Des paroles à recevoir à plein cœur (Évangile de Noël, selon Luc 1 et 2)
(Voir le texte biblique ci-dessous)
prédication (message biblique donné au cours du culte)
à Genève le soir de Noël 2019,
par : Marc Pernot, pasteur à Genève
En ce soir de Noël, je vais vous lire trois passages du début de l’Évangile de Jésus-Christ selon Luc : avant la naissance de Jésus, puis à sa naissance, et enfin dans son enfance. Chacun de ces passages se termine en nous appelant à recevoir la Parole à plein cœur. cette expression revient comme un refrain, comme un appel, comme une clef qui nous est donnée afin d’ouvrir cette page d’Évangile, ou pour ouvrir nos cœurs, ce qui revient au même.
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Vous vous souvenez sans doute de ce passage de l’Évangile selon Luc où Marie dit « oui » à Dieu, car c’est un des passages les plus connus de la Bible. L’ange termine en disant « Aucune parole n’est impossible à Dieu. » ce à quoi Marie répond : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole. » (Luc 1:37-38)
Tout, ici, est une question de parole :
Parole de Dieu, inattendue.
Parole de Dieu qui entre en dialogue.
Parole acceptée. Ou Non. Ce qui n’est pas une question de soumission. Les héroïnes de la Bible sont au contraire des femmes fortes et indépendantes, sachant ce qu’elles veulent. Nous le voyons ici avec Marie qui ose argumenter âprement avec l’ange, avec Élisabeth qui refuse la tradition et impose le prénom qu’elle a en tête pour leur enfant. Cela se poursuit avec Anne la prophétesse qui apparaît également dans les premiers chapitres de l’Évangile (Luc 2:36)… Le oui de Marie n’est ni une soumission ni la sidération d’une victime droguée ou agressée. Son adhésion est pesée, c’est un choix, c’est un oui à la vie. Un oui à la vie vivante et donc surprenante, dépassant tout ce que l’on en attendait. Un oui à la vie qui grandit en sagesse, en stature et en grâce.
L’histoire est racontée comme si Marie avait tout compris quand elle accepte que la Parole de Dieu sa fasse. Ce n’est manifestement pas le cas dans la suite, où elle va encore, à chaque étape, recevoir une nouvelle Parole surprenante pour elle. Ce « oui » de Marie à la vie offerte par l’ange est donc intéressant pour nous qui ne comprenons pas non plus tout de ce qu’est Dieu et de ce qu’il nous offre. Comment pourrions nous comprendre ce que nous ne pouvons même pas connaître puisque cela n’a pas encore eu lieu ? Comme le dit l’ange « avec Dieu aucune Parole n’est impossible », ce qui signifie concrètement : avec Dieu, on peut s’attendre à tout. On ne sait jamais ce qu’il va nous inventer. Et donc ce « oui » de Marie est un « oui » en confiance, croyant Dieu sur Parole. Un « oui » aux surprises car, venant de Dieu, elles seront bonnes.
Marie est ainsi le type même de l’humain fidèle.
La suite du récit nous montre Marie comme en apprentissage de cette Parole. Et à chaque fois, il est question de la Parole à saisir à plein cœur.
Une question de vocabulaire
Avant d’aller plus avant, il est peut-être utile de préciser deux petites questions de vocabulaire, car les notions couvertes par les mots « Parole » et « cœur » sont bien différentes avec ce que nous entendons en français. C’est un petit peu ennuyeux puisque ce sont précisément ces mots qui sont comme un fil rouge dans cette histoire.
D’abord « la Parole », ῥῆμα (rhèma) dans le grec des évangiles, traduit le mot דָּבָר (dabar) de l’hébreu biblique, où il est tantôt traduit pas événement tantôt par parole, comme dans ce verset de la Genèse où nous avons les deux : « Après ces événements (dabar), la parole (dabar) de l’Éternel fut pour Abraham dans une vision » (Genèse 15:1). Le dabar de Dieu est ici à la fois les événements qui sont arrivés, et la parole adressée, parole qu’Abraham voit comme à l’œil nu. Que recouvre donc cet étrange concept de parole-événement ? C’est leur principe même, c’est le fond de la création.
