Pourquoi les églises se vident ? Comment synchroniser temporel & spirituel ?
Question posée :
Bonjour
Pourquoi les églises se vident?
Comment synchroniser temporel & spirituel ?
Un chercheur libéral spirituel
Réponse d’un pasteur :
Bonsoir
Excellente question.
Les églises se vident ?
D’une manière générale, oui, mais cela dépend. Quand j’étais pasteur à Paris dans les années 2010, en une dizaine d’années : le nombre d’enfants en catéchèse est passé de 30 à 150, et il y avait une quarantaine de personnes adultes par an rejoignant la foi, venant de l’athéisme. Des personnes la plupart du temps dans la force de l’âge (entre 30 et 40 ans), cultivées équilibrées, intelligentes, sentant en connaissance de cause que ces excellentes choses ne suffisent pas. Il faut voir la joie, la reconnaissance qu’ils ont en découvrant la dimension spirituelle de leur vie, et tandem avec une réflexion approfondie sur la profondeur de l’existence. Ils ressentent une véritable augmentation de leur qualité d’existence et de vie, personnellement et avec leur entourage.
Donc, je dirais que la foi chrétienne n’est pas, mais pas du tout obsolète, au contraire. Elle est à la pointe. A la pointe de l’humain contemporain. Spécialement quand ces deux dimensions se nourrissent et s’interpellent mutuellement : 1) la prière personnelle confiante en Dieu, et 2) la libre réflexion théologique, philosophique, biblique, scientifique. Votre exemple le confirme d’ailleurs en vous présentant comme un « chercheur libéral spirituel ».
L’intérêt des églises ?
Pour cela, les églises sont des moyens utiles, elles ne sont que des moyens, et elles restent utiles. Pour plusieurs raisons. L’individu, aussi génial soit-il ne peut pas inventer tout seul la roue et le wifi au cours de sa si brève existence. Nous avons donc besoin d’une transmission d’une génération sur l’autre, loin dans les générations passées, nous avons besoin de nous former pour vivre en accéléré les millénaires d’évolution, et cela dans tous les domaines. Le domaine de la foi et de la réflexion n’échappent pas à cette nécessité. Ensuite, nous pouvons effectivement nourrir et exercer ces dimensions intérieures tout seul dans notre coin avec les ressources mises en ligne et les bibliothèques, c’est vrai en partie. Mais l’humain n’est pas seulement un animal spirituel et pensant, il est aussi un animal social : être avec d’autre et communier est quelque chose d’essentiel pour nous. Nous ne voyons pour ce qui est de manger, de faire du sport, écouter de la musique. C’est également le cas pour pratiquer quelques exercices spirituels avec d’autres : le culte, les formations bibliques et théologiques, des temps de retraite… en complément avec notre recherche intime « dans le secret de notre chambre ».
Donc, les églises devraient être pleines !
Oui. Vraiment.
Il y a donc quelques choses essentielles qui ne jouent pas. En fait, je pense que c’est un ensemble de choses, comme un alignement de planètes font de grandes marées.
A qui la faute ?
- Il y a la faute des églises : elles se sont trop souvent placées au-dessus des personnes, alors que Jésus a montré que nous devrions nous placer en serviteurs des autres. Or, bien des personnes en ont assez de se faire prendre pour pas grand chose, d’avoir des chefs d’église qui prétendent détenir le savoir et même la vérité sur la vie des autres, leur disent pour qui et quoi voter, qui aimer ou ne pas aimer, leur impose des combats… Les églises, au contraire, sont bien plus souvent géniales qu’on le pense parfois : encourageantes, aidant chaque personne,enfant comme adulte, à exercer sa foi, sa propre théologie, à trouver sa propre vocation personnelle, à se poser des questions et à se forger sa propre opinion. Seulement cette dimension géniale de l’église modeste, au niveau des personnes, au jour le jour, est parfois cachée par des campagnes bruyantes et visibles, par des slogans.
- Il y a le découragement de certaines personnes dans l’église. Il y a des personnes qui n’osent plus parler de Dieu, de Jésus, d’évangile, de Bible, de prière, ni de foi… (pensant que cela ne « passe » plus) et se réfugient dans les valeurs consensuelles dans la société « bien pensante » et d’action de bienfaisance. Ce qui est très sympathique, mais cela ne permet pas aux personnes de se connecter avec Dieu.
- Il y a des scandales : quelques individus parmi les responsables de l’église qui se laissent aller à des comportements indignes de l’Evangile prêché. Et c’est effectivement dévastateur. Le faites ce que je dis, pas ce que je fais. L’église qui « pardonne » aux coupables en oubliant les victimes et les potentielles futures victimes. Aujourd’hui, cela ne passe plus. Et heureusement. En attendant, pour quelques comportements déviants, le mal est fait. Et c’est la foi qui est salie.
