17 octobre 2022

manuscrit hébraïque - Photo by Tanner Mardis on https://unsplash.com/photos/xUXGHzhIbN4
Bible

Rapport entre les « Psaumes de Salomon » et le « Nouveau Testament » ?

Par : pasteur Marc Pernot

manuscrit hébraïque - Photo by Tanner Mardis on https://unsplash.com/photos/xUXGHzhIbN4

Question posée :

Bonjour
Merci pour votre site remarquable et très instructif, stimulant et nourrissant pour le réflexion, via en particulier vos prédications, articles, et réponses aux commentaires !

Les Psaumes de Salomon sont des psaumes apocryphes de l’Ancien Testament, disponibles dans les Ecrits Intertestamentaires de La Bibliothèque de la Pléiade ou ici en téléchargement libre de droits : https://archive.org/details/lespsaumesdesalo00martuoft/page/n7/mode/2up avec le texte en français et en grec pour représenter les manuscripts sources qui nous sont parvenus (grec et syriaque).

Ils semblent avoir été écrits suite à la prise de Jérusalem par Pompée en -63 et après sa mort en -48 avant J.C. lors de la guerre civile, fait assassiné par le pharaon frère de Cléopâtre. Le manuscrit le plus ancien qui nous soit parvenu est daté du Vème siècle, le deuxième plus ancien du IXème siècle il me semble, mais il ne semble pas y avoir d’interpolation chrétienne à première lecture. Ils sont attribués soit aux Esséniens et/ou aux Qumraniens, soit aux Pharisiens, soit à un autre courant du judaïsme du premier siècle avant et après J.C.

Le Psaume V contient une prière dont certains éléments peuvent mis en parallèle avec la prière du Notre-Père dans Matthieu ou Luc, avec un intertextualité assez forte :
[le numéro de verset correspond à celui du Psaume V, la partie après les signes // aux versets de la prière du Notre-Père mis en parallèle, classés par ordre du Notre-Père]

1 . « Je louerai ton Nom avec allégresse » // Que ton Nom soit sanctifié
18. Que ta bonté se répande sur Israël, ton royaume, et 19. […] Seigneur, car il est notre roi // Que ton règne vienne
18. Que ceux qui craignent le Seigneur connaissent la joie et le bonheur, et que ta bonté se répande sur Israël, ton royaume // Que ta volonté soit faite
8. Lorsque j’aurai faim, je crierai vers toi, ô Dieu, et tu me donneras la nourriture // Donne nous aujourd’hui notre pain quotidien
12. Et tu exauceras, car nul n’est bon et clément sinon toi // Pardonnes-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé
6. Ne laisse pas peser ta main sur nous de peur que nous ne soyons réduits à pécher ! // Ne nous laisse pas entrer en tentation
2. Quand je crie vers toi, ne garde pas le silence ! // Délivre nous du mal.
19. Bénie soit la gloire du Seigneur // Car c’est à toi qu’appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles des siècles.

Je suis très étonné par ce parallélisme presque intégral, comme une reprise en élargissant l’horizon d’Israël à toute l’humanité.

Les Psaumes II (mention du dragon), X et XI (Visite = Jugement Dernier dans la littérature de Qumran) font penser à l’Apocalypse (dragon = Rome, Empire Romain…, « Visite eschatologique »…).

Enfin les Psaumes XVII et XVIII décrivent l’attente d’un Messie qui reviendrait rétablir l’ordre à Jérusalem et en Judée tombées aux mains des Romains, mais avec des caractéristiques qui font penser à … Jésus Christ !
Par exemple au verset 32 : Messie-roi (roi des juifs = partie commune aux 4 évangiles du titulus (titre-motif-raison) de la crucifixion de Jésus sur le panneau en haut de la croix)
32. C’est un roi juste que Dieu instruit et place à leur tête. Point d’injustice durant ses jours parmi eux : ils sont tous saints, et leur roi est le Messie Seigneur.
Au verset 33 : Messie non guerrier, comme Jésus (mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, des soldats…):
Il n’espérera pas dans le cheval, le cavalier, ni l’arc ; il n’amassera pas l’or ni l’argent pour la guerre ; il ne mettra pas pas son espérance dans le nombre des combattants au jour de la guerre.
34. Le Seigneur est son roi, son espérance ; sa force réside dans son espoir en Dieu.