Un acte de Dieu est parlant car il révèle sa façon d’être. Ses actes sont un livre de théologie et d’éthique. Et quand Dieu parle, la chose arrive ou arrivera. C’est pourquoi les hébreux ont tenu à dire leur théologie en la mettant sous forme de récits plus que dans des théories comme l’ont fait les philosophes grecs à la même époque. Cela est aussi un appel à ce que nous ne vivions pas de belles paroles seulement.
Ce à quoi Marie dit oui, c’est à ce principe même de la création de la vie par Dieu.
Pourquoi appeler cela une Parole, et non pas simplement un geste que Dieu fait ? C’est qu’une parole, même quand elle est criée, peut ne pas être entendue, elle peut ne pas être acceptée, elle peut être interrogée et discutée comme le fait Marie, elle peut être négociée comme le font souvent ces serviteurs de Dieu que sont Abraham, Moïse, par exemple, et Jésus-Christ aussi, dans la nuit de Gethsémanée. Cette expression de « parole » dit un geste de Dieu qui ne peut se faire qu’avec nous. En équipe.
Le premier ce ces trois textes de l’Évangile nous dit que les personnes environnantes, voyant ce qui s’était passé, discernent qu’il y a là plus que les merveilles de la nature, elles sentent que Dieu est derrière (Luc 1:65,67), et, comme Abraham, elles commencent à s’ouvrir à ce souffle de création qui dépasse l’humain, qui dépasse ce monde, qui en est l’origine et le sens.
« Tous se mirent à écouter ces paroles dans leur cœur, se disant : Que sera donc cet enfant ? En effet la main du Seigneur était avec lui. » (Luc 1:67)
Cette « Parole » ; comme on le voit avec Abraham commence ici par le regard, comme une observation. Ensuite, ces gens « se mettent à écouter par le cœur ». C’est la bonne façon de faire avec ce type de Parole dont il est question ici : elle s’écoute par le cœur et non pas seulement par les oreilles ou les yeux et le cerveau qui est derrière, ce qui serait le cas si cette Parole était seulement une prédication ou une observation.
Or, il y a ici bien plus qu’un discours, plus qu’un enchaînement de causes et d’effets. C’est pourquoi la foule tremble, sentant qu’il y a là quelque chose de Dieu en train d’agir et de créer de la vie. Et cela, c’est bon de l’écouter. Dès leur enfance, chaque personne de cette foule juive a appris qu’il est bon de se mettre à l’écoute de l’Éternel notre Dieu, car il est l’unique source de l’Être. Le voici, alors ils écoutent. Et c’est un commencement de l’Évangile pour tous : « Tous se mirent à écouter ces paroles dans leur cœur ».
« Écouter dans leur petit cœur » : ça fait tout mignon et romantique. J’adore. Seulement ce n’est pas ce que cela signifie, c’est plus âpre et plus décisif que cela. Le 2nd point de vocabulaire utile pour se mettre à l’écoute de cet Évangile concerne le concept de « cœur » dans la Bible. Ce n’est pas seulement le lieu de l’émotion ou de l’affection, comme en français. Dans la Bible, le lieu symbolique des émotions est « les entrailles ». Le cœur est le centre de nos choix décisifs, là où entrent en débat nos instincts, nos pulsions, nos émotions, notre intelligence, nos pensées, nos affinités, notre expérience, et ce quelque chose qui vient de Dieu que l’on nomme parfois son Esprit, son Souffle, ou sa Parole. Qui emportera la décision dans ce grand conseil intérieur ?
C’est ce qui s’amorce ici : commencer à écouter la Parole manifestée par Dieu non pas seulement par la connaissance mais par le cœur, de sorte que ce qui est alors reçu intervienne de façon décisive dans notre façon de discerner la réalité, d’imaginer des projets, et de décider.
