Deux voitures identiques, l'une blanche et l'autre noire font la course dans la nuit - Photo de Erik Mclean sur https://unsplash.com/fr/photos/bmw-m-3-coupe-blanc-et-noir-fDFSED3hKbE
Question

Le bien et le mal sont-ils vraiment symétriques ?

Il a parfois été dit que sans l’existence du mal nous ne nous rendrions même pas compte qu’il y a du bien ?

Je ne pense pas que ce soit vrai, par exemple pour ce qui est du goût : je suis personnellement très gourmand et je trouve rarement quelque chose de mauvais dans mon assiette. Quand c’est bon, je le sens très bien sur mes papilles et dans mon estomac, pas besoin de goûter quelque chose de dégueulasse pour mettre en valeur par exemple un délicieux carré de chocolat noir aux amandes grillées, ou à la frangipane. Bien sûr.

Pourquoi penser à une symétrie entre le bien et le mal ?

Pourquoi alors cette théorie a-t-elle été inventée ? À mon avis pour deux raisons.

  1. La première, c’est la question de l’existence du mal, qui est parfois une énigme pour ceux qui conçoivent Dieu comme à la fois bon et tout-puissant. C’est vrai qu’avec ces prémices, l’existence du mal est paradoxale. Quand nous sommes ainsi face à une impasse logique, on est amené à remettre en cause une des prémisses. Personnellement, je tiens à garder comme prémisse la bonté de Dieu, car elle me semble aller de pair avec le fait que Dieu, par définition, est l’idéal ultime. Je préfère donc renoncer à la toute-puissance de Dieu. Elle n’est pas si biblique qu’on le pense, elle ne me semble d’ailleurs pas nécessaire dans la conception de l’idéal, et elle ne me semble pas correspondre à la réalité de ce que nous observons. Si l’on accepte de renoncer à cette toute-puissance, l’existence du mal en ce monde n’est pas en contradiction avec l’existence de Dieu, et il n’est alors pas besoin d’imaginer que l’existence du mal serait nécessaire pour mettre en valeur l’existence du bien.
  2. La seconde raison qui fait penser à certains que le mal serait nécessaire face au bien, c’est l’amour de la symétrie des choses. C’est a priori culturel : la symétrie a été à la mode dans la Rome antique avec Vitruve (mis à l’honneur par Michel Ange), mais au Moyen Âge cela ne posait pas de problème d’intégrer de l’asymétrie dans les bâtiments (et c’est magnifique), le goût pour la symétrie est revenu ensuite à partir de la Renaissance et surtout à l’époque classique.

Mais c’est quand même une bonne question : est-ce que le bien et le mal sont symétriques dans notre univers ?

Le bien et le mal dans la Bible

Quand les Hébreux écrivent la création dans la première page du livre de la Genèse, ils reprennent d’anciens récits mésopotamiens de création (théogonies) où il y avait un dieu bon et créateur qui luttait contre Dieu destructeur dans une sorte de combat titanesque. Le premier était servi par une légion d’anges, et le second par des démons. Ces textes ont été retrouvés dans les fouilles en Mésopotamie (les tables écrites en caractères cunéiformes résistent infiniment mieux que les fragiles papyrus). Les Hébreux reprennent ces textes déjà vieux de mille ou deux mille ans mais ils les transforment en ne gardant qu’un seul Dieu, bon et créateur, qui ne lutte pas contre un dieu destructeur mais agit face à un chaos primordial. Cette idée de chaos primordial est aussi très courante dans les mythologies mésopotamiennes et égyptiennes. La création biblique n’est donc pas symétrique, car par définition le chaos n’a pas de volonté, n’a pas de sens ni d’organisation.

Néanmoins, cette figure du dieu méchant a pu réapparaître dans les récits bibliques à travers la figure du diable. Seulement, le mot même « diable » est un nom de fonction, ce n’est pas a priori le nom d’une créature ou d’un dieu qui serait une personne, portant un nom propre. « Diable » signifie « ce qui déchire en 1000 morceaux pour les jeter aux quatre coins de l’espace ». Cela correspond à ce que faisait le dieu méchant : déconstruire ce qui a été créé par le Dieu bon. Sauf que ce nom de fonction, « diable », nous concerne au premier degré bien plus qu’un dieu méchant : il nous arrive évidemment, à nous les humains, d’être diaboliques, c’est-à-dire d’être source active et construite de division, de destruction, de retour au chaos.

Le bien et le mal du point de vue scientifique

Lumière et obscurité, chaud et froid

Dans la réalité de ce monde, le bien et le mal ne sont pas symétriques. Par exemple, il existe des particules, les photons, qui sont comme qui dirait des graines de lumière. Il n’existe pas de particules de ténèbres : l’obscurité est simplement une absence de lumière. De même pour le froid et le chaud : le chaud, c’est de l’énergie qui agite les particules des atomes. Mais le froid est simplement un manque de chaud. C’est ainsi qu’il existe un froid absolu : quand les particules sont simplement arrêtées. C’est la température 0° Kelvin (-273,16 °C), alors qu’il n’y a pas réellement de température maximale, seulement des températures où nos modèles physiques ne permettent pas de dire ce qui se passe au-delà (on ne sait pas pour l’instant ce que cela voudrait dire de chauffer encore plus).