37. […] Car Dieu l’a rendu fort par l’Esprit Saint (// baptème de Jésus et descente de l’Esprit Saint)

Qu’en pensez-vous ? SI ces textes sont bien du premier siècle avant JC, ou de l’époque de Jésus, et qu’il n’y a pas eu trop d’interpolation ultérieure par les copistes chrétiens ou non chrétiens des monastères, Jésus les aurait-il lu ? Aurait-il pris le psaume XVII comme inspiration pour son ministère public ? Se serait-il inspiré de la prière du Notre-Père ? Les rédacteurs des évangiles se sont-ils inspirés de ces textes ?

Merci beaucoup par avance si vous choisissez de répondre (sûrement de façon passionnante) à cette question passionnante (en tout cas pour moi) !

Réponse d’un pasteur :

Bonjour

Merci pour les encouragements.

J’ai lu les Psaumes de Salomon, effectivement, dans la Pléiade. Certains sont inspirants. Comme ce Psaume 5 que vous citez.

Mais je n’ai pas étudié dans le détail la question de ces textes qui ne sont pas dans le « canon » biblique. Cette littérature est très vaste et assez diverse, comme le montre l’épaisseur des 4 ou 5 tomes publiés dans la Pléïade sur ces écrits que nous avons et qui n’ont pas été sélectionnés dans cette compilation qu’est la Bible. Je me concentre plus sur la Bible, d’abord parce qu’effectivement il y a déjà de quoi faire avec ça ! mais aussi parce que ces textes, après avoir été ainsi sélectionnés comme faisant partie du premier choix (sans éliminer les autres), c’est textes ont par conséquent été plus étudiés et discutés, qu’ils ont nourri ainsi la conscience de notre civilisation. Cela leur donne pour nous un supplément de profondeur de sens assez extraordinaire.

C’est afin de mieux comprendre le contexte de pensée de l’époque de Jésus que cela me semble intéressant de lire les textes dit « apocryphes ». Ils ne sont ni secrets ni cachés, bien sûr. Et effectivement, il est très possible que Jésus les ait lus, ou qu’il en ait entendu parler par d’autres personnes. En même temps, les livres n’étaient pas publiés à des milliers d’exemplaires comme maintenant, mais recopiés à la main sur des supports peu pratiques. C’était un privilège de pouvoir disposer de ce genre de documents à l’époque. Beaucoup se transmettait par oral et la mémoire de ces personnes devait être pharamineuse par rapport à la nôtre aujourd’hui.

Le Psaume de Salomon 17 reprend le style des psaumes royaux que nous avons dans les 150 Psaumes, avec une espérance messianique en un nouveau David qui délivrera, restaurera Jérusalem. Cela ne me semble précisément pas le type de messianité que Jésus a choisi d’incarner. Par exemple quand il est acclamé comme roi par la foule avec des rameaux, au lieu de se diriger vers la palais du gouverneur il se dirige vers le temple pour manifester que son action est spirituelle et non politique et encore moins militaire. Mais effectivement ce genre de texte permet de mieux comprendre la diversité bouillonnante des espérances de salut à l’époque, et aussi la déception que Jésus a inspiré chez bien de ses contemporains, y compris parmi ses plus proches disciples.

En ce qui concerne le Notre Père, il me semble qu’il y a des prières liturgiques juives qui sont plus proches, la Amidah, le Kaddish, des traditions orales qui ont été mise par écrit plus tard, vers l’an 200 (Talmud) mais circulaient et étaient pratiquées du temps de Jésus, en particulier à la synagogue. Ces traditions ont pu, elles, inspirer les Psaumes de Salomon ?

Bonnes lectures

Dieu vous bénit et vous accompagne.

par : pasteur Marc Pernot

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Un commentaire

  1. Jean-Aude dit :

    Merci pour votre réponse !

