêcher, on tombera difficilement sur l’arrestation de Jésus, ou son procès, ou sur la montée au Calvaire. On se dit que, de cela, on parlera lors de la semaine sainte. Mais cette semaine passe très vite et nous n’avons jamais l’occasion- ou très rarement – l’occasion de méditer comme nous le devrions sur ces textes pourtant fondamentaux. Alors, alors aujourd’hui je vous propose de rester quelques instants avec Jésus au Mont des Oliviers.

Il sortit et se rendit comme d’habitude au Mont des Oliviers. Comme d’habitude, c’est parfaitement vrai parce que, une page avant, l’évangéliste Luc nous raconte comment se passe à Jérusalem la vie de Jésus. Il nous dit quel est son agenda. Ecoutez-le, c’était à la fin du chapitre 21 : Jésus passait dans le temple à enseigner et il sortait passer la nuit sur le Mont dit des Oliviers. Et tout le peuple venait à lui dès l’aurore dans le temple pour l’écouter.

Voilà comment Jésus occupe ses jours. C’est très simple : la journée, on est au Temple et on parle aux gens. Et puis la nuit, eh bien quand on est un prêcheur de Galilée et qu’on n’a pas d’argent, on ne va pas dans un hôtel. On va la passer, cette nuit, à la belle étoile au Mont des Oliviers.

Alors, ce jeudi-là, comme d’habitude, Jésus, suivi de ses disciples, se rend au Mont des Oliviers. Et comme d’habitude, rien d’étonnant à cela, les disciples vont faire ce qu’on fait d’habitude quand on passe la nuit au Mont des Oliviers et ils vont s’endormir. Pourtant, Jésus les avait ce soir-là exhortés à prier. Priez, leur a-t-il dit, pour ne pas tomber au pouvoir de la tentation. Ne nous laisse pas entrer en tentation, nous le dirons nous-mêmes tous ensemble tout-à-l’ heure. C’est que Jésus prie – c’est peut-être bête à dire – mais c’est un homme de prière. Si vous parcourez l’évangile de Luc, vous voyez qu’au moment du baptême, Jésus prie. Vous voyez qu’ici et là, à intervalles réguliers, Jésus monta dans la montagne pour prier. Alors qu’il était quelque part, nous dit ailleurs l’évangéliste, il priait. A chaque moment important de son ministère, Jésus prie.

Et sur la croix du Vendredi Saint, Jésus prie. C’est dans l’évangile qu’il s’adresse à Dieu en disant : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. C’est une prière. Mais la toute dernière prière de Jésus, à l’instant même où il va mourir, ce sont ses mots bien connus : Père, je remets mon esprit entre tes mains.

Jésus prie. Et ce soir-là, ce Jeudi Saint, il prie au Mont des Oliviers. Sa prière, nous l’avons entendue tout-à-l ’heure. Ecoutons le v. 42 : Père, si tu veux écarter de moi cette coupe, pourtant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise. Voilà l’expression la plus complète, la plus totale de l’abandon à Dieu.

Si on se fait le disciple de Jésus, et toujours selon l’évangile de Luc, on est invité à abandonner ses biens, à les donner aux pauvres et à le suivre. Jusque-là, c’est assez facile à comprendre. Mais on est invité aussi, toujours dans l’évangile de Luc, à abandonner pour le Christ, le confort de ses relations affectives : si quelqu’un préfère son père, sa mère, sa femme, ses enfants plus que moi, il n’est pas digne de me suivre. Et la formule grecque est encore plus terrible. On est invité pour se faire disciple de Jésus, à abandonner tout pouvoir, à abandonner même la recherche du prestige. Mais voilà que nous comprenons ici que nous sommes aussi, et la chose est vertigineuse, invités à abandonner notre propre volonté : que Ta volonté soit faite.

Quand nous disons ces mots, et nous les dirons ensemble tout-à-l ‘heure, ça ne veut pas dire : après tout je m’en fiche, fais comme tu penses. Abandonner sa volonté, ce n’est pas cela du tout. C’est faire l’exercice de laisser faire non seulement Dieu agir en nous, mais encore vouloir en nous que ma volonté s’efface pour que la tienne Dieu, Père, prenne toute sa place en moi.

C’est quelque chose que, dans la tradition chrétienne, un certain nombre de mystiques ont cherché à comprendre. Au XIV ème s., pour maître Eckart, ce dominicain de Turinge, la patrie qui sera plus tard celle de Luther, il s’agit d’abandonner sa propre volonté pour que Dieu vienne en moi. Il s’agit de laisser en moi la place pour que Dieu naisse en mon âme et que ce soit Dieu qui veuille et qui agisse par moi. Je dois tout abandonner, dit maître Eckart, je dois abandonner le désir d’être supérieur aux autres, je dois abandonner bien sûr le désir de posséder des choses, mais je dois abandonner jusqu’à ma propre volonté.

