
A propos d’un article de l’agence de presse protestante sur le suicide assisté. Suffit-il d’être vieux pour y avoir droit ?

Question très délicate, clivante, viscérale, épidermique, sensible.
Question posée :
Pour info, mon cher, et bonsoir.
Ton avis m’intéresse, of course.
Je ne sais si tu es abonné aux articles de l’agence de presse Protestinfo (www.protesinfo.ch), mais tu peux…
Bien à toi et à ton épouse.
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Merci pour cet article et pour cette question. On peut en discuter.
Même si je sais que cette question très délicate, clivante, viscérale, épidermique, sensible. Donc, il s’agit d’une réponse très personnelle, en tant qu’homme, et en fonction de mon propre vécu de pasteur accompagnant des personnes dans bien des situations. Vous avez peut-être un autre vécu, une autre sensibilité. Je le comprends tout à fait.
Je suis personnellement très réservé sur le travail d’Exit. A franchement parler.
Sa doctrine énoncée ici me semble révélatrice : « Nous n’aidons pas les gens qui n’ont rien. Il faut être atteint dans sa santé »
Je ne suis pas certain que cela ait un sens. Quand une personne qui demande à mourir, peut-on dire qu’elle « n’a rien » ? Et qu’est-ce que « ne pas être atteint dans sa santé » en ces temps où il nous semble « normal » rien de moins que le zéro défaut ?
- J’ai dû arrêter la course à pieds (que j’adorais) à 40 ans car cela me donnait mal au genoux. Dès ce moment là, j’ai été atteint par l’âge, dans ma santé, au sens propre. Qui donc, « n’a rien », n’est absolument pas atteint dans sa santé au delà de 60 ans ? La plupart des retraités ont plusieurs points de vigilance quant à leur santé. Ce critère me semble donc être de la poudre aux yeux. Je suis d’accord pour l’assistance au suicide, ou une sédation qui s’en approche, en cas de terribles maladies en state terminal, mais l’argument évoqué ouvre la porte à à peu près n’importe quoi.
- Appeler « aider » une personne le fait de la tuer me semble être spécieux. Bien des personnes expriment, en particulier à leur pasteur, le fait d’en avoir assez de vivre. Mais aussi à leurs proches. Cela appelle à la compassion. Vraiment. Cela dit une détresse. La plupart des fois il me semble que c’est un appel au secours, une façon de demander plus d’affection, de soins, d’attention. Parler d’en terminer avec sa vie est une façon de crier son appel à l’aide, alors que la honte nous donne plutôt envie de le chuchoter à une oreille amie. Donc « aider » la personne qui exprime en avoir assez de vivre, ce me semble être dans l’immense majorité des cas prendre soin de la personne, pas de la tuer. L’aider c’est prendre du temps pour elle, c’est faire que la personne nous apporte quelque chose et qu’elle le sente.
- Il arrive à tout le monde, jeune ou vieux, malade ou en bonne santé d’avoir un passage à vide, on voit alors tout en noir, tout espoir nous a abandonné. La dépression ou le désespoir, l’angoisse sont des maux assez répandus, cela se soigne la plupart du temps très bien. Et de très bonnes années, de très bonnes dizaines d’années, quantité de bonheur, de belles choses apportées aux autres peuvent encore être vécues. Je me souviens d’une femme en fauteuil roulant géniale, joyeuse et aidant tout plein de monde : quelques années plus tôt elle avait perdu l’usage de ses jambes dans une tentative de suicide. Alors je suis ravi pour elle et pour le monde qu’elle soit sortie de ce temps de détresse, c’est quand même bien dommage qu’elle n’ait pas retrouvé le moral tout en gardant ses jambes, car c’est quand même bien pratique. Mais si on lui avait dit : on comprend tes souffrances psychologiques insupportables, on va t' »aider » à te supprimer : cela aurait été un immense gâchis, dans ce cas, il me semble que cela aurait été en réalité respecter et aider la maladie, au détriment de la personne victime de la maladie.