    Oui, le titre complet du recueil à la Pléiade est « La Bible, écrits intertestamentaires ». Il contient les écrits qumraniens non bibliques ainsi qu’une partie des apocryphes ou pseudépigraphes de l’Ancien Testament, qu’ils ont considéré à La Pléiade comme faisant partie de la Bible elle-même, en un sens bien sûr élargi et non canonique (cf l’introduction à ce tome).
    Pour faire un parallèle ou une analogie, le concept de Trinité que vous ne suivez pas n’est pas directement biblique, et est lié aux traditions historiques des Eglises notamment depuis les Conciles de Nicée et Constantinople.
    Le canon biblique est également une question de tradition probablement également gravée dans le marbre lors de Conciles.
    Bien sûr, le caractère canonique ou non des textes est structurant, et la plupart du temps pour d’excellentes raisons, mais parfois les pseudépigraphes sont un peu vite mis de côté. Ce Psaume V des Psaumes de Salomon me paraît personnellement au moins aussi intéressant que par exemple les épîtres canoniques 2 Jean ou 3 Jean, signées de Jean l’Ancien, qui n’est peut-être pas l’auteur de 1 Jean ni de l’évangile de Jean, ni de l’Apocalypse de Jean.
    Les autres tomes de pseudépigraphes contiennent aussi quelques textes intéressants bien sûr (Evangile de Pierre pour le comparer aux 4 canoniques, doctrine de l’apôtre Addaï, apocalypse de Paul ayant inspiré entre autres la Divine Comédie de Dante…), mais je m’intéresse spécifiquement à ce tome parce qu’il correspond à la transition historique entre Ancien et Nouveau Testament. De nombreux versets innovants par rapport à l’Ancien Testament sont présents à la fois dans ce tome et dans le Nouveau Testament (peut-être sous une forme modifiée), et soit qu’ils aient été repris à partir de là, soit que ce soit le témoignage d’influences orales communes à la source du Nouveau Testament et de ces écrits a priori plutôt antérieurs.
    Des détails supplémentaires (c’est de la littérature…) concernant les grands personnages bibliques y figurent, à travers des sortes de cycles (cycle d’Adam et Eve, de Joseph…), correspondant à une partie des 70 livres « secrets » ou avancés de la Bible hébraïque, en plus des 24 livres canoniques de la Bible hébraïque (sauf erreur(s) de ma part à propos des nombres de livres).
    => Bref, ce tome fait partie de l’intertextualité large de la Bible, Ancien et Nouveau Testament. Or l’intertextualité est un élément majeur de lecture et d’interprétation de la Bible et de compréhension du contexte historique et de rédaction, en particulier du Nouveau Testament : tel verset, tel chapitre, tel thème du Nouveau Testament est-il novateur ou une reprise ? Si c’est une reprise ou au moins qu’une similarité forte est déjà constatée, est-ce dans les prophètes, les Psaumes canoniques, les pseudépigraphes ou les écrits qumraniens …
    Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, ce n’est pas très discuté dans les Eglises, même dans les paroisses libérales… ça viendra peut-être un jour… Il y a quand même (eu) des chercheurs qui travaillent ou travaillaient sur ce type de sujets (il suffit de consulter la bibliographie pour chaque livre), sans doute pas pour rien de leur point de vue…

    Effectivement envisager également les traditions juives orales replace l’évolution des textes dans un cadre plus large, merci pour cette recontextualisation. Cependant, à l’époque de Jésus, sauf erreur de ma part, les textes écrits sont l’Ancien Testament (avec variante Samaritaine du Pentateuque-Torah), les textes qumraniens non bibliques et tout ou partie des apocryphes de l’Ancien Testament, partiellement listés dans le recueil de la Pléiade. Il peut être intéressant aussi de noter qu’il semble exister un lien (selon l’article wikipedia en anglais) entre le début de la Amida que vous mentionnez et l’épître de Paul 2 Corinthiens 1:3-7.

    Le Psaume 5 des Psaumes dits de Salomon est très intéressant en lui-même.
    Mais là en plus, il m’a semblé pouvoir mettre en évidence une dérivation presque complète du Notre Père chrétien à partir de certains versets.
    Personnellement, ça me paraît trop proche pour être une coïncidence. Ma question ne portait pas tant sur la ressemblance éventuelle du Psaume 5 avec le Notre-Père, mais sur le parallélisme quasi-complet qu’il est possible d’établir presque mot pour mot, en montrant que la prière actuelle du Notre-Père de Matthieu et Luc est comme inclue dans ce Psaume 5 (en sélectionnant et réordonnant les versets, et avec un horizon plus large des personnes à qui elle s’adresse).

    Le bibliste Daniel Marguerat fait référence aux Psaumes XVII et XVIII des Psaumes de Salomon dans la série documentaire Corpus Christi de 1996, disponible sur Arte en replay (box ou web), il me semble dans l’épisode « Christos »

    Cordialement,

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