Quelle parole, quel acte, la foule a-t-elle vus pour qu’ils « se mettent à écouter avec leur cœur » (non plus seulement d’un œil et d’une oreille distraits) ? C’est cet enfant inattendu, cette vie miraculeuse, et son nom nouveau qui lui a été donné par sa mère : Jean, Yo-Hanan, « l’Éternel est, ou fait, grâce ». Toute une théologie qui prend chair.
C’est d’abord à voir, à travers une trace de grâce surprenante, dans notre monde, dans la nature, dans nos vies. Même minuscule comme dans ce début d’Évangile.
Ensuite « se mettre à écouter ces Paroles dans notre cœur ». Ce n’est pas une soumission, c’est un étonnement admiratif, en effet la première chose qui leur vient est de s’interroger : « qu’est donc cet enfant ? En effet, la main du Seigneur était avec lui. » (Luc 1:66-67) Redécouvrir le monde et les êtres autrement, se mettre à l’écoute de l’origine de la merveille qu’ils sont. Y découvrir la main de l’Éternel, une grâce qui s’active pour la faire grandir. Et prendre cette Parole au cœur même de notre être, comme force et comme source d’inspiration. Au cœur de notre façon de décider, très concrètement, dans de petits et de grands actes de notre vie, laissant place à des parcelles de grâce surprenante, novatrice.
Rassembler ces Paroles éparses
Le 2e épisode nous appelle avec Marie à « conserver toutes ces paroles, et les rassembler dans notre cœur. » (Luc 2:19). Littéralement « les garder ensemble » et les « lancer ensemble » comme on jette des pierres pour en faire un tas.
Cette écoute de la Parole ce n’est pas une simple mémoire, c’est rassembler ces petites bribes de Paroles et de signes, d’observation et d’impression, ces étincelles de bonnes surprises. Les compiler, les mouliner en nous, les mâcher et les ruminer, les mettre en tension les unes avec les autres et avec ce que nous sommes, ce que nous observons autour de nous.
Là, ce sont les bergers, qui sont les révélateurs de cette Parole-Acte de Dieu, formidable et pourtant si minuscule qu’est l’enfant dans la paille. Cet enfant qui pourtant nous rassemble deux mil ans après aux 4 coins du monde. Les bergers ont un métier parmi les plus nobles puisque Dieu lui-même est comparé à un berger dans la Bible pour dire qu’il n’est que grâce pour ses enfants, avec des soins quotidiens.
En même temps, que ce soient les bergers qui révèlent cela est une seconde remise à sa place de la religion, puisque le berger était réputé ne pas être un bon pratiquant. Il faut dire que ce n’était pas possible pour lui de respecter scrupuleusement les commandements religieux de la Bible, et encore moins les centaines de préceptes et de gestes ajoutés par les pharisiens, voulant bien faire. Comme nous le voyons ici, leur force, aux bergers, c’est d’être en ligne directe avec Dieu, et leur livre est la nature. Leur culte c’est leur prière et leurs chants.
Nous avions déjà une remise à sa place de la religion quand Élisabeth entend bien mieux la volonté de Dieu que son mari, pourtant grand prêtre du temple de Jérusalem, champion du monde toute catégorie de la religion religieuse.
La religion est remise à sa place une troisième fois quand Jésus, encore enfant, surprend les plus grands théologiens par l’intelligence de ses réponses. Ce n’est pas peu dire, car cette époque a été un âge d’or de l’interprétation biblique juive. Et là encore, nous avons ce refrain qui revient : « Sa mère conservait soigneusement toutes ces paroles dans son cœur. » (Luc 2:51)
Garder ces Paroles, dans leur épaisseur
Elle observe cette Parole à l’œuvre sous ses yeux, faisant grandir son enfant « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les humains ».