- Le libre consentement de la personne est à entendre et à respecter infiniment, ce n’est pas pour autant que cet avis doive être seul déterminant. La personne humaine n’est pas une île, elle est un animal social. Nous ne sommes pas propriétaire de notre vie, je dirais que nous en sommes seulement un copropriétaire très important. Copropriétaire d’abord avec eux qui nous aiment (si nous avons la chance d’en avoir), mais aussi copropriétaire avec la société. Pour les proches, un suicide est un acte très violent, bien plus qu’un accident, car même si ce n’est pas la volonté de la personne : le suicide d’un proche est ressenti par les proches comme un abandon. Et ça fait très mal. Cette violence extrême fait très très mal à chaque personne qui nous aime (et ne fait rien aux personnes qui nous ont fait du mal). Alors peut-être que la personne en détresse n’a plus les forces de porter cela en plus de sa maladie (pauvre, pauvre est-elle) : il est essentiel de penser à elle + il est bon de penser aussi à la détresse de son entourage, ce n’est pas rien du tout.
- En ce qui concerne la société, nous sommes fiers d’être dans une république qui a pour philosophie (tirée de l’Evangile, à mon avis), d’accorder une dignité égale à toute personne, à toute vie, même diminuée. C’est un privilège extraordinaire, avec un coût que la république a choisit et s’honore d’assumer. Car c’est hyper important. Cela dit qu’une personne handicapée est une personne tout autant qu’une personne « qui n’a rien ». Quand une personne dit qu’elle ne trouve pas sa vie digne d’être vécue car elle est diminuée, qu’elle ne veut pas coûter si cher à la société alors qu’elle trouve ne plus servir à grand chose… c’est touchant et compréhensible pour elle. Mais cette personne ne peut pas empêcher que son opinion (censément pour elle seule) dise quelque chose aussi sur les autres personnes handicapées. Car nous sommes un corps. Et ce que le suicide dit aux personnes pas très en forme c’est quelque chose d’assez péjoratif sur la dignité de leur existence et leur laisse penser qu’elles pèsent sur la collectivité (alors qu’elles permettent à la société de s’honorer de les aider). C’est ennuyeux que cette personne manifeste cela mais on ne peut pas lui en vouloir, bien entendu. Par contre, il me semble que c’est infiniment plus dommageable quand des personnes, quand des associations et même quand la collectivité soutiennent ce genre de démarche.
Il me semble que Exit va donc un peu trop vite en besogne en acceptant d’accéder à la demande d’un certain nombre de personnes.
Je ne suis pas contre le fait de permettre une interruption de la vie dans l’absolu, mais je réserverais ce genre de traitement à des cas extrêmes.
Bien fraternellement
par : pasteur Marc Pernot
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Je pense que sur cette question, il ne faut pas sous-estimer, même si c’est bien entendu compliqué à évaluer, l’impact que peut avoir ce désir de liberté individuelle de certains, certes tout à fait légitime, sur la mentalité collective, et qui peut finalement conduire à une réduction du choix pour d’autres. Je ne parle pas des diverses situations extrêmes, où la vie biologique devient parfois toute puissante au détriment de tout le reste, et pour lesquelles, sauf opposition de principe, le consensus est assez large, mais simplement de l’idée selon laquelle chacun devrait pouvoir décider de ce qu’il fait de sa vie (il ne faut pas se leurrer, c’est à mon avis bien vers cela qu’on tend). Il risque d’y avoir à un moment un effet boule de neige et en multipliant les situations où l’on peut avoir recours à un suicide assisté on finira tôt ou tard par le banaliser, par intégrer collectivement que c’est la solution à bien des maux. Peut-être verra-t-on alors moins l’intérêt essentiel à développer, et à en assumer le coût, des soins palliatifs de qualité ou tout simplement des dispositifs d’aide aux personnes en grande perte d’autonomie. Quitte à provoquer un peu, je me demande si on en viendra un jour à devoir s’excuser ou à culpabiliser de vouloir continuer à vivre malgré plusieurs handicaps lourds. Le manque de moyens, la pression sociale, voire familiale, peuvent réduire la possibilité d’un vrai choix, d’autant plus lorsqu’on est déjà dans une situation d’extrême fragilité.