- Il y a enfin, il me semble, la vie facile et douce. Il y a bien des personnes qui trouvent que la vie va bien comme cela et que ce n’est pas la peine de se poser des questions, pas utile de voir plus loin que l’écorce de leur vie humaine. Cela leur appartient. Mais je ne pense pas qu’ils aient raison. De bonnes conditions de vie sont certes agréables, elles peuvent être infiniment valorisées, enrichies, embellies… quand elles sont traversées par la foi et une intériorité. C’est en tout cas le témoignage que m’ont apporté des centaines de personnes que j’ai eu le bonheur d’accompagner dans leur recherche de foi.
Quel est le problème du manque de foi dans la société ?
Mais encore une fois, tout cela ne sont que des détails, des facteurs conjoncturels, et je suis et reste tout à fait convaincu de l’actualité et de l’avenir de l’évangile du Christ pour participer à faire vivre et à faire grandir une bonne part des humains. C’est tellement génial pour la vie de l’individu, pour la vie de notre société, et pour l’avenir de l’humanité. Surtout dans notre civilisation dont les racines sont l’Evangile du Christ, en grande partie, et la littérature grecque. Si la population ne puisse plus dans ses propres racines, elle est en danger vital, comme le serait un arbre déraciné. Au moins, si une personne géniale inventait un nouveau terreau ? encore plus génial que la Bible hébraïque, Jésus et les 2000 ans de théologiens et de mystiques ? Mais il n’y a pas grand chose. Vraiment pas grand chose. Ou alors les autres civilisations, celles de l’Islam (pour ceux qui aiment ce style), ou du Bouddhisme (sa copie diffusant dans notre société par la méditation) ? Personnellement, je pense l’Evangile du Christ infiniment plus porteur de vie et de développement à la fois personnel et sociétal. Combien de temps peut vivre un arbre déraciné ? Au début les feuilles sont encore vertes, il est agréablement couché sur le côté, faisant une petite sieste, c’est vrai, mais ensuite ?
Le problème de l’effondrement de la pratique religieuse dans nos pays n’est pas les difficultés de l’église. Ce n’est qu’un moyen. S’il n’est plus utile on peut le ranger dans un musée. Le problème c’est qu’à défaut de trouver d’autres moyens, ce sont des vraies personnes, des familles, des sociétés qui ne travaillent plus leur foi, qui n’ont plus les moyens de profiter de ce patrimoine exceptionnel qu’est la Bible, ne nourrissent plus leur prière de façon suffisante ni de façon saine…
Comment reconnecter les contemporains au spirituel ?
Les croyants pourraient se bouger, d’abord, puisqu’ils y ont goûté. Pour cela, encore faut-il que la foi les nourrisse vraiment, qu’ils « pratiquent » et manifestent l’intérêt qu’ils y trouvent. Ce n’est pas faire la leçon aux autres, c’est juste donner envie à quelques personnes de leur entourage.
Il me semble qu’il faudrait que les églises, en tout cas les paroisses et les personnes individuelles, se (re)connectent avec leur mission essentielle, au service de la personne, si précieuse (toujours pour Jésus-Christ), et se sentent la vocation de l’aider à découvrir ou à se réconcilier avec Dieu grâce à l’Evangile.
Pour cela, Je réfléchis à haute voix. Et en ce qui concerne plus spécifiquement la sensibilité protestante « réformée » :
- Se concentrer sur l’essentiel : annoncer Jésus-Christ, réconcilier avec Dieu.
- Se mettre au service de la personne, à son rythme et à sa façon (et non la personne au service de l’église) : afin que chacun puisse développer et nourrir sa relation à Dieu et sa réflexion. Les deux, la prière et l’étude d’une façon intime et personnelle. Libérer et non encadrer. Donner les clefs et les outils permettant d’interpréter la Bible par soi-même, de nourrir sa foi et sa théologie, son éthique. L’encourageant à prier Dieu en toute confiance, l’encourageant à se poser des questions et à réfléchir par soi-même, sans craindre de tâtonner.
- Se concentrer sur ce que nous savons faire de mieux et sommes spécifiquement appelés à apporter au monde et aux personnes : ne pas se disperser dans tout ce qui est très sympathique mais que font déjà d’autres associations. Cela brouille le message, et cela détourne une bonne énergie et des ressources utiles pour l’essentiel.
- Épurer la forme, aussi : au lieu d’un brouillard de signifiants, chercher une beauté épurée des liturgies et des lieux de culte, des activités proposées, afin de renvoyer vers l’essentiel qui est à l’intérieur.