Elle croyait la tenir, l’avoir saisie, cette Parole. Et voilà qu’à nouveau elle la surprend. Ce qu’il convient de garder soigneusement, ce n’est pas telle théologie ou tel événement, fusse-t-il la naissance de son fils Jésus. Ce qu’il convient de garder soigneusement, c’est que sans cesse la Parole surprend, comme cette croissance et cette nouveauté qui se manifestent en Jésus.
Sous ses yeux, elle voit la Parole-Évènement de Dieu à l’œuvre, encore et encore. Elle la lit, en comprend la force de vie, l’épaisseur. C’est cette force, cette bonté qu’elle garde dans son cœur. Cela devient une façon d’être, une façon de choisir en disant oui à la vie qui grandit.
Ce riche travail d’écoute de la Parole dans le cœur, nulle église ne peut le faire à notre place, nul rite, nul livre de théologie ne peut dire où cela nous mènera, nous. C’est pourquoi l’Évangile remet ici en place la religion, ce qui ne veut pas dire la disqualifier. Elle nous annonce seulement le travail que nous aurons à faire. Zacharie et son expérience dans le temple ont été utiles avant qu’heureusement sa femme reçoive la Parole qui leur permet de dépasser la tradition. Les bergers ont appris à l’école des Psaumes de David comment contempler Dieu et s’ouvrir à son souffle en ligne directe. Jésus s’entraîne dans le débat avec les théologiens et cela participe à sa croissance en sagesse. Seulement pour grandir dans la grâce de Dieu, c’est dans un cœur à cœur avec lui.
Amen
Amen.
Textes de la Bible
Luc 1:57-66 « Se mettre à écouter dans son cœur » (Luc 1:66)
Le temps où Élisabeth devait accoucher arriva, et elle enfanta un fils. 58Ses voisins et ses parents apprirent que le Seigneur avait manifesté envers elle sa miséricorde, et se réjouirent avec elle. 59Le huitième jour, ils vinrent circoncire le petit enfant, et ils l’appelaient Zacharie, du nom de son père. 60Mais sa mère prit la parole et dit : Non, il sera appelé Jean. 61Ils lui dirent : Il n’y a dans ta parenté personne qui soit appelé de ce nom. 62Et ils faisaient des signes à son père pour savoir comment il voulait l’appeler. 63Zacharie demanda une tablette et il écrivit : Jean est son nom. Et tous furent dans l’étonnement. 64Au même instant, sa bouche s’ouvrit et sa langue se délia ; il parlait et bénissait Dieu. 65La crainte saisit tous les habitants d’alentour, et, dans toutes les montagnes de la Judée, on en portait le récit. 66Et tous se mirent à écouter ces paroles dans leur cœur, se disant : Que sera donc cet enfant ? En effet la main du Seigneur était avec lui.
Luc 2:6-19 « Rassembler ces paroles dans son cœur » (Luc 2:19)
Le temps où Marie devait accoucher arriva, 7et elle enfanta son fils premier-né. Elle l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.
8Il y avait, dans cette même région des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. 9Un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande crainte. 10Mais l’ange leur dit : Soyez sans crainte, car je vous annonce la bonne nouvelle d’une grande joie qui sera pour tout le peuple : 11aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. 12Et ceci sera pour vous un signe : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche.
13Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait : 14Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre pour les humains car il les aime !
15Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons donc jusqu’à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. 16Ils y allèrent en vitesse et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche. 17Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. 18Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers. 19Marie conservait toutes ces paroles, et les rassemblaient dans son cœur.
Luc 2:46-51 « Conserver ces paroles dans son cœur » (Luc 2:51)
Les parents de Jésus (enfant) le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les questionnant. 47Tous ceux qui l’entendaient étaient surpris de son intelligence et de ses réponses. 48Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement ; sa mère lui dit : Enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Voici que ton père et moi nous te cherchons avec angoisse. 49Il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? 50Mais ils ne comprirent pas la parole qu’il leur disait. 51Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère conservait précieusement toutes ces paroles dans son cœur. 52Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les humains.
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