Voilà un programme qui peut être celui de toute une vie chrétienne. Mais vous avez remarqué peut-être mes amis, que le texte que nous avons lu possède tout de même un passage des plus étranges. Relisons ensemble les versets 43 et 44 : Alors lui apparut du ciel un ange qui le fortifiait. Pris d’angoisse, il priait plus instamment et sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient à terre. Inutile de chercher dans les autres évangiles des paroles analogues à celles-ci. Nous sommes spécifiquement dans l’évangile de Luc.

Mais ces mots sont bizarres. A la fin du IIème s., un grand intellectuel hellénistique qui s’appelait Selz, les a précisément utilisées pour bien faire comprendre aux chrétiens que leur religion ne valait rien du tout. Selz disait : s’il est vrai, comme vous le dites, que Jésus est le Fils de Dieu, comment pourriez-vous expliquer que Dieu lui-même soit saisi par l’angoisse.

Et ce mot grec, l’angoisse, nous le connaissons bien, c’est : *agonia qui a donné en français d’aujourd’hui l’agonie. Jésus est en plein combat, contre la mort, contre la peur, contre la détresse. Et Jésus connaît l’angoisse.

Papyrus BodmerA la vérité, ces mots sont si bizarres que certains nombres de manuscrits du N.T., les ont tout simplement sautés. Voyez, l’un des papyrus les plus célèbres, les plus anciens, car ils remontent je crois au début du IIIème s., l’un des papyrus les plus complets, qui nous donne le texte de l’évangile de Luc, s’appelle pour les intimes : + Le Papyrus Bodmer 75. Mais pendant longtemps, ce texte, le meilleur texte, le plus ancien de l’évangile de Luc, se trouvait à 200 m d’ici, à la Fondation Bodmer. Il est vrai qu’il y a 15 ans, la Fondation Bodmer l’a donné au musée du Vatican. Alors, il faut faire quelques kms de plus pour voir ce manuscrit. Mais peu importe. Les spécialistes le connaissent bien. Et ils ont tout de suite remarqué que dans ce papyrus les versets 43 et 44, tout simplement, n’existent pas.

Ce Christ pris d’angoisse est trop gênant. Ce Christ humain jusqu’à transpirer d’angoisse et transpirer des caillots de sang, c’est quelque chose qui ne paraît pas convenir à la divinité de Celui qui tient le monde dans ses mains.

Et puis, il y a autre chose qui est bizarre. Regardez l’ordre de ces versets. Au verset 43, voilà qu’on nous dit qu’un ange du ciel apparut à Jésus qui le fortifiait. Et au v. 44, on nous dit que Jésus est pris d’angoisse et qu’il transpire. On aurait imaginé un ordre inverse : Jésus est pris d’angoisse et alors un ange du ciel vient pour le réconforter. Mais non ! L’ange du ciel vient le réconforter et Jésus est pris d’une angoisse terrible.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien sans doute que l’apparition de l’ange n’est pas je ne sais quel phénomène magique qui ferait aussitôt disparaître l’angoisse et la souffrance.

Peut-être que cet ange apparaît ici pour nous faire comprendre que Dieu est avec nous, même si nous ne pouvons pas toujours espérer que toute l’angoisse et la souffrance du monde s’évanouissent.

Mais j’aimerais poser ici une dernière question qui n’a semblé pas retenu l’attention des commentateurs lors de ce passage. Vous avez bien entendu la scène et vous la voyez sur cette fresque de Bellini, je crois : les disciples dorment et un peu plus loin Jésus prie.

Mais alors comment se fait-il que Luc puisse connaître le contenu de la prière de Jésus ?

Ils dorment tous. Et Jésus est plus loin. Donc ils n’ont pas pu entendre cela. Peut-être bien que cette question n’a pas grand sens après tout, parce que, je le crois, Luc veut nous donner à nous, les fidèles, quatre leçons. Et je vais vous les énumérer pour qu’ensemble nous les récapitulions.

– La première leçon de Jésus au Mont des Oliviers et que nous devons entendre comme les disciples l’ont entendue : l’appel de Jésus à prier pour ne pas tomber au pouvoir de la tentation.

N’allons pas imaginer que nous sommes finalement assez forts et que nous n’avons pas besoin de déranger Dieu pour lui demander de nous épargner la tentation.

Ne nous laisse pas entrer en tentation : quand nous disons ces mots, nous devons véritablement penser à ce qu’ils disent. C’est le Christ lui-même qui nous le dit. Et ici, il le répète à ses disciples : Priez , priez pour ne pas tomber dans le pouvoir de la tentation.

– La deuxième leçon, c’est la confiance au Père. C’est au Père que Jésus s’adresse. Cette confiance seule nous permet d’abandonner jusqu’à notre volonté. Et de dire réellement, parce que c’est un acte de confiance : que Ta volonté soit faite. Mais si je dis cela en pensant à ce que je dis, ça veut dire aussi : je renoncerai dorénavant à mettre ma propre volonté en avant. C’est la tienne qui doit se faire dans le monde et c’est la tienne qui doit aussi se faire en moi.