Bonjour,
Je ne sais pas si vous connaissez les deux tableaux de Carlos Schwabe qui sont exposés au Musée d’art et d’histoire à Genève devant lesquels je pourrais passer des heures :
1.- La Douleur
https://collections.geneve.ch/mah/oeuvre/la-douleur/cr-0159
2.- La Vague (laquelle fait référence au psaume 42 : toutes tes vagues et tes flots ont passés sur moi)
https://collections.geneve.ch/mah/oeuvre/la-vague/cr-0161
La Douleur envahissante, celle qui arrache des larmes d’impuissance , tant nous ne sommes que douleur. Réduits à rien, si ce n’est la noyade dans la souffrance qui dépasse nos capacités physiques et psychiques d’y faire face.
Dans notre médecine hypertechnicisée, on peut nous maintenir en vie en nous rendant inerte en s’acharnant à nous faire végéter. Mais à quel prix. Peut-être est-ce mieux de ne pas soulever les draps pour ne pas voir les escarres.
La notion d’ « Acharnement thérapeutique « ne veut rien dire. La définition en est :
« Application obstinée d’un traitement qui n’apportera plus de bien-être au patient » ( ce n’est plus de la médecine)
J’avais écrit en 2018 où je lisais les livres du Dr Borasio, spécialiste en soins palliatifs avant de rédiger mes directives anticipées, voyant ma santé se dégrader :
« La perspective de ma propre mort
« A noble death glorifies a life » (Acte II, Zelmira, Rossini)
« O Herr, gib jedem seinen eignen Tod.
Das Sterben, das aus jenem Leben geht,
darin er Liebe hatte, Sinn und Not.»
» Seigneur, donne à chacun sa propre mort.
La mort qui est enfantée de cette vie
Où il connut l’amour, le sens et la détresse. »
(Rainer-Maria Rilke)
(Mourir, ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer, Gian Domenico Borasio, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2017, p. 130)
Chacun a son idée sur sa propre finitude. C’est la maladie qui nous renvoie à ces questions existentielles, surtout quand on sait que notre temps est compté. Je n’ai pas de réponse à ces questions qui font débat dans notre société qui est obligée de ne plus nier la mort avec la pandémie, sans parler du « cas » médiatisé de Vincent Lambert.
La question est avant tout : qu’entends-tu par le mot VIE ?
(Si cela vous intéresse :
Livres de Gian Domenico Borasio , professeur ordinaire en médecine palliative à Lausanne :
1.- L’autonomie en fin de vie
2.- Mourir )
Bien à vous et à vos réflexions personnelles sur ce sujet si délicat
Claire-Lise Rosset
Je trouve le pasteur plus défensif et moins profond que d’habitude …. Il s’agit de ceux qui subissent des douleurs intenses qu’on ne sait pas soulager , c’est très grave . Seule la personne impactée doit pouvoir décider si elle peut continuer ou non , et l’ aimer c’est alors l’aider comme elle le demande , pas impulsivement, bien sûr .
Supporter la douleur extrême d’un proche …ne pensez- vous pas que c’est bien pire que le perdre ? Tout ça est affaire de conscience et de relation intimes , personnelles , et pour nous dans la prière , la relation à Dieu , que la société s’honorerait à mon avis de respecter . Et les églises qui en sont une partie aussi.
Je suis d’accord avec ce que vous dites, et c’est ce que je dis en conclusion. Mais j’ai vu des cas où il me semble qu’il y avait des abus, et je trouve cela très triste aussi. Cette expérience rejoint celle du pasteur interviewé dans l’article.
Mais je savais que ce sujet était très délicat.