Saint Augustin et la notion de « privatio boni »

C’est ainsi que saint Augustin parle du mal comme étant un « privatio boni », un manque de bien, plutôt que quelque chose de construit. C’est pour Augustin important dans son débat, l’opposant aux manichéens qui avaient, semble-t-il, une vision plus symétrique du bien et du mal.

Entropie et chaos croissant

Le chaos d’un côté, l’existence de quelque chose d’organisé de l’autre : ne sont pas non plus symétriques d’un point de vue scientifique. Car il existe un des principes de base de la physique que l’on appelle le principe de Carnot ou le principe d’entropie, et plus souvent le deuxième principe de la thermodynamique. Ce principe dit que tout système isolé ne se transforme que dans le sens d’une entropie croissante, c’est-à-dire d’un chaos croissant. C’est un fait d’observation tout à fait quotidien : si on prend un verre en cristal et qu’on le jette par terre, il va se briser, le chaos a augmenté. On peut reprendre ses morceaux de cristal et les jeter avec une belle énergie encore sur le sol. Quelle est la probabilité pour que ces morceaux de cristal s’assemblent de nouveau en un objet utile ou en un objet beau ? Pratiquement : cela n’arrive jamais, on observe que les morceaux se cassent encore plus, dans un désordre encore plus grand.

Une lecture éthique et philosophique

On le voit aussi en éthique : il faut des trésors d’attention, d’éducation, d’affection, de nourriture et de bons soins pendant des dizaines d’années par toute une équipe de personnes pour fabriquer un être humain à peu près en forme à partir de matières premières de base comme de l’eau, du carbone, quelques minéraux qui nous constituent. Mais n’importe quel imbécile avec une pierre à la main peut tuer cette personne en un instant. Un hasard aveugle peut la tuer aussi. Ce n’est pas du tout symétrique. C’est ainsi que le bien et le mal ne sont pas symétriques, à mon avis : le bien est un miracle improbable. La destruction et l’usure sont naturelles.

Il est stupéfiant qu’il existe quelque chose plutôt que le seul chaos. Notre existence à tous les quatre, en train de partager l’apéritif en échangeant fraternellement, est un miracle absolument hallucinant, totalement improbable. Alors bien sûr, on pourrait dire que dans le nombre immense des planètes habitables, il en existe seulement quelques-unes où, par hasard, le verre en cristal se serait recollé. C’est possible, mais c’est loin d’être l’hypothèse la plus raisonnable. Il semble plus plausible de poser l’hypothèse que notre univers n’est pas un système isolé.

Retour à la théologie : Dieu et le chaos

Alors bien entendu, ce n’est pas une preuve de l’existence de Dieu, mais si « Dieu » est le nom de « ce qui fait qu’il existe des choses construites, plutôt que du chaos absolu », on peut dire que l’hypothèse de son existence n’est, en tout cas, pas quelque chose de crétin. Bien sûr, il n’est pas question d’imaginer que ce « Dieu » serait une sorte de barbu, assis sur un nuage en train de pétrir avec ses doigts l’argile du sol pour créer un être humain et lui donner vie en soufflant son esprit dans sa bouche.

Cette façon de penser Dieu rejoint la philosophie du process de Whitehead (dans les années 1930), qui a donné la théologie du process. Cela n’empêche pas de prier Dieu en le tutoyant (ce qui me semble essentiel et bénéfique). Nous pouvons le faire en sachant ce que nous faisons en faisant cela, étant conscients que Dieu n’est pas une sorte d’humain transcendant (évidemment).

Et il ne me semble pas nécessaire ni juste de penser qu’il existerait une symétrie entre une sorte de Dieu bon et une sorte de Dieu méchant. L’existence d’un dieu méchant, le diabolique personnifié, ne me semble pas être une hypothèse qui corresponde bien à ce que l’on observe. S’il y avait une volonté mystérieuse de faire le mal, elle viserait en priorité les bonnes personnes et épargnerait les brigands et les tyrans, or ce n’est pas le cas : les catastrophes naturelles frappent sans discernement la maison du juste et celle du brigand. Cette catastrophe naturelle me semble mieux expliquée par le chaos que par l’existence d’une volonté construite de faire le mal. Dieu, lui, agit spirituellement pour chercher à donner de la force, de la sagesse, du cœur, de l’espérance à toute personne qu’il arrive à toucher.

par : pasteur Marc Pernot

PS. Sur la question de l’existence du mal et de la souffrance, vous pouvez aller voir cette étude détaillée dans le « petit dictionnaire de théologie ».

Et dans le « dictionnaire des mots qui piquent » : l’article « théodicée ».

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