– La troisième leçon est probablement celle-ci : n’attendons pas une manifestation miraculeuse, un ange qui descendrait des cieux et qui tout d’un coup de baguette mettrait un terme aux souffrances. Ces souffrances, nous ne savons que trop qu’elles sont présentes en ce jour de Vendredi Saint. On pourrait regarder un atlas de géographie et énumérer tous les lieux où la guerre, où la violence fait rage. On peut penser à l’Ukraine, on peut penser au Liban, on peut penser aux Ouïghours de Chine, on peut penser à certaines contrées d’Afrique ou d’Amérique. La souffrance est là et nous savons aussi qu’elle est en nous. Nous sommes peut-être malades, nous connaissons des malades. La souffrance est dans la solitude qu’éprouvent certaines personnes dont nous nous disons : cela fait bientôt une année que j’aimerais bien prendre de ses nouvelles, mais je n’y pense jamais au bon moment. Et puis voilà qu’un jour, on tombe dans la Tribune… sur un avis mortuaire.

Cette souffrance est partout présente et Dieu ne nous promet pas de l’abolir ici-bas d’un coup de baguette magique.

– Et pourtant… et c’est là je crois la dernière des leçons qu’il s’agit aujourd’hui de retenir de ce texte de Jésus au Mont des Oliviers : au cœur de cette souffrance, l’ange de Dieu est ici avec nous. Nous souffrons. Le Christ aujourd’hui souffre et meurt sur la croix. Mais Dieu ne l’abandonne pas.

Alors, nous sommes des êtres bien fragiles. Nous sommes des êtres qui ne comprennent pas tout et qui ne sommes pas capables de dire pourquoi il y a de la souffrance dans le monde. Mais ce que nous pouvons dire et que nous pouvons dire en particulier aujourd’hui, jour de Vendredi Saint, c’est qu’au cœur de la souffrance, même là, Dieu est avec nous. Au cœur de cette souffrance, nous devons nous rappeler que nous pouvons nous adresser à Dieu comme à un Père, que nous pouvons entre ses mains remettre notre propre volonté.

Et en ce jour de souffrance, nous pouvons aussi nous rappeler les promesses que Jésus a dites à ses disciples au cours de son ministère, à savoir qu’il souffrirait, mais que sa mort, ça ne serait pas le dernier mot. Rendez-vous à dimanche !

Amen

Professeur Michel Grandjean
(ce texte est une transcription de l’oral, texte non validé, ni même donné à relire par l’auteur)

Textes de la Bible

Évangile de Luc au chapitre 22 :

Jésus sortit et se rendit comme d’habitude au Mont des Oliviers. Et les disciples le suivirent. Arrivé sur place, il leur dit : Priez pour ne pas tomber au pouvoir de la tentation. Et lui s’éloigna d’eux à la distance d’à peu près d’un jet de pierres. S’étant mis à genoux il priait, disant : Père, si tu veux écarter de moi cette coupe, pourtant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se réalise. Alors lui apparut du ciel un ange qui le fortifiait. Pris d’angoisse, il priait plus instamment. Et sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient à terre. Quand, après cette prière, il se releva et qu’il vint vers les disciples, il les trouva endormis de tristesse. Il leur dit : quoi, vous dormez ? Levez-vous et priez, afin de ne pas tomber au pouvoir de la tentation.

Évangile de Luc au chapitre 23 versets 33 – 47

 Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils le crucifièrent là, ainsi que les deux malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche.34 Jésus dit: Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. Ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort.

35 Le peuple se tenait là, et regardait. Les magistrats se moquaient de Jésus, disant: Il a sauvé les autres; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu!

36 Les soldats aussi se moquaient de lui; s’approchant et lui présentant du vinaigre,

37 ils disaient: Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même!

38 Il y avait au-dessus de lui cette inscription: Celui-ci est le roi des Juifs.

39 L’un des malfaiteurs crucifiés l’injuriait, disant: N’es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous!

40 Mais l’autre le reprenait, et disait: Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation?

41 Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes; mais celui-ci n’a rien fait de mal.

42 Et il dit à Jésus: Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne.

43 Jésus lui répondit: Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.

44 Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure.

45 Le soleil s’obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu.

46 Jésus s’écria d’une voix forte: Père, je remets mon esprit entre tes mains. Et, en disant ces paroles, il expira.

47 Le centenier, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu, et dit: Certainement, cet homme était juste.

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Un commentaire

  1. Claire-Lise dit :

    Bonjour, J’ai écouté et réécouté cette prédication sur le thème de Gethsémané, l’agonie, la peur, la détresse, la mort. Nous avons tous nos « Gethsémané » à traverser. Je ressens ce message, cet abandon total entre les mains de Dieu , comme un encouragement d’ un Ange venu me fortifier juste avant l’agonie de l’annonce d’une maladie grave. Si je sens le vent du boulet , je sens aussi le Souffle de l’Esprit me fortifier dans un moment où j’en ai le plus besoin. Comme quoi l’Esprit souffle où il veut, y compris dans cette prédication. Merci à Michel Grandjean, merci au Dieu de la Vie envers et contre tout.

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