- Soigner la qualité : Cela demande du travail et de la prière, cela demande de la formation des personnes en responsabilité, de l’exigence dans le service offert, dans la théologie. Cela demande de l’ambition pour grandir les personnes et les enfants, pas seulement plaire et distraire. Cela demande aussi un soin des détails, même si ce sont et doivent rester des détails : la communication, les médias, la musique et les fleurs, l’accueil au vin de la Cène, de la sono au chauffage, au rangement, à l’éclairage, à la ponctualité, à la tenue… !
- Renoncer à la toute puissance ! de Dieu, de l’Église, des pasteurs et des prêtres, renoncer à tout moralisme, tout dogmatisme.
- Enfin : bien faire, certes c’est primordial, et alors faire savoir : Dans les vitrines, les flyers, les sites internet, la presse, les médias, ouvrir les temples et les églises. Que le monde n’entende pas parler seulement de Dieu quand il y a un fou furieux ou un scandale, mais entende parler de Jésus-Christ, de foi, de théologie et de prière.
Avec plaisir d’entendre ce que vous auriez à dire vous-même ?
Dieu vous bénit et vous accompagne.
par : pasteur Marc Pernot
Articles récents de la même catégorie
- Je constate que je n’arrive pas du tout mais alors pas du tout à aller régulièrement à la messe et à prier. Je n’arrive pas à savoir pourquoi.
- Au cours de mes recherches, j’ai découvert votre site par hasard en interrogeant le moteur de recherche
- J’ai vu sur internet pleine de chose qui sont interdite le jour du Sabbat. Je voulais prendre ma voiture pour aller à la patinoire, c’est un péché ?
Articles récents avec des étiquettes similaires
- L’intérêt d’avoir une vraie relation authentique d’amour avec le Seigneur, faut-il privilégier d’avoir avec lui une relation de cœur plutôt que de raison ?
- Un théologien demande à Jésus : « Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Luc 10:25)
- Ma foi suit son cheminement et j’ai envie aujourd’hui de me mettre à lire la Bible.
Les choses ici dites sont certainement à prendre en considération mais .. Mais je pense que le plus grand problème est que nous avons perdu la fin de l’histoire .. et que sans la fin, le livre est incompréhensible.
Je renvoie à deux grands penseurs chrétiens : Yvan Illich et René Girard qui se déclaraient « apocalyptiques » et voyaient dans les textes apocalyptiques l’espérance à retrouver.
« La corruption du meilleur engendre le pire » Yvan Illich et « Achever Clausewitz » René Girard.
Pouvons nous nous demander pourquoi deux esprits si brillants peuvent se dire « apocalyptiques » ? Comment , reprenant leurs propos, Giorgio Agamben, grand philosophe chrétien, peut affirmer la même chose ? Comment Illich pouvait-il dire « il faut espérer que l’apocalypse puisse arriver le plus vite possible » sans être taxé de fondamentaliste moyenâgeux ??
Reprenant la formule célèbre « Les chrétiens attendaient le Royaume de Dieu et ils ont eu l’Eglise », Giorgio Agamben met en garde nos églises qui se pensent éternelles, à retrouver le récit apocalyptique . Autrement elles risquent de s’écrouler avec les autres institutions (dont la « dégringolade » a déjà bien commencée). https://youtu.be/zMQdUZkrtiE?si=7PUpwRyToXzd_DfN
Il y a de grands penseurs chrétiens qui sont apocalyptiques, et la plupart, à mon avis, ne le sont pas du tout. C’est chacun son style.
Par ailleurs, nous voyons dans certaines églises développant des discours apocalyptiques certains horreurs et manipulation par la peur. Et là; ce n’est plus un style, une façon d’exprimer son espérance, c’est un danger, c’est parfois une emprise, une souffrance.
Vous avez raison, gouverner par la peur est très contraire au message d’espérance chrétien. La foi est assez contraire à la peur irraisonnable.
Toutefois je pense que l’apocalypse est, en fin de compte, une bonne nouvelle : celle d’un Dieu qui s’inscrit dans l’histoire de l’humanité. Un Dieu qui s’inscrit tout simplement dans le « sens » de l’histoire, qui, comme dans la révélation vétérotestamentaire, n’est pas en dehors de l’histoire de son peuple.
Merci pour votre exposé enrichissant. Je pense que l’enseignement de Jésus doit être expliqué avec les mots de nos jours pour qu’ils soient compréhensibles pour le monde d’aujourd’hui ; tout en gardant l’essentiel.
Parce qu’elles se conforment trop au temps et modes du présent et ne sont plus assez des lieux de ressourcement et d’édification pour les chercheurs de Dieu !